vendredi 7 février 2014

Exercice d'écriture 14 – par Marie

Veines

Elle était penchée sur mon bras, je fermai les yeux ; j’avais toujours détesté ça. Aïe ! Quelle brute ! Elle pourrait faire attention quand même. « Vous avez des veines toutes fines, ce n’est pas évident ». Tu parles ! J’avais de « très belles veines », dixit mon infirmière habituelle, j’étais tombée sur une nulle, et puis c’est tout ! Dire qu’il ne s’agissait que de la première étape… Je n’ose même pas imaginer tout ce qui m’attend. Les nausées, les vertiges, la prise de poids et surtout le final… quelle horreur !!! « Mais non, Clara, tu t’en fais toute une montagne, ce n’est rien du tout, tu oublies tout ça une fois que c’est passé. » Ah bon ? Tu oublies qu’une tête de bébé d’un périmètre crânien d’au moins 32 cm t’a complètement bousillé l’appareil génital féminin, te privant de toutes sensations pendant le restant de tes jours ? OK, si tu le dis… « Oui, c’est ce que l’on appelle l’hormone de l’oubli. » Ah oui ? Vraiment ? Je ne suis pas certaine d’avoir la capacité de générer cette hormone, moi. Mais qu’est-ce qui m’avait pris ? Bon, d’accord, la fameuse horloge biologique avait commencé à faire « tic-tac, tu as bientôt 30 ans, tu n’as toujours pas d’enfants, tic-tac, il faut t’y mettre, tu vieillis, tic-tac ». L’horloge biologique ? Ou juste le discours « bien-pensant » de tous ceux qui m’entouraient ? Je ne sais plus, tiens ! Toujours est-il que je me retrouve embarquée là-dedans sans trop savoir comment, enfin si, ne soyons pas hypocrites, je sais bien comment, mais sans trop savoir pourquoi. Oui, voilà… Pourquoi ? C’est vrai que la naissance de mes neveux a été féerique et que je me rappelle m’être dit « c’est quand même magique de vivre ça, ça vaut le coup ». Mais bon, là, tout de suite, je ne suis plus aussi sûre. J’en ai pour huit mois à me sentir plus grosse qu’une vache, à avoir mal au dos et le pire, à vomir tripes et boyaux sans même pouvoir boire une goutte d’alcool !!! Vraiment, ça n’allait pas être marrant. Quoiqu’à côté du final : « l’accouchement », ça devait être une promenade de santé. Accouchement, du verbe accoucher = se mettre au lit pour cause de maladie. Et bien, voilà, tout est dit ! « Oh ! ça va, tu es enceinte, tu n’es pas malade ». Mais ce n’est pas moi qui le dis, c’est le cnrtl ! Toutes mes amies qui étaient passées par là s’étaient senties dans l’obligation de me raconter leurs expériences respectives dans les moindres détails… Une quoi ? Une contraction ? Tu veux donc parler d’une contracture musculaire qui se répète de plus en plus rapidement, de façon de plus en plus douloureuse jusqu’à ce que tu ne puisses même plus reprendre ton souffle correctement ? Ah OK ! Une quoi ? Une épisiotomie ? Tu veux dire qu’on se sert de ton corps comme dans un TP de bio en fait ? D’accord, pas de problème. Il fallait commencer par là et au lieu de me vendre ça comme « le plus beau jour de ta vie », juste me demander « Acceptes-tu d’offrir ton corps à la science pour le bien de l’humanité ? » Non ! Pas pour le bien de l’humanité, on est déjà trop nombreux sur cette planète ! Et puis, la question n’est pas assez gentiment formulée pour que l’on puisse dire oui. Alors, juste : « Aurais-tu l’extrême bonté d’âme et l’infinie générosité de te soumettre à une expérience, tout à fait désagréable, mais qui fera le bonheur de tes proches et le bonheur de tes jours et de tes nuits ? » Enfin, surtout de tes nuits, pour les dix-huit, dix-neuf ou vingt ans à venir… ou juste, le bonheur de toutes tes nuits jusqu’à la fin de tes jours, en fait. Non, vraiment, je ne savais pas pourquoi j’avais fait ça. Ou alors si, je l’avais fait pour lui… Oui, voilà, par amour. Ah ! C’est beau l’amour ! N’empêche qu’après tout ça, je suis sûre que toutes les femmes sur cette planète pensent la même chose, très fort : « Mi vagina clama una venganza ».

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