« Biiip. Rez. De. Chaussée. » Tiens, celui qui se précipite dans le hall au niveau 0, c'est Dani, des ressources humaines : trapu, chauve, toujours propre sur lui, fidèlement accompagné de sa petite mallette et de sa mine renfrognée. Je ne le vois pas souvent par ici, il préfère généralement ne pas passer par les sous-sols, mais plutôt emprunter l'escalier principal ; c'est plus commode, vous comprenez, de venir à pied, que de garer sa voiture dans un parking cher et saturé.
À sa gauche, pas vraiment prêt à se mettre au travail on dirait, il y a ce grand type blond, piercings et jeans clairs troués, casque vissé sur les oreilles, que je ne reconnais réellement que lorsqu'il se retrouve ensuite en blouse blanche à escorter les malades et à leur clamer son besoin irrépressible de Carte Vitale. C'est le secrétaire principal du professeur Pardon, entré au premier.
« Bien le bonjour à tous ! On est en piste pour une nouvelle journée de pur bonheur ? »
Michel Pardon, bonne humeur chronique, euphorie persistante. Moue dubitative alentour.
« Quand je vous vois, tous, je comprends pourquoi je fais ce métier. Vous, par exemple, ma belle Maya : vous êtes éclairante. Dans tous les sens du terme. Rendez-vous tout à l'heure au bloc, ça va être sensationnel. » Souriant jusqu'aux oreilles, il presse le bouton numéro 5. Quel crâneur. On s'arrête à l'étage du service chirurgie, mais, moi, je rejoins la maternité, au niveau supérieur.
Ses couloirs semblent vides. Pas un bruit, pas un pleur, pas une seule infirmière non plus. Soudain, un jeune papa surgit, affolé : vite, le snack de l'entrée, vite, il me faut un sandwich – ou une bonne dose de courage –, c'est pas vrai, on est pas fichu de trouver une machine à café dans cet hôpital, allez, vite ! Je l'y accompagne, puisque c'est mon travail.
Je tombe à nouveau sur le chirurgien. Comme moi, il s'agite toute la matinée, passe d'un étage à l'autre à bride abattue, monte au cinquième visiter les longs séjours puis attend en trépignant que la cabine redescende jusqu'à son cabinet de consultations au premier.
Quelle énergie.
Tout compte fait, drôle de vie que la mienne. Les gens que je rencontre dans cet hôpital, souvent pour la première fois, se trouvent à cet instant de leur vie où ils sont justement en pause, comme suspendus, affairés, parfois préoccupés, terrorisés, ou bien harassés. Bien sûr, j'aurais pu les apercevoir ailleurs, mais ici, entre ces murs, ce sont des personnes différentes. Et moi, j'assimile l'ensemble de leurs univers personnels, qui s'entrechoquent, sans bruit, mais avec cette intensité toute particulière. Je remarque leur froideur, leur complicité, leurs rivalités... et je surprends toutes leurs confidences. Voilà comment je les apprivoise au fil du temps. Même si, de toute évidence, ils ne savent pas que je peux lire à l'intérieur de leurs pensées. Oh, mais ne me trahissez pas, s'il vous plaît. Pour rien au monde je ne manquerai ça.
Soubresauts répétés et appuyés dans la cabine, signe primaire de l'enfant impatient, signe d'une affection profonde envers moi aussi, sûrement.
« Quand est-ce qu'on arrive ? »
« Biiip. Deuxième. Étage. » Pour un peu j'en aurais presque oublié ma propre voix.
À sa gauche, pas vraiment prêt à se mettre au travail on dirait, il y a ce grand type blond, piercings et jeans clairs troués, casque vissé sur les oreilles, que je ne reconnais réellement que lorsqu'il se retrouve ensuite en blouse blanche à escorter les malades et à leur clamer son besoin irrépressible de Carte Vitale. C'est le secrétaire principal du professeur Pardon, entré au premier.
« Bien le bonjour à tous ! On est en piste pour une nouvelle journée de pur bonheur ? »
Michel Pardon, bonne humeur chronique, euphorie persistante. Moue dubitative alentour.
« Quand je vous vois, tous, je comprends pourquoi je fais ce métier. Vous, par exemple, ma belle Maya : vous êtes éclairante. Dans tous les sens du terme. Rendez-vous tout à l'heure au bloc, ça va être sensationnel. » Souriant jusqu'aux oreilles, il presse le bouton numéro 5. Quel crâneur. On s'arrête à l'étage du service chirurgie, mais, moi, je rejoins la maternité, au niveau supérieur.
Ses couloirs semblent vides. Pas un bruit, pas un pleur, pas une seule infirmière non plus. Soudain, un jeune papa surgit, affolé : vite, le snack de l'entrée, vite, il me faut un sandwich – ou une bonne dose de courage –, c'est pas vrai, on est pas fichu de trouver une machine à café dans cet hôpital, allez, vite ! Je l'y accompagne, puisque c'est mon travail.
Je tombe à nouveau sur le chirurgien. Comme moi, il s'agite toute la matinée, passe d'un étage à l'autre à bride abattue, monte au cinquième visiter les longs séjours puis attend en trépignant que la cabine redescende jusqu'à son cabinet de consultations au premier.
Quelle énergie.
Tout compte fait, drôle de vie que la mienne. Les gens que je rencontre dans cet hôpital, souvent pour la première fois, se trouvent à cet instant de leur vie où ils sont justement en pause, comme suspendus, affairés, parfois préoccupés, terrorisés, ou bien harassés. Bien sûr, j'aurais pu les apercevoir ailleurs, mais ici, entre ces murs, ce sont des personnes différentes. Et moi, j'assimile l'ensemble de leurs univers personnels, qui s'entrechoquent, sans bruit, mais avec cette intensité toute particulière. Je remarque leur froideur, leur complicité, leurs rivalités... et je surprends toutes leurs confidences. Voilà comment je les apprivoise au fil du temps. Même si, de toute évidence, ils ne savent pas que je peux lire à l'intérieur de leurs pensées. Oh, mais ne me trahissez pas, s'il vous plaît. Pour rien au monde je ne manquerai ça.
Soubresauts répétés et appuyés dans la cabine, signe primaire de l'enfant impatient, signe d'une affection profonde envers moi aussi, sûrement.
« Quand est-ce qu'on arrive ? »
« Biiip. Deuxième. Étage. » Pour un peu j'en aurais presque oublié ma propre voix.
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