samedi 21 décembre 2013

Histoire d'une traductrice – récit à 5

Volet 9, Émeline

Camille fixait l’horizon, un livre entre les mains. Dans trois mois, il lui faudrait en rendre la traduction complète et la tâche s’annonçait à la fois ardue et exaltante… L'éditeur avait longtemps hésité entre elle et un homme d'un certain âge, qui avait beaucoup plus d'expérience qu'elle dans le métier. Mais il avait fini par lui en confier la traduction. De toute façon, le manuscrit était fait pour elle, Camille le savait. C'est en sortant de la maison d'édition qu'elle avait réalisé ce que cela signifiait pour elle. Quelle chance de pouvoir enfin travailler avec son auteur de prédilection ! Elle ne l'avait pas choisi au hasard, car avant même d'obtenir son diplôme, elle s'attelait déjà à la traduction de plusieurs romans de cet écrivain argentin. Elle avait découvert ses ouvrages par le biais d’un ami chilien et était immédiatement tombée amoureuse de cette plume. Dès le premier chapitre, elle avait voulu partager sa nouvelle passion avec ses proches ; mais elle s’était rendu compte que cet auteur n’était pas encore traduit en France. Il fallait donc qu’elle devienne son passeur. Ni une ni deux, Camille reprit contact avec celle qui avait été sa tutrice à l'université. Celle-ci fut ravie d'apprendre qu'elle avait brillamment décroché un contrat dans une grande maison d'édition. "Entre en contact avec ton auteur et montre-lui que tu es passionnée par son œuvre." Pour une fois, elle avait une longueur d’avance sur ce que lui conseillait sa tutrice ; son auteur, cela faisait bien longtemps qu’elle était entrée en contact avec lui. Il était marié à une française qui avait déjà lu les traductions qu’elle avait fait des premiers livres de son mari et qui l’avait d’ailleurs félicitée de son travail. Non, le plus difficile avait été de trouver et de convaincre un éditeur. Pour cela, elle avait frappé à toutes les portes et enchaîné les rendez-vous. Il lui avait fallu faire preuve de persévérance et se montrer convaincante, car la plupart lui avaient répondu que ce roman ne s'inscrivait pas dans leur ligne éditoriale. D'autres se seraient découragés, mais elle n'était pas du genre à renoncer, surtout pour un projet qui lui tenait à cœur.


Et c'est ainsi qu'un jour, la chance lui sourit. Après dix-huit refus, de nombreux moments de remise en question et de doutes, sa traduction avait finalement intéressé une maison d'édition. Et pas n'importe laquelle ! Camille se souvenait encore des semaines d’angoisses pendant lesquelles elle cherchait un stage. Mille fois, elle avait réécrit ses lettres de motivation, avant de tenter sa chance chez les grands noms de l’édition. Parmi les refus polis et les silences, une lettre s’était détachée : le style hautain et l’art du contournement, couronnés d’une ironie cruel, avaient été à deux doigts de l’écœurer. Mais elle leur prouverait maintenant ce qu’elle valait, en traduisant le dernier best-seller de l’un des auteurs argentins les plus reconnus.

Suivante !

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