Partie quelques jours en voyage, Jacqueline ne nous a pas oubliés pour autant ; la preuve : ce petit billet concocté dans le train qui la ramenait vers Bordeaux et notre Table Ronde.
Merci à toi, chère Jacqueline, pour ses intéressantes réflexions, qui, je l'espère, feront réagir nos amis… Entre deux versions, quinze mots du répertoire, le thème du week-end (bientôt en ligne), les lectures à faire pour trouver une bonne traduction longue, "La reja" à boucler, et – accessoirement – ce que vous demandent mes collègues… (pour ceux qui nous lisent, vous conviendrez que ces pauvres apprentis sont soumis à rude épreuve), il vous restera bien un peu de temps pour vous interroger sur l'essentiel. À quoi bon tout cela ? Je trouve que c'est toujours inquiétant, voire vaguement désespérant… , de se poser ces questions de fond sur notre activité.
Mais cela m'a donné une idée : se procurer la première page de chacune de ces 80 traductions du Quichotte. Sacrée collection ! Collection ou tableau de chasse ?
Mais cela m'a donné une idée : se procurer la première page de chacune de ces 80 traductions du Quichotte. Sacrée collection ! Collection ou tableau de chasse ?
***
« On ne ramène pas sa fraise ! »
C’est Georges-Arthur Goldschmidt qui le dit « au motif qu’un bon, un vrai traducteur doit être au service de l’auteur ». A l’appui de sa thèse, il cite volontiers semble-t-il, le cas exemplaire du Neveu de Rameau : le manuscrit original avait disparu et on ne disposait que de la traduction de Gœthe ; or à la fin du 19ème, ce manuscrit fut retrouvé chez un bouquiniste, ce qui permit de constater l’extrême fidélité du traducteur qui s’était effacé pour mieux mettre en valeur le génie de Diderot. Ces propos sont rapportés par Pierre Assouline dans l’excellent article qu’il consacre aux problèmes posés par la retraduction des classiques dans la dernière édition du Magazine Littéraire – Novembre 2008 N° 480-.
A Italo Calvino qui définit un classique comme « un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire », Arthur Goldschmidt répond en écho que « Le traducteur est un écrivain qui a la chance de ne pas chercher ce qu’il a à dire ». Cependant la traduction n’est jamais définitive — rappelons pour mémoire que le Don Quichotte a connu plus de quatre-vingts traductions en quatre siècles, la dernière, celle de Jean-Raymond Fanlo venant de paraître aux Éd. La Pochothèque) — et un jour ou l’autre elle apparaît datée, « portant inévitablement la marque de l’état de la langue à une époque donnée, la marque aussi d’une vision de la littérature, de l’esthétique à un temps donné »; le problème se pose alors d’une nouvelle version française. Écoutons ce qu’en dit quant à lui J- R Fanlo dans son introduction : son but est de rendre « les contrastes, la langue familière et l’éloquence livresque, les sabirs, les galimatias, les à la manière de, les petites perles lexicales et les beaux gros mots ».
Pauvres traducteurs, traduire n’est déjà pas facile, que dire de retraduire, quand il faut à la fois connaître les versions qui précèdent et ne pas en tenir compte ! cependant « les recherches en traductologie son unanimes à constater que la langue des traducteurs vieillit plus vite et plus mal que celle des écrivains » souligne l’universitaire Julien Hervier et il faut adapter les classiques à une langue plus moderne qui les rende plus accessibles au lecteur d’aujourd’hui, un lecteur plus exigeant et plus souvent polyglotte, qui admet que ce qui est étranger le reste une fois traduit, car « un traducteur doit conserver l’énigme de la langue de départ », dit G. A. Goldschmidt.
Nous en conviendrons alors avec Italo Calvino : « Une traduction tient toujours du miracle, la poésie en vers est intraduisible, la prose elle-même travaille sur la marge intraduisible de chaque langue et traduire n’est au fond que la véritable manière de lire un texte».
Faut-il alors traduire et retraduire les classiques ?Pierre Assouline rappelle en conclusion qu’un grand livre « attend encore une version lisible en français ». Classique s’il en est : la Bible.
Pourvu que Caroline ne nous demande pas de relever le défi dans les quinze jours !
Quelques pistes de réflexion :
• I.Calvino, Défis aux labyrinthes, Tome II, éd. Du Seuil, 2003.
• G.-A. Goldschmidt, Un enfant aux cheveux gris, conversations avec F. Dufay, CNRS Éditions, 2008.
• A. Berman, L’Épreuve de l’étranger, éd. Gallimard, 1984, rééd. Tel, 1995.
• G. Sapiro, Translatio. Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, CNRS Éditions, 2008.
Quelques pistes de réflexion :
• I.Calvino, Défis aux labyrinthes, Tome II, éd. Du Seuil, 2003.
• G.-A. Goldschmidt, Un enfant aux cheveux gris, conversations avec F. Dufay, CNRS Éditions, 2008.
• A. Berman, L’Épreuve de l’étranger, éd. Gallimard, 1984, rééd. Tel, 1995.
• G. Sapiro, Translatio. Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, CNRS Éditions, 2008.
Jacqueline Daubriac
1 commentaire:
Je suis traductrice et je suis tombée sur ce blog en cherchant la traduction Française d'un célèbre passage de Calvino. Je voudrais donc savoir si la citation que vous proposez (Une traduction tient toujours du miracle, la poésie en vers est intraduisible, la prose elle-même travaille sur la marge intraduisible de chaque langue et traduire n’est au fond que la véritable manière de lire un texte) est tirée de "Défis aux Labyrinthes" , et si oui de quelle page.
De plus, puisque l'article que je suis en train de traduire de l'italien en français cite égalemente le paragraphe qui précède (Tradurre è un'arte..) et celui qui suit (Il traduttore letterario...intraducibile), je voudrais savoir si vous avez moyen de m'envoyer ou de poster leur traduction en français. Sans quoi je serai forcée d'utilier ma traduction et non pas la traduction officielle (car le volume n'est pas disponible en Italie).
Un grand merci à l'avance!
Enregistrer un commentaire