« Dans la gueule du loup »
On assiste ces derniers temps à une explosion de violence. Une violence physique mais surtout verbale, une violence inconsciente, exprimée de plus en plus souvent dans des lieux publics, elle s’immisce subrepticement dans les conversations, sans qu’on y prête vraiment attention, dans les transports en commun, dans une file d’attente, au bureau. Ces comportements n’ont rien de nouveau, mais certaines attitudes ne choquent plus, elles sont banalisées. L’autre jour, je croise une voisine à la retraite dans le bus. Elle me dit avoir pensé à faire du bénévolat car elle s’ennuie, seule chez elle. « Mais il est hors de question que je travaille pour les restaus du cœur. Du temps de Coluche, c’était bien, mais maintenant, c’est donner de la confiture aux cochons ». S’en suit un monologue de cette dame, qui m’assure qu’il faudrait trouver une solution pour nettoyer les rues de ces gens sales, que cela réglerait bien des problèmes. Cette notion de propreté et de saleté ressemble étrangement à des slogans ou des théories développées au cours des derniers siècles, par des régimes totalitaires, des systèmes colonialistes, des guerres de religion… On pense savoir tirer des leçons du passé, mais dès que l’on se sent en danger, que l’on traverse une crise, que notre pouvoir d’achat baisse, on éprouve le besoin de trouver un bouc émissaire, que ce soit le paria, l’étranger ou le voisin. Ce besoin de rejeter la faute sur une certaine classe de la société est synonyme de malaise. Le problème dans tout cela, c’est que, sans forcément approuver ce qu’il se passe devant nos yeux, nous avons la fâcheuse habitude de nous taire. Certes, les contre-exemples existent et aident à ne pas faire de généralisation stupide et hâtive, mais je voulais en profiter pour actualiser le poème « La gueule du Loup » écrit le 17 octobre 1961 par l’algérien Kateb Yacine, en pleine guerre d’Algérie.
« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »
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