samedi 16 novembre 2013

Exercice d'écriture 6 – par Sarah

« Contours »

Chaque fois que je me retrouve devant une peinture, un dessin ou une photo, je me pose toujours les mêmes questions : qu’il y a-t-il en dehors des contours de ce tableau ? Pourquoi l’artiste a choisi de représenter cette scène-là, de focaliser notre attention sur un élément précis, en éludant ce qu’il y a autour ? Bien sûr, il est bien obligé de faire des choix et de délimiter les contours, c’est ainsi que l’art se définit. Mais pour cela, la subjectivité du peintre, du dessinateur ou du photographe entre en jeu. Parfois, certaines images évoquent plus ce que l’on ne voit pas que ce qui y est représenté. Lorsque l’on regarde par exemple une photographie de guerre, c’est à partir du contenu -un visage, une rue, une attitude-, que l’on déduit le contexte dans lequel elle a été prise. C’est comme si l’artiste orientait notre regard vers ce qu’il ne fait pas apparaître, mais qu’il veut nous transmettre. Ce besoin de m’immiscer dans chaque image pour aller chercher l’invisible m’obsède.
Chaque samedi, je passe mon après-midi au Louvre. Je choisis un tableau et reste planté devant pendant des heures. Aujourd’hui, mon regard s’est posé sur une peinture de Napoléon à cheval, entouré de son armée. Je ne vois ni Napoléon, ni son cheval, ni son armée. Il s’agit d’une peinture d’Horace Vernet, intitulée La Bataille de Friedland. Ce que je perçois, ce sont les villages environnants, la Prusse du dix-neuvième siècle, la vie dans ces campagnes. Je laisse libre court à mon imagination, et au bout d’un moment, je finis par la voir. De l’autre côté du cadre, dans les champs à droite du tableau, il y a cette femme. Les mains abîmées par le travail et la misère, elle semble fatiguée de cette vie passée à labourer, et pourtant, elle y retourne chaque matin, dès le lever du soleil. Elle n’a pas le choix, il faut travailler pour manger, mais ce matin, elle est seule. Lorsqu’elles ont appris que les officiers français avaient franchi la rivière Alle, les autres villageoises ont préféré rester chez elles, craignant pour leur vie. Mais les hommes sont sur le front et il faut nourrir les enfants. Qui le ferait à sa place ? Pourquoi les grands de ce monde passent-ils leur temps à s’acharner sur eux, les petites gens ? Quel intérêt ont-ils à se disputer les terres de paysans, qui, comme elle, ne demandent rien à personne et sont installés là depuis des générations ? Quand ce ne sont pas les français, ce sont les russes, et on ne compte plus les veuves dans les villages avoisinants. Elle n’est pas la seule à vouloir se révolter, mais comme les autres, elle n’en a pas la force, ni la prétention. Certains, dans la région, seraient d’avis de mettre en marche une révolution et de renverser la monarchie. Pour eux, en instaurant un système plus égalitaire, on sortirait de cette logique impériale qui vise à déclencher des guerres dans le seul but d’étendre un territoire. Des rumeurs circulent selon lesquelles le peuple français a pris les armes il y a de cela quelques années. Quand elle en voit le résultat, ses espoirs de paix s’envolent aussi vite qu’ils sont venus. Mais que pouvait-on….

Une sonnerie retentit dans le musée, suivie d’une voix dans les haut-parleurs annonçant aux visiteurs que le musée ferme ses portes dans dix minutes. Je pense aussitôt à ma femme qui me traite de fou et refuse désormais de m’accompagner au musée. « Et si tu regardais un peu les tableaux, au lieu de mettre à contribution ton imagination débordante ? » Je n’y peux rien. C’est plus fort que moi. On ne peut pas se contenter de ce que l’on voit, la vérité est ailleurs.

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