jeudi 30 octobre 2008

Devoirs de vacances, 5

En hommage à un autre Prix Nobel de Littérature… cette année au programme de l'Agrégation (enfin de retour !) avec l'incontournable Cien años de soledad (1967), voici un petit extrait de la nouvelle « La tercera resignación » (de 1947), qui est le premier texte de fiction écrit et publié par Gabriel García Márquez, alors âgé de 20 ans. Vous n'y retrouverez pas la flamboyante destinée des Buendía et de Macondo, mais à n'en pas douter (du moins si vous regardez de près… ce que vous ferez puisqu'en traduisant, vous allez plonger dans le meilleur exercice d'explication de texte possible) une archéologie fort instructive. Bonne lecture et plaisante traduction en ce "mal jueves de otoño". Heureux celui ou celle qui, comme moi, apportera ses dictionnaires et son ordinateur auprès d'un bon feu de cheminée.

« Estaba en su ataúd, listo a ser enterrado, y sin embargo, él sabía que no estaba muerto. Que si hubiera tratado de levantarse lo hubiera hecho con toda facilidad. Al menos “espiritualmente”. Pero no valía la pena. Era mejor dejarse morir allí; morirse de muerte que era su enfermedad. Hacía tiempo que el médico había dicho a su madre, secamente:
-Señora, su niño tiene una enfermedad grave: está muerto. Sin embargo -prosiguió- haremos todo lo posible por conservarle la vida más allá de su muerte. Lograremos que continúen sus funciones orgánicas por un complejo sistema de autonutrición. Sólo variarán las funciones motrices, los movimientos espontáneos. Sabremos de su vida por el crecimiento que continuará también normalmente. Es simplemente “una muerte viva”. Una real y verdadera muerte...
Recordaba las palabras pero confundidas. Tal vez no las oyó nunca y fue creación de su cerebro cuando subía la temperatura en las crisis de la fiebre tifoidea.
Cuando se sumergía en el delirio. Cuando leía la historia de los faraones embalsamados. Al subir la fiebre, él mismo se sentía protagonista de ella. Allí había empezado una especie de vacío en su vida. Desde entonces no podía distinguir, recordar, cuáles acontecimientos eran parte de su delirio y cuáles de su vida real. Por lo tanto, ahora dudaba. Tal vez el médico nunca habló de esa extraña “muerte viva”. Es ilógica, paradojal, sencillamente contradictoria. Y eso lo hacía sospechar ahora que, efectivamente, estaba muerto de verdad. Que hacía dieciocho años que lo estaba.
Desde entonces -en el tiempo de su muerte tenía siete años- su madre le mandó hacer un ataúd pequeño, de madera verde, un ataúd para un niño, pero el médico ordenó que le hicieran una caja más grande, una caja para un adulto normal, pues aquélla, pequeña, podría atrofiar el crecimiento y llegaría a ser un muerto deforme o un vivo anormal. O la detención del crecimiento impediría darse cuenta de la mejoría. En vista de aquella advertencia, su madre le hizo construir un ataúd grande, para un cadáver adulto, y le colocó tres almohadas a los pies, con el fin de ajustarlo.
Pronto empezó a crecer dentro de la caja, de tal manera que cada año podían sacarle un poco de lana a la almohada extrema para darle margen al crecimiento. Había pasado así media vida. Dieciocho años. (Ahora tenía veinticinco.) Y había llegado a su estatura definitiva, normal. El carpintero y el médico se equivocaron en el cálculo e hicieron el ataúd medio metro más grande. Supusieron que él tendría la estatura de su padre, que era un gigante semibárbaro. Pero no fue así. Lo único que de él heredó fue la barba poblada. Una barba azul, espesa, que su madre acostumbraba arreglar para verlo decentemente dentro de su ataúd. Esa barba le molestaba terriblemente en los días de calor. »

Gabriel García Márquez, "La tercera resignación", in Ojos de perro azul, Madrid, Mondadori, 1987, p. 12-13.

***

La traduction « officielle », par Annie Morvan, pour les éditions Grasset, 1991 :

Il était dans son cercueil, prêt à être enterré, et pourtant il savait qu'il n'était pas mort, que s'il avait tenté de se lever, il l'eût fait sans difficultés. « En esprit » du moins. Mais cela n'en valait pas la peine. Il était préférable de se laisser mourir, de mourir de sa maladie, qui s'appelait la mort. Jadis, le médecin avait dit à sa mère, d'un ton cassant :
« Madame, votre enfant est atteint d'une maladie très grave : la mort. Toutefois, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour le maintenir en vie après sa mort. Nous ferons en sorte que ses fonctions vitales se poursuivent grâce à un système autonuttrionnel complexe. Seuls évolueront les fonctions motrices et les mouvements réflexes. Nous saurons qu'il est en vie à sa croissance, qui sera normale. Il s'agit simplement d'une 'mort vivante'. Une mort authentique, une mort réelle. »
Il se souvenait confusément de ces mots. Peut-être ne les avait-il jamais entendus et n'avaient-ils été qu'une invention de son cerveau quand sa température montait sous les poussées de fièvre typhoïde et qu'il s'abîmait dans le délire. C'était au temps où il lisait l'histoire des pharaons embaumés. La fièvre montait et lui avec elle. C'était alors qu'il avait senti comme un vide. Depuis, il ne pouvait se rappeler ce qui s'était produit et moins encore distinguer les hallucinations des événements appartenant à la vie réelle. À présent, le doute s'était emparé de lui. Le médecin avait-il jamais parlé de « mort vivante » ? L'expression était paradoxale, tout bonnement contradictoire, dépourvue de toute logique. Voilà pourquoi il avait l'impression d'être bel et bien mort. De l'être depuis dix-huit ans.
À l'époque – il avait sept ans au moment de sa mort –, sa mère avait fait tailler un petit cercueil de bois vert, un cercueil d'enfant, mais le médecin avait conseillé qu'on lui en fît un plus grand, d'adulte, normal, car l'autre, trop petit, aurait pu entraver sa croissance et faire de lui un mort difforme ou un vivant contrefait. L'arrêt de sa croissance aurait empêché d'évaluer toute amélioration. En vertu de cet avertissement, sa mère avait commandé un grand cercueil, pour un cadavre adulte. Puis elle avait placé à ses pieds trois coussins, pour bien le caler.
Très vite, à l'intérieur de sa bière, il s'était mis à grandir, de sorte que tous les ans on ôtait un peu de laine au coussin du bout pour laisser libre cours à son développement. La moitié d'une vie s'était ainsi écoulée : dix-huit ans. Il en avait à présent vingt-cinq, et sa taille, définitive, était celle d'un adulte. Le menuisier et le médecin, croyant qu'il aurait la même taille que son père, un géant à demi barbare, s'étaient trompés dans leurs calculs et avaient fait un caisson trop long de cinquante centimètres. Or, il n'avait hérité de lui qu'une barbe touffue, épaisse et bleue, que sa mère peignait soigneusement pour que dans son cercueil il fût présentable. Les jours de chaleur, la barbe le gênait terriblement.

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Olivier nous propose sa traduction :

« Il était allongé dans son cercueil, sur le point d’être enterré, mais il savait, malgré ça, qu’il n’était pas mort. Que s’il avait tenté de se lever, il l’aurait fait le plus facilement du monde. Au moins « spirituellement ». Mais ça n’en valait pas la peine. Il valait mieux se laisser mourir là ; mourir de mort, puisque c’était ça sa maladie. Il y a longtemps que le médecin avait dit à sa mère, sèchement :
- Madame, votre enfant souffre d’une grave maladie : il est mort. Cependant - poursuivit-il - nous mettrons tout en oeuvre pour le garder en vie au-delà de sa mort. Nous ferons en sorte que ses fonctions organiques se maintiennent grâce à un système complexe d’auto-nutrition.
Il n’y a que les fonctions motrices qui changeront, les mouvements réflexes. Nous saurons qu’il est en vie en vérifiant sa croissance, puisqu’elle aussi, suivra son cours normal. C’est simplement « une mort vivante ». Une mort vraie et bien réelle...
Il se rappelait les mots, mais d’une façon indistincte. Peut-être qu’il ne les avait jamais entendus et que son cerveau les avait créés de toute pièce, sous l’empire de la température, pendant ses crises de fièvre tiphoïde.
Quand il sombrait dans le délire. Quand il lisait l’histoire des pharaons embaumés. Lorsque la température montait, il s’en sentait le propre protagoniste. C’est là qu’une espèce de vide s’était creusé dans sa vie. Depuis ce jour, il était incapable de se souvenir, de distinguer les faits qui appartenaient à son délire de ceux qui faisaient partie de sa vie réelle. C’est pour ça qu’il doutait, maintenant. Peut-être que le médecin n’avait jamais parlé de cette bizarre « mort vivante ». C’est illogique, paradoxal, tout simplement contradictoire. Et il soupçonnait maintenant, à cause de tout ça, qu’il était effectivement mort pour de bon. Que ça faisait dix-huit ans qu’il l’était. Ce jour-là – il avait sept ans à l’époque de sa mort- sa mère l’envoya faire fabriquer un petit cercueil, en bois vert, un cercueil pour un enfant, mais le médecin ordonna qu’on lui fasse une caisse plus grande, une caisse pour un adulte normal, parce que celle-là, la petite, risquait de l’empêcher de grandir et le convertirait en un mort difforme ou un vivant anormal. Ou l’arrêt de la croissance empêcherait de se rendre compte des progrès. Tenant compte de ces avertissements, sa mère lui fit construire un grand cercueil, pour un cadavre adulte, et elle plaça trois oreillers sous les pieds, pour compenser.
Il commença vite à grandir à l’intérieur de la caisse, de telle manière que tous les ans on pouvait retirer un peu de laine du dernier oreiller, comme marge de croissance. C’est comme ça qu’il avait passé la moitié de sa vie. Dix-huit ans. (Il en avait maintenant vingt-cinq.) Et il avait atteint sa taille définitive, normale. Le charpentier et le médecin se trompèrent dans leurs calculs et il fabriquèrent un cercueil cinquante centimètres trop grand. Ils supposèrent qu’il serait de la taille de son père, un géant moitié barbare. Mais ce ne fut pas le cas. La seule chose qu’il hérita de lui fut sa barbe fournie. Une barbe bleue, épaisse, que sa mère avait pris l’habitude de tailler pour qu’il soit décent dans son cercueil. Cette barbe le gênait terriblement les jours de grosse chaleur.

Laure L. nous propose sa traduction :

Il était dans son cercueil, prêt à être enterré, et malgré tout, il savait qu’il n’était pas mort. Car s’il avait essayé de se lever, il l’aurait fait avec toute la facilité du monde. Tout du moins « en esprit ». Mais ça n’en valait pas la peine. Il valait mieux se laisser mourir là, mourir de mort puisque c’était sa maladie. Cela faisait longtemps que le médecin avait dit sèchement à sa mère :
Madame, votre enfant a une maladie grave : il est mort. Cependant, continua-t-il, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver sa vie au-delà de la mort. Nous réussirons à maintenir ses fonctions organiques grâce à un système complexe d’autonutrition. Seules varieront les fonctions motrices, les mouvements spontanés. Nous saurons qu’il est en vie grâce à sa croissance qui se poursuivra, elle aussi, normalement. C’est juste une « mort vive ». Une mort réelle et vraie…
Il se souvenait des mots, mais en désordre. Il ne les avait peut-être jamais entendus et ça avait été une invention de son esprit quand sa température montait pendant les crises dues à la fièvre typhoïde. Quand il se noyait dans le délire. Quand il lisait l’histoire des pharaons embaumés. Quand la fièvre montait, il s’en sentait le protagoniste. Là, avait commencé une sorte de vide dans sa vie. Depuis lors il ne pouvait distinguer ou se rappeler quels événements faisaient partie de son délire et lesquels appartenaient à la vie réelle. Par conséquent maintenant il hésitait. Peut-être le médecin n’avait-il jamais parlé de cette « mort vive ». C’est illogique, paradoxal, simplement contradictoire. Et cela lui faisait supposer maintenant qu’en effet il était vraiment mort ; et cela faisait dix-huit ans qu’il l’était.
Après (au moment de sa mort il avait sept ans), sa mère avait fait faire un petit cercueil de bois vert, un cercueil pour enfant, mais le médecin ordonna qu’on lui fabrique une plus grande boite, une boite pour un adulte normal, car la petite pouvait entraver sa croissance et empêcherait de se rendre compte de son amélioration. Au vu de cet avertissement, sa mère lui fit construire un grand cercueil, pour un cadavre adulte, et posa à ses pieds trois oreillers pour l’installer commodément.
Alors il commença à grandir à l’intérieur de la boite, de telle sorte que chaque année on pouvait retirer un peu du rembourrage de l’oreiller du fond pour donner de la marge à sa croissance. Il avait passé ainsi la moitié de sa vie. Dix-huit ans. (Il avait maintenant vingt-cinq ans) ; et il était arrivé à sa taille définitive, sa taille d’adulte. Le charpentier et le médecin s’étaient trompés dans leurs calculs et avaient construit un cercueil de cinquante centimètres de trop. Ils avaient imaginé qu’il aurait la taille de son père, un géant à demi barbare. Mais il n’en fut pas ainsi. La seule chose qu’avait héritée de son père était sa barbe fournie. Une barbe bleue, épaisse, que sa mère avait l’habitude d’arranger pour qu’il soit présentable dans son cercueil. Cette barbe le gênait terriblement les jours de chaleur.

***

Odile nous propose sa traduction :

« Il était allongé dans son cercueil, prêt à être enterré, cependant, il savait qu'il n'était pas mort et que s'il avait voulu se lever, il l'eût fait le plus facilement du monde. « En esprit » du moins. Mais cela n'en valait pas la peine. Il était préférable de se laisser mourir là ; de mourir de sa maladie qui était la mort. Autrefois, le médeçin avait dit à sa mère sur un ton très sec :
- « Madame, votre enfant souffre d'une grave maladie : la mort. Néanmoins, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour le garder en vie au-delà de la mort. Nous ferons en sorte que ses fonctions vitales se maintiennent au moyen d'un système complexe d'auto-nutrition. Seules varieront les fonctions motrices et les mouvements spontanés. Nous saurons qu'il est en vie grâce à sa croissance qui se poursuivra normalement. Il s'agit tout simplement d'une « mort vivante ». Une mort vraie et bien réelle.... »
Il se souvenait confusément de ces mots. Peut-être ne les avait-il jamais entendus et n'avaient-ils été qu'une invention de son cerveau quand sa température montait lors des crises de fièvre thypoïde.
Quand il sombrait dans le délire. Ou quand il lisait l'histoire des pharaons embaumés. Pendant poussées de fièvre, il se sentait lui-même protagoniste de cette histoire. À partir de là, il avait ressenti comme un vide dans sa vie et depuis, il était incapable de se souvenir, de distinguer, parmi tous les événements, quels étaient ceux nés de son délire et ceux appartenant à la vie réelle. Aussi à présent, le doute s'était-il emparé de lui. Peut-être le médeçin n'avait-il jamais parlé de cette curieuse « mort vivante », illogique, paradoxale, tout simplement contradictoire. Maintenant, il soupçonnait qu'il était bel et bien mort. Qu'il l'était depuis dix-huit ans.
A l'époque – au moment de sa mort, il avait sept ans – sa mère commanda un petit cercueil, de bois vert, un cercueil d' enfant, mais le medeçin avait alors ordonné qu'on lui en fabriquât un plus grand, pour adulte, car l'autre, pourrait atrophier sa taille et faire de lui un mort difforme ou un vivant contrefait. L'arrêt de sa croissance empêcherait aussi d'évaluer toute amélioration de son état. Pour suivre ces recommandations, sa mère lui fit construire un grand cercueil, pour un cadavre d'adulte et plaça trois oreillers au bout de ses pieds afin de le caler au mieux.
Très vite, il s'était mis à grandir, de sorte que tous les ans il était nécessaire d'enlever un peu de laine à l'oreiller du bout pour permettre sa croissance. La moitié de sa vie s'était écoulée ainsi. Dix-huit ans. (Il avait maintenant vingt-cinq). Et il avait atteint sa taille définitive, une taille normale d'adulte. Le menuisier et le médeçin s'étaient trompés dans leurs calculs et le cercueil mesurait cinquante centimètres de trop. En effet, ils avaient estimé qu'il aurait la taille de son père, un géant à demi barbare. Mais il n'en fut rien. La seule chose qu'il hérita de lui fut sa barbe fournie. Une barbe bleue, épaisse, dont sa mère prenait soin afin qu'il soit décent dans son cercueil. Les jours de chaleur, cette barbe le gênait terriblement.

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