A las cuatro de la tarde se calmó la brisa. Corno no veía nada más que agua y cielo, como no tenía puntos de referencia, transcurrieron mas de dos horas antes de que me diera cuenta de que la balsa estaba avanzando. Pero en realidad, desde el momento en que me encontré dentro de ella, empezó a moverse en línea recta, empujada por la brisa, a una velocidad mayor de la que yo habría podido imprimirle con los remos. Sin embargo, no tenía la menor idea sobre mi dirección ni posición. No sabia sí la balsa avanzaba hacia la costa o hacia el interior del Caribe. Esto último me parecía lo más probable, pues siempre habla considerado imposible que el mar arrojara a la tierra alguna cosa que hubiera penetrado 200 millas, y menos sí esa cosa era algo tan pesado como un hombre en una balsa. Durante mis primeras dos horas seguí mentalmente, minuto a minuto, el viaje del destructor. Pensé que si habían telegrafiado a Cartagena, habían dado la posición exacta del lugar en que ocurrió el accidente, y que desde ese momento habían enviado aviones y helicópteros a rescatarnos. Hice mis cálculos: antes de una hora los aviones estarían allí, dando vueltas sobre mi cabeza. A la una de la tarde me senté en la balsa a escrutar el horizonte. Solté los tres remos y los puse en el interior, listo a remar en la dirección en que aparecieran los aviones. Los minutos eran largos e intensos. El sol me abrasaba el rostro y las espaldas y los labios me ardían, cuarteados por la sal. Pero en ese momento no sentía sed ni hambre. La única necesidad que sentía era la de que aparecieran los aviones. Ya tenía mi plan: cuando los viera aparecer trataría de remar hacia ellos, luego, cuando estuvieran sobre mí, me pondría de pie en la balsa y les haría señales con la camisa. Para estar preparado, para no perder un minuto, me desabotoné la camisa y seguí sentado en la borda, escrutando el horizonte por todos lados, pues no tenía la menor idea de la dirección en que aparecerían los aviones. Así llegaron las dos. La brisa seguía aullando, y por encima del aullido de la brisa yo seguía oyendo la voz de Luis Rengifo: "Gordo, rema para este lado". La oía con perfecta claridad, como si estuviera allí, a dos metros de distancia, tratando de alcanzar el remo. Pero yo sabía que cuando el viento aúlla en el mar, cuando las olas se rompen contra los acantilados, uno sigue oyendo las voces que recuerda. Y las sigue oyendo con enloquecedora persistencia: "Gordo, rema para este lado".
Gabriel García Márquez, Relato de un naufrago
***
La traduction « officielle », par Claude Couffon pour les éditions Grasset :
À quatre heures de l'après-midi le vent se calma. Comme je ne voyais que l'eau et le ciel et ne disposais d'aucun point de repère, plus de deux heures s'écoulèrent avant que je ne me rendisse compte que la radeau avançait. En réalité, depuis le moment où j'avais sauté à son bord, il s'était mis à glisser en ligne droite, poussé par le vent, à une vitesse supérieure à celle que j'aurais pu lui communiquer en ramant. Pourtant, je ne pouvais déterminer ni ma direction ni ma position. J'ignorais si le radeau voguait vers la côte ou s'enfonçait dans la mer des Antilles. Cette dernière hypothèse me semblait la plus probable, car je jugeais vraiment impossible que la mer rejetât à terre une chose flottant à deux cents milles du littoral, surtout si cette chose était aussi lourde qu'un homme sur un radeau.
Durant les deux premières heures je suivis mentalement, minute par minute, le voyage du destroyer. « S'ils ont télégraphié à Carthagène, pensai-je, ils auront signalé le lieu exact de l'accident, et l'on a dû envoyer aussitôt des avions et des hélicoptères à notre recherche. » Je fis mes calculs : avant une heure les avions tourneraient au-dessus de ma tête.
À une heure de l'après-midi, je m'assis pour scruter l'horizon. Je détachai les trois rames et les rentrai contre la paroi intérieure, prêt à ramer dans la direction où les avions surgiraient. Minutes longues et fiévreuses. Le soleil torride m'empourprait, j'avais les épaules et les lèvres en feu, crevassées par le sel. Je n'éprouvais pourtant aucune envie de boire ou de manger. Mon seul besoin était de voir apparaître les avions. J'avais dressé un plan : lorsque je les apercevrais j'essayerais de ramer à leur rencontre, puis, quand ils me survoleraient, je me mettrais debout et je leur ferais des signaux avec ma chemise. Je l'avais déboutonnée, dans cette éventualité, pour ne pas perdre une minute, et je restai assis à même l'entablement, interrogeant l'horizon de tous côtés, incapable de prévoir l'endroit de leur apparition.
Deux heures. Le vent hurlait toujours, et dominant son hurlement je continuais d'entendre la voix de Luis Rengifo : « Hé, joufflu ! Rame un peu par là. » Elle m'arrivait avec une clarté parfaite, comme s'il eût été présent, à deux mètres de moi, cherchant à atteindre la rame. Je le savais : lorsque le vent hurle en mer ou que les vagues éclatent contre les falaises, l'homme continue d'entendre les voix de ceux dont il évoque la mémoire. Et cela avec une affolante persistance : « Hé, joufflu ! Rame un peu par là. »
À quatre heures de l'après-midi le vent se calma. Comme je ne voyais que l'eau et le ciel et ne disposais d'aucun point de repère, plus de deux heures s'écoulèrent avant que je ne me rendisse compte que la radeau avançait. En réalité, depuis le moment où j'avais sauté à son bord, il s'était mis à glisser en ligne droite, poussé par le vent, à une vitesse supérieure à celle que j'aurais pu lui communiquer en ramant. Pourtant, je ne pouvais déterminer ni ma direction ni ma position. J'ignorais si le radeau voguait vers la côte ou s'enfonçait dans la mer des Antilles. Cette dernière hypothèse me semblait la plus probable, car je jugeais vraiment impossible que la mer rejetât à terre une chose flottant à deux cents milles du littoral, surtout si cette chose était aussi lourde qu'un homme sur un radeau.
Durant les deux premières heures je suivis mentalement, minute par minute, le voyage du destroyer. « S'ils ont télégraphié à Carthagène, pensai-je, ils auront signalé le lieu exact de l'accident, et l'on a dû envoyer aussitôt des avions et des hélicoptères à notre recherche. » Je fis mes calculs : avant une heure les avions tourneraient au-dessus de ma tête.
À une heure de l'après-midi, je m'assis pour scruter l'horizon. Je détachai les trois rames et les rentrai contre la paroi intérieure, prêt à ramer dans la direction où les avions surgiraient. Minutes longues et fiévreuses. Le soleil torride m'empourprait, j'avais les épaules et les lèvres en feu, crevassées par le sel. Je n'éprouvais pourtant aucune envie de boire ou de manger. Mon seul besoin était de voir apparaître les avions. J'avais dressé un plan : lorsque je les apercevrais j'essayerais de ramer à leur rencontre, puis, quand ils me survoleraient, je me mettrais debout et je leur ferais des signaux avec ma chemise. Je l'avais déboutonnée, dans cette éventualité, pour ne pas perdre une minute, et je restai assis à même l'entablement, interrogeant l'horizon de tous côtés, incapable de prévoir l'endroit de leur apparition.
Deux heures. Le vent hurlait toujours, et dominant son hurlement je continuais d'entendre la voix de Luis Rengifo : « Hé, joufflu ! Rame un peu par là. » Elle m'arrivait avec une clarté parfaite, comme s'il eût été présent, à deux mètres de moi, cherchant à atteindre la rame. Je le savais : lorsque le vent hurle en mer ou que les vagues éclatent contre les falaises, l'homme continue d'entendre les voix de ceux dont il évoque la mémoire. Et cela avec une affolante persistance : « Hé, joufflu ! Rame un peu par là. »
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Odile nous propose sa traduction :
A quatre heures de l'après-midi, le vent se calma. Comme je ne voyais que l'eau et le ciel et n'avais aucun point de repère, plus de deux heures s'écoulèrent avant que je ne me rende compte que le radeau avançait. Mais en réalité, dès que j'avais sauté à son bord, il avait filé en ligne droite, poussé par le vent, à une vitesse supérieure à celle que j'aurais pu atteindre en ramant. Cependant, je n'avais pas la moindre idée de la direction ni de ma position. Je ne savais pas si le radeau voguait vers la côte ou vers l'intérieur de la mer Caraïbe. Ceci me paraissait le plus probable car je jugeais impossible que la mer rejetât vers la terre une chose qui en était éloignée de deux cents milles, moins encore si cette chose était aussi lourde qu'un homme sur un radeau. Pendant les deux premières heures, je suivis par la pensée, minute après minute, le voyage du destroyer. « S'ils ont télégraphié à Carthagène, pensé-je, ils auront donné la position exacte du lieu de l'accident, et aussitôt ils ont dû envoyer des avions et des hélicoptères pour nous porter secours ». Je fis mes calculs : avant une heure les avions tourneraient au-dessus de ma tête. A une heure de l'après-midi, je m'assis pour scruter l'horizon. Je détachai les trois rames et les mis à l' intérieur, prêt à ramer dans la direction vers laquelle apparaîtraient les avions. Les minutes étaient longues et intenses. Le soleil me grillait le visage et les épaules, les lèvres me brûlaient, crevassées par le sel. Mais à ce moment-là, je ne ressentais ni soif ni faim. Mon seul besoin était de voir apparaître les avions. J'avais déjà élaboré mon plan: lorsque je les apercevrais, j'essaierais de ramer vers eux, ensuite, lorsqu'ils seraient au-dessus de moi, je me mettrais debout et je leur ferais des signaux avec ma chemise. Pour être prêt et ne pas perdre une seule minute, je l'avais déboutonnée et restai assis sur le bord, scrutant l'horizon de tous côtés, n'ayant pas la moindre idée de l'endroit où ils apparaitraient . Deux heures. Le vent hurlait toujours et par dessus son hurlement, j'entendais encore la voix de Luis Rengifo: «Hé, gros, rame par là ». Je l'entendais très nettement, comme s'il avait été là, à deux mètres, essayant d'atteindre la rame. Mais je le savais: quand le vent hurle en mer, quand les vagues se brisent contre les falaises, on continue d'entendre les voix de ceux dont on se souvient. Et on continue même à les entendre avec une persistance qui rend fou: « Hé, gros, rame par là »
A quatre heures de l'après-midi, le vent se calma. Comme je ne voyais que l'eau et le ciel et n'avais aucun point de repère, plus de deux heures s'écoulèrent avant que je ne me rende compte que le radeau avançait. Mais en réalité, dès que j'avais sauté à son bord, il avait filé en ligne droite, poussé par le vent, à une vitesse supérieure à celle que j'aurais pu atteindre en ramant. Cependant, je n'avais pas la moindre idée de la direction ni de ma position. Je ne savais pas si le radeau voguait vers la côte ou vers l'intérieur de la mer Caraïbe. Ceci me paraissait le plus probable car je jugeais impossible que la mer rejetât vers la terre une chose qui en était éloignée de deux cents milles, moins encore si cette chose était aussi lourde qu'un homme sur un radeau. Pendant les deux premières heures, je suivis par la pensée, minute après minute, le voyage du destroyer. « S'ils ont télégraphié à Carthagène, pensé-je, ils auront donné la position exacte du lieu de l'accident, et aussitôt ils ont dû envoyer des avions et des hélicoptères pour nous porter secours ». Je fis mes calculs : avant une heure les avions tourneraient au-dessus de ma tête. A une heure de l'après-midi, je m'assis pour scruter l'horizon. Je détachai les trois rames et les mis à l' intérieur, prêt à ramer dans la direction vers laquelle apparaîtraient les avions. Les minutes étaient longues et intenses. Le soleil me grillait le visage et les épaules, les lèvres me brûlaient, crevassées par le sel. Mais à ce moment-là, je ne ressentais ni soif ni faim. Mon seul besoin était de voir apparaître les avions. J'avais déjà élaboré mon plan: lorsque je les apercevrais, j'essaierais de ramer vers eux, ensuite, lorsqu'ils seraient au-dessus de moi, je me mettrais debout et je leur ferais des signaux avec ma chemise. Pour être prêt et ne pas perdre une seule minute, je l'avais déboutonnée et restai assis sur le bord, scrutant l'horizon de tous côtés, n'ayant pas la moindre idée de l'endroit où ils apparaitraient . Deux heures. Le vent hurlait toujours et par dessus son hurlement, j'entendais encore la voix de Luis Rengifo: «Hé, gros, rame par là ». Je l'entendais très nettement, comme s'il avait été là, à deux mètres, essayant d'atteindre la rame. Mais je le savais: quand le vent hurle en mer, quand les vagues se brisent contre les falaises, on continue d'entendre les voix de ceux dont on se souvient. Et on continue même à les entendre avec une persistance qui rend fou: « Hé, gros, rame par là »
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