mercredi 2 avril 2014

Exercice d'écriture 21 – par Marie

« Lierre »

La façade de la maison était complètement cachée par les feuilles de lierre qui montaient jusqu’à la toiture ; il y aurait beaucoup de travail pour redonner à cette maison son aspect d’antan, mais Rémi s’était fait une promesse et il comptait bien s’y tenir.
En poussant la porte principale, une odeur de poussière et de bois vieilli me rappela les dimanches après-midi quand, avec mon père et mes sœurs, nous venions visiter cette demeure que l’on appelait entre nous « la maison de la grand-mère », car elle avait appartenu à la grand-mère de Papa. Il s’agissait donc en réalité de la maison de mon arrière grand-mère. Certaines pièces avaient gardé des ambiances et des souvenirs que je n’avais pourtant jamais vécu, mais qui étaient là tout autour de nous ; à travers ces veilles revues retrouvées dans le fond d’une armoire, dans ce verre en cristal laissé là sur une table du salon, dans ce broc d’eau en porcelaine de Gien ébréché à côté d’un lit à baldaquin, dans ce vieux tissu que le soleil avait jauni et qui se trouvait à présent à demi-raccroché sur une tringle elle-même mal fixée, dans ce vieux veston abandonné sur le dos d’une chaise… Cette maison vivait encore. Les grandes cheminées avaient été dépouillées de leur ornement en marbre et n’étaient plus que l’ombre de celles qu’elles avaient dû être. Pas de photographies pour nous aider à imaginer cette maison telle qu’elle était vraiment, juste un vieux daguerréotype que le temps avait déjà usé et sur lequel on ne voyait que la façade extérieure de la maison avec, devant, une toute petite bonne femme, bien droite, chapeau conique et talons hauts un demi-sourire aux lèvres. Cette femme semblait assez énigmatique. À entendre parler Papa, c’était pourtant quelqu’un de tout à fait transparent, et en même temps, tout un personnage. Elle avait perdu son unique frère pendant la Première Guerre mondiale et ne s’était jamais remise d’une telle perte. Elle avait été obligée, dans un souci matériel, de se marier et avait fait un mariage sans état d’âme ni implication personnelle ; néanmoins consciente qu’il lui fallait obéir à certains devoirs, elle s’en était acquittée et avait cessé, par exemple, de faire chambre commune dès qu’elle avait eu un fils, elle n’a eu d’ailleurs qu’un seul et unique enfant, mon grand-père. L’arrière grand-père, complètement fou d’elle, avait accepté tous ses caprices de son vivant et, à sa mort, lui avait légué toute sa fortune. Mon père, encore très jeune à la mort de son grand-père avait toujours connu sa grand-mère portant le deuil, « elle l’a porté jusqu’à sa mort », trente ans de deuil pour un homme qu’elle n’avait jamais aimé ? Pourquoi l’avait-elle fait ? Par souci des convenances ? Elle ne se souciait de rien ni de personne, elle montait à cheval à califourchon, cultivait son jardin juste parce qu’elle cela l’amusait, menait les ouvriers agricoles des terres de son mari d’une main de fer et n’allait à la messe le dimanche que lorsqu’elle en avait envie. C’était une femme pleine d’esprit et très puérile, mon père nous raconte souvent des souvenirs de jeux qu’il a avec elle, de vrais jeux au sens premier du terme, c’est-à-dire de jeux pour s’amuser, se divertir et non de jeux déguisés en jeux, mais qui se veulent plus « pédagogiques ». Peut-être que j’ai l’impression qu’il y a encore de la vie dans cette maison à cause des souvenirs racontés par mon père, des images que je crois percevoir, aujourd’hui encore, dans ses yeux quand il passe de pièce en pièce et touche certains objets en souriant. Parfois, j’imagine qu’il existe des petits films qui ont été tournés à l’époque et que l’on pourrait les retrouver juste en bougeant quelques pierres d’un mur, on pourrait alors s’asseoir et regarder ce qu’il s’est vraiment passé, voir ces lieux habités, voir tous ces gens parler, bouger, vivre… Si seulement… En attendant, il me faudrait réinventer cette maison selon mes goûts, mes préférences et donc, ce faisant, effacer forcément le passé pour recommencer à écrire une autre histoire. Il y a quelque chose de dramatique dans cet éternel recommencement… Et finalement, je ne suis pas sûr d’avoir envie d’y participer. 

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