« Veine »
Dans la brume du petit matin, les premiers rayons du soleil peinaient à atteindre le fond de la vallée. Les cimes des sapins semblaient flotter sur une immense étendue d’écume, seules rescapées du déluge qui s’était abattu sur elles la nuit passée. L’aube avait rétablit le calme et sur cette mer de nacre, parsemée d’émeraudes, à laquelle s’ajoutait une douce lumière dorée qui pontait à l’horizon. L’aurore amenait avec elle une sensation de quiétude, la brise matinale courbait légèrement la pointe des arbres et caressait l’immensité blanche. Sur les hauteurs, le campement était resté intact, mais pas le moindre mouvement à l’intérieur.
Le rêve de Matthieu s’achevait ainsi, après une nuit de tempête acharnée qui s’abattait sur ce paysage escarpé. Le même rêve qui se répétait chaque nuit, avec cette sensation étrange au réveil de ne pas avoir fermé l’œil et de ne plus pouvoir discerner la frontière entre ces deux mondes, l’onirique et le réel. Il ne se l’expliquait pas, mais commençait à le considérer comme faisant partie de son quotidien. Le réveil sonnait toujours au même moment, lorsque son regard se posait sur le campement, devant ce lieu qui lui paraissait maintenant familier, mais était-ce dû au fait qu’il l’avait vu des centaines de fois au cours des derniers mois ? Il était incapable de savoir si l’endroit en question aurait pu lui dire quelque chose avant ces apparitions nocturnes.
Ce matin-là, il se réveilla avant l’alarme du radioréveil. Il tenta de se défaire au mieux de ce tiraillement, puis descendit l’escalier. Ses colocataires étaient partis travailler et il se trouvait seul dans la cuisine lorsqu’il s’assit pour déjeuner. Il prit son téléphone et consulta l’écran d’accueil : cinq appels en absence de Nuria, son amie d’enfance. Il se dit en lui-même qu’il la rappellerait plus tard, or quelques minutes après, la sonnerie retentit de nouveau. Il décrocha et sans surprise, reconnut la voix de Nuria.
— Qu’est-ce que tu as bien pu faire pendant tout ce temps Matthieu ? Je n’y crois pas, ça fait des jours que j’essaye de t’appeler, j’étais morte d’inquiétude.
— Des jours… Tu n’exagères pas un peu non ? On est allés au restaurant hier soir.
— Hier soir ? La dernière fois que je t’ai vu, c’était il y a une semaine.
Interloqué, Matthieu leva les yeux vers la pendule de la cuisine sur laquelle la date était inscrite et dut se rendre à l’évidence. Sept jours étaient passés depuis le diner avec son amie. Le temps de reprendre ses esprits, Matthieu promit à Nuria de la rappeler le midi-même, prétextant qu’il était occupé. Pourtant, il n’en était rien et dès qu’il eut raccroché, il s’affala sur sa chaise, se demandant comment il était possible qu’il ne se souvienne pas de ce qu’il avait fait durant une semaine entière. Il n’avait pourtant pas pu dormir tout ce temps. Il resta ainsi, la tête entre les mains, pendant une dizaine de minutes, puis décida de consulter son répondeur pour tenter d’en savoir plus sur ce qu’il avait pu faire au cours des derniers jours, en vain : on ne lui avait laissé aucun message. Il se leva et retourna dans sa chambre. Derrière son lit, il découvrit une carte et des chaussures de randonnée, ainsi qu’un sac à dos qui semblait contenir de quoi établir un campement. Le tout était dans un piteux état et semblait avoir souffert d’une intempérie. Son sang ne fit qu’un tour dans ses veines…
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