vendredi 7 décembre 2012

Entretien avec la traductrice (Hébreu/Français) Laurence Sendrowicz – par Manon Tressol

Laurence Sendrowicz est traductrice littéraire et théâtrale de l’hébreu vers le français. Une partie de son travail est consacrée à la traduction et à la promotion en France de l’auteur Hanokh Levin.

1. Manon Tressol. Vous êtes traductrice littéraire et théâtrale : comment êtes-vous venue à chacune de ces deux activités ?
Laurence Sendrowicz. Je suis venue à la traduction théâtrale au moment de mon retour en France, après 13 ans passés en Israël où j’ai fait des études dans une école supérieure de théâtre et où j’ai travaillé comme comédienne. Connaissant Jacques Nichet, j’ai pu intégrer le tout nouveau comité hébreu de la Maison-Antoine-Vitez et dans ce cadre, nous avons proposé de commencer à traduire des pièces de Hanokh Levin – auteur dont je connaissais l’œuvre (et le génie) grâce à mon séjour en Israël. C’est à ce comité que j’ai rencontré Jacqueline Carnaud,  qui était elle-même depuis des années une grande traductrice (d’anglais, mais hébraïsante) et elle m’a proposé de traduire en duo un roman policier israélien. C’est en travaillant avec elle que j’ai tout appris sur la traduction littéraire et je souhaite à tout futur traducteur une telle école ! Pour ce qui est de la traduction théâtrale, mon expérience de comédienne m’a énormément aidée – d’ailleurs, je dis souvent que je traduis avec mes pieds, c’est-à-dire toujours en imaginant les scènes incarnées – ainsi que le fait que je suis moi-même auteur de théâtre,  et donc que je ne cesse de m’interroger sur l’écriture théâtrale.

2. M. T. Exercez-vous ce métier à plein temps ?
L. S. Oui, il m’arrive aussi de faire quelques « incursions » pratiques dans le théâtre, mais je vis de la traduction.

3. M. T. Quelles distinctions existent, selon vous, entre la traduction littéraire et la traduction théâtrale ?
L. S. Plus j’y réfléchis, moins j’en trouve dans la première partie du travail, c’est-à-dire le travail à la table. Je pense qu’en littérature ainsi qu’en théâtre, il faut respirer avec l’auteur et visualiser les scènes – que ce soit un roman ou une pièce,  en ce qui me concerne, je vois des images et je cherche à me caler sur le rythme intérieur de l’auteur. En revanche, ce qui est très différent, c’est qu’un texte théâtral est, de mon point de vue, fait pour être d’abord et avant tout porté sur une scène. Et donc, à partir du moment où la version « solitaire » existe,  j’estime indispensable de la confronter, encore et encore, au plateau. Le théâtre étant du spectacle vivant il m’arrive de modifier tel ou tel mot/réplique d’un texte déjà publié,  déjà joué…

4. M. T. Quels sont ou quels ont été vos rapports avec les auteurs que vous traduisez ?
L. S. Tout dépend. Avec Levin, j’ai eu peu de rapport, il est mort trop vite ! J’étais subjuguée par lui, et il était assez réservé, mais nous avons suffisamment échangé pour que je comprenne la marge de manœuvre qu’il était prêt à me laisser – là encore, pour lui, l’ultime test était l’efficacité du plateau. Cela me sert aujourd’hui encore. Pour les autres auteurs, mes rapports sont, pour la majorité, excellents. Dans le respect mutuel. Si cela n’était pas le cas, je pense que j’aurais du mal à faire une bonne traduction. À faire une traduction tout court !

5. M. T. Quels sont vos rapports avec les metteurs en scène, les comédiens ou, de manière plus large, avec les compagnies qui jouent les pièces que vous traduisez ?
L. S. Idem. De plus, tous les metteurs en scène désireux de monter du Levin sont obligés, s’ils veulent les droits, de me rencontrer au moins une fois. Et je demande souvent à venir aussi tout au début des répétitions, mais cela n’est pas toujours possible, surtout quand les compagnies sont en province et vu mon emploi du temps. En général cela se passe très bien, il y a certains metteurs en scène qui me demandent d’être présente sur plusieurs jours, et bien sûr, s’instaure un dialogue permanent.

6. M. T. Votre propre expérience de comédienne, metteuse en scène et d’auteur de théâtre a-t-elle une influence sur votre manière de traduire ?
L. S. Mon expérience de théâtreuse induit totalement ma manière de traduire... même de la littérature ! Petite précision : j’ai mis en scène un seul spectacle, cela ne fait pas de moi un metteur en scène.

7. M. T. Quels sont les principaux outils que vous utilisez pour traduire ?
L. S. Un dictionnaire Hébreu/hébreu en ligne, le dictionnaire du CNRTL et Google et j’essaie aussi d’avoir des « indics » capables de me donner des précisions « vécues » quand il s’agit de traduire des textes qui ont pour toile de fond des mondes que je ne connais pas toujours de l’intérieur.

8. M. T. Lorsque vous rencontrez une difficulté, voire que vous êtes bloquée (inquiétude majeure des apprentis traducteurs), comment procédez-vous ?
L. S. Il n’y a aucune formule magique. Parfois je laisse tomber et j’attends que quelque chose se passe, parfois je m’acharne jusqu’à ce que je trouve quelque chose... mais à vrai dire, je suis rarement complètement bloquée. Il m’arrive souvent de ne pas être satisfaite, mais comme je travaille par « couches » successives, un peu comme un sculpteur, je taille, je taille et… j’espère qu’à la fin,  ça prendra forme.

9. M. T. Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traductrice ?
L. S. Je ne sais pas trop… chaque fois que j’entends du Levin sur scène et que c’est bien monté, c’est merveilleux… Alors, disons que j’étais récemment à l’Aquarium pour voir (montée pour la première fois) La Putain de l’Ohio que j’ai traduit il y a quelques années, dans une mise en scène de Laurent Gutmann et que tout dans ce spectacle sert tellement le texte, l’auteur, le théâtre, que je peux dire que c’est mon meilleur souvenir.

10. M. T. Et le moins bon ?
L. S. La fois où un auteur que j’ai traduit et qui ne connaît pas un mot de français, m’a fait des réflexions et des propositions sur ma traduction.

11. M. T. Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
L. S. Les deux.

12. M. T. Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
L. S. Il me semble que nous existons un peu plus aux yeux du public et des médias, mais la route est encore bien longue. Ce travail reste une école d’humilité.

13. M. T. Traduire a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Et si oui,  quelle lectrice ?
L. S. Oui et non. Je suis et je reste une lectrice invétérée de romans, j’ai toujours fait attention au style mais j’y suis encore plus sensible à présent. De plus, je choisis une partie de mes lectures  en fonction de ce que je traduis, ce qui, parfois, m’amène à lire (je parle de la lecture plaisir, qui m’est vitale) des livres que je n’aurais pas lus.

14. M. T. De même, traduire a-t-il changé votre regard sur le théâtre ? Et si oui, de quelle manière ? 
L. S. Non. Ce qui a changé mon regard sur le théâtre, c’est de traduire Hanokh Levin. De savoir que l’on peut écrire ainsi, ça vous bouscule tout le temps.

15. M. T. Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
L. S. Je ne suis pas pédagogue, donc il m’est difficile de donner des conseils utiles. Je parlerai donc de ce que Jacqueline Carnaud m’a apporté à mes débuts, c’est-à-dire qu’elle m’a appris la rigueur, la cohérence dans les choix… et privilégier toujours le plaisir de lecture dans la langue cible – mais cela n’engage que moi.

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