lundi 7 février 2011

Entretien avec un traducteur du néerlandais (qui a préféré rester anonyme), réalisé par Olivier Marchand

Comment en êtes-vous venu à la traduction ?
De façon très atypique. Je suis professeur agrégé de lettres modernes, mai j'ai appris le néerlandais en autodidacte en étant adolescent (il serait trop long ici de raconter pourquoi et comment) ; à la suite d'une mutation dans la région parisienne, j'ai fréquenté l'Institut néerlandais à Paris participé à des ateliers de traduction littéraire où j'ai été repéré par les organisateurs et traducteurs connus qui m'ont encouragé et m'ont permis d'être agréé comme traducteur professionnel (après stages de perfectionnement etc) par le Nederlands Literair Vertalingen- en Produktiefonds (organisme typiquement néerlandais qui gère les rapports entre éditeurs néerlandais et éditeurs des autres pays, agrée des traducteurs et joue par ailleurs un rôle identique à celui du CNL en France). Conscient du fait que je disposais par ailleurs d'un salaire fixe d'enseignant, je ne cherche pas à accumuler les traductions les unes après les autres, pour ne pas nuire aux collègues qui n'ont que la traduction pour vivre, et ne disposent pas d'autres revenus.

Que pensez vous aujourd'hui de la première traduction que vous avez faite ?
Je pense qu'elle reste tout à fait satisfaisante. Simplement je ne suis pas sûr que j'accepterais
aujourd'hui de traduire ce livre , car mes goûts ont évolué.

Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
Je suis mal placé pour répondre à cette question. D'une part parce que je suis aussi par ailleurs (voir plus haut), enseignant et chercheur. D'autre part parce que les traducteurs de néerlandais sont dans l'ensemble plutôt privilégiés par rapport aux collègues qui traduisent d'autres langues.

Quel type de littérature traduisez-vous le plus ? (roman, poésie, théâtre…) Pourquoi ? Cela relève-t-il de l'affectif, d'une volonté personnelle ou simplement de la demande des éditeurs ?
ROMANS ET ESSAIS (sciences humaines surtout car je suis linguiste et sémiologue de formation), plus (évidemment à cause de l'importance de la peinture dans la culture flamande et néerlandaise) des catalogues d'exposition, ou des ouvrages d'art. J'ai par ailleurs été aussi dans le passé critique musical en musique classique (disques) au journal Libération, et je suis également musicien, donc il m'arrive de traduire des ouvrages ayant un rapport avec la musique baroque, classique, contemporaine. Enfin , — pour la petite histoire— je suis un des seuls traducteurs de néerlandais d'origine protestante (bien qu'athée) mais je suis sollicité par certains éditeurs pour traduire des ouvrages ayant un rapport avec le protestantisme (théologie ou autres) car j'ai gardé une solide culture de ce côté-là. Autrement dit, la traduction est un domaine qui vous permettra d'utiliser TOUTES vos compétences culturelles y compris celles qui vous paraissaient les plus "extérieures", périphériques à votre personnalité.

Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Ça dépend. Ca peut varier de l'excellent à l'exécrable. Certains sont des quasi-amis. Quand les rapports sont exécrables, ils sont rompus assez vite.

Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ?
Là aussi, c'est variable. Il y a des auteurs qui répondent volontiers, avec plaisir aux questions que vous leur posez, qui deviennent des amis, qui vous disent que vos questions leur ont fait voir leur propre livre sous un autre oeil. Il y a des auteurs dont on devient vraiment proches (avec lesquelles on noue même des relations personnelles en dehors de l'optique de la traduction). Il y a des auteurs qui au contraire ne veulent pas entendre parler de leurs traducteurs, et qui considèrent qu'à partir du moment où vous leur posez une question, vous les dérangez, ou qui considèrent que vous ne connaissez pas leur langue : car pour eux, tout devrait être clair. Certains auteurs n'ont aucune idée de ce qu'implique traduire.

Quel est votre meilleur souvenir en tant que traducteur ?
Je ne souhaite pas répondre à cette question. Elle ne me paraît pas d'ailleurs très pertinente.

Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que vous auriez aimé traduire ?
Celui que j'aurai aimé écrire, et que donc, pour cette raison là, je ne traduirai pas.

Le traducteur est-il pour vous un tâcheron, un artisan ou un artiste ?
Fondamentalement un artisan, si son éditeur ne le transforme pas en tâcheron. Mais un écrivain est aussi un artisan.

Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Si oui, quel lecteur ?
Non, j'aurais plutôt tendance pour ce qui est de mon cas personnel à renverser votre question, en disant que c'est parce que PAR AILLEURS j'avais APPRIS à être un lecteur différent , que j'ai pu devenir traducteur. Linguiste (au sens théorique = linguistique générale, etc.) de formation, j'ai eu la chance d'être un des étudiants de Roland Barthes, et d'autres universitaires qui avaient bouleversé le rapport au texte. Le goût à la fois pour la recherche, l'écriture et la traduction est venu de là. Plus la pratique de l'enseignement qui implique forcément un certain mode de lecture. Dont il faut savoir aussi se déprendre.

Quel conseil pourriez-vous donner à un apprenti traducteur ?
De ne pas se décourager. Et de ne surtout pas oublier que la connaissance et la pratique de SA langue (la langue dans laquelle il traduit) est aussi , voire plus importante que celle de la langue source. De se méfier des gadgets et de certaines modes. Par exemple d'être extrêmement critique vis à vis de tout ce qui relève de la théorie ou des théories de la traduction (dans lequel il y a du meilleur et du pire) , surtout quand il s'agit d'un recyclage mal fait et bancal de théories linguistiques prestigieuses mais dévoyées et transformées en recettes de cuisine. D'avoir un maximum d'esprit critique à l'égard des autres et de soi-même.

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