mardi 8 février 2011

« Besoin du dictionnaire, encore et toujours », par Auréba Sadouni

Bonne nouvelle ! Aucune machine n’est prête à nous remplacer, nous, traducteurs, car la traduction, et en partie la traduction littéraire, n’est pas une activité machinale. Il faut sans cesse se poser des questions et il faut se remettre en question sans cesse. Ai-je choisi le bon mot ? Ne devrais-je pas utiliser un autre synonyme ? Cette tournure de phrase ne me convient pas ! Est-ce qu’on arrive bien à faire imaginer la scène et les personnages ? Est-ce que le dialogue semble naturel ou artificiel ? Est-ce que ce mot correspond au niveau de langue du personnage ? Quelles sont les connotations de ce mot ? Puis-je trouver un équivalent français possédant la même polysémie ? Et ce jeu de mot ? Dois-je y renoncer ? Pourrai-je en créer un autre sans être trop infidèle à la version originale? De quels autres mots est-ce que je dispose pour éviter les répétitions ? Que de questions ! Heureusement, il y a le petit Robert (et il n’est pas le seul) pour nous aider dans notre tâche. Il nous propose des synonymes, des définitions précises, et nous, nous faisons notre petit marché. Mais attention ! Nous choisissons scrupuleusement nos mots ! Car le texte cible que nous allons préparer doit être savoureux. Il n’est pas question de proposer un succédané de texte source moins bon, plus difficile à digérer. Sinon, à quoi bon traduire ? Lors de notre dernier atelier tutoré, une des difficultés du texte d’Olivier portait sur le verbe « manipular ». Peut-on dire que quelqu’un « manipule la radio » ? Nous avons cherché des synonymes de « toucher » : « — Trifouiller ? — Mot trop « gynécologique ». —Tripatouiller ? — Ah, peut-être ! » Il y avait aussi un adjectif : « granate ». Est-ce naturel en français de dire une « peugeot 205 grenat » ? Est-ce qu’on renonce à la précision sur la tonalité de la couleur ? Est-ce qu’on remplace « grenat » par « rouge », ou… « bordeaux » ? Il s’avère que quand on cherche dans Google, on trouve quand même des occurrences avec des images pour « peugeot rouge grenat ». Il faut trancher. « Peugeot 205 rouge grenat » ? « Peugeot 205 Bordeaux » ? Avez-vous d’autres propositions ? Dans le texte d’Alexis, le mot « retorcida », qualifiant la relation entre le Diable et son rival nous a aussi invités à consulter « Bébert ». Nous avons opté pour le mot « retors ». Le texte d’Alexis a la caractéristique qu’il faut respecter une certaine binarité des phrases. C’est pour cette raison que la recherche du mot juste se fait quelques fois en fonction d’un autre mot tout près dans le texte. Quant à mon texte à moi, c’est d’abord la répétition du verbe « sentir » qui nous a invités à chercher des synonymes du verbe « ressentir » (« éprouver », « gouter à »…). Aussi, comment traduire la vulgarité d’un « ¡qué coño ! » bien espagnol ? Est-ce que ça le fait si je mets « Bordel de merde ! » ? Je vais encore chercher… (Si quelqu’un veut m’aider, ce ne serait pas de refus.). Je n’ai pas un langage très châtié, mais il existe encore certaines vulgarités qui ne font pas encore partie intégrante de mon lexique. Comme je suis une jeune fille innocente, (oui, il y a peut-être un peu d’ironie dans mes propos), j’ai légèrement bloqué quand j’ai dû traduire « relajar el cacahuete ». J’ai dû m’initier aux métaphores sexuelles en visitant un site d’expressions autour du sexe masculin et en interrogeant des personnes de mon entourage. Et comme vous le savez, autant dans une langue comme dans une autre, il en existe un grand nombre. Je suis au marché des métaphores, et je dois choisir entre la « banane » et le « poireau », à moins qu’un autre fruit ou légume (peut-être une légumineuse) puisse faire l’affaire. En bref, en sachant que notre propre usage de la langue française n’est pas représentatif de celui de tous les francophones, nous nous devons d’utiliser tous les moyens pour dénicher les bons mots. Comme pourrait le dire Caroline, notre tutrice, sur le ton de la plaisanterie, cela peut être « chiant », par moments, mais il n’y a pas à dire, c’est passionnant.

P.S : Je vous saurais grée de bien vouloir tolérer et pardonner, Madame, Mademoiselle, Monsieur, l’expression relâchée de ce petit témoignage.

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