dimanche 3 juillet 2011

Version pour le 02 juillet

Al aparecer Augusto a la puerta de su casa extendió el brazo derecho, con la mano palma abajo y abierta, y dirigiendo los ojos al cielo quedóse un momento parado en esta actitud estatuaria y augusta. No era que tomaba posesión del mundo exterior, sino era que observaba si llovía. Y al recibir en el dorso de la mano el frescor del lento orvallo frunció el sobrecejo. Y no era tampoco que le molestase la llovizna, sino el tener que abrir el paraguas. ¡Estaba tan elegante, tan esbelto, plegado y dentro de su funda! Un paraguas cerrado es tan elegante como es feo un paraguas abierto.
«Es una desgracia esto de tener que servirse uno de las cosas –pensó Augusto–; tener que usarlas, el use estropea y hasta destruye toda belleza. La función más noble de los objetos es la de ser contemplados. ¡Qué bella es una naranja antes de comida! Esto cambiará en el cielo cuando todo nuestro oficio se reduzca, o más bien se ensanche a contemplar a Dios y todas las cosas en Él. Aquí, en esta pobre vida, no nos cuidamos sino de servimos de Dios; pretendemos abrirlo, como a un paraguas, para que nos proteja de toda suerte de males.»
Díjose así y se agachó a recogerse los pantalones. Abrió el paraguas por fin y se quedó un momento suspenso y pensando: «y ahora, ¿hacia dónde voy?, ¿tiro a la derecha o a la izquierda?» Porque Augusto no era un caminante, sino un paseante de la vida. «Esperaré a que pase un perro ––se dijo–– y tomaré la dirección inicial que él tome.»
En esto pasó por la calle no un perro, sino una garrida moza, y tras de sus ojos se fue, como imantado y sin darse de ello cuenta, Augusto.
Y así una calle y otra y otra.
«Pero aquel chiquillo ––iba diciéndose Augusto, que más bien que pensaba hablaba consigo mismo––, ¿qué hará allí, tirado de bruces en el suelo? ¡Contemplar a alguna hormiga, de seguro! ¡La hormiga, ¡bah!, uno de los animales más hipócritas! Apenas hace sino pasearse y hacernos creer que trabaja. Es como ese gandul que va ahí, a paso de carga, codeando a todos aquellos con quienes se cruza, y no me cabe duda de que no tiene nada que hacer. ¡Qué ha de tener que hacer, hombre, qué ha de tener que hacer! Es un vago, un vago como... ¡No, yo no soy un vago! Mi imaginación no descansa. Los vagos son ellos, los que dicen que trabajan y no hacen sino aturdirse y ahogar el pensamiento. Porque, vamos a ver, ese mamarracho de chocolatero que se pone ahí, detrás de esa vidriera, a darle al rollo majadero, para que le veamos, ese exhibicionista del trabajo, ¿qué es sino un vago? Y a nosotros ¿qué nos importa que trabaje o no? ¡El trabajo! ¡El trabajo! ¡Hipocresía! Para trabajo el de ese pobre paralítico que va ahí medio arrastrándose... Pero ¿y qué sé yo? ¡Perdone, hermano! ––esto se lo dijo en voz alta––. ¿Hermano? ¿Hermano en qué? ¡En parálisis! Dicen que todos somos hijos de Adán. Y este, Joaquinito, ¿es también hijo de Adán? ¡Adiós, Joaquín! ¡Vaya, ya tenemos el inevitable automóvil, ruido y polvo! ¿Y qué se adelanta con suprimir así distancias? La manía de viajar viene de topofobía y no de filotopía; el que viaja mucho va huyendo de cada lugar que deja y no buscando cada lugar a que llega. Viajar... viajar... Qué chisme más molesto es el paraguas... Calla, ¿qué es esto ? »

Miguel de Unamuno, Niebla

***

Vanessa nous propose sa traduction :

Apparaissant à la porte de chez lui, Augusto tendit son bras droit, la main ouverte, paume vers le sol, et, dirigeant ses yeux au ciel, il demeura un moment dans cette attitude statuaire et auguste. Il ne prenait pas possession du monde extérieur, il cherchait seulement à savoir s'il pleuvait ou non. Alors, recevant sur le dos de sa main la fraîcheur du lent noroît, il fronça les sourcils. Ce n'est pas que la bruine le gênât ; c'était plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si raffiné, si svelte, ainsi plié et rangé dans sa housse ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu'est laid un parapluie ouvert. « C'est tout de même un comble que d'être obligé de se servir des choses — pensa Augusto —, que d'avoir à les utiliser, car leur utilisation détériore voire détruit toute beauté. Or la plus noble fonction des objets est d'être contemplés. Voyez comme une orange est belle, avant d'avoir été mangée ! Tout cela changera quand, une fois au ciel, notre travail sera réduit, ou plutôt s'étendra à la contemplation de Dieu et de toutes choses en lui. Ici-bas, dans cette triste vie, notre unique préoccupation est de nous servir de Dieu ; nous prétendons l'ouvrir, tel un parapluie, pour qu'il nous protège de toute sorte de maux. » Sur ces mots, il se pencha pour retrousser le bas de son pantalon. Il ouvrit finalement son parapluie et resta un moment en suspens, réfléchissant : « Et maintenant, vers où aller ? Est-ce que je prends à droite ou à gauche ? » Parce qu'Augusto n'était pas un marcheur, c'était plutôt un promeneur de la vie. « J'attendrai que passe un chien — décida-il — et j'emprunterai la première direction qu'il prendra. » Là-dessus passa dans la rue non pas un chien, mais une élégante jeune femme, et derrière ses yeux partit Augusto, comme aimanté et sans même s'en rendre compte. Ainsi une rue, puis une autre et encore une autre. « Et ce gamin — se disait Augusto, qui, plutôt que de penser, se parlait à lui-même — qu'est-ce qu'il peut bien faire là, à genoux par terre ? Ah, sûrement observe-t-il une fourmi ! La fourmi... bah, un des animaux les plus hypocrites qui soient ! Que fait-elle d'autre, outre se promener et nous faire croire qu'elle travaille ? C'est comme ce flemmard qui passe là-bas, au pas de charge, bousculant tous ceux qui se trouvent sur son passage, je doute qu'il ait quelque chose à faire. Qu'est-ce qu'il pourrait bien avoir à faire, je vous le demande ? Ce n'est qu'un fainéant, un fainéant, tout comme... Non ! Je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose jamais. Les fainéants, ce sont eux, ceux qui prétendent travailler alors qu'ils ne font que s'abrutir et noyer leur pensée. Parce que, je vais vous dire, moi, ce pauvre bougre de chocolatier qui se tient là-bas, derrière sa vitrine... et que je te manipule cet idiot de rouleau à pâtisserie, juste pour qu'on le voie... eh bien, cet exhibitionniste du travail, qu'est-il sinon un fainéant ? Et qu'est-ce que ça peut bien nous faire, à nous, qu'il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Quelle hypocrisie ! Est-ce qu'il travaille, ce pauvre paralytique, à moitié en train de se traîner ? Et pire encore, que sais-je... Pardon, mon frère ! — il prononça cela à voix haute. — Mon frère ? Mon frère en paralysie, oui ! Ils affirment qu'on descend tous d'Adam. Alors celui-là, Joaquinito, est-ce aussi un fils d'Adam ? Au revoir, Joaquín ! Allons donc, voilà maintenant l'inéluctable automobile, qui n'est que bruit et poussière ! Qui peut prétendre ainsi supprimer les distances ? Cette manie de voyager, ça vient de la topophobie, pas de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit toujours le lieu qu'il laisse et ne cherche jamais à arriver à l'endroit où il arrive. Voyager... voyager... Oh, il n'y a pas babiole plus agaçante qu'un parapluie... Tais-toi donc, qu'est-ce que c'est que ça ?

***

Bruno nous propose sa traduction :

En apparaissant sur le pas de la porte de sa maison, Augusto étendit son bras droit, la paume de sa main ouverte vers le bas, et levant les yeux au ciel, il resta un moment figé dans cette attitude auguste, tel une statue. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais il observait s’il pleuvait. Et en recevant la fraicheur de la lente bruine sur le dos de sa main, il fronça les sourcils. Et ce n’était pas tant la bruine qui le dérangeait mais le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« C’est un malheur que d’être obligé de se servir des choses -pensa Augusto- d’être obligé de les utiliser, l’utilisation abîme et même détruit toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée ! Cela doit changer dans le ciel, quand tout notre office doit se réduire, ou plutôt s’élargir à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous n’occupons notre temps qu’à nous servir de Dieu; nous tentons de l’ouvrir comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toutes sortes de maux. » Ainsi se parla-t-il à lui-même et il se baissa pour arranger son pantalon. Enfin il ouvrit son parapluie et resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, vers où vais-je aller ? Je prends à droite ou à gauche? » Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe- se dit-il- et je prendrai la première direction qu’il prendra. » Sur ces entrefaites, il passa dans la rue non pas un chien, mais une élégante jeune femme, et au derrière de ses yeux Augusto s’en alla, comme aimanté et sans s‘en rendre compte. Et ainsi une rue, et une autre, puis une autre encore. « Mais ce gamin -était en train de se dire Augusto, qui, bien plus qu’il ne pensait, se parlait à lui-même – que fait-il là, allongé à plat ventre sur le sol ? Regarder quelque fourmi, à coup sûr ! La fourmi , bah ! Un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait presque que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui passe là, au pas de charge, en poussant du coude tous ceux qu’il croise, et cela ne me fait aucun doute qu’il n’a rien à faire. Que doit-il avoir à faire, hein ? Que doit-il avoir à faire ? C’est un fainéant , un fainéant comme… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent et ne font rien à part s’abrutir et étouffer leur pensée. Parce que, voyons voir, ce fantoche de chocolatier qui se met là, derrière sa vitrine, à se servir de son rouleau à pâtisserie, pour que nous le voyons, cet exhibitionniste du travail, qu’est-ce qu’il est s’il n’est pas un fainéant ? Et nous, qu’est ce que ça nous importe qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! En voilà un travail, celui de ce pauvre paralytique qui avance là en se traînant à moitié … Mais, et qu’est-ce que j’en sais, moi ? Pardon, mon frère ! –cela il le lui dit à voix haute- Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! On dit que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-ci, Joaquinito, c’est aussi un fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Bon sang, voilà maintenant l’inévitable voiture, bruit et poussière ! Et que double-t-elle à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup s’en va en fuyant chaque lieu qu’il laisse, et non en cherchant chaque lieu où il arrive. Voyager… voyager… Quel truc vraiment embarrassant c’est, le parapluie… Non mais, la ferme! »

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Annabelle nous propose sa traduction :

Lorsqu'Augusto apparut à la porte de sa maison, il tendit le bras droit, avec la main ouverte, paume vers le bas et, levant ses yeux au ciel, il resta un moment figé dans cette attitude statuaire et auguste. Ce n'était pas qu'il prenait possession du monde extérieur, mais qu'il observait s'il pleuvait. Et, en recevant sur le dos de la main la fraîcheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Et ce n'était pas non plus la bruine qui le dérangeait, mais le fait de devoir ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son étui! Un parapluie fermé est aussi élégant qu'un parapluie ouvert est laid.
« Quelle malchance c'est de devoir se servir des choses – pensa Augusto – ; de devoir les utiliser, l'utilisation abîme et même détruit toute beauté. La fonction la plus noble des objets est d'être contemplés. Comme une orange est belle avant d'être mangée! Cela changera dans le ciel si notre travail se réduit, ou plutôt s'élargit à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne nous occupons que de nous servir de Dieu ; nous essayons de l'ouvrir, comme un parapluie, pour qu'il nous protège de toutes sortes de maux. »
Il parla ainsi et il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et il resta un moment perplexe en se demandant : « et maintenant, où je vais? Je tourne à droite ou à gauche? En effet Augusto n'était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J'attendrai qu'un chien passe – se dit-il – et je prendrai la direction initiale qu'il prendra. »
Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa dans la rue mais une superbe jeune fille et, comme attiré par un aimant et sans s'en rendre compte, Augusto suivit ses yeux.
D'abord une rue, une autre, puis une autre.
« Mais ce gamin – était en train de se dire Augusto, qui se parlait plutôt qu'il ne pensait en lui même – qu'allait-il faire là, étalé de tout son long sur le sol? Contempler quelque fourmi, sûrement! La fourmi, bah!, l'un des animaux les plus hypocrites! C'est à peine si elle fait autre chose que de se promener et de nous faire croire qu'elle travaille. Elle est comme ce flemmard qui passe là-bas, au pas de charge, bousculant tous ceux qu'il croise, et je suis certain qu'il n'a rien à faire! Qu'est-ce qu'il peut avoir à faire, hein, qu'est-ce qu'il peut avoir à faire! C'est un fainéant, un fainéant comme … Non, je ne suis pas un fainéant! Mon imagination est sans repos. Ce sont eux les fainéants, ceux qui disent qu'ils travaillent et qui ne font que s'abrutir et étouffer la pensée. Car, nous allons le voir, ce pauvre type de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, s'adonnant au pilon, pour que nous le voyions, cet exhibitionniste du travail, qu'est-il d'autre qu'un fainéant? Et nous, qu'est-ce que cela nous fait, qu'il travaille ou non? Le travail! Le travail! Hypocrisie! Comme travail celui de ce pauvre paralytique qui y va en se traînant à moitié... Mais, qu'est ce que j'en sais? Pardonne-moi, mon frère! – il se dit ceci à haute voix. Mon frère? Frère de quoi? De paralysie! On dit que nous sommes tous fils d'Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi fils d'Adam? Adieu, Joaquín! Allez, nous avons déjà l'inévitable automobile, le bruit et la poussière! Et qu'est-ce qui progresse en supprimant ainsi les distances? La folie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit de chaque lieu qu'il quitte et ne cherche pas chaque lieu auquel il arrive. Voyager... voyager... Quel truc gênant que le parapluie... Tais-toi, qu'est-ce que c'est ? »

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Perrine nous propose sa traduction :

En franchissant le seuil de sa maison, Augusto tendit le bras droit avec la paume de sa main ouverte tournée vers le sol, puis, les yeux levés au ciel, il demeura un moment immobile dans cette attitude statuaire et auguste. On ne pouvait pas dire qu’il prenait possession du monde extérieur, non, en réalité, il regardait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de sa main la fraîcheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Et on ne pouvait pas dire non plus que c’était la bruine qui le dérangeait, mais plutôt le fait d’ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié dans sa housse ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert n’est laid. « Cela est vraiment dommage que l’on doive se servir des choses – songea Augusto –, que l’on doive les utiliser, car l’utilisation détériore et va même jusqu’à détruire toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Qu’une orange est belle avant d’être mangée ! Tout cela changera dans le ciel lorsque tout notre travail se réduira, ou plus exactement s’agrandira à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne prenons pas soin de nous, mais avons plutôt tendance à nous servir de Dieu ; nous cherchons à l’ouvrir, comme un parapluie, afin qu’il nous protège de toutes sortes de maux. » Sa réflexion achevée, il s’accroupit pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin son parapluie et resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, vers où me dirigé-je ? Vais-je à droite ou à gauche ? » Parce qu’Augusto n’était pas un marcheur, mais plutôt un flâneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien ne passe – se dit-il – et je suivrai la direction initiale qu’il prendra. » Sur ces entrefaites passa non pas un chien, mais une élégante jeune fille, et derrière ses yeux, comme aimanté et sans s’en rendre compte, Augusto se mit en route. Et c’est de cette façon qu’il traversa une rue, puis une autre, et une autre encore. « Mais ce petit garçon – réfléchissait Augusto, qui davantage que de penser parlait avec lui-même –, que faisait-il là, allongé à plat ventre sur le sol ? Il devait contempler une quelconque fourmi, c’est certain ! La fourmi, beurk, un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait rien d’autre que de se promener et de nous faire croire qu’elle travaille. Elle est comme ce faignant qui marche là, au pas de charge, poussant du coude tous ceux qu’il croise sur son chemin, et je suis sûr qu’il n’a rien à faire. Que peut-il bien avoir à faire, hein, que peut-il bien avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant tel… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination est sans limites. Les fainéants ce sont eux, ceux qui prétendent travailler mais qui ne font rien d’autre que d’étourdir et réprimer leurs pensées. Parce que vous savez, cet imbécile de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, à se pavaner, cet idiot, pour que nous l’admirions, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et à nous, qu’est-ce que cela nous fait qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Par travail j’entends celui de ce pauvre paralytique que l’on voit là, se traînant à moitié… Mais que sais-je, moi ? Pardonnez-moi, mon frère ! – cela, il le dit à voix haute –. Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! On dit que nous sommes tous fils d’Adam. Et celui-là, Joaquinito, est-il aussi fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Ҫa alors ! Nous sommes à présent en possession de l’inévitable automobile, source de bruit et de poussière ! Et qu’est-ce qui s’approche dans l’intention de supprimer de cette manière les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie, et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit peu à peu tous les lieux qu’il quitte, au lieu de chercher tous les lieux qu’il rejoint. Voyager… voyager… Quelle bricole vraiment pénible, le parapluie !… Tais-toi, qu’est-ce que c’est que ça ?



***

Léa nous propose sa traduction :

En apparaissant à la porte de sa maison, Auguste étendit le bras droit, avec la paume de la main vers le bas et ouverte, et dirigeant les yeux vers le ciel il resta un moment figé dans cette attitude statuaire et auguste. Il ne s’agissait pas de prendre possession du monde extérieur, mais d’observer s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de la main la fraicheur des lentes gouttes d’eau il fronça les sourcils. Et ce n’était pas non plus que la bruine le dérangeait, mais le fait de devoir ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et à l’intérieur de son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« Quel malheur de devoir se servir des choses -pensa Auguste- ; devoir les utiliser, l’utilisation abime et détruit même toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Que c’est beau une orange avant d’être mangée ! Cela changera au ciel lorsque toute notre fonction se réduira, ou plutôt s’étendra à la contemplation de Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne nous soucions pas de nous mais de servir Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, afin qu’il nous protège de toute sorte de maux ».
Il se dit ainsi et se baissa pour attacher les pantalons. Il ouvrit finalement le parapluie et resta un moment suspendu et pensant : « et maintenant, vers où je vais ?, je me dirige vers la droite ou vers la gauche ? ». Car Auguste n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie.
« J’attendrai que passe un chien- se dit-il- et je prendrai la direction initiale qu’il prendra. »
C’est la que passa dans la rue non un chien, mais une jeune femme élégante, et derrière ses yeux, Auguste fut comme aimanté et sans s’en rendre compte. Et ainsi une rue et une autre et une autre.
« Mais ce gamin- se disait Auguste, qui plutôt que penser se parlait à lui-même -, que fera- t’il ici, étendu à plat ventre sur le sol ? Contempler quelque fourmi, sûrement ! La fourmi, bah !, un des animaux les plus hypocrites ! C’est à peine si elle se promène et elle veut nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui va la, à pas de charge, poussant du coude tous ceux qu’il croise, et je n’ai pas de doute sur le fait qu’il n’ait rien à faire. Que doit-il faire, tiens, que doit-il faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent et ils ne font qu’être étourdis et noyer leur pensée. Car, voyons, ce pauvre- type de chocolatier qui se pose ici, derrière ce vitrage, à se mettre au rouleau idiot, pour que nous le voyions, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et nous ? Que nous importe- t’il qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Pour le travail de ce pauvre paralytique qui vient ici se trainant à moitié.. Mais que sais-je moi ? Pardonne- moi, mon frère !- il se dit cela à voix haute- Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! Ils disent que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi le fils d’Adam ? Adieu, Joaquin ! Va, nous avons déjà l’inévitable automobile, bruit et poussière ! Et qu’est ce qui s’avance à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque lieu qu’il laisse et ne cherche pas chaque lieu dans lequel il arrive. Voyager.. voyager.. Quelle babiole si ennuyeuse est le parapluie.. Tais- toi, qu’est ce que c’est ? »

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Elena nous propose sa traduction :

En sortant, sur le seuil de sa porte, Augusto tendit son bras droit, avec sa main ouverte et la paume vers le bas, et les yeux levés vers le ciel, il resta un moment debout dans une attitude statuaire et auguste. Non pas qu’il prit possession du monde extérieur, mais il observait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de sa main la fraicheur de la lente bruine, il fronça les sourcils. Ce n’était pas non plus que le crachin le dérangeait, mais plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié, dans son fourreau! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid. « C’est un malheur que l’on soit obligé de se servir des choses – pensa Augusto – ; devoir les utiliser, l’utilisation abime et détruit toute leur beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée! Ceci changera au ciel, quand notre principal métier se réduira, ou plutôt s’élargira à la contemplation de Dieu et de toutes les choses en Lui. Ici-bas, dans cette pauvre vie, nous nous soucions uniquement de nous servir de Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, tel un parapluie, pour qu’il nous protège de tous les maux. »

Il se dit ceci, il se pencha pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin son parapluie et il resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, où vais-je ? Plutôt vers la droite ou vers la gauche ? » Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J’attendrais qu’un chien passe – se dit-il – et je prendrai la direction initiale qu'il prendra. »

Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa, mais une charmante jeune fille, et Augusto partit en suivant ses yeux comme étant aimanté et sans même s’en apercevoir.

Ce fut ainsi une rue et une autre et encore une autre.

« Mais ce gamin – se disait Augusto, qui se parlait lui-même plutôt qu'il ne pensait – que fait-il là, étalé par terre à plat ventre? Il doit sûrement contempler une fourmi ! La fourmi, bah !, l’un des animaux le plus hypocrites ! Elle ne fait que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce flâneur qui passe là-bas, à pas de charge, en poussant du coude tous ceux qu’il croise, je n’ai le moindre doute qu’il n’a absolument rien à faire. Qu’est-ce qu’il pourrait avoir à faire, hein, qu’est-ce qu’il pourrait avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, je ne suis pas un fainéant, moi ! Mon imagination n’a pas de repos. Ce sont eux les fainéants, ceux qui disent qui travaillent et qui ne font que s’étourdir et étouffer la pensée. Parce que, voyons voir, cet imbécile de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, pour qu’on le voie s’affairer avec son rouleau à pâtisserie, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un flemmard ? Et nous, qu’est-ce que ça peut nous faire qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Travail est celui de ce pauvre paralytique qui va là en se trainant à moitié... Mais que sais-je? Pardonne- moi, mon frère !- ceci, il le dit à haute voix – Mon frère? Frère de quoi? De paralysie! On dit que nous sommes tous fils d'Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi fils d'Adam? Au revoir, Joaquín! Zut, voilà que nous avons déjà l'inévitable automobile, du bruit et de la poussière! Et qu'elle est le progrès à supprimer ainsi les distances? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque endroit qu'il quitte et ne cherche pas chaque lieu auquel il arrive. Voyager... voyager... Quel machin gênant que le parapluie... Tais-toi, qu'est-ce que c'est que ça? »

1 commentaire:

Annabelle a dit…

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