« L’œuf et la poule »
Si je devais être un objet, je serais celui qui se trouve dans un de ces sacs de course qu’un voyageur étourdi oublie à la gare. Une jolie jeune femme, bouche et ongles rouges vernis, après m’avoir transporté toute l’après-midi dans les rues de la ville, m’oublierait là, sur un banc de la salle d’attente. Quand elle s’en apercevrait, il serait trop tard, elle serait déjà dans le train en direction d’un endroit que je ne connaitrais jamais. Mince ! J’aurais vraiment aimé partir avec elle. Elle avait l’apparence de quelqu’un de complètement futile, mais semblait plus profonde que ça en réalité, j’aurais voulu avoir l’occasion de rentrer dans sa vie.
Moi, avant d’atterrir sur les bancs de la gare je suis resté dans une boutique un bon mois entre la vaisselle et les plaids d’hiver, ces derniers n’ont aucune conversation, c’était d’un ennui mortel. Enfin, je m’y sentais quand même mieux qu’à l’usine, il y faisait plus chaud et l’on me maniait avec douceur. Ah ! L’usine ! Un endroit sinistre ! Complètement froid et impersonnel, j’espère ne jamais avoir à y remettre les pieds. Cela dit, certains bruits courent qu’il y a pire encore : certains d’entre nous se retrouvent dans de vieux placards coincés entre une vieille armoire et un vieux tabouret jadis chéris et puis un jour rejetés, le tout enveloppé d’une odeur nauséabonde avec le risque en prime de se faire éventrer par un rat ou une souris à tout moment.
Tiens voilà que quelqu’un me ramassait. C’était un homme, il était grand, mon Dieu qu’il était grand, on n’avait pas idée d’être aussi grand ! Il m’attrapa d’une main et avec celle-ci me faisait presque le tour de la taille. Je rougis, mais il ne dut pas s’en rendre compte, car il continua de me serrer me tournant et me retournant dans tous les sens m’observant avec le plus vif intérêt. Il avait une poigne ferme et assez brusque, mais ne semblait pas violent. J’aperçus soudain qu’il était accompagné d’un petit garçon.
- Papa, c’est quoi ?
Comment ça, c’est quoi ? Mon utilité n’était-elle pas évidente ? Qui supporte ta tête lorsque tu es fatigué jeune homme ? Qui te réchauffe le ventre lorsque tu as un gros chagrin et que ta peluche bien aimée est absente ? Qui met un peu de chaleur et accueille tes invités sur le canapé ? Non, mais ! C’est quoi ? Petit insolent !
- C’est un coussin, mon chéri.
- Un poussin ? Et pourquoi il bouge pas le poussin Papa ?
Mais enfin, cet enfant est complètement stupide ! Bouger… quelle drôle d’idée ! Comment et avec quoi pourrais-je bien me mouvoir ? Je suis tributaire de votre bon vouloir mon cher et de vos moindres faits et gestes.
- Pourquoi il est tout boursouflé et tout vert le poussin Papa ?
Mais enfin, boursouflé vous-même petit impertinent ! Quant à ma couleur, j’ai mis très longtemps à l’accepter, mais je vous signale que c’est la couleur de l’espoir, même si d’autres disent qu’elle est aussi la couleur associée la mort, mais, je ne les écoute pas. J’aime l’idée d’être porteur d’espoir.
- Ce n’est pas un Poussin, mon chéri, mais un Coussin !
Mon Dieu ! Le sale gosse m’avait confondu avec un animal, quelle horreur ! Quel affront ! Pourvu qu’il me laisse là, pourvu qu’il me laisse là…
- Un couzin ?
- Non, bonhomme, un couSSin.
Ce zozotement pour se donner un style était d’un ridicule !
Le petit prit le coussin dans ses bras et le mordit.
Aïe ! Atroce souffrance ! Cet enfant va me tuer ! Mais, pourquoi est-ce que cela tombait sur moi ?
- Que fais-tu, Valentin ?
- Ze voulais voir s’il était plus mou que mon couzin que z’ai à la maison.
- Et alors ?
- Oui, il est plus mou, ze l’aime bien.
- Alors on le ramène à la maison ?
Non, non, pitié ! Soyez compréhensif et généreux, laissez-moi ici, laissez-moi ici, je m’y sens très bien ! En plus, c’est du vol, je ne suis pas à vous… Pitié !
- Voui !
Le petit m’avait pris dans ses bras et me tordait dans tous les sens. J’avais envie de vomir ! Pitié ! Au secours ! Dame vernis, venez me chercher ! Venez me chercher !
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