vendredi 25 février 2011

« Exercice de style : De l'art d'assumer sa lexicorragie », par Olivier Marchand

Présentation du texte par son auteur, Olivier, avec un minuscule commentaire lepagien en regard :

« Petit exercice d'écriture spécial (eh oui, Olivier se sent inspiré ces temps-ci !) ».
[Caroline se permet ici de sur-parenthiser pour s'inquiéter qu'Olivier se mette à parler de lui-même à la troisième personne… Égorragie ? Ou signe que le jeune apprenti traducteur est en train de trouver sa voix et est bien décidé à la faire entendre ? Qu'il n'oublie pas, cependant, la règle numéro 1 du bon traducteur : être l'ombre de l'auteur… ;-))))))].
« J'avais commencé à le rédiger pour l'exercice sur la plume. Trois heures après avoir commencé, j'avais fini par changer d'avis, mais j'avais gardé mon ébauche, pour si un jour...
Le jour est arrivé. Je me dis que c'est une bonne façon pour apprendre le vocabulaire, alors, le voici ...! »

Accorte et sémillante jeune fille aux joues roses, aux cheveux mordorés et aux yeux irisés, Rita avait vécu depuis sa naissance dans la maison familiale. Puînée d'une modeste famille, elle avait perdu sa mère lors de l'épidémie de suette qui avait décimé la région. Le médecin, homme réputé dans tout le comté pour ses incroyables talents de physiognomoniste, n'avait rien pu faire pour la sauver. La pauvre femme, égrotante depuis sa naissance, avait, après avoir combattu tant de maladies, fini par s'incliner. L'obit avait été célébré rapidement, chichement et la pauvre enfant, alors âgée de 14 ans, s'était vu confier le poste occupé jusque là par sa défunte mère. Ainsi, elle passait ses journées à faire danser ses doigts marmoréens sur les culottes rognées de ses frères et sur les talons éculés de leurs chaussures. Peu enclins aux remerciements, les hommes atrabilaires qui lui tenaient lieu de parents l'avaient, depuis lors, considérée comme leur homme-lige et l'avait confinée dans cet ergastule de pierre d'où elle ne devait, sous aucun prétexte, sortir. Réduite au statue d'ilote, sa vie se limitait donc à effectuer les tâches les moins gratifiantes sous les commentaires acerbes et insultants des hommes qui l'entouraient.
Elle avait cru voir son destin changé lorsqu'un jeune orpailleur était arrivé au village. Pendant que les membres de sa famille raclaient et renâclaient dans les champs, il avait sauté la petite palissade qui circonvenait la maison et s'était approché d'elle. Il l'avait affriandé par de captieuses paroles, lui promettant monts et merveilles, la laissant rêver à une vie nouvelle, loin de ce village et des reîtres qui le peuplaient. D'abord rétive, elle avait fini par écouter son cœur turgide de désir et avait succombé aux charmes du beau parleur. Sans afféterie, ni minauderie, elle lui avait ouvert la porte et s'était allongée sur l'unique pucier de la pièce où elle avait livré, au corps viril et vibratile du chercheur d'or, ses graciles formes. La pauvre
Rita en fut bien marrie, car, une fois que le convoiteur de pépites eut mis la main sur celles qui l'intéressaient, il se sauva sans demander son reste. La nouvelle arriva au hameau, quelques jours plus tard, que le jeune aigrefin trempait dans un nombre incalculable de gabegies et qu'il était ardemment recherché par les carabiniers locaux. Même si la tristesse de l'abandon et la douleur de la tromperie étaient vives, la rencontre avec ce fouineur de cours d'eau avait ouvert les yeux de la pauvre enfant.
Écœurée de s'être laissée berner avec tant de facilité par ce madré flagorneur et fatiguée de devoir essuyer les sempiternelles réprimandes de sa famille, elle décida de s'enfuir. Elle enfila sur ses pieds glabres ses kroumirs, attrapa le guide-âne qu'elle glissa dans un petit réticule, secrètement confectionné à l'abri des regards fraternels, et s'enfuit. Elle courut autant qu'elle pût et ni les visages vultueux de ses frères, ni les insultes horrifiantes que son père lui criait ne la firent rebrousser chemin. Sans vaciller un seul instant, elle continua sa route. Une fois dissimulée dans la forêt, sous les frondaisons des arbres, elle s'agenouilla pour reprendre son souffle. C'est alors qu'un mélange de bonheur et d'appréhension envahit son être : certes, elle était heureuse de s'être enfin libérée du joug régalien qui jusque là lui meurtrissait l'existence mais, en s'échappant de la sorte, seule, sans compagnon de route, n'était-elle pas vouée à une absolue déréliction

3 commentaires:

Tradabordo a dit…

@ Olivier ; ils y sont tous ? Tous nos petits chéris lexicaux ? Dieu que c'est beau… !

Elena a dit…

Sublime...

El Oli a dit…

Ils n'y sont pas tous... Olivier a essayé d'en inclure un maximum, mais certains étaient beaucoup trop "insolites" pour y avoir leur place.

P.S. : La maladie Delonienne de la 3ème personne avait déjà été avouée lors d'un atelier de traduction collective... Je crois que les heures passées en compagnie de mon personnage schizophrène de traduction longue ont quelque peu renforcé cette prédisposition à la gémellité psychologique.