samedi 30 novembre 2013

Exercice d'écriture 5 – par Émeline

« Cauchemar »

J’avais à peine posé le bout de ma botte sur la marche menant à la porte, que j’ai senti monter en moi une folle panique. Je n’avais pas à me retourner : j’ai vu son ombre dessinée au pochoir sur le mur. Le guerrier, impitoyable janissaire, allait abattre son sabre sur ma nuque et mon effroi. J’aurais voulu tenter un geste chevaleresque, mais quand la mort viendra vous faucher, vous saurez alors que sous son charmant regard, on est aussi pétrifié qu’une vache à l’abattoir. Pourtant la lame a marqué le bois, et non ma chair. J’ai fait volte-face, mais le spectre s’était envolé dans un brouillard mauve. Gauchement, j’ai trouvé la poignée, introduit la clé dans la serrure, je l’ai tournée, j’ai entendu le déclic, soulagé et, inspectant toujours la nuit derrière moi, j’ai franchi le seuil.
Je basculais dans un néant infernal. Rien à quoi me raccrocher. Aucun bruit, pas même celui du hurlement que je voulais pousser. Et dans la chute, une pensée m’a envahi : son visage m’est apparu, pour me tourmenter. Cela n’a duré qu’une fraction de seconde et il s’était évaporé.
Je me réveillai en sursaut. En tâtonnant autour de moi, je sus que j’étais dans mon lit. Un rayon lunaire se glissait entre les lourds rideaux et tombait sur le réveil de la table de nuit. Trois heures. Je me levai, essuyai la sueur de mon front, et bus un verre d’eau pour me calmer. Puis, assis au bord du lit, dans cette chambre minable, je jouai du bout des doigts avec mon médaillon… Il s’ouvrit, laissant apparaitre le visage de ma plus belle histoire… et de mon pire cauchemar.
Je ne trouvais plus le sommeil, alors, je poursuivis la lecture que j’avais entamée, celle du journal intime d’une étrangère, qui ne m’était pas inconnue. Un ami éditeur m’avait suggéré de le traduire. Mais comment oserais-je ? Si ce livre était le plus terrible qui soit…
J’étais presque arrivé à la fin du journal, j’allais atteindre la conclusion de cette vie passionnante, j’ai tourné l’avant-dernière page et… rien. La phrase s’interrompait, laissant place au blanc.
Je ne pouvais le croire, je suis revenu en arrière, j’ai retourné la page. Et j’ai vu les mots disparaître, un à un, depuis la fin de la ligne, comme un fleuve inverserait son cours. J’ai tourné les pages, à toute vitesse, dans un sens, dans l’autre, la fébrilité m’envahissait, ma vue commençait à se troubler. Puis, au milieu d’une page désormais vierge, un nom apparut.
Dolores
Le journal m’a échappé. Dans le livre ouvert sur le plancher, l’encre serpentait pour tracer l’ébauche d’un portrait. Son portrait…
J’ai couru hors de la chambre. À l’instant-même où j’ai franchi le seuil, j’ai plongé au cœur d’une foule nocturne, anonyme, sans visage. Des ombres. Telle une marée de fantômes, ils m’entouraient, m’effleuraient, me poussaient, sans me voir. J’ai voulu échapper au courant, aux corps qui me pressaient, à l’impression de suffoquer, sous une pierre, posée sur ma poitrine, qui m’empêchait de hurler, m’empêchait même de respirer… Jusqu’à ce que dans la multitude, sa silhouette se glisse.
Je criai son nom.
Le flot continu des ombres s’est interrompu instantanément, des dizaines de regards vides se sont tournés vers moi, hostiles. Cependant, je ne pouvais fuir, tout comme je ne pouvais la rejoindre ; j’étais prisonnier de cette foule.
Et plus j’essayais de me débattre, plus l’attention qu’ils me portaient devenait intense. Je n’avais plus d’autre choix que de les observer à mon tour… Alors, j’ai vu… J’ai vu son visage, répété, encore et encore, figé sur ses spectres.
Comme un enfant apeuré, j’ai fermé les yeux ; je voulais qu’ils disparaissent, je voulais disparaître, moi, derrière mes paupières.
Le silence se fit. Plus de main pour me toucher, plus de souffle sur ma peau, que le vide autour de moi. Alors, j’ai regardé.
Tout n’était que ténèbres. Seul luisait faiblement le médaillon que je portais à mon cou. Je l’ai effleuré, et le guerrier a surgi, brandissant cette fois une faux. Terrifié, j’ai distingué l’ample mouvement, dirigé vers ma gorge…
Je sens le souffle du coup porté, j’entends le tintement de la chaîne qui se brise… Et là où auraient dû se trouver les yeux du guerrier, j’aperçois, comme dans un puits sombre, le corps de Dolores, étendu, sans vie…
De nouveau, je me réveillai le souffle court, le cœur battant. J’avais dû sombrer dans le sommeil malgré tout, alors que je lisais. Tandis que je tentais de recouvrer mon calme, je palpais machinalement ma poitrine, à la recherche de la présence rassurante, inamovible, du médaillon.
Inamovible, dis-je ? Je constatai avec effroi qu’il avait disparu – comme le médaillon du cauchemar, comme la femme que j’avais aimée…

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