Il avait plu toute la nuit. Au petit matin, une pluie menue persistait et semblait vouloir établir ses quartiers pour la journée. En se levant, Lou s'approcha de la fenêtre et ouvrit le lourd rideau étoilé qui donnait sur la cour privative de l'immeuble haussmannien où elle habitait depuis neuf ans, maintenant. La bruine silencieuse laissait couler sur les carreaux de sa fenêtre de minuscules gouttes d'eau qui brouillaient sa vue. En bas, les plantes et les quelques viornes d'hiver, dont le rose égayait, çà et là, un peu le gris-noir ambiant, semblaient se délecter de ce cadeau du ciel.
« Il ne manquait plus que ça ! », pesta-t-elle intérieurement tandis qu'elle se dirigeait vers la salle de bains. Lou n'avait jamais aimé la pluie, toute cette humidité qui pénétrait lentement et insidieusement dans ses os réveillant son arthrose, la mettait toujours d'une humeur exécrable.
Il allait bien falloir, pourtant, descendre à la boulangerie acheter sa demi-baguette de tradition et ses dix chouquettes quotidiennes. Elle mettait toujours un point d'honneur à y aller elle-même, qu'il pleuve ou qu'il vente, d'ailleurs. Mais, ce matin-là, son genou effrité lui faisait atrocement mal et cette pluie fine ne la motivait guère.
Lou resta un long moment sous la douche bouillante, préparant son corps à affronter la grisaille matinale comme un guerrier s'apprête à se mesurer à son ennemi. Puis, elle s'habilla soigneusement et se mit un peu de rouge à lèvres, couleur coquelicot, chose qu'elle ne manquait jamais de faire quand elle sortait. Peu importait où elle se rendait, son rouge à lèvres était toujours de mise, un fidèle compagnon qui enjolivait son visage craquelé de rides que le temps avait laissées sur son passage. Ce visage sillonné d'ondulations recouvrait alors un peu de sa vitalité d’autrefois, orné de ce rouge coquelicot.
Elle sortit de l'appartement enrobée d'un long manteau marbré brun. Un parapluie bleu ciel complétait cette panoplie hivernale. Lou appela l'ascenseur et s'impatienta car il tardait à arriver. Quand, enfin, il ouvrit ses portes devant elle, Lou s'y engouffra et descendit au rez-de-chaussée à la vitesse d'un vieil escargot fatigué.
Parvenue devant la porte de l'entrée de l'immeuble, Lou ouvrit son parapluie d'un coup sec et maugréant quelque chose d'inintelligible à voix basse, s'élança dans cette atmosphère maussade.
D'abord, d'un pas pressé, presque rageant. Ensuite, comme happée par le silence qui régnait, elle leva les yeux de ses pieds et se rendit compte qu'il n'y avait encore personne dans la rue. Alors, Lou ralentit son allure et promena son regard sur l'incroyable beauté qui s'offrait à elle.
La rue déserte, que les réverbères illuminaient encore, offrait une vue des plus saisissantes. La pluie semblait avoir accordé un court répit aux habitants de la ville et, la route encore mouillée reflétait la lumière jaune pâle des réverbères, tel un miroir d'eau.
Les nuages, chargés de pluie, s'y réfléchissaient aussi, zébrant l'artère vide d'un jeu d'ombres et de lumières qui la transformait en une peinture à l'huile grandeur nature.
Ce spectacle éclatant requinqua le moral de Lou et lui dessina un sourire sur son visage fendillé. La vie ne cessait jamais de l'émerveiller, même dans les moments les plus difficiles il y avait toujours une raie de lumière pour lui rappeler que chaque instant de vie est une bénédiction.
Lou chercha l'heure dans son poignet. Sa montre indiquait 7h13. Il allait lui falloir se dépêcher si elle voulait arriver à temps pour la sortie du four de sa demi-baguette de tradition.
2 commentaires:
Superbe photo Sonita !
C'est l'oeuvre de mon mari qui est, effectivement, un très bon photographe hehehe !
Merci, Elena ;)
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