EL CHINO LUIS
Tenía su puesto de frutas frente a mi vieja casa de madera. No sé cuando lo vi por primera vez, aunque debe haber estado allí, leyendo el periódico de su país, desde mucho antes de que yo naciera. Quizás desde siempre. Por largo que parezca ese lapso.
Se llamaba Luis. El chino Luis, sin ningún otro apellido conocido :
-Pellido, ¿ pa’qué ? Gente no entiende pellido chino.
Se sentaba detrás del mostrador, acomodado en su viejo taburete, y se ponía a leer el periódico, de grande caracteres asiáticos, entrecerrando aún más sus pequeños ojos rasgados.
Su establecimiento olía a platanitos maduros y a calabacitas chinas. Nunca lo vi levantarse del taburete. Cuando llegaba un cliente y solicitaba un centavo de platanitos, no alzaba la vista y se limitaba a rezongar :
- Coge tú mismo. Deja el linelo mostlaló.
Y seguía leyendo.
[…]
Terminé la escuela primaria, la secundaria, el bachillerato y, siempre que pasaba, veía a Luis leyendo el periódico chino con sus ojillos entrecerrados y somnolientos.
Cuando iba de vacaciones, estando ya en la Universidad, lo encontraba sentado en su taburete de siempre y me parecía observar, en sus labios, una especie de sonrisa lejana y amable que yo interpretaba como su silencioso saludo. Un día me atreví a preguntarle cómo iba el negocio. Me contestó :
-Bien. Muy bien. Nadie compla ná. Mejol pa’mí.
Y me dijo que cogiera una calabacita china, como cuando era niño y el se hacía el bobo, mientras yo se la robaba.
Aquella mañana de 1951 el taburete amaneció vacío. Lo encontraron muerto entre ristras de ajos y racimos de plátanos manzanos, acostado en su catre de loneta. Sobre el pecho un ejemplar de un periódico cantonés fechado en 1920. El único periódico que se encontró entre sus escasas pertenencias. El mismo que leía, día tras día, desde que lo conocí.
Alguien echó a rodar, después, la leyenda de que había muerto mientras regresaba, en sueños, a su aldea natal de Cantón, donde lo esperaba, para casarse con él, la novia que dejó al partir.
La novia que nadie le conoció.
Claro que eran puras invenciones de la gente. Porque Luis pasó del sueño a la muerte, víctima de un infarto masivo, según me dijo el médico del pueblo. ¿ Cómo se iba a saber con qué soñaba ?
Con el tiempo he pensado que aquella leyenda pudo ser cierta, porque en vida, jamás, le había visto en el rostro la dulce sonrisa que le dibujó la muerte.
Luis no lo sabrá nunca, pero desde entonces, yo he deseado vivir como él.
Se llamaba Luis. El chino Luis, sin ningún otro apellido conocido :
-Pellido, ¿ pa’qué ? Gente no entiende pellido chino.
Se sentaba detrás del mostrador, acomodado en su viejo taburete, y se ponía a leer el periódico, de grande caracteres asiáticos, entrecerrando aún más sus pequeños ojos rasgados.
Su establecimiento olía a platanitos maduros y a calabacitas chinas. Nunca lo vi levantarse del taburete. Cuando llegaba un cliente y solicitaba un centavo de platanitos, no alzaba la vista y se limitaba a rezongar :
- Coge tú mismo. Deja el linelo mostlaló.
Y seguía leyendo.
[…]
Terminé la escuela primaria, la secundaria, el bachillerato y, siempre que pasaba, veía a Luis leyendo el periódico chino con sus ojillos entrecerrados y somnolientos.
Cuando iba de vacaciones, estando ya en la Universidad, lo encontraba sentado en su taburete de siempre y me parecía observar, en sus labios, una especie de sonrisa lejana y amable que yo interpretaba como su silencioso saludo. Un día me atreví a preguntarle cómo iba el negocio. Me contestó :
-Bien. Muy bien. Nadie compla ná. Mejol pa’mí.
Y me dijo que cogiera una calabacita china, como cuando era niño y el se hacía el bobo, mientras yo se la robaba.
Aquella mañana de 1951 el taburete amaneció vacío. Lo encontraron muerto entre ristras de ajos y racimos de plátanos manzanos, acostado en su catre de loneta. Sobre el pecho un ejemplar de un periódico cantonés fechado en 1920. El único periódico que se encontró entre sus escasas pertenencias. El mismo que leía, día tras día, desde que lo conocí.
Alguien echó a rodar, después, la leyenda de que había muerto mientras regresaba, en sueños, a su aldea natal de Cantón, donde lo esperaba, para casarse con él, la novia que dejó al partir.
La novia que nadie le conoció.
Claro que eran puras invenciones de la gente. Porque Luis pasó del sueño a la muerte, víctima de un infarto masivo, según me dijo el médico del pueblo. ¿ Cómo se iba a saber con qué soñaba ?
Con el tiempo he pensado que aquella leyenda pudo ser cierta, porque en vida, jamás, le había visto en el rostro la dulce sonrisa que le dibujó la muerte.
Luis no lo sabrá nunca, pero desde entonces, yo he deseado vivir como él.
Enrique Núñez Rodríguez, “El Chino Luis”, in Gente que yo quise…, Ediciones Unión, col. Anécdotas, La Habana, 1995, pp.29-30.
***
La traduction que je vous propose :
Son étal de fruits se trouvait juste en face de ma vieille maison en bois. J’ignore quand je l’y ai vu pour la première fois, même s’il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse.
Il s’appelait Luis. Luis le Chinois, sans autre nom de famille connu :
« Nom famille, pou’lquoi faile ? Gens complend pas nom famille chinois. »
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et il se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, rétrécissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Sa boutique sentait la banane naine mûre et la courge cireuse. Je ne l’ai jamais vu quitter son tabouret. Quand un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de rouspéter :
« Sels-toi tout seul. Laisse algent comptoil. »
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J’achevai l’école primaire, le secondaire, je décrochai mon diplôme de fin d’études et, chaque fois que je passais, je voyais Luis en train de lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j’étais à l’université, je le trouvais assis sur son éternel tabouret et il me semblait remarquer, sur ses lèvres, un vague sourire aimable, que j’interprétais comme sa manière à lui de me saluer en silence. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Ce à quoi il répondit :
« Bien. Tlès bien. Pelsonne achète lien. Mieux poul moi. »
Et il me dit de prendre une courge cireuse, comme quand j’étais petit et qu’il jouait les imbéciles, pendant que je la lui volais.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide ; on le découvrit mort au milieu de chapelets d’ail et de régimes de bananes rouges, couché sur son grabat de toile à voile. Avec, sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul journal que l’on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu’il avait lu, jour après jour, depuis que j’avais fait sa connaissance.
Plus tard, quelqu’un lança la légende/rumeur selon laquelle il était mort en rêvant qu’il retournait dans son village natal de Canton, où l’attendait, pour se marier avec lui, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Il va de soi que ce n’était qu’inventions des gens. Car, d’après les dires du médecin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d’un infarctus foudroyant. Comment aurait-on pu savoir de quoi il était en train de rêver, hein ?
Avec le temps, j’en suis venu à penser que cette légende/rumeur pouvait très bien être exacte, parce que de son vivant, je ne lui avais jamais vu ce sourire doux qu’avait peint la mort sur son visage.
Luis n’en saura jamais rien, mais depuis lors, j’ai aspiré à vivre comme lui.
***Son étal de fruits se trouvait juste en face de ma vieille maison en bois. J’ignore quand je l’y ai vu pour la première fois, même s’il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse.
Il s’appelait Luis. Luis le Chinois, sans autre nom de famille connu :
« Nom famille, pou’lquoi faile ? Gens complend pas nom famille chinois. »
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et il se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, rétrécissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Sa boutique sentait la banane naine mûre et la courge cireuse. Je ne l’ai jamais vu quitter son tabouret. Quand un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de rouspéter :
« Sels-toi tout seul. Laisse algent comptoil. »
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J’achevai l’école primaire, le secondaire, je décrochai mon diplôme de fin d’études et, chaque fois que je passais, je voyais Luis en train de lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j’étais à l’université, je le trouvais assis sur son éternel tabouret et il me semblait remarquer, sur ses lèvres, un vague sourire aimable, que j’interprétais comme sa manière à lui de me saluer en silence. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Ce à quoi il répondit :
« Bien. Tlès bien. Pelsonne achète lien. Mieux poul moi. »
Et il me dit de prendre une courge cireuse, comme quand j’étais petit et qu’il jouait les imbéciles, pendant que je la lui volais.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide ; on le découvrit mort au milieu de chapelets d’ail et de régimes de bananes rouges, couché sur son grabat de toile à voile. Avec, sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul journal que l’on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu’il avait lu, jour après jour, depuis que j’avais fait sa connaissance.
Plus tard, quelqu’un lança la légende/rumeur selon laquelle il était mort en rêvant qu’il retournait dans son village natal de Canton, où l’attendait, pour se marier avec lui, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Il va de soi que ce n’était qu’inventions des gens. Car, d’après les dires du médecin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d’un infarctus foudroyant. Comment aurait-on pu savoir de quoi il était en train de rêver, hein ?
Avec le temps, j’en suis venu à penser que cette légende/rumeur pouvait très bien être exacte, parce que de son vivant, je ne lui avais jamais vu ce sourire doux qu’avait peint la mort sur son visage.
Luis n’en saura jamais rien, mais depuis lors, j’ai aspiré à vivre comme lui.
Brigitte nous propose sa traduction :
Luis, le Chinois.
Il tenait son échoppe de fruits en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l’ai vu pour la première fois, même s’il était sûrement là, à lire le journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Peut-être depuis toujours. Même si ça paraît beaucoup. Il s’appelait Luis, Luis le Chinois, on ne lui connaissait aucun autre nom :
- Nom famille ? Poul quoi fai’ ? Gens pas complend’ nom famille chinois.
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et se mettait à lire son journal, aux gros caractères asiatiques, plissant encore plus qu’ils ne l’étaient ses petits yeux bridés.
Son commerce avait l’odeur des petites bananes bien mûres et des calebasses chinoises. Jamais je ne l’ai vu se lever de son tabouret. Lorsqu’un client arrivait et demandait pour un centavo de petites bananes, il ne levait pas les yeux et se contentait de marmonner :
- Plendl’ toi-même. Laisse l’algent sul comptoil.
Et il poursuivait sa lecture.
( …)
J’ai terminé mes études à l’école primaire, en secondaire, le bac et, chaque fois que je passais devant, je voyais Luis en train de lire son journal chinois de ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je venais pour les vacances, alors que j’étais déjà à l’université, je le retrouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait lire sur ses lèvres, une sorte de sourire lointain et aimable que j’interprétais comme un bonjour silencieux. Un jour, je me suis hasardé à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit :
- Bien. Tlès bien. Pelsonne lien acheter. Tant mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite calebasse chinoise, comme celle que je lui volais quand j’étais petit et qu’il faisait alors mine de ne rien voir.
En ce matin de 1951, le tabouret resta vide. On le retrouva mort entre des tresses d’ail et des régimes de bananes naines, couché sur sa natte de toile. Sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l’on trouva parmi ses affaires personnelles. Le même qu’il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Quelqu’un fit circuler, plus tard, la légende selon laquelle il était mort en retournant, en rêve, dans sa bourgade natale de Canton, où l’attendait, pour l’épouser, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait jamais connue.
Bien sûr, ce n’étaient que pures inventions des gens. Car Luis était passé du sommeil à la mort, terrassé par un infarctus foudroyant, d’après ce que m’avait dit le médecin du village. Comment savoir à quoi il pouvait bien rêver ?
Avec le temps, j’ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais, de ma vie, je ne lui avais vu ce sourire bienheureux qu’avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais c’est à compter de ce jour-là que j’ai voulu vivre comme lui.
Luis, le Chinois.
Il tenait son échoppe de fruits en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l’ai vu pour la première fois, même s’il était sûrement là, à lire le journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Peut-être depuis toujours. Même si ça paraît beaucoup. Il s’appelait Luis, Luis le Chinois, on ne lui connaissait aucun autre nom :
- Nom famille ? Poul quoi fai’ ? Gens pas complend’ nom famille chinois.
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et se mettait à lire son journal, aux gros caractères asiatiques, plissant encore plus qu’ils ne l’étaient ses petits yeux bridés.
Son commerce avait l’odeur des petites bananes bien mûres et des calebasses chinoises. Jamais je ne l’ai vu se lever de son tabouret. Lorsqu’un client arrivait et demandait pour un centavo de petites bananes, il ne levait pas les yeux et se contentait de marmonner :
- Plendl’ toi-même. Laisse l’algent sul comptoil.
Et il poursuivait sa lecture.
( …)
J’ai terminé mes études à l’école primaire, en secondaire, le bac et, chaque fois que je passais devant, je voyais Luis en train de lire son journal chinois de ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je venais pour les vacances, alors que j’étais déjà à l’université, je le retrouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait lire sur ses lèvres, une sorte de sourire lointain et aimable que j’interprétais comme un bonjour silencieux. Un jour, je me suis hasardé à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit :
- Bien. Tlès bien. Pelsonne lien acheter. Tant mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite calebasse chinoise, comme celle que je lui volais quand j’étais petit et qu’il faisait alors mine de ne rien voir.
En ce matin de 1951, le tabouret resta vide. On le retrouva mort entre des tresses d’ail et des régimes de bananes naines, couché sur sa natte de toile. Sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l’on trouva parmi ses affaires personnelles. Le même qu’il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Quelqu’un fit circuler, plus tard, la légende selon laquelle il était mort en retournant, en rêve, dans sa bourgade natale de Canton, où l’attendait, pour l’épouser, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait jamais connue.
Bien sûr, ce n’étaient que pures inventions des gens. Car Luis était passé du sommeil à la mort, terrassé par un infarctus foudroyant, d’après ce que m’avait dit le médecin du village. Comment savoir à quoi il pouvait bien rêver ?
Avec le temps, j’ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais, de ma vie, je ne lui avais vu ce sourire bienheureux qu’avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais c’est à compter de ce jour-là que j’ai voulu vivre comme lui.
***
Odile nous propose sa traduction :
Son étal de fruits se trouvait en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l'ai vu pour la première fois, même s'il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse. I l s'appelait Luis, Luis le Chinois, sans autre nom connu.
- Nom famille? Poul quoi fail? Gens complend pas nom famille chinois.
Il s'asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret et se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, plissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Son commerce sentait la banane naine mûre et la courge chinoise. Je ne l'ai jamais vu se lever de son tabouret. Lorsqu'un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de grommeler:
- Sels-toi. Laisse algent sul comptoil.
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J'ai terminé ma scolarité du primaire, du secondaire, puis les classes du baccalauréat et chaque fois que je passais, je voyais Luis occupé à lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j'étais déjà à l'université, je le trouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait remarquer sur ses lèvres un vague sourire aimable que j'interprétais comme un salut silencieux. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit:
- Bien. Très bien! Pelsonne lien acheter. Mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite courge chinoise, comme celle que je lui volais lorsque j'étais enfant, ce qu'il faisait mine de ne pas remarquer.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide. On le trouva mort au milieu de chapelets d'ail et de régimes de bananes pommes, couché sur son grabat de toile à voile. Sur la poitrine, un exemplaire d'un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l'on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu'il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Plus tard, quelqu'un fit circuler la légende selon laquelle il était mort en rêvant qu'il retournait sans son village natal de Canton où l'attendait, pour l'épouser, la fiancée qu'il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Bien sûr, ce n'étaient que pures inventions des gens. Car, selon ce que m'avait dit le médeçin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d'un infarctus fourdroyant. Comment aurait-on pu savoir à quoi il rêvait?
Avec le temps, j'ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais de son vivant je ne lui avais vu ce doux sourire qu'avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais depuis lors, j'ai voulu vivre comme lui.
Son étal de fruits se trouvait en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l'ai vu pour la première fois, même s'il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse. I l s'appelait Luis, Luis le Chinois, sans autre nom connu.
- Nom famille? Poul quoi fail? Gens complend pas nom famille chinois.
Il s'asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret et se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, plissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Son commerce sentait la banane naine mûre et la courge chinoise. Je ne l'ai jamais vu se lever de son tabouret. Lorsqu'un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de grommeler:
- Sels-toi. Laisse algent sul comptoil.
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J'ai terminé ma scolarité du primaire, du secondaire, puis les classes du baccalauréat et chaque fois que je passais, je voyais Luis occupé à lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j'étais déjà à l'université, je le trouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait remarquer sur ses lèvres un vague sourire aimable que j'interprétais comme un salut silencieux. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit:
- Bien. Très bien! Pelsonne lien acheter. Mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite courge chinoise, comme celle que je lui volais lorsque j'étais enfant, ce qu'il faisait mine de ne pas remarquer.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide. On le trouva mort au milieu de chapelets d'ail et de régimes de bananes pommes, couché sur son grabat de toile à voile. Sur la poitrine, un exemplaire d'un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l'on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu'il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Plus tard, quelqu'un fit circuler la légende selon laquelle il était mort en rêvant qu'il retournait sans son village natal de Canton où l'attendait, pour l'épouser, la fiancée qu'il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Bien sûr, ce n'étaient que pures inventions des gens. Car, selon ce que m'avait dit le médeçin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d'un infarctus fourdroyant. Comment aurait-on pu savoir à quoi il rêvait?
Avec le temps, j'ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais de son vivant je ne lui avais vu ce doux sourire qu'avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais depuis lors, j'ai voulu vivre comme lui.
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