1) Elise Poullain. Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous arrivées dans le monde de l’édition ?
Estelle Durand. J’ai trente-et-un an, j’ai fait des études de lettres, tout en apprenant mon métier au travers de différents stages. Une fois obtenu mon DESS édition à la Sorbonne, je me suis occupée pendant trois an et demi de la coordination et de l’éditorial d’une revue de sciences humaines. Mais la littérature, mon domaine de prédilection, me manquait. Nous n’avions pas perdu le contact avec Claire, rencontrée en année de DESS. Nous avions déjà évoqué le projet de monter une maison. Mais toutes les circonstances étaient enfin réunies pour concrétiser cela.
2) E.P. Pouvez-vous introduire rapidement votre maison d’édition, Asphalte ?
Estelle Durand et Claire Duvivier. Asphalte, c’est plusieurs ingrédients : littérature urbaine, contre-culture et voyage. Ensuite, l’esprit Asphalte, c’est assez large et en même temps cohérent : importance accordée à la voix des narrateurs, importance de la musique, importances des marges. La société a été créée en 2009, les premiers livres sont parus en mai 2010. Nous publions 9 titres par an. Nous sommes deux dans la structure. Nous sommes diffusées par le Le Seuil et distribuées par Volumen. Nous avons deux collections distinctes : les fictions et les Asphalte Noir (anthologie de nouvelles noires sur les villes)
3) E.P. Sur votre site, Asphalte se définit par « littérature urbaine, contre-culture, voyage », pouvez-vous nous en dire plus ? Pourquoi avoir choisi cette direction ?
E.D et C.D. Comme je vous le disais plus haut, ce sont les ingrédients constitutifs de notre identité littéraire, les grands thèmes de l’esprit qui anime la maison. Il y a pléthore de maisons qui se créent tous les jours en France, je crois que c’est important d’avoir une identité marquée. Nous avons évidemment voulu une identité qui nous ressemble, qui véhicule nos passions, ce qui nous enthousiasme. Nous avons opté pour des thèmes plutôt que des genres littéraires car par-dessus tout, nous ne voulons pas d’étiquettes du type « éditeur de polar » par exemple. Nous nous intéressons particulièrement aux textes transgenres, qui empruntent à plusieurs codes pour mieux s’en affranchir.
4) E.P. Comment décririez-vous le monde de l’édition et les métiers du livre, actuellement ?
E.D et C.D. Dire que le monde de l’édition est en crise n’est pas nouveau. Surtout pour nous qui n’avons connu que cela, à peu de choses près. Asphalte est née pendant la crise, pas d’âge d’or pour la maison. Nous avons conscience de devoir créer sous la contrainte, même si cela suppose des choix et des arbitrages drastiques. Quant à la mutation numérique, nous y sommes attentives. Toutes les fictions Asphalte sont disponibles aussi en Ebooks. Même si le marché est encore embryonnaire, il était important pour nous d’être présentes, sans attendre.
5) E.P. Comment sélectionnez-vous les œuvres que vous publiez ?
E.D et C.D. Comme on le dit souvent, chaque livre a son histoire. Pas de schéma préétabli en ce qui concerne la découverte de titres. Les premiers ont été rapportés de voyages personnels, d’autres ont été le fruit d’une succession de rencontres et de coïncidences. De plus en plus, des agents et sous-agents nous proposent des choses en adéquation avec ce que nous recherchons. Enfin, les traducteurs sont aussi source de projets. Il n’est pas rare qu’on nous propose des textes avec présentions, résumés détaillés et extraits de traductions. Cela nous permet d’aller tout de suite plus loin qu’avec un simple CV de traducteur envoyé par mail.
6) E.P. La collection « Asphalte Noir » met en avant le genre de la nouvelle, en proposant plusieurs recueils, chacun décrivant une ville grâce à la littérature noire. Pouvez-vous nous expliquer comment vous est venue l’idée de ce concept ; plutôt étonnant dans un pays comme la France, réputé peu friand de nouvelles ?
E.D et C.D. Nous avions envie de publier de la littérature urbaine. Fan de Cathi Unsworth, auteur anglais de polars (publiée chez Rivages), nous sommes tombées sur son London Noir, qu’elle a dirigé pour Akashic Books aux Etats-Unis. De là, nous avons découvert toute la collection et avons entamé une collaboration avec l’éditeur. Certes, les lecteurs français ne sont pas réputés grands amateurs de nouvelles ; cependant, le concept qui soutient la collection est la découverte d’une grande ville du monde par la fiction noire (tous genres confondus : policier, suspense, thriller, fantastique parfois…) Cela permet de toucher un lectorat moins restreint.
7) E.P. Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
E.D et C.D. L’année 2013 sera bien chargée et riche de beaux textes que nous avons hâte de vous faire découvrir. Nous commençons par une escale au Pérou avec le premier roman de Martin Mucha : Tes yeux dans une ville grise, qui se passe à Lima et qui met en scène un jeune homme qui nous raconte ce qu’il vit et voit depuis le combi (transport en commun local) qu’il prend quotidiennement pour se rendre à la fac. Par ses yeux s’étale toute la vie urbaine de la capitale prévienne, dans ses contradictions, ses écarts de richesses, ses dangers, ses quartiers. Nous enchaînerons ensuite avec d’autres romans de tous horizons (un deuxième roman de l’Italien Tommaso Pincio, Après Cinacittà, en février ; puis des textes argentin, anglais, cubain, vénézuélien, brésilien.) Côté Asphalte Noir, Washington Noir dirigé par George Pelecanos sortira en avril et La Havane Noir (avec notamment Leonardo Padura) sortira au second semestre 2013. Bien sûr, nous serons aussi présentes au Salon du livre de Paris en mars prochain.
8) E.P. En tant qu’apprentie traductrice, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que vous mettez en évidence vos traducteurs, sur votre site, en leur accordant autant de visibilité qu’à vos auteurs. Comment voyez-vous le métier de traducteur littéraire au jour d’aujourd’hui ?
E.D et C.D. En tant qu’éditrice de littérature étrangère, les traducteurs sont tout aussi importants pour moi que les auteurs ! Il était donc normal d’organiser notre site ainsi. Au quotidien, nous travaillons avec les traducteurs, puis avec les auteurs pour des échanges sur des problèmes de traduction ponctuels, pour l’élaboration du plan de promotion et le choix de la playlist de l’ouvrage. Mais on partage beaucoup avec nos traducteurs, oui.
9) E.P. Comment fonctionne la relation entre éditeur et traducteur, au sein d’Asphalte ?
E.D et C.D. Du temps passé à échanger, des tonnes et des tonnes de mails, de questions réponses, d’aller-retour pour des questions de virgules et de points-virgules (j’exagère mais pas tant que ça) pour peaufiner au mieux ce texte neuf qu’est la traduction en français d’une œuvre originale. Le résultat doit être fluide et lisible en français, aussi naturel que possible. Là encore, chaque livre implique son aventure humaine propre, avec son traducteur. Il faut souvent écouter les arguments et trancher, encourager et accompagner, mais d’une manière générale, tout se passe bien et en bonne intelligence. Notre but est le même : arriver au meilleur résultat possible sans perfectionnisme mal placé.
10) E.P. Certains traducteurs effectuent aussi un travail d’agent littéraire et proposent des livres aux maisons d’édition. Est-ce le cas dans la vôtre ?
E.D et C.D. J’ai devancé votre question, plus haut. Oui, cela nous arrive souvent et ces initiatives sont les bienvenues. Il arrive bien sûre que les projets ne collent pas mais par exemple les Eaux-fortes de Buenos Aires ne seraient jamais parues chez Asphalte sans Antonia Garcia Castro, fan de Roberto Arlt, qui nous a proposé ces textes incroyablement modernes bien qu’écrits au début du 20e siècle et toujours inédits en français.
11) E.P. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(-trice) ?
E.D et C.D. Lire ce que publient les éditeurs pour savoir ce qui les intéresse et ce qu’ils recherchent. Et ne pas hésiter à proposer spontanément des textes. Tout est question de rencontres et d’acharnement.
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