Era la primera vez que subía una escalera: en el pueblo había muy pocas casas que tuvieran más de un piso y las que lo tenían eran inaccesibles. Este es mi recuerdo inaugural de La Habana: ir subiendo unas escaleras con escalones de mármol. Hay la memoria intermedia de la estación de ómnibus y el mercado del frente, la plaza del Vapor, arcadas ambas, colmadas de columnas, pero en el pueblo también había portales. Así mi verdadero primer recuerdo habanero es esta escalera lujosa que se hace oscura en el primer piso (tanto que no registro el primer piso, sólo la escalera que tuerce una vez más después del descanso) para abrirse, luego de una voluta barroca, al segundo piso, a una luz diferente, filtrada, casi malva, y a un espectáculo inusitado. Enfrente (para este momento mi familia había desaparecido ante mi asombro) un pasillo largo, un túnel estrecho, un corredor como no había visto nunca antes, al que se abrían muchas puertas, perennemente abiertas, pero no se veían los cuartos, el interior oculto por unas cortinas quedejaban un espacio, largo, arriba y otro tramo, corto, abajo. El aire movía los telones de distintos colores que no dejaban ver las funciones domésticas: aunque era pleno verano, temprano en la mañana había fresco y una corriente venía del interno. El tiempo se detuvo ante aquella visión: con mi acceso a la casa marcada Zulueta 408 había dado un paso trascendental en mi vida: había dejado la niñez para entrar en la adolescencia. Muchas personas hablan de su adolescencia, sueñan con ella, escriben sobre ella, pero pocos pueden señalar el día que comenzó la niñez extendiéndose mientras la adolescencia se contrae -o al revés. Pero yo puedo decir con exactitud que el 25 de julio de 1941 comenzó mi adolescencia. Por supuesto que seguiría siendo un niño mucho tiempo después, pero esencialmente aquel día, aquella mañana, aquel momento en que enfrenté el largo corredor de cortinas, contemplando la vista interior que luego asustaría hasta un veterano de la vida bohemia, el pintor primitivo Cherna Bue, que visitó la casa mucho tiempo después y se negó de plano a quedarse en ella un momento siquiera, espantado por la arquitectura de colmena depravada que tenía el edificio, aquel a cuya formidable entrada había un anuncio arriba que decía: «Se Alquilan Habitaciones - Algunas con Días Gratis - Apúrense mientras quedan», ese día preciso terminó mi niñez. No sólo era mi acceso a esa institución de La Habana pobre, el solar (palabra que oí ahí por primera vez, que aprendería como tendría que aprender tantas otras: la ciudad hablaba otra lengua, la pobreza tenía otro lenguaje y bien podía haber entrado a otro país: tiempo después, cuando llegaron las etimologías, aprendí que solar era una mera degradación de casa solariega, la palabra cortada, el edificio transformado en falansterio) sino que supe que había comenzado lo que sería para mí una educación.
Guillermo Cabrera Infante, La Habana para un infante difunto
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La traduction « officielle », La Havane pour un infant défunt, réalisée par Anny Amberni, Seuil, 1985, p .11-12 :
C'était la première fois que je montais un escalier. Au village il n'y avait pas beaucoup de maisons de plus d'un étage, et elles demeuraient inaccessibles. Voici donc le souvenir qui inaugure pour moi La Havane : je monte un escalier tout en marbre. J'ai aussi le souvenir intermédiaire de la gare des omnibus et du marché d'en face, sur la place du Vapeur, arcades sur arcades, défilé de colonnes, mais au village aussi nous avions des arcades... Je nous revois passer devant un jardin arrangé et une maison de rocaille qui se révèleraient ensuite être un autre genre de gare égarée, un poste de police que je ne me rappelais que par intermittence à cause de la crainte que j'en éprouvais. Ainsi mon premier véritable souvenir de La Havane, c'est cet escalier luxueux qui va s'obscurcissant vers le premier étage (si bien que de celui-ci, je ne me souviens pas mais seulement de l'escalier qui tourne encore une fois après le palier) pour s'ouvrir au terme d'une spirale baroque sur le second étage, éclairé d'une autre lumière, tamisée, presque mauve, et sur un spectacle insolite. Je me trouve (à mon étonnement, ma famille, en cet instant, avait disparu) devant un long couloir, un tunnel étroit, un corridor comme je n'en avais encore jamais vu, sur lequel donnaient une infinité de portes perpétuellement ouvertes sans qu'on puisse voir l'intérieur des chambres occulté par les rideaux qui découpaient l'espace en laissant un grand vide en haut et un interstice étroit près du sol. Il était encore tôt et, bien qu'on fût en plein été, un courant d'air interne faisait bouger les rideaux de différentes couleurs qui empêchaient de voir les événements domestiques. Le temps se suspendit sur cette vision. En montant les marches de la maison marquée Zulueta 408, je sautais le pas, quittais l'enfance pour entrer dans l'adolescence. Bien des gens parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à ce propos, mais il en est peu qui soient capables d'indiquer le jour exact où elle a commencé, l'enfance se déployant tandis que l'adolescence se contracte - ou l'inverse. Je peux dire avec exactitude que mon adolescence a commencé le 25 juillet 1941. Certes je devais rester encore longtemps un enfant, mais c'est essentiellement ce jour-là, ce matin-là, en cet instant où, face au long corridor de rideaux, je contemplai ce paysage intérieur dont beaucoup plus tard le peintre primitif Chema Bue, pourtant acquis depuis toujours à la vie de bohème, devait s'effrayer au point qu'il n'y resta pas une minute de plus, épouvanté par l'architecture de ruche pervertie de cet édifice dont le formidable porche s'ornait d'un écriteau disant : "Chambres à louer - Possibilité de journées gratuites", c'est précisément ce jour-là que mon enfance a pris fin. Non seulement j'accédais à cette institution de La Havane pauvre qu'est le solar (un mot que j'entendais pour la première fois, et je devais apprendre, entre mille autres choses, que la ville parlait une autre langue, que la pauvreté avait un langage à elle, différent et c'était comme si j'avais changé de pays : plus tard la science étymologique m'apprit que le mot solar n'était que la dégradation de solariega, maison noble, mot raccourci en même temps que la grande maison se transformait en phalanstère), mais je sus que ce jour marquait le début de toute une éducation.
C'était la première fois que je montais un escalier. Au village il n'y avait pas beaucoup de maisons de plus d'un étage, et elles demeuraient inaccessibles. Voici donc le souvenir qui inaugure pour moi La Havane : je monte un escalier tout en marbre. J'ai aussi le souvenir intermédiaire de la gare des omnibus et du marché d'en face, sur la place du Vapeur, arcades sur arcades, défilé de colonnes, mais au village aussi nous avions des arcades... Je nous revois passer devant un jardin arrangé et une maison de rocaille qui se révèleraient ensuite être un autre genre de gare égarée, un poste de police que je ne me rappelais que par intermittence à cause de la crainte que j'en éprouvais. Ainsi mon premier véritable souvenir de La Havane, c'est cet escalier luxueux qui va s'obscurcissant vers le premier étage (si bien que de celui-ci, je ne me souviens pas mais seulement de l'escalier qui tourne encore une fois après le palier) pour s'ouvrir au terme d'une spirale baroque sur le second étage, éclairé d'une autre lumière, tamisée, presque mauve, et sur un spectacle insolite. Je me trouve (à mon étonnement, ma famille, en cet instant, avait disparu) devant un long couloir, un tunnel étroit, un corridor comme je n'en avais encore jamais vu, sur lequel donnaient une infinité de portes perpétuellement ouvertes sans qu'on puisse voir l'intérieur des chambres occulté par les rideaux qui découpaient l'espace en laissant un grand vide en haut et un interstice étroit près du sol. Il était encore tôt et, bien qu'on fût en plein été, un courant d'air interne faisait bouger les rideaux de différentes couleurs qui empêchaient de voir les événements domestiques. Le temps se suspendit sur cette vision. En montant les marches de la maison marquée Zulueta 408, je sautais le pas, quittais l'enfance pour entrer dans l'adolescence. Bien des gens parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à ce propos, mais il en est peu qui soient capables d'indiquer le jour exact où elle a commencé, l'enfance se déployant tandis que l'adolescence se contracte - ou l'inverse. Je peux dire avec exactitude que mon adolescence a commencé le 25 juillet 1941. Certes je devais rester encore longtemps un enfant, mais c'est essentiellement ce jour-là, ce matin-là, en cet instant où, face au long corridor de rideaux, je contemplai ce paysage intérieur dont beaucoup plus tard le peintre primitif Chema Bue, pourtant acquis depuis toujours à la vie de bohème, devait s'effrayer au point qu'il n'y resta pas une minute de plus, épouvanté par l'architecture de ruche pervertie de cet édifice dont le formidable porche s'ornait d'un écriteau disant : "Chambres à louer - Possibilité de journées gratuites", c'est précisément ce jour-là que mon enfance a pris fin. Non seulement j'accédais à cette institution de La Havane pauvre qu'est le solar (un mot que j'entendais pour la première fois, et je devais apprendre, entre mille autres choses, que la ville parlait une autre langue, que la pauvreté avait un langage à elle, différent et c'était comme si j'avais changé de pays : plus tard la science étymologique m'apprit que le mot solar n'était que la dégradation de solariega, maison noble, mot raccourci en même temps que la grande maison se transformait en phalanstère), mais je sus que ce jour marquait le début de toute une éducation.
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Brigitte nous propose sa traduction (avec une question d'accompagnement : « Je pense qu'ici, il faut laisser les mots "solar" et "casa solariega" en espagnol dans le texte (sinon à mon avis, on dévalorise la suite) et préciser par une NdT "casa solariega : propriété de famille noble", par exemple ? ») :
C’était la première fois que je montais un escalier : au village il y avait très peu de maisons à plus d’un étage et celles qui en avaient un étaient inaccessibles.
C’est mon tout premier souvenir de La Havane : monter des escaliers aux marches de marbre. Il y a le souvenir intermédiaire de la gare d’omnibus et le marché d’en face, la Place del Vapor, toutes deux avec des arcades, pleines de colonnes, mais au village aussi il y a des porches. Ainsi donc, mon véritable premier souvenir de la Havane est cet escalier luxueux qui devient sombre au premier étage (au point que je ne repère pas le premier palier, mais seulement l’escalier qui tourne juste après) pour s’ouvrir, après une volute baroque, sur le deuxième étage, sur une lumière différente, diffuse, presque mauve, et sur un spectacle inhabituel.
En face (à cet instant-là ma famille s’était estompée face à mon étonnement) un long couloir, un étroit tunnel, un corridor comme je n’en avais jamais vu auparavant, sur lequel donnaient de nombreuses portes, continuellement ouvertes, mais on ne voyait pas les chambres, l’intérieur étant occulté derrière des rideaux qui laissaient un espace, long, en haut et un autre morceau, court, en bas.
L’air faisait remuer les rideaux de couleurs différentes qui ne laissaient pas voir les fonctions domestiques : bien que nous étions en plein été, tôt le matin il faisait frais et un courant d’air venait de l’intérieur.
Le temps se figea face à cette vision : en accédant à la maison marquée Zulueta 408 j’avais fait un pas transcendantal dans ma vie : j’avais quitté l’enfance pour entrer dans l’adolescence. Beaucoup de gens parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à son sujet, mais peu sont capables d’indiquer le jour précis où leur enfance a commencé à s’étendre tandis que leur adolescence recule – ou l’inverse. Mais moi, je peux dire avec exactitude que mon adolescence a débuté le 25 juillet 1941.
Bien sûr, je continuerai à être un enfant longtemps après, mais essentiellement ce jour-là, ce matin-là, en cet instant où je fis face à ce long couloir de rideaux, contemplant la vue intérieure qui par la suite ferait peur même à un vétéran de la vie de bohème : le peintre primitif Cherna Bue qui visita la maison bien plus tard se refusa tout net à y rester ne serait ce qu’un instant, effrayé par l’architecture de ruche dépravée de l’édifice. Son entrée surprenante était surmontée d’un écriteau qui disait : « Chambres à louer »- Jours gratuits pour certaines chambres- Dépêchez-vous tant qu’il en reste »- . C’est en ce jour précis que mon enfance prit fin.
Non seulement parce que c’était mon entrée dans cette véritable institution de La Havane pauvre qu’est le « solar » (Ce mot entendu ici pour la première fois et que j’aurais à apprendre comme beaucoup d’autres car la ville parlait une autre langue, la pauvreté avait un autre langage et j’aurais très bien pu me trouver dans un autre pays : plus tard, quand l’étymologie fit son apparition, j’appris que « solar » était une simple dégradation de « casa solariega », le mot tronqué, l’édifice transformé en phalanstère) mais aussi parce que je sus que venait de commencer ce qui serait pour moi une éducation.
C’était la première fois que je montais un escalier : au village il y avait très peu de maisons à plus d’un étage et celles qui en avaient un étaient inaccessibles.
C’est mon tout premier souvenir de La Havane : monter des escaliers aux marches de marbre. Il y a le souvenir intermédiaire de la gare d’omnibus et le marché d’en face, la Place del Vapor, toutes deux avec des arcades, pleines de colonnes, mais au village aussi il y a des porches. Ainsi donc, mon véritable premier souvenir de la Havane est cet escalier luxueux qui devient sombre au premier étage (au point que je ne repère pas le premier palier, mais seulement l’escalier qui tourne juste après) pour s’ouvrir, après une volute baroque, sur le deuxième étage, sur une lumière différente, diffuse, presque mauve, et sur un spectacle inhabituel.
En face (à cet instant-là ma famille s’était estompée face à mon étonnement) un long couloir, un étroit tunnel, un corridor comme je n’en avais jamais vu auparavant, sur lequel donnaient de nombreuses portes, continuellement ouvertes, mais on ne voyait pas les chambres, l’intérieur étant occulté derrière des rideaux qui laissaient un espace, long, en haut et un autre morceau, court, en bas.
L’air faisait remuer les rideaux de couleurs différentes qui ne laissaient pas voir les fonctions domestiques : bien que nous étions en plein été, tôt le matin il faisait frais et un courant d’air venait de l’intérieur.
Le temps se figea face à cette vision : en accédant à la maison marquée Zulueta 408 j’avais fait un pas transcendantal dans ma vie : j’avais quitté l’enfance pour entrer dans l’adolescence. Beaucoup de gens parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à son sujet, mais peu sont capables d’indiquer le jour précis où leur enfance a commencé à s’étendre tandis que leur adolescence recule – ou l’inverse. Mais moi, je peux dire avec exactitude que mon adolescence a débuté le 25 juillet 1941.
Bien sûr, je continuerai à être un enfant longtemps après, mais essentiellement ce jour-là, ce matin-là, en cet instant où je fis face à ce long couloir de rideaux, contemplant la vue intérieure qui par la suite ferait peur même à un vétéran de la vie de bohème : le peintre primitif Cherna Bue qui visita la maison bien plus tard se refusa tout net à y rester ne serait ce qu’un instant, effrayé par l’architecture de ruche dépravée de l’édifice. Son entrée surprenante était surmontée d’un écriteau qui disait : « Chambres à louer »- Jours gratuits pour certaines chambres- Dépêchez-vous tant qu’il en reste »- . C’est en ce jour précis que mon enfance prit fin.
Non seulement parce que c’était mon entrée dans cette véritable institution de La Havane pauvre qu’est le « solar » (Ce mot entendu ici pour la première fois et que j’aurais à apprendre comme beaucoup d’autres car la ville parlait une autre langue, la pauvreté avait un autre langage et j’aurais très bien pu me trouver dans un autre pays : plus tard, quand l’étymologie fit son apparition, j’appris que « solar » était une simple dégradation de « casa solariega », le mot tronqué, l’édifice transformé en phalanstère) mais aussi parce que je sus que venait de commencer ce qui serait pour moi une éducation.
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Odile nous propose sa traduction :
C'était la première fois que je montais un escalier: dans le village, rares étaient les maisons de plus d'un étage et celles-ci étaient inaccessibles. C'est mon tout premier souvenir de la Havane: monter des escaliers aux marches de marbre. Il y a le souvenir intermédiaire de la gare d'omnibus avec le marché qui lui fait face, la place del Vapor, leurs arches, l'abondance des colonnes, mais au village aussi il y avait des porches. Ainsi donc, mon premier véritable souvenir de la Havane est cet escalier luxueux plongé dans la pénombre au premier étage ( au point que je ne remarque pas ce premier étage, mais seulement l'escalier qui tourne une fois encore après le palier) pour s'ouvrir, après une volute baroque, sur le second étage, vers une lumière différente, tamisée, presque mauve et sur un spectable inhabituel.
Face à moi,( à ce moment-là, mon étonnement était tel que j'en oubliais ma famille) se trouvait un long couloir, un tunnel étroit, un corridor comme jamais je n'en avais vu, sur lequel donnaient de nombreuses portes, toujours ouvertes, mais on ne voyait pas les pièces, l'intérieur en étant occulté par des rideaux qui laissaient un grand espace vide en haut et un autre, plus petit, en bas.
L'air faisait bouger les rideaux de couleurs différentes qui ne laissaient pas deviner les occupations domestiques: nous étions en plein été mais, tôt le matin, on sentait de la fraîcheur et un courant d'air venait de l'intérieur. Le temps se figea devant cette vision: en accédant à la maison marquée Zulueta 408, j'avais franchi un pas transcendental dans ma vie: j'avais quitté l'enfance pour entrer dans l'adolescence. Beaucoup de personnes parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à son sujet, mais peu d'entre elles sont capables de préciser à quel moment a commencé leur enfance et sa durée tandis qu'arrive l'adolescence – ou inversement.
Mais moi, je peux dire avec exactitude que le début de mon adolescence date du 25 juillet 1941.
Bien entendu, longtemps encore je restai enfant, mais essentiellement ce jour-là, pendant ce matin-là, à ce moment où j' eûs face à moi le long corridor aux rideaux, contemplant la vue intérieure qui, plus tard, ferait peur même à un vétéran de la vie de bohème: le peintre primitif Cherna Bue qui visita la maison bien plus tard et se refusa tout net à y rester ne serait-ce qu'un instant de plus, effrayé par l'architecture de ruche dépravée de l'édifice dont l'immense entrée était surmontée d'un écriteau qui annonçait: «Logements à louer - Jours gratuits sur certains - Profitez-en tant qu'il en reste », eh bien, ce jour-là, précisément mon enfance prit fin.
Non seulement je faisais connaissance de cette institution de la Havane pauvre qu'est le «solar»* (mot que j'entendis ici pour la première fois, et que j'apprendrais comme bien d'autres: la ville parlait une autre langue, la pauvreté avait un autre langage et j'aurais tout aussi bien pu me trouver dans un autre pays: longtemps après, lorsque je découvris les étymologies , j'appris que « solar » était une simple dégradation de «casa solariega»* , un mot tronqué, un édifice transformé en phalanstère), mais je compris alors qu'avait commencé ce qui serait pour moi toute une éducation.
* : « casa solariega » ou « solar » désigne, en Espagne, une maison (famille) noble, et par extension une riche demeure ou propriété. Le DRAE définit aussi un « solar », à Cuba, comme une « casa de vecindad »: « La que contiene muchas viviendas reducidas, por lo común con acceso a patios y corredores. » On reconnaît donc là les belles maisons du riche passé colonial de Cuba....devenues de très modestes logements....
C'était la première fois que je montais un escalier: dans le village, rares étaient les maisons de plus d'un étage et celles-ci étaient inaccessibles. C'est mon tout premier souvenir de la Havane: monter des escaliers aux marches de marbre. Il y a le souvenir intermédiaire de la gare d'omnibus avec le marché qui lui fait face, la place del Vapor, leurs arches, l'abondance des colonnes, mais au village aussi il y avait des porches. Ainsi donc, mon premier véritable souvenir de la Havane est cet escalier luxueux plongé dans la pénombre au premier étage ( au point que je ne remarque pas ce premier étage, mais seulement l'escalier qui tourne une fois encore après le palier) pour s'ouvrir, après une volute baroque, sur le second étage, vers une lumière différente, tamisée, presque mauve et sur un spectable inhabituel.
Face à moi,( à ce moment-là, mon étonnement était tel que j'en oubliais ma famille) se trouvait un long couloir, un tunnel étroit, un corridor comme jamais je n'en avais vu, sur lequel donnaient de nombreuses portes, toujours ouvertes, mais on ne voyait pas les pièces, l'intérieur en étant occulté par des rideaux qui laissaient un grand espace vide en haut et un autre, plus petit, en bas.
L'air faisait bouger les rideaux de couleurs différentes qui ne laissaient pas deviner les occupations domestiques: nous étions en plein été mais, tôt le matin, on sentait de la fraîcheur et un courant d'air venait de l'intérieur. Le temps se figea devant cette vision: en accédant à la maison marquée Zulueta 408, j'avais franchi un pas transcendental dans ma vie: j'avais quitté l'enfance pour entrer dans l'adolescence. Beaucoup de personnes parlent de leur adolescence, en rêvent, écrivent à son sujet, mais peu d'entre elles sont capables de préciser à quel moment a commencé leur enfance et sa durée tandis qu'arrive l'adolescence – ou inversement.
Mais moi, je peux dire avec exactitude que le début de mon adolescence date du 25 juillet 1941.
Bien entendu, longtemps encore je restai enfant, mais essentiellement ce jour-là, pendant ce matin-là, à ce moment où j' eûs face à moi le long corridor aux rideaux, contemplant la vue intérieure qui, plus tard, ferait peur même à un vétéran de la vie de bohème: le peintre primitif Cherna Bue qui visita la maison bien plus tard et se refusa tout net à y rester ne serait-ce qu'un instant de plus, effrayé par l'architecture de ruche dépravée de l'édifice dont l'immense entrée était surmontée d'un écriteau qui annonçait: «Logements à louer - Jours gratuits sur certains - Profitez-en tant qu'il en reste », eh bien, ce jour-là, précisément mon enfance prit fin.
Non seulement je faisais connaissance de cette institution de la Havane pauvre qu'est le «solar»* (mot que j'entendis ici pour la première fois, et que j'apprendrais comme bien d'autres: la ville parlait une autre langue, la pauvreté avait un autre langage et j'aurais tout aussi bien pu me trouver dans un autre pays: longtemps après, lorsque je découvris les étymologies , j'appris que « solar » était une simple dégradation de «casa solariega»* , un mot tronqué, un édifice transformé en phalanstère), mais je compris alors qu'avait commencé ce qui serait pour moi toute une éducation.
* : « casa solariega » ou « solar » désigne, en Espagne, une maison (famille) noble, et par extension une riche demeure ou propriété. Le DRAE définit aussi un « solar », à Cuba, comme une « casa de vecindad »: « La que contiene muchas viviendas reducidas, por lo común con acceso a patios y corredores. » On reconnaît donc là les belles maisons du riche passé colonial de Cuba....devenues de très modestes logements....
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