Comment êtes-vous venue à la traduction ?
J’habite en Italie depuis que je suis très petite, mais étant donné que mes parents étaient belges et que leur niveau d’italien était très bas, jusqu’à l’âge de trois ans je n’ai parlé que le français à la maison. Mon premier rapport avec l’italien, et avec la traduction, date du jour où j’ai commencé l’école maternelle et j’ai appris à passer d’une langue à l’autre. Les études qui ont suivi (lycée linguistique, licence en traduction, master en interprétation de conférence, doctorat en langues et cultures comparées) n’ont fait que confirmer cette première vocation naturelle.
Votre première traduction : qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Ma première traduction rémunérée était un contrat pour une (maintenant célèbre) mannequin qui devait signer son premier contrat avec une agence française. À l’époque je fréquentais la première année de l’école pour interprètes et traducteurs de Forlì (Université de Bologne). J’ignorais toute politique des prix et je n’avais aucune expérience en la matière. Mais une profonde humilité a fait que j’ai demandé des renseignements et que j’ai travaillé durement, plusieurs jours de la filée, pour rendre un travail qui était profondément imparfait, si j’y pense ex post, mais qui démontrait déjà la rigueur et le sérieux de mon travail. Ce premier client a du le comprendre... quand je pense qu’il fait encore partie de ma clientèle.
Comment voyez-vous aujourd’hui la profession de traducteur ?
Difficile, car contrairement aux attentes, les nouvelles technologies (CAT Tools) ont des effets pervers. Je veux dire qu’elles ont sans doute diminué les difficultés et les temps de travail, mais elles ont fait chuter également les prix. Ce pourquoi je travaille rarement pour des agences, et je n’accepte des traductions que s’il y a un minimum de correspondance entre l’effort et le tarif. En d’autres termes, je préfère moins de traductions bien payées plutôt que plus de traductions mal rémunérées.
Quels sont vos rapports avec les auteurs – si vous en avez ?
Je suis à présent penchée sur la traduction d’un article littéraire écrit par un professeur de littérature italienne que je connais et j’estime. Nos conversations sur son texte se déroulent en grande partie par email et en moindre partie à table, puisque nous cherchons à nous rencontrer assez régulièrement pour faire le point. Je m’aperçois que en s’efforçant de répondre à mes questions l’auteur se découvre lui-même, mais je fais attention à ne pas le bombarder de requêtes. En effet, je crains toujours qu’il puisse formuler un jugement négatif sur la base de mes multiples questions…au fond je crains qu’il fasse comme Italo Calvino, qui jugeait ses traducteurs sur la base des questions qu’ils lui adressaient.
Quels sont vos rapports avec les éditeurs pour lesquels vous travaillez ?
Je n’ai pas de rapports directs avec les éditeurs. Je traduis pour des agences, ou des clients, qui ont le rapport direct avec les maisons d’édition. Par contre, quand je traduis pour le web, j’entretiens des rapports avec les agences qui s’occupent de la réalisation du site. Le menu de navigation peut faire l’objet de discussions sur la « longueur » des traductions, le français étant généralement plus long de l’anglais et nécessitant parfois soit de raccourcis de ma part soit d’adaptation graphiques de leur part.
Votre meilleur souvenir de traductrice ? Et le moins agréable ?
Le meilleur est la présentation de ma traduction d’un poème de L.S. Senghor à une rencontre avec la communauté sénégalaise. Je n’oublierai jamais la gratitude des quelques représentants de ce peuple incroyable. Le moins agréable... ; il n’y a rien qui me vienne à l’esprit quant’ à mes traductions (à l’exception des cas où Trados m’a abandonnée et j’ai dû presque tout refaire). Mais je me souviens d’un jour où un client a contesté un texte que j’avais rédigé en Italien pour le site web de son hôtel (et que je devais ensuite traduire en français et en anglais). Il avait souligné des mots en disant qu’ils n’existaient pas. Or, il s’agissait de mots courants en Italien, que j’ai tout de même « corrigés », car j’ai appris à me plier à l’ignorance de certains clients. Pourvu qu’ils paient. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Pensez-vous que votre nom sur un livre, en tant que traductrice, c’est un moyen de passer à la postérité ?
Non, je ne crois pas, en tout cas pas en tant que traductrice qui travaille dans l’ombre pour rendre un service à l’auteur. Mais je souhaite voir mon nom sur un livre en tant qu’auteur, ça oui. Là, alors, je passerai peut-être à la postérité.
Quelle leçon ?
Amusez-vous !
Les erreurs de frappe sont toujours aux aguets : demander à quelqu’un de nous relire n’indique pas un manque de professionnalisme, mais une conscience de ses propres limites. Sans quoi, les pêchés de présomption se paient chers.
Quelle est la place de la littérature dans votre vie ?
Il y a des vagues de littérature dans mon parcours. Lorsque je fréquentais le lycée, elle faisait partie de ma vie de tous les jours. Pendant mes études à l’école pour interprètes et traducteurs, j’ai l’ai en quelque sorte mise de côté, en privilégiant le langage courant, la technique, les thèmes d’actualité. Maintenant la littérature c’est ce qui me permet de me retrouver, de temps en temps, et de récupérer le regard à 360° qui était le mien avant que je me renferme dans le langage scientifique de mes recherches de doctorat. Quand je tombe sur un texte littéraire, comme celui de Franco Nasi (http://www.dailynterpreter.com/archives/1849), l’auteur que j’ai l’honneur de traduire en français, je me souviens de qui je suis et d’où je viens. Voilà pourquoi il y a une section de ma bibliothèque qui est entièrement consacrée aux livres de littérature, de façon a en avoir toujours quelques-uns à disposition au moment où je me perdrai à nouveau.
Quels conseils donneriez-vous à des apprentis traducteurs ?
Je leur conseille de lire sans arrêt et surtout sans déplacer leurs lectures à demain, aux vacances, à un moment où ils auront plus de temps. Ce moment pourrait ne jamais arriver, où de toute façon il ne suffira pas à récupérer tous les propos qu’on a reportés. Je leur conseille également d’alimenter leur curiosité et de suivre les pistes de réflexion qu’ouvre la « serendipity », en partageant les fruits de leurs découvertes avec d’autres traducteurs. Contrairement à nombre de mes collègues, pour qui un glossaire est chose sacrée, je crois que « celui qui reçoit une idée de moi, reçoit de l'instruction par lui-même sans me dépouiller de la mienne. De la même manière que celui qui allume sa torche sur la mienne reçoit la lumière sans me faire de l'ombre » (Jefferson). Ce qui est d’ailleurs le sens de mon site internet (http://www.dailynterpreter.com/), qui ne fait que reproduire, à l’échelle plus vaste, le réseau de rapports qui sont à la base de chacune de mes lectures, rédactions et traductions. Seuls ces rapports, à savoir les liens que nous avons crées et détruits, nous permettront, je crois, de passer à la postérité. Sans quoi, notre nom sur un livre restera lettre morte.
J’habite en Italie depuis que je suis très petite, mais étant donné que mes parents étaient belges et que leur niveau d’italien était très bas, jusqu’à l’âge de trois ans je n’ai parlé que le français à la maison. Mon premier rapport avec l’italien, et avec la traduction, date du jour où j’ai commencé l’école maternelle et j’ai appris à passer d’une langue à l’autre. Les études qui ont suivi (lycée linguistique, licence en traduction, master en interprétation de conférence, doctorat en langues et cultures comparées) n’ont fait que confirmer cette première vocation naturelle.
Votre première traduction : qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Ma première traduction rémunérée était un contrat pour une (maintenant célèbre) mannequin qui devait signer son premier contrat avec une agence française. À l’époque je fréquentais la première année de l’école pour interprètes et traducteurs de Forlì (Université de Bologne). J’ignorais toute politique des prix et je n’avais aucune expérience en la matière. Mais une profonde humilité a fait que j’ai demandé des renseignements et que j’ai travaillé durement, plusieurs jours de la filée, pour rendre un travail qui était profondément imparfait, si j’y pense ex post, mais qui démontrait déjà la rigueur et le sérieux de mon travail. Ce premier client a du le comprendre... quand je pense qu’il fait encore partie de ma clientèle.
Comment voyez-vous aujourd’hui la profession de traducteur ?
Difficile, car contrairement aux attentes, les nouvelles technologies (CAT Tools) ont des effets pervers. Je veux dire qu’elles ont sans doute diminué les difficultés et les temps de travail, mais elles ont fait chuter également les prix. Ce pourquoi je travaille rarement pour des agences, et je n’accepte des traductions que s’il y a un minimum de correspondance entre l’effort et le tarif. En d’autres termes, je préfère moins de traductions bien payées plutôt que plus de traductions mal rémunérées.
Quels sont vos rapports avec les auteurs – si vous en avez ?
Je suis à présent penchée sur la traduction d’un article littéraire écrit par un professeur de littérature italienne que je connais et j’estime. Nos conversations sur son texte se déroulent en grande partie par email et en moindre partie à table, puisque nous cherchons à nous rencontrer assez régulièrement pour faire le point. Je m’aperçois que en s’efforçant de répondre à mes questions l’auteur se découvre lui-même, mais je fais attention à ne pas le bombarder de requêtes. En effet, je crains toujours qu’il puisse formuler un jugement négatif sur la base de mes multiples questions…au fond je crains qu’il fasse comme Italo Calvino, qui jugeait ses traducteurs sur la base des questions qu’ils lui adressaient.
Quels sont vos rapports avec les éditeurs pour lesquels vous travaillez ?
Je n’ai pas de rapports directs avec les éditeurs. Je traduis pour des agences, ou des clients, qui ont le rapport direct avec les maisons d’édition. Par contre, quand je traduis pour le web, j’entretiens des rapports avec les agences qui s’occupent de la réalisation du site. Le menu de navigation peut faire l’objet de discussions sur la « longueur » des traductions, le français étant généralement plus long de l’anglais et nécessitant parfois soit de raccourcis de ma part soit d’adaptation graphiques de leur part.
Votre meilleur souvenir de traductrice ? Et le moins agréable ?
Le meilleur est la présentation de ma traduction d’un poème de L.S. Senghor à une rencontre avec la communauté sénégalaise. Je n’oublierai jamais la gratitude des quelques représentants de ce peuple incroyable. Le moins agréable... ; il n’y a rien qui me vienne à l’esprit quant’ à mes traductions (à l’exception des cas où Trados m’a abandonnée et j’ai dû presque tout refaire). Mais je me souviens d’un jour où un client a contesté un texte que j’avais rédigé en Italien pour le site web de son hôtel (et que je devais ensuite traduire en français et en anglais). Il avait souligné des mots en disant qu’ils n’existaient pas. Or, il s’agissait de mots courants en Italien, que j’ai tout de même « corrigés », car j’ai appris à me plier à l’ignorance de certains clients. Pourvu qu’ils paient. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Pensez-vous que votre nom sur un livre, en tant que traductrice, c’est un moyen de passer à la postérité ?
Non, je ne crois pas, en tout cas pas en tant que traductrice qui travaille dans l’ombre pour rendre un service à l’auteur. Mais je souhaite voir mon nom sur un livre en tant qu’auteur, ça oui. Là, alors, je passerai peut-être à la postérité.
Quelle leçon ?
Amusez-vous !
Les erreurs de frappe sont toujours aux aguets : demander à quelqu’un de nous relire n’indique pas un manque de professionnalisme, mais une conscience de ses propres limites. Sans quoi, les pêchés de présomption se paient chers.
Quelle est la place de la littérature dans votre vie ?
Il y a des vagues de littérature dans mon parcours. Lorsque je fréquentais le lycée, elle faisait partie de ma vie de tous les jours. Pendant mes études à l’école pour interprètes et traducteurs, j’ai l’ai en quelque sorte mise de côté, en privilégiant le langage courant, la technique, les thèmes d’actualité. Maintenant la littérature c’est ce qui me permet de me retrouver, de temps en temps, et de récupérer le regard à 360° qui était le mien avant que je me renferme dans le langage scientifique de mes recherches de doctorat. Quand je tombe sur un texte littéraire, comme celui de Franco Nasi (http://www.dailynterpreter.com/archives/1849), l’auteur que j’ai l’honneur de traduire en français, je me souviens de qui je suis et d’où je viens. Voilà pourquoi il y a une section de ma bibliothèque qui est entièrement consacrée aux livres de littérature, de façon a en avoir toujours quelques-uns à disposition au moment où je me perdrai à nouveau.
Quels conseils donneriez-vous à des apprentis traducteurs ?
Je leur conseille de lire sans arrêt et surtout sans déplacer leurs lectures à demain, aux vacances, à un moment où ils auront plus de temps. Ce moment pourrait ne jamais arriver, où de toute façon il ne suffira pas à récupérer tous les propos qu’on a reportés. Je leur conseille également d’alimenter leur curiosité et de suivre les pistes de réflexion qu’ouvre la « serendipity », en partageant les fruits de leurs découvertes avec d’autres traducteurs. Contrairement à nombre de mes collègues, pour qui un glossaire est chose sacrée, je crois que « celui qui reçoit une idée de moi, reçoit de l'instruction par lui-même sans me dépouiller de la mienne. De la même manière que celui qui allume sa torche sur la mienne reçoit la lumière sans me faire de l'ombre » (Jefferson). Ce qui est d’ailleurs le sens de mon site internet (http://www.dailynterpreter.com/), qui ne fait que reproduire, à l’échelle plus vaste, le réseau de rapports qui sont à la base de chacune de mes lectures, rédactions et traductions. Seuls ces rapports, à savoir les liens que nous avons crées et détruits, nous permettront, je crois, de passer à la postérité. Sans quoi, notre nom sur un livre restera lettre morte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire