« Et dessous, une âme… »
Au sortir de la salle de bains, elle s’assied face au miroir, lançant un regard furtif au reflet. Puis, elle contemple les trésors qui ornent la coiffeuse : flacons finement ciselés, boîtes laquées, marquetées, poudriers et fards côtoyant le khôl et le gloss. Tout est en place pour le rituel.
Tandis que les rides s’effacent sous la crème blanchâtre qu’elle étale sur son visage, les tourments passés s’estompent. Elle avait décidé d’enfoncer dans les limbes de sa mémoire les frustrations qui avaient été siennes pendant ses sept ans de mariage. Elle avait été soucieuse, chaque fois qu’il ne rentrait pas, en colère quand elle découvrait ses récidives – une blonde ou une autre, qu’est-ce que cela changeait, c’était toujours le même affront qu’elle subissait – et elle avait affiché un sourire crispé à tous les repas de famille. Le mariage, cela marque les traits… Alors, elle fait disparaître les rides, les cernes, elle revêt son visage de crème et de correcteur, comme l’on recouvre les fissures d’une vieille maison avec un nouvel enduit. La femme qui s’examine maintenant dans la glace a rajeuni de sept ans.
Sur ce mur à nouveau lisse, elle dépose une infime nappe de poudre qui lui donne le teint uni de la perfection. Elle le rehausse ensuite d’un soupçon de pudeur rosée sur les pommettes. Et elle songe aux poupées de son enfance : pas les siennes, mais celles qui ont hanté son esprit de gamine. Son père collectionnait les poupées de porcelaines, il avait toujours été fasciné par leur beauté, leur allure d’enfant modèle, à tel point qu’elle avait voulu leur ressembler, devenir la fille idéale. Mais le manque d’affection paternelle était resté comme une blessure ; elle avait toujours conservé le besoin de paraître sans faille et sans défaut.
Enfin, après avoir masqué les empreintes du passé, elle consacre sa renaissance par une délicate touche de vert sur ses paupières ourlées de noir. Khôl et mascara lui font ce regard irrésistible qui plusieurs fois déjà, avait séduit. Il ne manque alors que la note finale, un rose nacré sur ses lèvres, afin de parfaire le masque de la sensualité.
Au cours du vernissage, elle rencontrerait peut-être un homme qui tomberait sous le charme de sa fraîcheur, de cette beauté paradoxalement naturelle, malgré l’accumulation des artifices. Elle savourerait le plaisir de se sentir attirante et courtisée. Cependant, elle craignait toujours d’être démasquée. Qu’adviendrait-il si l’on découvrait ce qui se cachait dessous la patine de crèmes et de poudres ? Pourrait-elle toujours dissimuler les aspérités de son âme ébréchée ?
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