« Je suis le seigneur du château »
– Matéo, tu seras chevalier ! Et toi… Tu seras la sorcière !
– Oh non ! Je veux être une princesse ! S’il te plaît !
– Bon, très bien, Lise, tu seras la princesse. Mais s’il n’y a plus de sorcière, on se bat contre qui ?
– Le méchant dragon qui a enlevé la princesse ?
– D’accord.
– Et toi, tu es qui ?
– Moi ? Je suis le seigneur du château !
Jadis, vivait en son château un jeune noble, juste et bon, aimé de tous ses sujets. Les jours s’écoulaient, lumineux et calmes, en cette contrée qui semblait touchée par la grâce des fées. Cependant, un soir, un violent orage déchira la voûte céleste et, du cœur du tonnerre, on vit surgir un effroyable dragon. La bête féroce s’attaqua aux paysans, réduit en cendres bien des chaumières, avant de s’envoler vers le château, où il fut reçu par des salves de flèches enflammées. Pourtant, le courage et la ténacité du seigneur et de ses compagnons ne purent venir à bout du monstre, qui atteignit le donjon. Dès le début de l’assaut, la sœur cadette du châtelain, la douce princesse, y avait trouvé refuge en compagnie des dames du château. Leurs cris résonnèrent sur toute la plaine lorsqu’une brèche fendit le mur, laissant entrevoir la figure serpentine. Dès qu’il put pénétrer la tour, le dragon fit un carnage ; il blessa grièvement plusieurs dames, leurs suivantes, ainsi que les vieillards qui avaient tenté de les protéger. Pour finir, il se saisit de la princesse et repartit dans une avalanche de pierres. Ceux qui se trouvaient au pied du château virent un immense dragon, se détachant sur un ciel zébré d’éclairs, qui se dressait sur la plus haute tour du château, une jeune fille se débattant entre ses griffes. Puis il déploya ses ailes et s’enfonça dans la nuit.
Au matin, le jeune seigneur, impuissant, ne pouvait que se lamenter….
Pas un chevalier ne se porta volontaire pour sauver la princesse, pas un brave ne consentit à se lancer dans une terrible et périlleuse aventure. Le suzerain posa sur eux un regard triste, hocha la tête, résigné, puis d’une voix assurée, il déclara : « Je suis le seigneur de ce château et de ces terres. Il est donc juste que je me sacrifie pour sauver la princesse, ma sœur cadette, enlevée par le dragon et perdue par ma faute. Je partirai cette nuit à la poursuite du monstre. »
A la tombée du jour, à l’heure où le seigneur enfourchait son destrier, un jeune homme apparut dans l’écurie. Il ne portait point d’armoiries, son habit était celui d’un fils de forgeron, il avait le visage mal dégrossi ; pourtant, son suzerain le reconnut. Enfants, ils avaient joué ensemble, oublieux de leurs rangs respectifs, amis malgré la distance qu’il peut y avoir entre un fils de châtelain et un celui d’un artisan.
« Monseigneur, je vous accompagne. J’avais beaucoup d’amitié pour vous, ainsi que pour la princesse votre sœur : je ne peux vous laisser partir seul, bien que je ne sois même pas écuyer.
– Mon cher ami, ta présence me réconforte. Viens, et je promets que si nous revenons de cette aventure, tu seras sacré chevalier. »
Ils partirent tous deux, en quête de l’antre du dragon, vers l’Est lointain où il avait disparu.
« Charlie ! A table !
– Zut ! Ma mère m’appelle… Lise, Matéo, j’y vais. Mais on sauvera la princesse demain ! »
Il quitta sa chambre et rejoignit sa mère. Sur la table, le couvert était mis pour deux. Il s’installa, tandis que sa mère servait le repas.
« Que faisais-tu ?
– On jouait ! J’étais le seigneur du château ! On s’est battu contre le dragon, et il faudra sauver la princesse.
– « on » ? – murmura-t-elle. Puis elle songea : « Le maître du bastion de l’imagination, le chevalier aux amis invisibles, sans doute… »
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