samedi 12 février 2011

Exercice d'écriture : « Ascenseur », par Stéphanie Maze

Aujourd'hui, c'est le grand jour ! Le déménagement, enfin ! Cette nouvelle liberté qui s'offre à moi. Je quitte le nid parental. Je crois qu'on en a tous rêvé au moins une fois de ce moment béni. Non pas que je me sentais mal à la maison, non, c'était pas ça. C'est juste que j'allais enfin pouvoir inviter les copains, me coucher à pas d'heures, pas avoir à négocier le programme télé de la soirée, sans oublier que ce serait aussi l'occasion de ramener des conquêtes à la maison, soit je sais qu'elles ne seront pas légion, mais bon, douze mois, ça laisse de la marge ! Et puis, j'emménage quand même dans une résidence étudiante, les filles auront toutes mon âge, en plus on m'a dit qu'avec l'alcool, elles se laisse aller plus facilement.
Tout à l'heure, j'ai aperçu le petit nouveau du 4e. On peut pas dire qu'il soit canon-canon, c'est sûr, seulement il arrive un moment où on est plus trop regardante hein ! Si j'entre pas dans les détails, Pull Rouge – c'est comme ça que je l'ai appelé en attendant de connaître son petit nom –, aura tout l'air d'un mannequin : yeux bleus, peau mate, 1 mètre 90, brun. J'en imagine déjà certain(e)s au bord du fantasme.
Ça y est ! J'y suis ! Les parents ont débarrassé le plancher après avoir déposé mes affaires, et moi avec. Première soirée tout seul, enfin pas vraiment, j'ai invité Yaël et Simon à squatter à l'appart. Je file au super acheter quelques bières, et un peu de Soho – alcool de filles, paraît-il, mieux vaut être prévoyant –. Ce qu'on va faire ? Je sais pas trop, pizza-DVD sans doute. La Playstation étant resté à la maison, on a tiré une croix sur PES. Eh oui, la liberté à un prix, console retrouvée si semestre validé... Ah, les parents, les cours, toujours les cours...
Ce qu'elle donne, la description moins glorieuse : un nez aquilin, des yeux légèrement enfoncés et des poignées d'amour que deux mains ne suffisaient pas à saisir. Je me demande comment je vais pouvoir l'aborder. À première vue, aucun point commun. En L1 d'histoire d'après ce que j'ai pu déduire de mes filatures à travers le campus. Pourquoi pas me faire passer pour une élève de son amphi, ils sont encore nombreux avant la grosse claque des premiers exams, il n' se rendra peut-être pas compte que je fabule ! Ce serait envisageable, mais je risque de vite me faire démasquer. Réfléchissons encore...
Un mois que la fac a commencé et je dois bien avouer que je commence à y faire mon trou, avec Yaël et François on a instauré certains rituels : les cafés au Sirtaki, les repas au Veracruz et le demi après les cours. Côté filles, malheureusement, je fais chou blanc. La bouteille de Soho n'a pas bougé d'un poil. Y a bien cette fille de la résidence, je l'ai croisée que deux ou trois fois,et pourtant ça suffit largement pour affirmer qu'elle est mignonne. Le truc, c'est que je sais pas où la trouver. Jusque-là, c'est le hasard qui l'a placée sur ma route.
Moi qui croyais prendre de l'assurance avec l'âge, ou du moins à force d'accumuler les diplômes, quatrième master, un recherche, trois professionnels et cette année, j'entame mon doctorat. Je ne devrais pas être paralysée face à un jeunot pareil. Je suis pas sûre qu'il s'agisse réellement de paralysie, en fait je crains plutôt qu'il me prenne pour une perverse ou une détraquée. Alors je me suis fait cette remarque, si tu n'affrontes pas le face à face, le plus simple, c'est le mot. Efficace, direct, gnan-gnan et gamin aussi, mais peut-on renier sa nature ? Donc j'ai rédigé une petite note, sans m'épancher, que j'ai déposée dans sa boîte aux lettres.
Nan mais j'en reviens pas ! Today, journée à marquer d'une pierre blanche : j'ouvre ma boîte aux lettres, plus par habitude que par conviction et hop, qu'est-ce que j'y vois... une enveloppe, avec mon prénom dessus ! C'est elle, je suis sûre que c'est elle, j'ai capté son regard qu'elle a de suite détournée comme honteuse. Un rendez-vous ! On va faire péter le Soho, c'est moi qui vous le dis ! Je pensais pas que ça m'arriverait ce genre de billets, c'est un truc de romantique ça, enfin peu importe, ce qui compte, c'est que demain soir sera le grand soir !
Est-ce qu'il l'a lu ? Est-ce qu'il sera là ? Ces questions me rongent... Me voilà prise des mêmes crises d'angoisse qu'une gamine de 15 ans. Pourtant, c'est plus de mon âge. Je finis de me pouponner. J'ai enfilé un jean, histoire de paraître assez décontractée, des bottes pour que mes jambes semblent plus fines, un petit pull moulant et une pointe de maquillage. Le lieu de rendez-vous ? Je dois reconnaître avant de le révéler qu'il en surprendra plus d'un. Dans l'ascenseur, au deuxième étage, mon étage. Pourquoi ? Parce que, s'il veut s'enfuir, aucune échappatoire, je presse le bouton STOP et tout s'arrête, lui, moi, le temps. Lui et moi réunit hors du temps, dans un endroit rien qu'à nous.
L'heure approche. Dernier tête à tête avec mon miroir. Beau comme un Dieu ! Je peux y aller. L'ascenseur, un peu étrange comme lieu de rendez-vous, enfin qui n'a jamais rêvé d'un corps à corps dans ce haut lieu de la technologie, le moment où l'on appuie sur STOP pour ne pas se faire prendre, pour vivre l'instant pleinement, jusqu'au bout. Je nous imagine déjà. Il est là. Les portes s'ouvrent, j'y entre. Troisième étage. Deuxième étage... Mais, mais, c'est pas ELLE, c'était pas ça le deal, non. C'est quoi cette quinquagénaire peinturlée qui me colle la main au paquet tandis qu'elle appuie sur... STOP !

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