mardi 4 mars 2014

Entretien avec la traductrice « Papillon » (Espagnol – Anglais / Français) – réalisé par Émeline Bénard

1) Émeline Bénard. Comment êtes-vous devenue traductrice ?
Papillon. Tout à fait par hasard, en vérité. J’ai toujours beaucoup lu, et j’avais même déjà écrit (un roman, un scénario de court métrage et un livret d’opéra), mais j’avais à l’époque un autre métier (régisseur de spectacles) et traduire ne m’avait jamais traversé l’esprit. Un vieil ami s’était engagé à co-traduire avec quelqu'un qu’il connaissait la moitié d’un polar mais s’était tellement dispersé dans d’autres activités qu’il n’a pas pu honorer sa part de travail et m’a demandé si je pouvais le remplacer. Comme j’étais à l’époque entre deux contrats, et que j’ai toujours eu du mal à refuser les expériences qu’on me proposait, j’ai accepté. J’ai trouvé l’exercice plutôt amusant et, l’année suivante, ce même traducteur ami de mon ami, m’a recontactée pour une autre co-traduction. Quelques années après, lorsque, pour des raisons personnelles, j’ai dû ralentir, puis arrêter complètement mes activités de régisseur, je me suis lancée dans la traduction et j’ai enchaîné un grand nombre de collaborations avec d’autres traducteurs.

2) Quel souvenir gardez-vous de votre première traduction ? Votre façon de traduire a-t-elle évoluée depuis ?
Difficile à dire car ça remonte à plus de quinze ans. Ça me changeait. La régie est un boulot physique, où vous êtes debout toute la journée (de très longues journées de douze heures minimum), où vous portez des tas de trucs et courez en tous sens. De sorte que j’ai trouvé ce travail de traduction reposant, en quelque sorte.
Oui, bien entendu, l’expérience aidant, votre façon de traduire évolue. L’expérience de la langue, mais aussi, lorsque vous traduisez un grand nombre d’ouvrages appartenant à un même genre littéraire, la connaissance des usages et du vocabulaire propres à ce genre.
Ce qui a vraiment changé depuis cette première traduction, c’est que j’y ai peu à peu pris goût. Comme je vous l’ai dit, la première fois s’est faite par hasard, par curiosité, pour dépanner un ami, et parce que ça tombait bien à ce moment-là. Désormais, je traduis parce que j’aime ça.

3) Comment considérez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
Je pourrais vous répondre que nous sommes le maillon indispensable entre un texte étranger et les lecteurs francophones. Mais, sans vouloir faire preuve de cynisme, j’en arrive à penser que nous ne sommes qu’un des maillons de la « chaîne du livre », comme on dit. Entre le texte d’origine et l’ouvrage qui sera finalement publié en France, tout un tas d’autres gens interviennent : les commerciaux qui décident du titre le plus accrocheur, de la couverture la plus accrocheuse, les relecteurs et correcteurs qui déterminent ce que « le » lecteur (comme s’il n’y avait qu’un modèle bien défini de lecteur) va comprendre ou non… De sorte que, même si vous admettez parfaitement que vous ne pouvez pas être le seul maillon de cette chaîne, comme vous avez vécu trois ou quatre mois (voire davantage) avec ce texte, que vous êtes imprégné de sa logique, de sa structure interne, de sa musique, vous avez tout de même du mal, parfois, à accepter certaines interventions intempestives.
Mais j’aime ce métier, parce que j’aime la littérature populaire, parce que j’aime raconter des histoires (et qu’en les traduisant, j’ai un peu l’impression de les raconter), parce que j’aime ma langue et ses multiples richesses, et enfin, parce que j’aime décider moi-même de mon planning sans qu’un petit chef vienne regarder par-dessus mon épaule ce que je suis en train de faire et quand suis-je en train de le faire.
Par contre, contrairement à certains de mes collègues, je ne crois pas que le traducteur, même s’il est bien évidemment l’auteur de sa traduction, devrait être crédité comme co-auteur du bouquin qu’il a traduit. Autant je trouve que c'est la moindre des choses de citer le nom du traducteur lorsqu'on critique un livre traduit, autant j'ai quelques réticences en ce qui concerne l'idée de nommer ce traducteur « co-auteur ». J'ai parfois l'impression que les traducteurs perdent de vue qu'à la base, il y a un auteur, avec son écriture et son intrigue. Sans nous, les lecteurs francophones ne pourraient pas lire le bouquin ; mais sans lui, ce bouquin n'existerait tout simplement pas.

4) À quels genres vous êtes-vous confrontées jusqu’ici ? Lequel préférez-vous ?
Principalement du polar ; un peu de théâtre et sciences humaines ; et, récemment, littérature jeunesse.
Et, je suis chanceuse : ce que je préfère, c’est le polar (j’englobe dans cette appellation les romans policiers, les romans noirs et les thrillers, avec une nette préférence pour les romans noirs).

5) Choisissez-vous les textes que vous traduisez et, le cas échéant, de quelle façon ?
Par contre, non, je n’ai pas la chance de véritablement choisir. Mais si je devais le faire, je me baserais sur la qualité de l’écriture ET de l’intrigue.

6) Quels sont les outils que vous utilisez ?
Ma foi, ceux de tout le monde, je pense : ordinateur, internet, dictionnaires, glossaires, bibliothèques.

7) Que faites-vous face à une difficulté qui vous résiste ?
J’en parle sur la liste de discussion de l’ATLF ou, si aucun de mes colistiers n’arrive à m’éclairer (mais cette liste fait des miracles), il m’arrive d’aller en discuter avec une ou plusieurs personnes aptes à résoudre mon problème. Par exemple, s’il s’agit d’un problème de vocabulaire spécifique ou de comprendre le fonctionnement de telle ou telle profession ou ustensile. J’ai ainsi déboulé un jour au commissariat de ma ville pour me faire expliquer le démontage-remontage d’un pistolet.

8) Quel serait votre meilleur souvenir de traduction ?
Une sorte de polar poétique espagnol qui n’a finalement pas été publié.

9) Quelles sont vos relations avec les auteurs que vous traduisez ? Et avec les éditeurs ?
Jusqu’à présent, quasi inexistantes avec les auteurs. Quant aux éditeurs… je crois que vous avez compris. Mais c’est probablement parce que je n’ai traduit, à de rares exceptions près, que de la littérature populaire. Je suppose que ceux qui traduisent des œuvres jugées plus intellectuelles ont une plus grande latitude.

10) Pour la traduction de Sœurs sorcières, de Jessica Spotswood, vous avez collaboré avec Rose-Marie Vassallo. Comment s’est fait le choix de la collaboration ? Quels sont les avantages (et les inconvénients) de ce mode de traduction ?
Rose-Marie avait déjà beaucoup de pain sur la planche et ne pensait pas avoir le temps de traduire intégralement cette trilogie ; elle envisageait donc une collaboration et elle a eu la gentillesse de faire appel à moi pour cette co-traduction.
L’avantage le plus flagrant pour moi a été d’avoir une sorte de filet de sécurité. C’était la première fois que je faisais du roman jeunesse et Rose-Marie est une grande spécialiste. C’était rassurant de savoir que je pouvais compter sur son expérience en la matière. L’autre avantage, bien sûr, c’est d’avoir une deuxième paire d’yeux, une deuxième paire d’oreilles, et un deuxième chaudron à idées.
L’inconvénient, c’est que dans toute co-traduction de ce genre (c'est-à-dire dire pas la traduction par plusieurs traducteurs de différents segments d’un ouvrage déjà segmenté, voire déjà co-écrit par plusieurs auteurs), il faut qu’il y ait une sorte de maître d’œuvre qui aura le dernier mot. Bien entendu, si vous êtes l’autre partie de ce binôme, ça peut être un peu frustrant.

11) Enfin, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un jeune traducteur ?
Aucun de but en blanc. Je ne crois pas qu’il y ait de conseils généraux à donner (à part veiller à ce que le code des usages et celui de la propriété intellectuelle soient respectés évidemment). Tout dépend des situations, du genre d’ouvrages que l’on arrive à se voir proposer, de ce qu’on attend de ce métier en termes de satisfactions personnelles et de rémunération.
On vous dira sûrement : « Ouh là là ! C’est un métier difficile, épuisant, où on travaille comme une brute pour un salaire de misère. » En un mot : « Renoncez. » Ce premier traducteur avec qui j’ai co-traduit enchaîne les best-sellers et gagne plutôt bien sa vie en bossant six ou sept heures par jour. Mais il est très insatisfait parce qu’à ses yeux, traduire de la littérature grand public est dégradant. J’en connais un autre qui vit dans un état de perpétuelle frustration parce qu’il voudrait être reconnu comme co-auteur des romans qu’il traduit et que cette place de l’ombre qui nous est attribuée lui semble extrêmement injuste. Enfin, régulièrement, quelqu'un s’exclame, sans s’y être jamais collé, qu’il gagnerait plus à faire des ménages.
Que vous dire, donc ? Soyez honnête avec vous-même, cherchez les vraies raisons qui vous poussent vers ce métier : l’amour de la littérature, le besoin d’indépendance et de liberté, le côté brillant des « professions intellectuelles », l’idée d’être reconnue un jour comme la personne qui aura fait découvrir en France tel ou tel auteur, ou qui aura admirablement bien su rendre en français tel texte étranger réputé difficile, le privilège et la joie d’un contact personnel avec des auteurs ? Il y a des dizaines de raisons d’exercer ce métier (pas nécessairement exclusives les unes des autres, d’ailleurs), et, par conséquent, des dizaines de chemins à suivre.
Maintenant, si la question était : quels conseils pour trouver des traductions ? – j’en ai encore moins. Si vous avez une vraie spécialité, un domaine un peu pointu que vous connaissez très bien (par exemple l'équitation, l'ornithologie, l'informatique...), vous pouvez démarcher les éditeurs d'ouvrages spécialisés dans ce domaine. Comme vous le savez, il ne suffit pas de connaître la langue que l'on traduit, il faut surtout maîtriser parfaitement celle vers laquelle on traduit. Un ouvrage d'ornithologie utilisera tout un vocabulaire spécifique que je ne connais pas mais qu'un passionné de la chose aura à sa disposition ; il fera donc un bien meilleur travail que moi. Vous pouvez également proposer à des éditeurs la traduction d'un roman ou d’un essai que vous avez particulièrement apprécié. Mais c'est un gros boulot, qui vous prendra un temps fou. Il faut préparer un dossier, avec résumé de l'ouvrage, bio de l'auteur, articles de presse parus lors de la sortie de l'ouvrage dans le pays étranger (traduits, bien sûr), et la traduction d'un ou deux chapitres. Puis, chercher minutieusement quels éditeurs ça pourrait intéresser, en fonction de leur catalogue. C'est très long, on ne vous répond pas tout de suite (quand on vous répond), et ça peut devenir assez frustrant. Mais parfois, ça marche ; surtout si vous traduisez une langue dite rare. J'en connais qui ont débuté ainsi.

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