« Post-it »
« Souviens-toi de notre plus bel été »
Emma traça les mots rapidement avant d’emballer l’album photo qu’elle allait offrir à Clémence. Un post-it, c’est tout ce qu’elle avait sous la main : un post-it vert pomme et un stylo bleu. Mais elle savait que ces mots sauraient éveiller en son amie les réminiscences de leurs vacances d’été, leurs instants volés et magiques.
Pour Clémence, ces quelques mots avaient fini par devenir le symbole des lambeaux de bonheurs qui leur étaient accordés. Il demeurait toujours là où elle l’avait trouvé, sur l’album.
Un jour, son petit frère eut besoin d’un ouvrage sur les rois catholiques ; il le trouva dans sa bibliothèque, entre l’album d’Emma et Les liaisons dangereuses. Il soupira face au manque de logique de Clémence, retira le livre qui l’intéressait, mais fit malencontreusement tombé le roman contigu. Il allait le remettre à sa place, quand il s’aperçut qu’un post-it vert s’en était échappé – du moins le crut-il. Il le glissa négligemment entre deux pages, parmi tous les autres signets qui s’y trouvaient.
Plus tard, Clémence dut déménager afin de poursuivre ses études dans une autre région. Pour gagner un peu d’espace et d’argent, elle vendit quelques livres, parmi lesquels le chef-d’œuvre de Laclos.
Antoine en fut l’heureux acquéreur. En parcourant les premières pages, il remarqua la manie qu’avait l’ancien propriétaire de semer le texte d’annotations, toujours sur des post-it. Il décida de conserver ces commentaires perspicaces. Avant d’avoir achevé sa lecture, il prêta l’ouvrage à une camarade de classe, dont il pensait être devenu proche l’été précédent.
Lorsqu’il récupéra le roman, il trouva un post-it différent des autres. Celui-ci, vert, un peu plus grand, ne commentait pas le texte de Laclos ; il semblait avoir été inséré au hasard. Il ne connaissait pas l’écriture d’Agathe, mais il était absolument persuadé que le message était d’elle. C’était sûr, il se souviendrait toujours de leur été.
D’abord, il n’osa pas aller la voir, il avait peur de ne pas être à la hauteur. Puis il finit par trouver le courage de lui donner rendez-vous au parc. C’était un bel après-midi, il était en avance et l’attendait sur un banc. Des enfants jouaient près de la balançoire, mais il les ignorait ; il ne cessait de relire les mots inscrits sur le post-it et d’imaginer ce qu’ils se diraient quand Agathe le rejoindrait.
Mais il la vit. À l’entrée du parc. Au bras d’un autre. Elle l’embrassa.
Antoine comprit qu’il avait fait erreur : le post-it ne signifiait rien. Il se leva, partit, voulut oublier. Le petit morceau de papier vert qui lui avait donné espoir demeura sur le banc.
Environ une heure plus tard, un père s’installait sur le même banc, pendant que sa fillette rejoignait ses camarades de jeu. Pierre posa les yeux sur les mots, abandonnés sur le bois vert. Il n’avait jamais vraiment cru aux signes, mais Rose, il le savait, était persuadée de leur existence.
Sa mémoire fit défiler pour lui les plus beaux moments de leur vie, et surtout, l’été où il l’avait demandé en mariage. Puis une larme roula sur sa joue, se heurtant aux nouvelles rides, lorsqu’il repensa aux derniers mois, à la maladie de Rose, à l’enterrement…
Sa fille vint vers lui, elle glissa sa menotte dans sa grande main d’adulte et lui sourit. Elle recueillit la larme qui était au bord de la chute et lança un innocent : « Faut pas pleurer, Papa. » Alors il lui retourna un sourire un peu brisé, songea qu’il fallait certainement aller de l’avant et laissa derrière lui le post-it vert, les souvenirs de douleur.
Le vent se leva, ils rentrèrent. Le papillon vert et bleu voltigea et vint se poser aux pieds de deux femmes qui se promenaient, main dans la main.
L’une d’elle se pencha et le recueillit. Emma reconnut son écriture. Elle se souvint, nostalgique, de cet été fugace, de ces moments désormais perdus… Cependant, elle sourit à la fortune, au hasard, au bel automne qui s’annonçait.
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