samedi 31 janvier 2009

À l'intention d'Isabelle, Fernando et des autres, peut-être…

Vous qui ne connaissez pas le fonctionnement de notre blog, sachez que je publie les traductions des textes proposés à mesure qu'elles m'arrivent par mail… (vous, vous pouvez m'écrire à : Traducto.Lepage@gmail.com). Pour l'heure, j'en ai reçu deux : celle d'Olivier et celle de Brigitte. Elle figurent à la suite de la V.O. (c'est-à-dire dans le message de départ). Chacun a ensuite la possibilité de faire des commentaires, de poser des questions, d'exposer ses doutes, etc. L'essentiel, comme je l'ai dit, est de s'en tenir à un travail de traduction… Il ne s'agit aucunement d'évaluer le sujet, de proposer un pré-rapport, de poser les bases d'une grille de notation. Ce qui veut dire que vous ne devez pas préjuger de votre note à partir de nos échanges. Vous savez bien que les impératifs d'un concours et ceux que s'impose à lui-même un traducteur littéraire, guidé par une éthique particulière, etc., ne sont pas les mêmes, qu'on s'en étonne ou qu'on le déplore. Disons que votre sujet nous donne l'occasion de discuter amicalement… entre passionnés de la traduction.

Références culturelles, 23 : Babalaos

En photo : Ochun par priscilla.mora

Pour prolonger le post d'hier : los babalaos

Pris sur le site : http://www.angelfire.com/me/ZayXena/babalaos.html

Curanderos, adivinos, dueños de los misterios

Los Babalaos, Padres y Guardianes del Secreto, son los embajadores mayores de una religión que remonta sus orígenes al Africa ancestral, al orgulloso pueblo de los yorubas. De ellos América Latina ha heredado mitos y costumbres religiosas aunadas durante la Colonia al imaginario cristiano. Sus ritos de adivinación, las fuerzas espirituales que guían a la naturaleza y al hombre (Yemayá, Ochún, Ifá, Orula).

Desde el país Yoruba

La institución de los Babalaos es parte de una tradición que proviene del país Yoruba en Nigeria. La tradición establecía que el derecho a ejercer funciones sacerdotales sólo les era permitido a los príncipes y grandes señores de mucho prestigio y autoridad, pues sólo ellos conocían los secretos de la iniciación.

Con la migración, la clase sacerdotal desapareció y con ella las formas elaboradas y coherentes que tenía en Africa.

Cuando la tradición resurge en América, trata de mantener los usos y costumbres de su país de origen, pero mezclada con elementos de origen diverso. Copiando las normas y ritualidades de los Babalaos, las tradiciones africanas tuvieron supervivencia en Cuba con renovado vigor, pues servían para reafirmar a los esclavos en su identidad y legitimidad.

Tal como otras manifestaciones culturales de los esclavos, esta institución consiguió el terreno propicio para su desarrollo en los villorrios que rodeaban las grandes plantaciones, especialmente en los ingenios azucareros. En una amalgama con los ritos europeos e indígenas, constituyeron la peculiar cultura negra de América.

Un Babalao por su carácter religioso es un sacerdote dedicado al culto a Orula, por pertenecer a una jerarquía superior dentro de la Santería, cuya función consiste en eso.

Orúla, el dueño de los secretos

Babalao quiere decir el padre de los secretos, o el dueño de los secretos, aunque ése es el nombre literal. Yo me llamo el traductor de un oráculo, el oráculo de Ifá, porque es lo que somos nosotros, unos traductores del oráculo de Ifá. A las consagraciones que tenemos podemos sacarles un provecho máximo, una intuición, una inspiración, un contacto directo con Orúla, con la fuerza, para interpretar ese oráculo.

Orúla es el padre de los secretos que llaman el Babalao uno, Orúla es la fuerza, Orúla es el santo. Ifá es el sistema, todo el mundo anda con la tabla, la tabla es esto (una tabla redonda, sin signos evidentes), eso no te dice nada, el oráculo de Ifá es el componente de símbolos que te dice qué va a pasar en la vida de la persona, qué es lo que hay en le pasado, en el presente, en el futuro.

La función principal del babalao es salvar la vida de la persona por medio de la consulta... Hacemos los trabajos mayores que pueden existir en esta religión, como los exorcismos, para sacar espíritus oscuros de un cuerpo, curar enfermos, dar Elegguá y los guerreros, que es otra de las funciones principalísimas, dar el santo principal que es Elegguá y los guerreros, el Ildefá y el Collar de Orúla, hacemos rogaciones de cabeza, las más importantes, que son las de pescado y animales, etc.

Consagramos la ceremonia del santo, consagramos como dicen algunos hacer la matanza quiere decir hacer el sacrificio de los animales, cuando una persona se va a consagrar en santo, eso nos toca a nosotros y consagramos a los hombres como Babalao, o sea, nosotros no hacemos santo, no le hacemos consagración de hombre a hombre.

Petit message

La version d'aujourd'hui étant assez courte, je vous invite à faire également ou, le cas échéant, en priorité, celle proposée hier à l'agrégation interne. J'ai assuré notre visiteuse, Isabelle (cf commentaire au texte de Carmen Martín Gaite), que nous mettrions notre grain de sel dans cette histoire-là. Brigitte, Olivier, Nathalie, Laure L., Laure G., Laëtitia, Blandine, Jacqueline, les apprentis traducteurs du M2, mais aussi Eva, Aurélie, Vanessa, Alexandra… les amis de la traduction du groupe 2 de CAPES, montrez ce que vous savez faire !

Version d'entraînement, 5 (carlos Fuentes), 1


El chac mool, 1
En photo : carlos fuentes par [urbanitas]

Hace poco tiempo, Filiberto murió ahogado en Acapulco. Sucedió en Semana Santa. Aunque despedido de su empleo en la Secretaría, Filiberto no pudo resistir la tentación burocrática de ir, como todos los años, a la pensión alemana, comer el choucrout endulzado por el sudor de la cocina tropical, bailar el sábado de gloria en La Quebrada, y sen-tirse “gente conocida” en el oscuro anonimato vespertino de la Playa de Hornos. Claro, sabíamos que en su juventud había nadado bien, pero ahora, a los cuarenta, y tan desmejorado como se le veía, ¡intentar salvar, y a medianoche, un trecho tan largo! Frau Müller no permitió que se velara -cliente tan antiguo-. en la pensión; por el contrario, esa noche organizó un baile en la terracita sofocada, mientras Filiberto espe-raba, muy pálido en su caja, a que saliera el camión matutino de la terminal, y pasó acompañado de huacales y fardos la primera noche de su nueva vida. Cuando llegué, temprano, a vigilar el embarque del féretro, Filiberto estaba bajo un túmulo de cocos; el chofer dijo que lo acomodáramos rápidamente en el toldo y lo cubriéramos de lonas, para que no se espantaran los pasajeros, y a ver si no le habíamos echado la sal al viaje.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Il y a peu de temps, Filiberto était mort noyé à Acapulco. Ca s’était passé en pleine Semaine Sainte. Bien que congédié de son emploi au Secrétariat, Filiberto n’avait pas pu résister à la tentation bureaucratique de se rendre, comme chaque année, à la pension allemande, pour y déguster la choucroute adoucie par la sueur de la cuisine tropicale, danser le jour du samedi saint à la Quebrada, et se sentir «une célébrité» dans l’obscur anonymat d’une après-midi à Playa de Hornos. Bien sûr, nous savions tous que pendant sa jeunesse il nageait très bien, mais maintenant, à quarante ans, et aussi affaibli qu’il paraissait, essayer de porter secours, et en pleine nuit, une si longue distance ! Frau Müller n’avait pas permis la veillée funèbre dans la pension – un si vieux client -; bien au contraire, cette nuit-là, elle avait organisé un bal sur la petite terrasse bondée, pendant que Filiberto, tout pâle dans sa boîte, attendait que démarre du terminal le premier camion du matin, et il passa en compagnie de cageots et de paquets la première nuit de sa nouvelle vie. Lorsque je suis arrivé, de bonne heure, pour surveiller l’embarquement du cercueil, Filiberto se trouvait sous un amas de noix de cocos; le chauffeur nous dit de l’installer rapidement et de le recouvrir de bâches, pour que les passagers ne soient pas effrayés, et histoire que nous ne jetions pas un mauvais sort sur le voyage.

***

Thomas – étudiant du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction… courageusement, puisque dit-il, il n'est pas très sûr du résultat.
L'important est de se lancer, cher ami !

Il y a peu, Filiberto est mort noyé à Acapulco. C'est arrivé en Semaine Sainte. Bien que mis à la porte de son travail au Ministère, Filiberto ne put résister à la tentation bureaucratique d'aller, comme tous les ans, à la pension allemande, manger la choucroute adoucie par la sueur de la cuisine tropicale, danser de bonheur le samedi à La Quebrada, et se sen-tir « people » dans l'obscur anonymat vespéral de la Playa de Hornos. Bien sûr, on savait que dans sa jeunesse il avait été bon nageur, mais maintenant, à quarante ans, et aussi déglingué qu'il paraissait, tenter de rattraper, et à minuit en plus, autant de temps perdu! Frau Müller ne permit pas qu'on veillât -un client si ancien- dans la pension; au contraire, cette nuit-là, il organisa un bal sur la petite terrasse suffocante, pendant que Filiberto atten-dait, bien pâle dans sa boîte, que sortît le camion matinal du terminus, et il passa la première nuit de sa nouvelle vie en compagnie de cageots et de ballots.
Quand j'arrivai, tôt, pour surveiller l'embarquement du cercueil, Filiberto se trouvait sous un catafalque de noix de cocos; le chauffeur dit qu'on allait l'installer rapidement sous le parasol et qu'on allait le couvrir de bâches, pour que les passagers ne soient pas effrayés, et on verrait bien si le voyage ne manquait pas de piment.

***

Laure nous propose sa traduction :

Il y a peu, Filiberto est mort noyé à Acapulco. C’est arrivé pendant la semaine sainte. Bien que renvoyé de son poste au secrétariat, Filiberto n’a pas pu résister à la tentation bureaucratique de se rendre, comme tous les ans, à la pension allemande manger la choucroute adoucie par la sueur de la cuisine tropicale, danser le Samedi Saint à la Quebrada et se sentir un « V.I.P » dans l’obscur anonymat de l’après midi à la Playa de Hornos . Bien sûr nous savions que dans sa jeunesse il nageait remarquablement, mais à présent, à quarante ans, l’air tellement diminué, tenter un sauvetage, et à minuit en sus, sur une distance aussi longue ! Frau Müller n’a pas permit que l’on veille – un client si fidèle - dans la pension; au contraire, cette nuit elle a organisé un bal sur la terrasse étouffante, pendant que Filiberto attendait, très pâle dans sa boîte, que le bus du matin sorte de la gare routière, et il a passé la première nuit de sa nouvelle vie accompagné de cageots et de ballots. Quand je suis arrivé, tôt, pour vérifier le chargement du cercueil, Filiberto était sous une montagne de noix de cocos ; le chauffeur a proposé qu’on l’installe rapidement sur la bâche et qu’on le recouvre de toile, pour ne pas effrayer les passagers ; on verrait si on n’avait pas porté la poisse à ce voyage.

***

Odile nous propose sa traduction :

Il n'y a pas longtemps, Filiberto est mort noyé à Acapulco. C'est arrivé pendant la Semaine Sainte. Même s'il avait été licencié de son emploi au Ministère, Filiberto n'avait pu résister à la tentation bureaucratique de se rendre, comme tous les ans, à la pension allemande, pour manger la choucroute un peu adoucie par la chaleur de la cuisine tropicale, et danser, le samedi saint, à La Quebrada, et se sentir «une célébrité » dans l'obscur anonymat vespéral de la Plage de Hornos. Bien sûr, nous savions que dans sa jeunesse il avait été bon nageur, mais maintenant, à la quarantaine, si affaibli comme il l'était, essayer de le sauver, et à minuit encore, et si loin du bord!
Fraü Muller ne permit pas qu'on le veillât- un si vieux client- à la pension; tout au contraire, cette-nuit là, elle organisa un bal sur la petite terrasse surchauffée, tandis que Filiberto attendait, très pâle dans sa caisse, qu'arrive le camion matinal de la compagnie de transports , et passa la première nuit de sa nouvelle vie, en compagnie de cageots et de ballots. Lorsque j'arrivai, très tôt, pour surveiller l'embarquement du cercueil, Filiberto se trouvait sous un tumulus de noix de coco; le chauffeur nous dit de le disposer rapidement sous la bâche et de le recouvrir de toiles, afin que les passagers ne soient pas effrayés, espérant, ajouta-t-il, que nous ne ne porterions pas malheur au voyage.

***

Alexandra – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Il y a peu de temps, Filiberto mourut noyé à Acapulco. Cela arriva pendant la Semaine Sainte. Bien que renvoyé de son travail au Secrétariat, Filiberto ne put résister à la tentation bureaucratique de se rendre, comme tous les ans, à la pension allemande pour manger de la choucroute adoucie par la sueur de la cuisine tropicale, pour danser le samedi de fête à la Quebrada, et pour se sentir tel « une célébrité » dans l'obscure anonymat de la soirée à la « Playa de Hornos ». C'est sûr, on savait que dans sa jeunesse il nageait bien, mais à présent, à quarante ans, qui plus est désavantagé comme on le pouvait le voir, il essaya de parcourir, à minuit en plus, une distance aussi longue ! Frau Muller ne permit pas que l'on s'occupe -d'un client si vieux- à la pension; bien au contraire, cette nuit-là, il organisa un bal sur la terrasse étouffante, tandis que Filiberto attendait, tout pâlichon dans sa boîte, qu'au petit matin, sorte le premier camion du terminal, et il passa la première nuit de sa nouvelle vie accompagné par des cages et des bricoles. Lorsque j'arrivai, de bonne heure, pour surveiller l'embarquement du cercueil, Filiberto était sous un amas de cocos; le chauffeur suggéra qu'on le dispose dans une bâche et qu'on le recouvre de feuilles, pour que les passagers ne soient pas effrayés, et pour voir si nous n'avions pas rajouté du piment au le voyage.

vendredi 30 janvier 2009

La version de l'agrégation interne

En photo : Carmen Martin Gaite par Cazafantasmas

Comme vous le savez sans doute, l'agrégation interne avait lieu hier et aujourd'hui. Voici le sujet qui est tombé en version cet après-midi (il était déjà passé par le CAPES il y a de cela quelques années…). Je remercie Elisabeth de me l'avoir envoyé presque à la sortie de l'épreuve. Cela prouve une fois de plus que notre petit réseau d'amis de la traduction ne cesse de s'élargir. Je ne peux que m'en réjouir.
Ce texte-là n'était pas au programme des versions d'entraînement pré-CAPES… mais si le cœur vous en dit… n'hésitez pas.

• Ella era muy suya, ¿ que por qué lo digo ?, pues mira, Sole, por todo, desde cómo entraba a los sitios mirando al vacío a cómo rechazaba las invitaciones sin dar las gracias siquiera, que ya acabó por no invitarla nadie a ningún sitio, fíjate, lo hacíamos sobre todo por Olimpia, que la ponía por los cuernos de la luna, con ella sí se juntaba pero amigas intimas tampoco, no era de hacerle confidencias a nadie, un ser Superior, eso es lo qie se creía, total porque tenía cuatro idiomas…
• Cuatro, guapa, cuatro idiomas, y todo a base de becas y de hinchar los codos un mes detrás de otro en aquel chiscón con ventanucos de reja que parecía una carcel, mientras la madré le daba sin tregua a la máquina de coser, yo le veo mucho mérito a estudiar con ese ruido y nunca quejarse.
• ¿Quejarse ? Todo lo contrario. Si es lo que te digo, que se las daba de princesa, ¡unas ínfulas !...
• Y fuerza de voluntad también, como la madré, ¿o no llegó la señora Ramona a vestir a mucha gente principal y a entrar en las mejoras casas, viniendo como venía de un pueblo, sin marido y con la niña chica, que no las conocía nadie ? Las dos lo mismo, pumba, catapumba, plas, hasta que se situaron.
• Porque eran tacañisímas, y no iban más que a lo suyo, a ahorrar para lagarse, y la madré más despegada todavía, lista, eso sí, como un rayo, no daba puntada sin hilo…
• Yo eso en una modista, si quieres que te diga la verdad, lo veo bien. Podían aprender las boutiques de ahora, que todas las costuras se deshilachan y no hay botón que se sujette firme ni dos días. Además, no sé vosotras, pero yo de coser me he aburrido, ni un jaretón soy capza de sacar ni de poner una cremallera…
• Es que poner cremalleras es dificilísimo, hija.
• Pues por eso, tengo toda la ropa hecha un desastre, ya hasta la arrugo y la pisoteo en el suelo Cuando me entra la histeria, por eso, porque no tienes quien te ayude, a nuestras hijas no les hemos enseñado y las asistentas para qué te cuento, la que no está haciendo el bachillerato a distancia es porque se ha matriculado en una academia de inglés.
• ¿Y qué pasa ? Son otros tiempos. Yo veo logico que la gente quiera medrar Amparo y su madré se adelantaron a su tiempo. Eso es lo que nos escuece. Bueno, a mí no. Yo casi no las conocía, de oíros a vosotras.

Carmen Martín Gaite, Irse de casa, 1998

***

La traduction « officielle », par Claude Bleton, Claquer la porte, pour Flammarion, 2000, pp.41-42 :

- Elle avait son caractère ! Et d’où je sors cette nouveauté ? Mais voyons, Sole, de partout, de sa façon d’entrer quelque part en regardant dans le vide jusqu’à sa façon de repousser les invités sans même un merci, au bout du compte plus personne ne l’invitait, tu comprends, nous le faisions surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elle acceptait de l’accompagner, mais elles n’étaient pas non plus de grandes amies, pas le genre à s’épancher, un être supérieur, c’est ce que l’on croyait, tout cela parce qu’elle possédait des langues…

- Quatre, ma belle, quatre langues, à force de bourses, en se prenant la tête entre les mains, mois après mois, dans ce réduit aux lucarnes grillagées qui avait tout d’une prison, tandis que la mère s’escrimait sans relâche sur la machine à coudre, je trouve qu’elle a beaucoup de mérite d’avoir étudié dans ce bruit sans jamais se plaindre.

- Se plaindre , Au contraire. C’est justement ce que je te disais, elle jouait les princesses, et d’une prétention… !

- Mais quelle volonté ! Tout le portrait de sa mère… Madame Ramona n’a-t-elle pas fini par habiller beaucoup de gens bien placés et par entrer dans les meilleures maisons, alors qu’elle venait d’un village, sans mari, avec sa fille toute petite et que personne ne les connaissait ? Toutes les deux sur le même moule, bing, bang, paf ! pour gagner une place au soleil.

- Il faut dire qu’elles étaient incroyablement avares, et qu’elles ne s’occupaient que de leurs affaires : économiser pour partir. La mère était encore plus désagréable, une futée, ça oui, elle avait pigé au quart de tour, elle ne plaignait pas le fil, mais il fallait y mettre le prix…

- Ça, franchement, pour une modiste, je trouve que c’est plutôt une qualité. Les boutiques de mode pourraient en prendre de la graine, car toutes les coutures lâchent et il n’y a pas un bouton qui tienne plus de deux jours. De plus, vous, je ne sais pas, mais moi j’en ai assez de coudre, je ne suis même plus fichue de faire un ourlet ou de poser une fermeture éclair…

- Mais c’est très difficile de poser une fermeture éclair, ma chère.

- Justement, voilà pourquoi mes vêtements sont dans un état catastrophique, quand je pique une crise, je vais jusqu’à les chiffonner et à les piétiner, tout simplement parce qu’il n’y a personne pour m’aider : nous n’avons rien appris à nos filles, quant aux bonnes n’en parlons pas, ou bien elles préparent le bac par correspondance, ou bien elles s’inscrivent à des cours d’anglais.

- Et alors ? Les temps ont changé. Je trouve logique que les gens veuillent élever leur niveau. Amparo et sa mère ont gravi les échelons à leur rythme. C’est ce qui nous ronge. Enfin, pas moi. Moi je les connaissais à peine, mais c’est à force de vous entendre.


***

La traduction du jury du CAPES externe (figurant dans le rapport de l'année où le texte est tombé à ce concours) :

– Elle avait une manière d'être bien à elle, pourquoi je dis ça, eh bien écoute, Sole, pour tout, depuis sa façon d'entrer quelque part les yeux dans le vide jusqu'à sa manière de refuser les invitations sans même dire merci, à tel point que personne finalement ne l'a plus invitée nulle part, tu imagines, on le faisait surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elles se voyaient, ça oui, mais elles n'étaient pas non plus des amies intimes, ce n'était pas son genre de faire des confidences à qui que ce soit, un être supérieur, voilà pour qui elle se prenait, tout ça parce qu'elle parlait plusieurs langues…
– Quatre, ma belle, et tout ça grâce à des bourses et à force de bûcher, mois après mois, dans cette espèce de réduit qui ressemblait à une prison avec ses petites fenêtres à barreaux, pendant que sa mère faisait marcher continuellement la machine à coudre, moi je trouve qu'il faut bien du mérite pour étudier dans ce bruit sans jamais se plaindre.
– Se plaindre ? Au contraire. C'est bien ce que je te dis, elle se donnait des airs de princesse, quelle prétention !…
– Et quelle force de caractère aussi, comme sa mère, est-ce que madame Ramona n'a pas réussi à habiller beaucoup de gens importants et à avoir ses entrées dans les meilleures maisons, alors qu'elle venait d'un village, sans mari et avec sa fille encore petite, et que personne ne les connaissait ?
– toutes les deux pareil, pan et vlan, et en avant, jusqu'à ce qu'elles se soient fait une situation.
– Parce qu'elles étaient très radines et ne s'occupaient que de leur intérêt, que d'économiser pour ficher le camp, et la mère plus froide encore, vive, ça oui, comme l'éclair, elle ne faisait jamais un point pour rien.
– Moi, chez une couturière, si tu veux que je te dise ce que je pense, je trouve ça bien. Les boutiques d'aujourd'hui pourraient en prendre de la graine, parce que toutes les coutures s'effilochent et il n'y a pas un bouton qui tienne deux jours durant. En plus, vous, je ne sais pas, mais moi, la couture, j'en ai assez, je ne suis même pas capable de faire un ourlet ni de poser une fermeture éclair.

***

Olivier nous propose sa traduction :

. Il n’y avait que sa petite personne qui l’intéressait. Pourquoi je dis ça? Et bien tu vois, Sole, pour tout, depuis sa façon d’entrer quelque part en regardant ailleurs jusqu’à sa manière de refuser les invitations, sans même un merci ; tant et si bien que plus personne ne l’invitait nulle part, tu te rends compte ; et quand on l’invitait, on le faisait surtout pour Olimpia, qui bavait d’admiration devant elle, et qu’elles elles étaient bonnes copines, même sans être intimes ; c’était pas le genre à faire des confidences, à personne ; un être Supérieur, c’est pour ça qu’elle se prenait, et tout ça parce qu’elle baragouinait quatre langues.
. Quatre, ma chérie, quatre langues, et tout ça à coups de bourses et d’huile de coude, mois après mois, dans ce bouge avec des barreaux aux fenêtres, une vraie prison, pendant que sa mère s’acharnait sur sa machine à coudre ; je lui tire mon chapeau pour avoir étudier, avec tout ce bruit, sans jamais se plaindre.
. Une geignarde? Tout le contraire. Comme je te le dis, elle se prenait pour une princesse. D’une prétention !.
. Et volontaire avec ça, comme la mère. N’avait-elle pas réussi, madame Ramona, à habiller les gens de la haute et à avoir ses entrées dans le grand monde, elle, une fille de la campagne, sans mari et avec sa gamine sous le bras, qui ne connaissait personne? Les deux, pareil, et vas-y gaiement, jouant des coudes! Jusqu’à se faire une place au soleil.
. Parce qu’elles étaient radines comme pas deux, et une seule chose les intéressait, économiser et fiche le camp, et la mère encore plus, maligne comme un singe, ça c’est vrai, qui ne prêtait même pas un sourire…
. Mais bon, ça, quand on est couturière, qu’est-ce que tu veux que je te dise, moi je trouve ça plutôt bien. Les boutiques d’aujourd’hui pourraient en prendre de la graine, avec toutes ces coutures qui se défont et ces boutons qui ne tiennent pas deux jours. En plus, vous je sais pas, mais moi la couture, j’en ai eu mon compte, alors un ourlet ou une fermeture éclair, c’est même pas la peine d’en parler.
.C’est que c’est très difficile de coudre une fermeture éclair, tu sais.
.Et bien c’est justement pour ça que tous mes vêtements sont dans un état lamentable, j’en suis à les rouler en boule et à la piétiner quand je deviens hystérique, et tout ça parce qu’il y a jamais personne pour t’aider, vu qu’à nos filles on leur a rien appris et que les employés de maison, vaut mieux pas en parler, quand elles ne préparent pas le bac par correspondance, elles prennent des cours d’anglais !
. Et qu’est-ce qui se passe? Autres temps, autres moeurs. Pour moi, c’est logique que les gens aient envie de progresser dans la vie. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. Et c’est ça qui nous irrite. Bon, moi non. Moi, je les connaissais à peine, c’est vous qui m’en avez parlé.

***

Brigitte nous propose sa traduction :
(voici son mail d'accompagnement :
« J'ai essayé de la faire non stop et "vite" comme dans les conditions de l'examen… sans dictionnaire donc des doutes sur pas mal de choses :
Je n'ai pas su traduire sacar un jareton, donc j'ai "inventé" faire une boutonnière bien que je sache que ça ne se dit pas comme ça...
Pas su traduire non plus no daba puntada sin hilo... Je pense que c'est une expression toute faite du style "elle n'y allait pas pas quatre chemins" ou "on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs"... mais avec la reprise dans la réplique suivante du dialogue "pour une modiste c'est logique..." j'ai pensé qu'il fallait forcément trouver une expression avec quelque chose en lien avec la couture ...
À reprendre sans aucun doute plus a fond… j'espère qu'on fera une correction ! »)

- Elle était très « moi je », pourquoi je dis ça ? Eh bien, tu vois, Sole, pour tout, pour la façon qu’elle avait d’entrer quelque part en regardant dans le vide, pour toutes les invitations qu’elle refusait sans même dire merci, à tel point que finalement plus personne ne l’invitait nulle part, figure-toi, on le faisait surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elles, oui c’est sûr, elles se fréquentaient, mais c’était pas non plus des amies intimes, elle n’était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être Supérieur, voilà pour qui elle se prenait, tout ça parce qu’elle parlait quatre langues…
- Quatre, ma chère, quatre langues, et tout ça grâce à des bourses et la sueur de son front, mois après mois, dans ce taudis aux fenêtres à barreaux qui ressemblait à une prison, pendant que la mère s’usait sans relâche sur sa machine à coudre, moi je trouve que c’est beaucoup de mérite d’étudier dans ce bruit sans jamais se plaindre.
- Sans jamais se plaindre ? Mais c’est tout le contraire. C’est moi qui te le dis, elle se prenait pour une Princesse, avec ses grands airs !...
- Et à force de volonté aussi, comme sa mère, parce que, Madame Ramona, hein ? elle n’est pas arrivée à habiller beaucoup de personnalités et à rentrer dans les plus grandes maisons, en venant d’un village comme elle venait, sans mari et avec sa fille toute petite, alors que personne ne la connaissait ? Toutes les deux, pareil, boum badaboum et hop, jusqu’à ce qu’elles se trouvent une bonne situation.
- Parce qu’elles étaient très radines, et avec une seule idée en tête, mettre de l’argent de côté pour pouvoir mettre les voiles, et la mère encore plus détachée, maligne, pour sûr, comme un singe, elle ne faisait pas dans la dentelle …
- Moi, tu vois, pour une modiste, tu veux que te dise, je trouve ça plutôt bien. Les boutiques de vêtements d’aujourd’hui feraient bien d’en prendre de la graine, parce que toutes les coutures s’effilochent et il n’y a pas un bouton qui tienne correctement ne serait-ce que deux jours. En plus, vous, je ne sais pas, mais moi, faire de la couture ça m’ennuie, je ne suis pas fichue de faire une boutonnière ni de poser une fermeture Eclair…
- Mais c’est hyper difficile de mettre une fermeture Eclair, ma pauvre.
- Oui, c’est bien pour ça, tous mes vêtements sont dans un état lamentable, j’en arrive même à les chiffonner et à les piétiner quand la folie me prend, c’est pour ça, parce que quand tu n’as personne pour t’aider, on ne leur a pas appris à nos filles, quant aux aide-ménagères, je ne t’en parle pas, quand c’est pas l’une qui prépare son bac par correspondance, c’est l’autre qui est inscrite dans un cours privé d’anglais.
- Et où est le problème ? Les temps ont changé. Moi, je trouve logique que les gens veuillent évoluer. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur époque. C’est ça qui nous dérange. Enfin, moi non. Je ne les connaissais presque pas, juste par ce que vous me disiez d’elles.

***

Odile nous propose sa traduction :

- Elle, elle était très personnelle. Pourquoi je le dis? Eh bien, écoute Sole, pour tout, depuis la manière qu'elle avait de rentrer quelque part en regardant ailleurs, jusqu'à sa façon de repousser les invitations sans même remercier, ce qui fait qu'à la fin personne ne l'invitait plus nulle part, rends-toi compte, nous on le faisait surtout pour Olimpia qui l'admirait, avec elle oui, elle était amie, mais elles n'étaient pas amies intimes non plus, elle n'était pas du genre à faire des confidences, à personne, un être Supérieur, c'est ça qu'elle se croyait, tout ça parce qu'elle parlait quatre langues....
- Quatre, ma belle, quatre langues, et tout ça seulement avec des bourses et à force de bûcher, mois après mois, dans ce cagibi aux petites fenêtres grillagées qui ressemblait à une prison, tandis que sa mère travaillait sans cesse sur sa machine à coudre, moi j'y vois beaucoup de mérite à étudier dans tout ce bruit et à ne jamais se plaindre.
- Se plaindre? Tout le contraire. C'est comme je te le dis, elle se prennait pour une princesse, avec de ces airs !
- Et une force de volonté aussi, comme sa mère, ce n'est pas vrai peut-être, que Madame Ramona a fini par coudre des vêtements pour beaucoup de gens importants et par se faire une place dans les meilleures maisons, alors qu'elle arrivait d'un village, sans mari et avec sa fille toute petite, et que personne ne les connaissait? Toutes les deux, c'est pareil, vas-y, vas-y encore, et paf, jusqu'à ce qu'elles soient fait une situation.
- C'est parce qu'elles étaient radines et ne pensaient qu'à elles, à économiser pour partir,
et la mère était plus dure encore, vive, ça oui, comme l'éclair, et elle travaillait drôlement bien....
⁃ - Moi, ça, chez une modiste, pour te dire la vérité, je trouve ça bien; les boutiques de maintenant pourraient en prendre de la graine car toutes leurs coutures s'effilochent et pas un bouton ne tient plus de deux jours . En plus, je ne sais pas vous autres, mais moi, de coudre, je m'en suis dégoûtée, je ne suis pas capable de faire un ourlet ni de poser une fermeture Éclair...
⁃ - C'est que poser des fermetures c'est très difficile, ma petite.
- Eh bien, c'est pour ça que tout mon linge est dans un de ces états, et même je le froisse et le piétine quand je me mets en colère, à cause de ça, parce que que tu n'as personne qui t'aide, nous n'avons rien appris à nos filles et les femmes de ménage, ce n'est même pas la peine d'en parler, celle qui ne passe pas son bac par correspondance c'est qu'elle s'est inscrite dans une école d'anglais.
- Et alors? Les temps ont changé. Moi je trouve normal que les gens veuillent progresser, Amparo et sa mère étaient en avance sur leur époque. C'est ça qui nous dérange. Bon, à moi, non. Je ne les connaissais presque pas, seulement par ce que vous en dites.

***

Eva – étudiante du groupe 2 de CAPES et à l'humour désopilant – nous propose sa traduction :

Elle avait une personnalité bien à elle, comment pourquoi je dis ça?, eh bien, écoute, Sole, c'est un tout, depuis la façon dont elle pénétrait dans les lieux le regard dans le vide jusqu'à sa manière de refuser les invitations sans même dire merci, et au final tout ce qu'elle a fini par gagner c'est que plus personne ne l'invite nulle part, tu vois, on le faisait surtout pour Olimpia, car elle en faisait toute une montagne, d'accord elles se voyaient toutes les deux mais d'ici à être amies intimes pas non plus, elle n'était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être Supérieur, voilà pour quoi elle se prenait, et tout ça parce qu'elle connaissait quatre langues...
- Quatre, ma belle, quatre langues, et tout cela grâce aux bourses et à l'huile de coude employée mois après mois dans cette espèce de réduit aux fenêtres à barreaux qui ressemblait à une prison, pendant que sa mère s'affairait inlassablement à la machine à coudre, moi je reconnais qu'elle a beaucoup de mérite à étudier avec ce bruit sans jamais se plaindre.
- Se plaindre? Bien au contraire. C'est bien ce que je te dis, elle se prenait pour une princesse, d'une prétention!
- Et aussi d'une volonté de fer, comme sa mère... à ce que je sache, madame Ramona n'a-t-elle pas réussi à habiller tous ces gens importants et à rentrer dans les plus belles résidences, alors qu'elle venait d'un village, sans mari et avec sa petite, et que personne ne les connaissait? Toutes les deux pareilles, abracadabra et hop, jusqu'à ce qu'elles aient trouvé de quoi s'établir.
- Parce qu’elles étaient plus que radines, et qu’elles ne voyaient que leur propre intérêt, à économiser pour mettre les voiles, et la mère encore plus sur le qui-vive, maline, ça oui, comme un singe, elle ne faisait rien à la légère...
- Moi, pour tout te dire, je trouve ça bien pour une couturière. Les boutiques de maintenant feraient bien d'en prendre de la graine, parce que toutes les coutures sautent et il n'y a plus un bouton qui tienne deux jours. En plus, je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai laissé tomber la couture, je ne suis même pas fichue/capable de faire un point ni de poser une fermeture éclair...
- C'est que, les fermetures éclair, c'est ce qu'il y a de plus dur, ma fille.
- Justement, c'est bien pour ça que mon linge est un désastre, et il m'arrive même de le chiffonner et de le piétiner par terre quand la crise de nerfs me prend, c'est pour ça, car on a personne pour nous aider; à nos filles on ne leur a pas appris, et les aides-ménagères je ne te raconte même pas, celle qui ne prépare pas le Bac à distance c'est qu'elle est inscrite dans une académie d'anglais.
- Et alors? C'est une autre époque. Moi je trouve ça logique que les gens veuillent prospérer. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. C'est ça qui nous agace. Enfin, pas moi. C'est à peine si je les connaissais, je sais juste ce que je vous ai entendu en dire.

***

Nathalie nous propose sa traduction :

- Elle avait son caractère. Pourquoi je dis ça ? Eh bien, tu vois, Sole, pour tout : depuis la façon qu'elle avait d'entrer quelque part en regardant dans le vide, jusqu'à sa façon de refuser les invitations sans même dire merci, total, à la fin, plus personne ne l'invitait nulle part; tu comprends, on faisait ça surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues; elles, oui, elles se voyaient, mais on ne peut pas dire non plus qu'elles étaient amies intimes; elle n'était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être supérieur, voilà comment elle se voyait, tout ça parce qu'elle parlait quatre langues...
- Quatre langues, ma belle, quatre, et le tout grâce à des bourses et à une sacrée dose d'énergie, mois après mois, dans ce réduit aux grandes fenêtres grillagées qui ressemblait à une prison, tandis que sa mère restait vissée à sa machine à coudre; je trouve qu'elle a du mérite d'avoir étudié dans ce bruit et sans jamais se plaindre.
- Elle, se plaindre ? Bien au contraire. C'est précisément ce que je dis, qu'elle se donnait des airs de princesse, et quelle prétention !
- Et quelle force de caractère aussi, comme la mère; d'ailleurs, madame Ramona, elle n'a pas réussi à habiller beaucoup de gens importants et à entrer dans les meilleures maisons, peut-être, alors qu'elle arrivait tout droit d'un petit village, sans mari, la gamine sous le bras, et que personne ne les connaissait ? Telle mère, telle fille, pim, pam, poum, jusqu'à ce qu'elles aient une situation.
- Parce qu'elles étaient très près de leurs sous, et elles ne pensaient qu'à elles, qu'à économiser pour ficher le camp, et la mère, plus dédaigneuse encore, et puis maligne, c'est sûr, comme un singe, elle ne faisait jamais rien pour rien.
- Ça, pour moi, chez une modiste, si tu veux que je te dise la vérité, c'est plutôt une qualité. Elles en auraient des leçons à recevoir les boutiques d'aujourd'hui, car toutes leurs coutures lâchent et il n'y a pas un seul bouton qui tienne plus de deux jours. En plus, je ne sais pas vous, mais, moi, coudre, j'ai eu ma dose, je ne suis même plus capable de faire un ourlet, ni de poser une fermeture Eclair.
- Poser des fermetures Eclair, c'est très difficile, ma fille.
- Voilà pourquoi tous mes vêtements sont dans un état lamentable, je vais même jusqu'à les froisser et les piétiner chaque fois que je pique une crise, justement parce que tu n'as personne pour te venir en aide ; nous n'avons rien appris à nos filles dans ce domaine, je ne te parle même pas des femmes de ménage... Celle qui ne prépare pas le bac à distance, c'est parce qu'elle s'est inscrite à des cours d'anglais.
- Et alors ? C'est une autre époque. Ça me semble logique que tout le monde veuille s'élever socialement, Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. C'est ça qui nous dérange. Eh bien moi, non. Je les connaissais à peine, si je ne vous avais pas entendu parler d’elles.

Traductologie : quelques concepts clés, par Nayrouz Zaitouni

En photo : Fidélité absolue. Tours, 2 avril 2006. par Guillaume R. Cingal

Pour ceux qui n'ont pas pu assister à la rencontre avec Nayrouz Zaitouni – traductrice et étudiante en 2e année de thèse à l'Université de Bordeaux 3 –, voici un solide rattrapage : le texte de sa présentation.
Merci à elle de nous avoir généreusement donné un peu de son temps et d'avoir réussi à définitivement nous convaincre de la nécessité pour le traducteur d'allier théorie et pratique. À nous de jouer maintenant…

Introduction
J’aimerais commencer mon intervention par une petite mise au point, car il me semble important que nous parlions tous le même langage, et surtout afin que les concepts dont nous allons parler trouvent leur place malgré toute la confusion qu’ils ont l’habitude de générer. En tant que traductrice, qui aime travailler sur la théorie, j’ai bien évidemment un ouvrage de référence, qui est une source inépuisable d’inspiration pour moi, mais aussi une source de réponses aux questions que je me pose souvent. Il s’agit de Traducción y traductología de la traductologue espagnole, spécialiste de langue française, Amparo Hurtado Albir. Et ce n’est pas pour rien que je la cite, car le premier chapitre de son ouvrage s’attaque précisément à cette confusion, cet amalgame, qui sont malheureusement bien trop présents dans bien des filières universitaires. La Traductologie et la Traduction sont deux choses bien distinctes car : « la traducción es una habilidad, un saber hacer, que consiste en saber recorrer el proceso traductor, sabiendo resolver los problemas de traducción que se plantean en cada caso » et « en cambio, la Traductología es la disciplina que estudia la traducción; se trata, pues de un saber sobre la práctica traductora ».
Cette importante distinction étant faite, nous allons pouvoir nous attaquer au vif du sujet : la traductologie. Commençons par un bref historique.
Historique des études théoriques sur la traduction
Il existe une date qu’il est habituel de retrouver chez de nombreux auteurs qui ont travaillé sur l’histoire de la traduction en général : c’est 1958, et elle correspond à la publication de l’ouvrage dont le titre original est Stylistique comparée du français et de l’anglais, par deux chercheurs universitaires canadiens Vinay et Darbelnet. A cette époque, la traduction était étudiée à travers le prisme de la linguistique comparée, et ce n’est qu’au début des années 80 que la Traductologie est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : c’est-à-dire une fourmilière d’approches théoriques qui cherchent à placer la pratique de la traduction dans un cadre théorique strict lui apportant ainsi réflexion et explications. Une discipline toute jeune donc, qui ne manque cependant pas d’être à la merci de nombreux courants et de nombreuses écoles. Hurtado Albir a compilé ces différentes approches que je vais simplement vous citer, car je pense qu’il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur la question : elle a donc déterminé 5 types d’approches dans lesquelles elle a classé des théoriciens et des traductologues, auteurs des théories modernes. Ces approches, elle les a nommées : « enfoques lingüísticos, textuales, cognitivos, comunicativos y socioculturales, filosóficos y hermenéuticos ». On y retrouve des grands noms tels que Vinay et Darbelnet, Seleskovitch, Delisle, Nida, Toury, Rabadán, Reiss et Vermeer, Lvóskaya, Venuti, Derrida et bien d’autres.
Tout cela pour vous expliquer que ces différentes approches sont à l’origine de modèles théoriques que l’on peut appliquer à ce que l’on appelle communément le « proceso traductor », qui n’est autre que ce processus souvent dévalorisé, dénigré et ramené à sa plus simple expression par les termes inacceptables de « thème » et de « version » ; ces termes ne prennent pas en compte la globalité du processus qui se définit comme un processus mental qui permet de transmettre un texte formulé dans une langue, en utilisant les moyens d’une autre langue. Il se divise en trois processus basiques : la compréhension, la dé-verbalisation (phase non verbale) et la réexpression. On peut également ajouter que la traduction est un acte de communication, une opération textuelle ainsi qu’une activité cognitive qui fait appel à une certaine compétence de la part du traducteur. Arrêtons-nous là, car il n’est pas question ici d’alimenter le débat ni la polémique, je vous laisse donc juges, et vous propose, si vous en avez un jour l’occasion, de méditer sur la question.
Étant donné qu’ici, ce sont de futurs traducteurs littéraires qui sont formés, abordons donc cette traduction spécialisée qui vous occupe au jour le jour.

La Traduction Littéraire
Les enjeux de la traduction spécialisée résident non seulement dans la connaissance de la configuration de la culture d’arrivée mais également dans la spécialisation du traducteur lui-même. En traduction littéraire, on trouve un enjeu supplémentaire : celui de l’esthétique linguistique et stylistique ; ce qui, bien sûr, n’est pas sans influer sur l’attitude du traducteur. Amparo Hurtado Albir insiste sur ces contraintes associées à l’aspect esthétique que requiert la traduction littéraire : « los textos literarios suelen estar anclados en la cultura y en la tradición literaria de la cultura de partida, presentando, pues, múltiples referencias culturales » . Toutes ces caractéristiques font que ce type de traduction appelle une dimension créative qui est la cause du grand débat sur la fidélité.

Fidélité, équivalence, évaluation et autres remarques
Reprenons rapidement les caractéristiques générales qui façonnent le texte littéraire. Pour Hurtado Albir : « en los textos literarios se da un predominio de las características lingüístico-formales (que produce la sobrecarga estética), existe una desviación respecto al lenguaje general y son creadores de ficción. Además, los textos literarios se caracterizan porque pueden tener diversidad de tipos textuales, de campos, de tonos, de modos y de estilos. Así pues, pueden combinar diversos tipos textuales (narrativos, descriptivos, conceptuales, etc.), integrar diversos campos temáticos (incluso de los lenguajes de especialidad), reflejar diferentes relaciones interpersonales, dando lugar a muchos tonos textuales, alternar modos diferentes (por ejemplo, la alternancia en la narrativa, entre narración y diálogo) y aparecer diferentes dialectos (sociales, geográficos, temporales) e idiolectos ».
Toutes ces particularités décrites par Hurtado Albir et qui sont le propre d’un texte littéraire, ont une influence qui conditionne le travail du traducteur. Lorsqu’un texte traduit est confronté au texte original dont il provient, depuis un point de vue traducteur, la maxime « traduttore traditore » prend toute son ampleur. Mais avant d’y parvenir, penchons nous sur la simple analyse d’un texte qu’on nous livre. L’analyse littéraire, ici, nous importe peu, notre but déclaré étant de comparer deux textes liés par ce laborieux processus de traduction. Cette analyse, cette évaluation, qu’on appelle souvent « critique de traduction » s’est très longtemps basée sur des critères stylistiques (en ce qui concerne le texte) ou sur les méthodes utilisées (en ce qui concerne le traducteur) ; ce qui nous pousse à croire qu’il s’agit là d’une opération chargée de subjectivité. Cependant, depuis quelques décennies, nous explique Amparo Hurtado Albir, s’est développée une approche plus méthodique de l’évaluation intimement liée aux notions de qualité et de fidélité en traduction.
La fidélité est une notion qui fait souvent parler d’elle en traductologie, et dans son ouvrage La notion de fidélité en traduction, Hurtado Albir nous explique l’existence d’un triple rapport : ce sont trois paramètres indissociables que doit respecter le traducteur tout au long de sa tâche ; le « vouloir dire » de l’auteur, la langue d’arrivée et le destinataire de la traduction. Il est évident que le premier paramètre doit être forcément respecté, car le traducteur, éthiquement parlant se doit d’être fidèle à l’intention, au « vouloir dire » de l’auteur. En ce qui concerne les deux autres paramètres, ils font allusion à ce pacte tacite qui tient lieu de contrat entre auteur, traducteur et lecteur, et qu’il faut éviter de trahir, car il est « soumis à l’adéquation du sens compris du destinataire de la traduction au sens compris du destinataire original ». C’est de la soumission à cette contrainte que dépend la fidélité d’un texte, car « le traducteur utilise dans sa réexpression les moyens spécifiques à la langue d’arrivée ; tout ce qui est étranger à cette langue sera signe de trahison, d’infidélité ».
Si cette notion de fidélité est aussi importante, c’est souvent dû au fait que la critique, qu’elle soit interne (faite par les auteurs eux-mêmes) ou externe, se base sur l’équivalence au sein du processus de traduction. L’équivalence, autre notion qui prête au débat, définit l’existence d’un lien entre un texte et sa traduction, qui s’établit toujours en fonction de la situation de communication et du contexte historico-social dans lequel se déroule l’acte de traduction, et qui a donc, un caractère relatif, fonctionnel et dynamique. Ainsi, pour que le pacte soit honoré, il faut respecter ce triple rapport de fidélité au sens ainsi que l’équivalence dont il est tributaire.
Quant à l’évaluation des textes traduits, Oustinoff, un traductologue français, nous explique que dans l’immense majorité des cas, elle s’appuie sur « une conception doxale récurrente qui trouve son expression dans ce que l’on pourrait appeler la problématique naturalisante des « gains et des pertes » telle qu’elle a été formulée par J.P. Vinay et J. Darbelnet ». Cette question des « gains et des pertes », lorsqu’il s’agit de traduction, s’étudie du point de vue linguistique et objectif, ce qui n’est pas sans nous rappeler qu’inévitablement, cela nous mène à la relation d’équivalence qui existe entre original et traduction. Oustinoff explique effectivement que l’étude des gains et des pertes, « se double souvent de l’examen des éventuelles « sous-traductions » ou « sur-traductions » qui sont comme le pendant subjectif de la question qui sanctionne les erreurs commises par le traducteur ».
Je me permets ici de vous faire part d’une réflexion qui est au centre de mes préoccupations actuelles, je fais allusion au cas particulier de l’auto-traduction. En effet, dans le cas des traductions allographes, la question de l’équivalence semble jouer un rôle important dans l’évaluation de la qualité du texte traduit ; mais pour les traductions auctoriales, l’auteur lui-même est totalement en droit de décider à quel moment il peut sous-traduire ou sur-traduire sans que pour cela il porte atteinte à la qualité de son œuvre. Et même si c’était le cas, qui oserait en douter ?
Cela dit, les textes traduits sont autant d’objets d’étude qui, malgré le lien indestructible qui les ramène au texte original, font que leurs auteurs doivent gérer une série d’obstacles qui se dressent, parfois même en trompe-l’œil.

Problèmes et difficultés de traduction
Tout traducteur peut donc se trouver confronté à des problèmes de traduction, et ce quelque soit son bagage linguistique, culturel et professionnel. Christiane Nord, traductologue allemande chevronnée, se penche sur la question en expliquant la différence entre un problème et une difficulté . Ainsi, le problème de traduction est : « un problema objetivo que todo traductor (independientemente de su nivel de competencia y de las condiciones técnicas de su trabajo) debe resolver en el transcurso de una tarea de traducción determinada » . De plus, cette auteure en distingue quatre types : les problèmes textuels, qui dépendent des caractéristiques particulières du texte (les jeux de mots, les métaphores…), les problèmes pragmatiques, qui dépendent de l’orientation des récepteurs du texte, les problèmes culturels, qui dépendent des normes et des conventions entre la culture source et la culture cible, et enfin les problèmes linguistiques, qui dépendent des différences structurelles entre la langue source et la langue cible.
Les difficultés, pour Nord, sont « subjetivas y tienen que ver con el propio traductor y sus condiciones de trabajo particulares » . Celles-ci sont également classées en quatre catégories : les difficultés spécifiques au texte, qui sont liées au degré de compréhensibilité du texte original, les difficultés qui dépendent du traducteur (de sa compétence), les difficultés pragmatiques qui sont liées à la nature même de la tâche traductrice, et enfin les difficultés techniques qui sont liées à la spécificité, ou spécialisation du thème du texte.
Même si cette différenciation peut sembler rébarbative et inutile, elle reste intéressante à plus d’un titre. En effet, si nous récapitulons, les problèmes linguistiques ainsi que les problèmes culturels sont souvent, pour un traducteur expérimenté, les plus faciles à résoudre, car sa connaissance de sa langue de travail ainsi que de sa propre langue lui permettront de trouver des solutions afin d’adapter au mieux son travail. Pour les problèmes d’ordre textuel, ils dépendront du « génie » du traducteur (je me permets d’utiliser ce terme, mais n’y voyez aucune discrimination, c’est simplement un moyen d’expliquer qu’il faut au traducteur des armes pour traduire les textes à spécificité). Enfin, le traducteur fait généralement appel à une aide extérieure pour résoudre les problèmes pragmatiques qui sont souvent liés aux besoins spécifiques de chaque commande.
Dans le cas des difficultés, je ne peux que vous rappeler les interventions de ces deux traducteurs qui nous ont raconté leur expérience, et surtout leur relation avec les auteurs et le texte. Avec un léger bémol cependant : en effet, si la compétence du traducteur est souvent mise en avant, il ne faut pas oublier qu’elle dépend entièrement du degré de respect et de fidélité qu’il met dans son labeur.
Maintenant que nous avons répertorié les types de problèmes et de difficultés avec lesquels le traducteur doit vivre, passons à la critique à travers une dernière notion qui devrait vous faire réfléchir un peu plus.
Orthonymie
Le terme Orthonymie est un terme emprunté à Bernard Pottier et qui a été redéfini par J.-C. Chevalier afin de le servir dans sa réflexion sur le poids et le rôle de la « réalité » dans l’acte de traduire.
Jean-Claude Chevalier pointe du doigt les traducteurs en tant que récepteurs, qui, dit-il, sont logés à la même enseigne que n’importe quel lecteur. En effet, il semblerait que nous soyons tous gouvernés par les mêmes schèmes . L’auteur explique ce phénomène ainsi : d’après lui, il existe une certaine manière de percevoir et d’interpréter les choses, et souvent, malgré le fossé qu’il peut y avoir entre les cultures, on retrouve cette même manière de comprendre un énoncé. Voyons un premier exemple :

On avait en face de soi les champs, à droite une grange, avec le clocher de l’église et à gauche un rideau de peupliers. Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet.
La campiña se extendía frente a ellos. A la derecha había una granja y la torre de la iglesia, y a la izquierda una cortina de álamos. Trad. Juan Carlos Silvi.

On voit bien que l’équivalence n’est pas respectée : en effet, « extendía » et « había » sont des rajouts liés à la pression de l’image qui s’impose au traducteur, de plus, « le clocher » et « la grange » sont mis sur le même plan, alors que Flaubert voit le clocher au-dessus de la grange.
Il est évident que les problèmes liés à la recherche d’une équivalence et d’une adaptation parfaites se posent souvent, car le traducteur ne comprend pas forcément ce que voulait dire l’auteur et par conséquent, peut se trouver confronté à des ambiguïtés. Ainsi, selon J.-C. Chevalier, il existerait, je cite, « un degré zéro de l’organisation du monde et un degré zéro du matériel linguistique qui sert à le nommer ». Ce sont donc ces vocables qu’il appelle « orthonymes ». Pour Bernard Pottier, « l’orthonyme est donc la lexie (mot ou toute séquence mémorisée) la plus adéquate et la plus neutre, sans aucune recherche connotative, pour désigner le référent ». Donc, si on suit bien le raisonnement de Chevalier ainsi que celui de Pottier, l’orthonymie naîtrait d’un sentiment de respect et d’ajustement général à un degré zéro de la réalité.
D’après Chevalier, on peut même diviser cette orthonymie en plusieurs niveaux : l’orthonymie proprement dite c’est-à-dire l’adéquation immédiate de chaque mot aux êtres qu’il nomme, à leurs propriétés ou aux procès dans lesquels ils entrent, l’orthosyntaxie c’est-à-dire l’adéquation immédiate à la fonction syntaxique qui leur est assignée, et enfin, l’orthologie c’est-à-dire l’adéquation immédiate à la représentation que l’on se forge d’une réalité. D’après cet auteur, ces notions sont fondamentales pour la compréhension des mécanismes de la traduction. Souvent, dans un but communicationnel, les traducteurs qui travaillent en tenant bien compte de la finalité de leur texte, ont tendance à privilégier certains éléments de compréhension au détriment de certains autres.

• L’orthosyntaxie :
Le locatif met souvent en évidence l’orthosyntaxie. En effet, il s’agit de situations où le traducteur « remet à sa place » ce que l’auteur du texte source voulait dire. Ainsi, il va non seulement supprimer des figures rhétoriques caractérisant l’écriture de l’auteur mais en plus, il va rendre l’ordre des choses tel qu’il devrait l’être.
… le bougeoir n’était pas allumé. Marcel PROUST, Du côté de chez Swann.
… la vela ya no estaba encendida. Trad. Pedro Salinas. 1966.
... en la palmatoria no estaba ya encendida la vela. Trad. Julio Gómez de la Serna. 1985.
Le phénomène est notable : dans les 2 cas, le traducteur remet à sa place Proust en explicitant l’impossibilité de la chose. Un bougeoir ne peut être allumé, c’est la bougie qui l’est.
On trouve également un autre phénomène d’orthosyntaxie : l’énumération. En grammaire, dès qu’il y a une énumération, il faut en annoncer la fin par une particule qui marque la coordination (« et », « y ») et les traducteurs ne dérogent pas à la règle, la respectant parfois au point de finir par briser l’effet de style voulu par l’auteur dans son énumération.
… Il leva les bras, en grinçant des dents, maudit ces deux imbéciles. Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet.
… Levantó los brazos rechinando los dientes y maldijo a aquellos dos imbéciles. Trad. J.C. Silvi.

• L’orthologie, les liens logiques :
Si l’énumération est liée à l’orthosyntaxie, elle peut également avoir un effet notable sur les liens logiques qui existent entre deux images jointes ou disjointes. Parfois l’auteur sépare deux choses qui vont fusionner sous la plume du traducteur et ainsi les deux images, séparées au départ, évoqueront alors une seule et même réalité. Mais ces liens orthologiques semblent évidents dès qu’il s’agit des relations et des liens qui peuvent exister entre les éléments dont on parle. Les relations de cause à conséquence, par exemple, s’imposent souvent à nous au point d’en devenir orthologiques.
Du reste Swann était dans le même régiment ; il a dû le connaître. Marcel PROUST, Du côté de chez Swann.
Swann le debió de conocer, porque estaba en el mismo regimiento. Trad. Pedro Salinas.
Ainsi, dès que la relation nous semble évidente, et même lorsque l’auteur l’élude sciemment et la remplace par un autre type de relation, le traducteur la remet en place et nous la donne à voir. En somme, explique J.-C. Chevalier, l’orthologie, c’est lorsque parmi les « multiples représentations que je peux me construire d’une même réalité, il en est une qui l’emporte parce que, à tort ou à droit, réputée plus directement adéquate à ladite réalité ».

• L’orthonymie proprement dite :
L’orthonymie peut avoir, lors du processus de traduction, un rôle extrêmement important ; en effet, « un être, une propriété de cet être ou un événement ont, parmi les multiples mots dont nous pouvons user pour y référer, parmi les multiples noms que nous nous permettons de leur donner, un nom que nous voulons regarder comme le leur ». Ce que veut dire J.-C. Chevalier par là, c’est que souvent, en traduisant, il nous arrive de privilégier une désignation parmi toute une série de mots qui réfèrent à l’orthonyme. Et le choix se porte la plupart du temps sur le terme auquel s’applique la locution « así se dice ». D’ailleurs c’est pour cela précisément que notre choix va à ce terme en particulier, comme le prouve l’exemple qui suit :
Estos objetos se encaramaban unos sobre otros, cual si se disputasen, pulgada a pulgada, el sitio que habían de ocupar. Benito PÉREZ GALDÓS, La de Bringas.
Ces objets s’entassaient, se grimpaient dessus… Trad. Pierre Guenoun.
Comme l’explique J.-C. Chevalier, lorsqu’on a affaire à plusieurs objets qui forment un tas, notre premier réflexe est d’utiliser le verbe « s’entasser ». Mais, ici, Pérez Galdós utilise « encaramarse » et le traducteur, conscient de la réalité à laquelle ce terme renvoie, décide d’édulcorer sa version en citant d’abord l’orthonyme suivi d’une traduction plus fidèle à l’intention de l’auteur. Ainsi, la plupart du temps, cette représentation particulière de la réalité qui nous gouverne, nous fait réagir, tous, traducteur ou pas, d’une façon identique.
J’aimerais également ajouter qu’un traducteur a souvent recours à des techniques d’explicitation ou d’amplification car il pense que la compréhension de son texte par le public d’arrivée est conditionnée par l’adaptation culturelle du texte source à la culture cible. En effet, le traducteur, dans le but d’être parfaitement lisible et compréhensible et surtout afin de toucher culturellement le public de la langue d’arrivée, a recours à des procédés que nous nommerons « figures de traduction » qui ne sont autres que les « objets » de traduction une fois traduits, et passés par le crible de la traduction.

Stratégie et conclusion
J’aimerais clore cette petite réflexion par la notion la plus générale de toutes celles que j’ai évoquées, mais très certainement la plus floue : il s’agit de la stratégie. En effet, pour citer, une fois encore Hurtado Albir, « […] podemos identificar la estrategia traductora como: los procedimientos individuales, conscientes y no conscientes, verbales y no verbales, internos (cognitivos) y externos utilizados por el traductor para resolver los problemas encontrados en el proceso traductor y mejorar su eficacia en función de sus necesidades específicas. »
Pour la traductologue, une stratégie de traduction nécessite donc des étapes de types variés, car le traducteur utilise des stratégies pour faciliter sa compréhension du texte source, pour résoudre des problèmes de réexpression et enfin pour acquérir des informations. L’auteure insiste également sur le fait que chaque traducteur a ses propres stratégies, adaptées à la résolution des problèmes qu’il rencontre. La diversité des stratégies est donc intimement liée à la diversité des problèmes et des difficultés de traduction dont nous avons parlé plus haut.
Cependant, devant un texte à traduire, il est acquis que même une stratégie préparée ne peut être maintenue sans risques : ainsi, il ne nous semble pas aisé d’appliquer une unique stratégie à toute une œuvre si les problèmes ou les difficultés varient.
Je pense que vous êtes conscients qu’il n’existe pas de recette miracle pour devenir un bon traducteur, je voulais simplement vous apporter quelques éléments théoriques qui vous serviront peut-être à appréhender votre métier depuis un point de vue un peu plus serein et surtout un peu moins idéaliste. Et quand je dis idéaliste, surtout comprenez-y un sous-entendu clair : soyez perfectionniste car la traduction mérite d’être à l’antichambre de la perfection.

Atelier de traduction spécialisée de Marta Lacomba, séance 2

Séance du mardi 27 janvier 2009
Compte rendu par Nathalie

Même si notre expérience en la matière reste modeste, la traduction d'une page extraite d'un guide touristique nous a déjà permis de mieux cerner les enjeux de la traduction spécialisée : en effet, contrairement à la traduction littéraire, il ne s'agit pas de respecter fidèlement - pour ne pas dire, scrupuleusement - le texte original mais de transmettre un certain nombre d'informations d'ordre historique, culturel, voire gastronomique. Seul importe le sens, la forme étant secondaire.
Dès lors, dans la polémique qui oppose l'esprit (Cicéron) à la lettre (Saint Jérôme), la traduction spécialisée se range clairement du côté des opposants au littéralisme.

De la théorie à la pratique :
Marta nous a demandé de l'écouter lire le paragraphe concernant l'église de Santa María del Azogue, en essayant de restituer, en français, tous les éléments utiles à la présentation de ce monument. Enfin, quand je dis tous, je devrais plutôt dire les plus importants parce que personne n'a été en mesure de les citer tous, et ce, sans attribuer les caractéristiques de l'un à l'autre... C'est là qu'on réalise que la traduction simultanée exige une sacrée concentration...

"La iglesia de Santa María del Azogue es el principal monumento artistíco de la ciudad, atribuida su construcción a Fernando II en 1180. Tiene cinco bellos ábsides semicirculares, con clara influencia cisterciense. Sus tres puertas son otras tantas maravillosas obras de arte. Destaca en su interior una imagen románica de la Virgen con el Niño y el conjunto de la Anunciación en piedra policromada."

A partir d'une première mouture, assez basique, nous avons cherché à étoffer notre propos en y incorporant une bonne dose de lyrisme. Parce que là où l'espagnol peut énoncer "a secas" la liste des éléments remarquables pour tel ou tel monument, le français aura plutôt tendance à enjoliver la présentation en abusant de formes superlatives ou d'adjectifs hyperboliques. De fait, les guides touristiques regorgent de qualificatifs mélioratifs qui sont censés donner envie au lecteur de se rendre sur place afin de vérifier que la réalité est à la hauteur de la description.

Voici la proposition de Laure G. : « Le monument artistique majeur de la ville est l’église de Santa María del Azogue que Ferdinand II fit construire en 1180. Son architecture est remarquable, notamment ses cinq belles absides semi-circulaires ou encore ses trois portails, autant de véritables merveilles de l’art. A l’intérieur, une statue romane représentant la Vierge à l’Enfant, de même que la scène de l’Annonciation en pierre polychrome, méritent une attention toute particulière »

Voilà ce que pourrait donner une traduction du paragraphe en question; on se rend bien compte que le traducteur spécialisé peut adapter, voire réécrire, le document qu'on lui a confié; sa seule contrainte formelle sera de respecter la mise en page, en veillant à ne pas trop s'étendre sur telle ou telle description, au risque de dépasser le cadre prévu pour chaque rubrique.

Nous avons procédé de même avec le dernier paragraphe : "La fiesta principal de Benavente - "la flor de los condados" y "buena villa y mejor gente" - es la del Corpus, con el toro como protagonista, denominada "Toro enmaromado" y de grand tradición popular."

« A Benavente, la Fête-Dieu est l’occasion de grandes réjouissances populaires au cours desquelles un taureau encordé parcourt longuement la ville pour la plus grande joie de tous » (Jacqueline).

Enfin, voici la traduction que je vous propose et qui sera reprise (et bonifiée) lors de la prochaine séance :


Parador de Benavente "Roi Ferdinand II"


Infos pratiques :

Tél. 980 630 304
Fax 980 630 303
Emplacement : château dans la ville
Catégorie : ****
Tarif : 15000 - 16500 ptas/chambre
Petit déjeuner : 1300 ptas
Déjeuner/dîner : 3500 ptas
Chambres doubles : 30
Services : climatisation dans la salle à manger et dans les chambres, chauffage, restaurant, bar, garage, jardin, téléphone, salle de conférences
Cartes de crédit : AE, DC, EC, MC, V

Comment s'appelle le Parador de Benavente ? Pourquoi ?

Le Parador s'appelle "Ferdinand II de Léon", du nom du monarque qui a fondé la ville et qui lui a octroyé des "fueros" (privilèges) en 1164. L'importance historique de ce château a été majeure compte tenu de sa proximité avec la célèbre Ruta de la Plata (Route de l'Argent) ainsi qu'avec le Chemin mozarabe de Saint Jacques.

Quelle est l'histoire du bâtiment qui abrite le Parador ?

Alphonse IX organisa en 1202 une réunion des "Cortes" (assemblées représentatives) dans l'ancien Château de la Mota, devenu Domaine des Pimentel. Il conserve encore une partie de ses impressionnantes murailles et une seule tour du grand château de don Juan Alonso de Pimentel, comte de Benavente au XVI° siècle, appelée la Torre del Caracol (Tour de l'Escargot), bel édifice du gothique tardif, doté d'un plafond à caissons, et qui abrite précisément le Parador. Il fut détruit en 1808, lors de la bataille qui opposa Français et Anglais pendant la guerre d'Indépendance.

Quelle est l'origine de Benavente ?

Benavente correpondait à l'ancienne ville de Malgrad et son nom actuel semble provenir de "Buenos Vientos" (Bons vents) ou de "Buena Venta" (Bonne Vente ou Bonne Auberge).

A pied

L'église de Santa María del Azogue est le principal monument artistique de la ville; c'est le roi Ferdinand II qui en a ordonné la construction en 1180. Ses cinq belles absides semi-circulaires, d'influence clairement cistercienne et ses trois magnifiques portails sont autant de merveilles. A l'intérieur, on retiendra une statue romane de la Vierge à l'Enfant et l'ensemble de l'Annonciation en pierre polychrome. L'église de San Juan del Mercado, dont le style roman est encore plus pur que celui de Santa María, possède, elle aussi, trois superbes portes et celle du Sud est semblable à la Portada de la Gloria (Portail de la Gloire) de Saint Jacques. Le thème central de son tympan est l'Adoration des Mages. Ses six statues adossées aux colonnes sont exceptionnelles. Elle a appartenu à l'ordre des Chevaliers du Temple et elle renferme la première voûte gothique construite en Espagne. Il faut voir également l'Hôpital de la Piedad, l'église de San Andrés, la chapelle de la Piedad, le couvent de Santa Clara, l'Hôtel de Ville...

En voiture

Ne manquez pas les ruines impressionnantes du Monastère de Moreruela, autrefois Moreriola, première abbaye cistercienne d'Espagne, partiellement détruite par Almanzor. Notez le majestueux chevet, qui s'échelonne sur trois niveaux, avec ses sept absidioles au niveau inférieur. Ce site constitue un observatoire privilégié du barrage de Ricobayo qui retient les eaux de l'Esla. Près du village de Fontanillas de Castro, se dressent aussi les restes d'une des villes les plus importantes de Zamora (ou de l'antique Zamora), Castrotorafe, que l'on associe généralement au Vicus Aquarius des Romains, une des mansio de la Ruta de la Plata. A l'origine, il s'agissait d'un camp fortifié de l'Age de Fer. A côté, se trouve Tábara, avec son église romane du XII° sièce, les restes d'une abbaye et d'un camp fortifié pré-romain.
Le nom de "Azogue" - Santa María del Azogue - dérive du mot arabe qui signifie "marché"; il faut dire que la foire de Benavente a une longue tradition historique.
A Benavente - "la fleur des comtés" et "bonne ville et meilleures gens" - la Fête-Dieu est l'occasion de grandes réjouissances populaire; cette manifestation est appelée "Toro enmaromado" (taureau encordé) puisque cet animal est au coeur des festivités.

Gastronomie régionale

morue à la "tranca" ( morue en petits morceaux bouillie et assaisonnée de poivrons rouges, d'huile et d'ail)
morue à "lo tío" (morue, patate, ail, oignon, huile d'olive)
truites du Tera
agneau de Sanabria
soupe à la truite de l'Orbigo
cochon de lait rôti à la mode de Zamora
grillades castillanes
fromages
charcuterie
tarte cistercienne
les "feos" (à base d'amandes, de sucre et d'oeufs)
tarte capucine
"rebojo" de Zamora
vin rosé du terroir


Marta nous a également demandé de traduire la page consacrée au Parador de Cazorla, en réalisant des recherches plus poussées sur les dénominations spécifiques du genre « Coto Nacional », les noms de plantes et d’animaux, la liste des produits locaux et les spécialités régionales. Vive Google !

Un petit retour en arrière s'impose…

… pour lire le compte rendu de Laëtitia de notre déjeuner de mercredi… (que je viens de recevoir et de publier).

Références culturelles, 22 : la santería

En photo : Santería Milagrosa par santeriamilagrosa

Intéressant… très intéressant sujet que la santería :

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=766

Pour information

Je viens de publier la traduction « officielle » du devoir de vacances n°23, « El disco » de Jorge Luis Borges.

Votre version de la semaine

En photo : Mario Vargas Llosa par ale_boada

Aujourd'hui, la version de la semaine est choisie par Brigitte ; il s'agit d'un extrait feuilletonesque du roman désopilant de Vargas Llosa, La Tía Julia y el escribidor. Je rappelle à ceux qui suivent de près notre blog… d'assez près pour aller lire les commentaires, que Brigitte nous avait proposé cette illustration pour le post de Laure L. sur les telenovelas.

Lamenté que la tía Julia no estuviera allí, porque no me creiera cuando le contara que había visto transfigurarse, embellecerse, espiritualizarse, durante una eterna media hora, a ese puñado de exponentes de la más miserable profesión de Lima, bajo la retórica efervescente de Pedro Camacho. El Gran Pablito y yo estábamos sentados en el suelo en un rincón del estudio ; frente a nosotros, rodeado de una parafernalia extraña, se hallaba el transfuga de Radio Victoria, la novísima adquisición. También había escuchado en actitud mística la arenga del artista ; apenas comenzó la grabación del capítulo, él se convirtió para mí en el centro del espectáculo.
Era un hombre fortachón y cobrizo, de pelos tiesos, vestido casi como un mendigo : un overol raído, una camisa con parches, unos zapatones sin pasador. (Más tarde supe que se le concocía por el misterioso apodo de Batán.) Sus instrumentos de trabajo eran : un tablón, una puerta, un lavador lleno de agua, un silbato, un pliego de papel platino, un ventilador y otras cosas de esa misma apariencia doméstica. Batán constituía él sólo un espectáculo de ventriloquía, de acrobacia, de multiplicación de la personalidad, de imaginación física. Apenas el director-actor hacía la señal indicada –una vibración magisterial del índice en el aire cargado de diálogos, de ayes, de suspiros -, Batán, caminando sobre el tablón a un ritmo sabiamente decreciente hacía que los pasos de los personajes se acercaran o alejaran, y, a otra señal, orientando el ventilador a distintas velocidades sobre el platino hacía brotar el rumor de la lluvia, o el rugido del viento, y, a otra, metiéndose tres dedos en la boca y silbando, inundaba el estudio con los trinos que, en un amanecer de primavera, despertaban a la heroina en su casa de campo. Era especialmente notable cuando sonorizaba la calle. En un momento dado, dos personajes recorrían la Plaza de Armas, conversando. El huatatiro Ochoa enviaba, de cinta grabada, ruido de motores y bocinas, pero todos los demás efectos los producían Batán, chasqueando la lengua, cloqueando, bisbiseando, susurrando (parecía hacer todas esas cosas a la vez) y bastaba cerrar los ojos para sentir, reconstituídas en el pequeño estudio de Radio Central, las voces, palabras sueltas, risas, interjecciones que uno va distraídamente oyendo por una calle concurrida. Pero, como si esto fuera poco, Batán, al mismo tiempo que producía decenas de voces humanas, caminaba o brincaba sobre el tablón, manufacturando los pasos de los peatones sobre las veredas y los roces de sus cuerpos. ‘Caminaba’ a la vez con pies y manos (a las que había enguantado con un par de zapatos), de cuclillas, los brazos colgantes como un simio, golpeándose los muslos con codos y antebrazos. Después de haber sido (acústicamente) la Plaza de Armas a mediodía, resultaba, en cierto modo, una proeza insignificante musicalizar – haciendo tintinear dos fierritos, rascando un vidrio, y, para imitar el desliz de sillas y personas sobre mullidas alfombras, restregando unas tablillas contra su fundillo – la mansión de una empigorotada dama limeña que ofrece té – en tazas de porcelana china – a un grupo de amigas, o, rugiendo, graznando, hozando, aullando, encarnar fonéticamente (enriqueciéndolo de muchos ejemplares) al Zoológico de Barranco. Al terminar la grabación, parecía haber corrido la Maratón olímpica : jadeaba, tenía ojeras y sudaba como un caballo.

Mario Vargas LLosa, La Tía Julia y el escribidor, p. 123-124

***

La traduction « officielle », La tante Julie et le scribouillard, par Albert Bznsoussan, pour les éditions GALLIMARD, collection Du Monde Entier 1979, p.110-112.

Je regrettai que tante Julia ne fût pas là, parce qu’elle n’allait pas me croire quand je lui raconterais qua j’avais vu se transfigurer, s’embellir, se spiritualiser durant une éternelle demi-heure, cette poignée de représentants de la plus misérable profession de Lima, sous la rhétorique effervescente de Pedro Camacho. Le Grand Pablito et moi nous étions assis par terre dans un coin du studio ; en face de nous, entouré d’un étrange outillage, se trouvait le transfuge de Radio Victoria, la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté avec une attitude mystique la harangue de l’artiste ; à peine l’enregistrement du chapitre commença-t-il qu’il devint pour moi le centre du spectacle.
C’était un petit homme trapu au teint bistre, les cheveux raides, habillé presque comme un mendiant : un pardessus râpé, une chemise reprisée, des godasses sans lacets. (J’appris plus tard qu’on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon.)Ses instruments de travail consistaient en une planche de bois, une porte, un bidet plein d’eau, un sifflet, une feuille de papier d’argent, un ventilateur et d’autres babioles de même aspect domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloque, d’acrobate, de multiplication de personnalité, d’imagination physique. A peine le directeur-acteur faisait-il le signe indiqué - une vibration professorale de l’index dans l’air chargé de dialogues, de soupirs et d’émois - , Foulon marchant sur sa planche à un rythme savamment décroissant faisait s’approcher ou s’éloigner les pas des personnages, ou, à un autre signe, orientant le ventilateur à différentes vitesses sur la papier d’argent il faisait naître la rumeur de la pluie ou le rugissement du vent et, à un autre, s’enfonçant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio de gazouillis qui, à l’aube d’un printemps, éveillaient l’héroïne dans la maison de campagne. Il était spécialement remarquable quand il sonorisait la rue. A un moment donné, deux personnages traversaient la place d’Armes en bavardant. Ce gandin d’Ochoa envoyait, au moyen d’une bande magnétique, un bruit de moteurs et d’avertissements, mais tous les autres effets étaient produits par Foulon, claquant la langue, gloussant, marmottant, susurrant (il semblait tout faire à la fois) et il suffisait de fermer les yeux pour sentir, reconstitués dans le petit studio de Radio Central, les voix, les mots épars, les rires, les cris que l’on peut entendre distraitement dans rue fréquentée. Mais comme si c’était trop peu, Foulon, en même temps qu’il produisait des dizaines de voix humaines, marchait ou bondissait sur sa planche, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et le frôlement des corps. « Il marchait » en même temps sur les pieds et les mains (qu’il enfilait dans une paire de chaussures), à quatre pattes, les bras pendants comme ceux d’un singe, se frappaient les cuisses des coudes et des avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la place d’Armes à midi, c’était finalement, d’une certaine manière, une prouesse insignifiante que de bruiter - en faisant tinter deux bouts de fer, en frottant un verre, et, pour imiter le glissement des chaises et des personnes sur de souples tapis, en raclant son derrière avec de petites tablettes de bois - la demeure d’une Liménienne huppée qui reçoit pour le thé - dans des tasses de porcelaine chinoise - un groupe d’amies, ou, en rugissant, croassant, grognant, hurlant, incarner phonétiquement le zoo de Barranco. En finissant l’enregistrement il avait l’air d’avoir couru le marathon olympique : il haletait, les traits creusés et il suait comme un cheval.

***

Odile nous propose sa traduction :

Je regrettai que la tante Julia ne fût pas présente, car elle n'allait pas me croire lorsque je lui raconterais que j'avais vu se transfigurer, se spiritualiser, durant une longue demie-heure, cette poignée de représentants du plus misérable métier de Lima, sous la réthorique stimulante de Pedro Camacho. Le Grand Pablito et moi étions assis par terre, dans un coin du studio ; face à nous, entouré de tout un attirail étrange, se tenait le transfuge de Radio Victoria , la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté, dans une attitude mystique, la harangue de l'artiste; à peine l'enregistrement du chapitre commença-t-il qu'il devint pour moi le centre du spectacle. C'était un homme costaud, à la peau cuivrée, aux cheveux raides, habillé presque comme un mendiant : un bleu de travail élimé, une chemise rapiécée, des gros souliers sans lacets. (Plus tard, j' appris qu'on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon.) Ses instruments de travail consistaient en un planche de bois, une porte, une bassine remplie d'eau, un sifflet, une feuille de papier d'argent, un ventilateur ainsi que d' autres objets, tous d'un usage domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloquie, d'acrobatie, de multiplication de personnalité, d'imagination physique. À peine le directeur-acteur faisait-il le signe indiqué -une vibration magistrale de l'index dans l'air chargé de dialogues, d'interjections, de soupirs-, Foulon, marchant sur la planche à un rythme savamment décroissant, faisait s'approcher ou s' éloigner les pas des personnages, et, à un autre signe, orientant le ventilateur à différentes vitesses sur le papier d 'argent, faisait naître le bruit de la pluie ou le rugissement du vent, puis, à un autre signe, se mettant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio de trilles d'oiseaux, qui, par une aube de printemps, éveillaient l'héroine dans sa maison de campagne. Il était particulièrement remarquable quand il sonorisait la rue. À un moment donné, deux personnages traversaient la Place d'Armes tout en bavardant. Le gros Ochoa, envoyait, à partir d'une bande enregistrée, des bruits de moteurs et de klaxons, mais tous les autres effets, c'était Foulon qui les produisait, claquant de la langue, gloussant, marmonnant, susurrant (il semblait tout faire à la fois) et il suffisait de fermer les yeux pour entendre, reconstitués dans le petit studio de Radio Central, les voix, les paroles isolées, les rires, les interjections que l'on peut distraitement entendre en passant dans une rue très fréquentée.
Mais, comme si c'était trop peu, Foulon, en même temps qu'il émettait des dizaines de voix humaines, marchait ou sautait sur la planche de bois, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et les frôlements des corps. Il « marchait » à la fois sur les pieds et les mains (qu'il enfilait dans une paire de chaussures), à croupetons, les bras pendants comme un chimpanzé, se frappant les cuisses des coudes et des avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la Place d'Armes à midi, c'était, d'une certaine façon, une prouesse insignifiante que de sonoriser -en faisant tinter deux petits morceaux de fer, en raclant du verre, et, pour imiter le glissement des chaises et des personnes sur de moelleux tapis, en frottant l'arrière de son pantalon avec des petites tablettes de bois- la demeure d'une dame huppée de Lima qui offre du thé - dans des tasses de porcelaine chinoise- à un groupe d'amies, ou, en rugissant, croassant, grognant, hurlant, d'incarner phonétiquement (en l'enrichissant de nombreux spécimens) le parc zoologique de Barranco. Une fois l'enregistrement terminé, il avait l'air d'avoir couru le Marathon olympique: il haletait, il avait des cernes sous les yeux et il suait comme un cheval.

***

Vanessa – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

J’étais déçu que le Tante Julia ne fût pas là, parce qu’elle ne croirait pas quand je lui raconterai que j’avais vu se transfigurer, s’embellir, se spiritualiser, pendant une éternelle demi-heure, ce groupe d’exposants de la plus misérable profession de Lima, sous ma rhétorique effervescente de Pedro Camacho. Le grand Pablito et moi étions assis sur le sol dans un coin du studio ; face à nous, entouré d’un outillage étrange, se trouvait le transfuge de Radio Victoria, la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté, dans une attitude mystique, la harangue de l’artiste. L’enregistrement du chapitre avait à peine commencé, qu’il devint, d’après moi, le centre du spectacle.
C’était un homme trapu et de couleur cuivrée, aux cheveux raides, vêtu presque comme un mendiant : un bleu de travail élimé, une chemise reprisée, des chaussures sans lacets. (Plus tard, j’appris qu’on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon). Ses instruments de travail étaient une planche de bois, une porte, une cuvette remplie d’eau, un sifflet, une feuille de papier argenté, un ventilateur et d’autres choses de même apparence domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloque, d’acrobatie, de multiplication de personnalités, d’imagination physique. A peine le directeur-acteur faisait le signe indiqué -une vibration professorale de l’index dans l’air chargé de dialogues, de plaintes, de soupirs- Foulon marchant sur la planche de bois à un rythme savamment décroissant faisait que les pas des personnages s’approchent ou s’éloignent, et, à un autre signe orientant le ventilateur à différentes vitesses sur le feuille argentée faisait naître la rumeur de la pluie, ou le rugissement du vent, et, à un autre, se mettant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio des trilles qui, une aube de printemps, réveillaient l’héroïne dans sa maison de campagne. Il était spécialement remarquable quand il reproduisait les sons de la rue. A un moment donné, deux personnages traversaient la place d’Armes en conversant. Ce benêt d’Ochoa envoyait’ avec une bande enregistrée, un bruit de moteurs et de klaxons, mais tous les autres effets étaient produits par foulon, claquant la langue, gloussant, chuchotant, susurrant (il semblait faire toutes ces choses en même temps) et il suffisait de fermer les yeux pour sentir, reconstitués, dans le petit studio de Radio Central, les voix, des mots isolés, des rires, des interjections que l’on peut distraitement entendre dans une rue fréquentée. Mais, comme si cela fût peu, Foulon, en même temps qu’il produisait des douzaines de voix humaines, marchait ou sautait sur la planche de bois, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et les frôlements de leurs corps. « Il marchait » en même temps sur les pieds et les mains (auxquelles il avait mis une paire de chaussures), à genoux, les bras ballants comme un singe, se frappant les cuisses avec les coudes et les avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la place d’Armes à midi, cela résultait, d’une certaine manière, une prouesse insignifiante que de musicaliser –en faisant tinter deux bouts de fer, en frottant du verre, et, pour imiter le glissement de deux chaises et des personnes sur des tapis souples, en frottant énergiquement des petites planches de bois contre son derrière- le demeure de Lime d’une dame bourgeoise qui offrait du thé –dans des tasses de porcelaine chinoise- à un groupe d’amies, ou en rugissant, croassant, grognant, aboyant, incarner phonétiquement (en l’enrichissant de nombreux exemplaires) le Zoo de Barranco. Une fois l’enregistrement terminé, il semblait avoir couru le Marathon olympique, il haletait, avait des cernes et il transpirait comme un cheval.

jeudi 29 janvier 2009

Un petit billet aérien de Jacqueline

En photo : Meeting aérien par Rococo53

Dans le cadre de la série : "ce n'est pas parce que… que", ajoutons : ce n'est pas parce qu'il y a grève que l'apprenti traducteur est déconnecté de son blog ; n'oublions pas que la devise du parfait apprenti traducteur – promo Anne d'Acier – est : toujours aux aguets, toujours prêt ! Donc, restons vigilants, aiguisons notre réflexion et… enrichissons notre vocabulaire ; respirons un grand coup et cherchons 3 mots, pas plus, sur le thème de l'air : savez-vous ce que signifie ?

— aéricole (adjectif)
— aéropathie (n.f)
— aérifère (adjectif)

La solution :

Aéricole :
En botanique, qualifie un organisme qui vit dans l'air (comme aquacole etc…)

Aéropathie :
Affection provoquée par des modifications de la pression atmosphérique telles que les accidents de décompression ;

Aérifère :
En anatonomie, désigne des canaux qui conduisent l'air à l'intérieur du corps, comme les fosses nasales et la bouche.

Et maintenant je vous souhaite un bon bol d'air – mais pas dans un aérium –, sans aérolithe, avec la grâce d'un aérostier et l'énergie d'un aérodyne. Bon vent, Jacqueline

De la part de Brigitte pour Nathalie

J'ai complété les "jurons du capitaine Haddock"…

Relooking extrême, test 4

Puisque, comme le dit Nathalie, « finalement le noir, c'est pas si mal »… revoici le noir en fond. À vous maintenant de dire si les couleurs des différentes parties du texte vous conviennent.

Relooking extrême, test 3

En réponse au commentaire de Nathalie sur le test 2, voici un test 3 – le texte en blanc n'était vraiment pas joli… donc j'ai opté pour un jaune.

Références culturelles, 21 : Antonio José de Sucre

En photo : 87 Antonio Jose de Sucre par Jose.Morales

Qui était donc José Antonio de Sucre?

Une très rapide biographie :

http://riie.com.ve/?a=22533

Relooking extrême, test 2

Après les deux réactions négatives obtenues pour le test 1 (de nos nouvelles couleurs), je vous propose un test 2. Chères Brigitte et Laure… je sais que vous préférez le fond noir… mais faisons quand même quelques petits essais avant d'y revenir.

Version d'entraînement, 4 (Julio Cortázar)

En photo : Julio Cortázar par MöNdo!

Andrée, yo no quería venirme a vivir a su departamento de la calle Suipacha. No tanto por los conejitos, más bien porque me duele ingresar en un orden cerrado, construido ya hasta en las más finas mallas del aire, esas que en su casa preservan la música de la lavanda, el aletear de un cisne con polvos, el juego del violín y la viola en el cuarteto de Rará. Me es amargo entrar en un ámbito donde alguien que vive bellamente lo ha dispuesto todo como una reiteración visible de su alma, aquí los libros (de un lado en español, del otro en francés e inglés), allí los almohadones verdes, en este preciso sitio de la mesita el cenicero de cristal que parece el corte de una pompa de jabón, y siempre un perfume, un sonido, un crecer de plantas, una fotografía del amigo muerto, ritual de bandejas con té y tenacillas de azúcar... Ah, querida Andrée, qué difícil oponerse, aun aceptándolo con entera sumisión del propio ser, al orden minucioso que una mujer instaura en su liviana residencia. Cuán culpable tomar una tacita de metal y ponerla al otro extremo de la mesa, ponerla allí simplemente porque uno ha traído sus diccionarios ingleses y es de este lado, al alcance de la mano, donde habrán de estar. Mover esa tacita vale por un horrible rojo inesperado en medio de una modulación de Ozenfant, como si de golpe las cuerdas de todos los contrabajos se rompieran al mismo tiempo con el mismo espantoso chicotazo en el instante más callado de una sinfonía de Mozart. Mover esa tacita altera el juego de relaciones de toda la casa, de cada objeto con otro, de cada momento de su alma con el alma entera de la casa y su habitante lejana. Y yo no puedo acercar los dedos a un libro, ceñir apenas el cono de luz de una lámpara, destapar la caja de música, sin que un sentimiento de ultraje y desafío me pase por los ojos como un bando de gorriones.

Julio Cortázar, "Carta a una señorita en París", Bestiario

Brigitte nous propose sa traduction :

Andrée, je ne voulais pas venir habiter dans son /votre appartement de la rue Suipacha. Pas tant à cause des plantes ?, mais surtout parce que cela m’ennuie de pénétrer dans un ordre fermé, même construit dans les plus fines mailles de l’air, ces mailles qui, chez elle/vous, préservent la musique de la lavande, le froissement d’ailes d’un cygne poussiéreux, le jeu du violon et la viole dans le quartet de Rará.
Il m’est douloureux de pénétrer dans l’espace de quelqu’un qui vit agréablement, où tout a été disposé comme une réminiscence visible de son âme, ici les livres (d’un côté en espagnol, de l’autre en français et anglais), là les coussins verts, à cet endroit précis de la table, le cendrier en verre qui ressemble à une bulle de savon éclatée, et toujours, un parfum, un son, une pousse de plante, la photographie d’un ami disparu, rituel de plateaux avec thé et pince à sucre… Ah, ma chère Andrée, qu’il est difficile de s’opposer, même en l’acceptant dans une totale soumission de son être même, à l’ordre minutieux établi par une femme dans son intérieur douillet.
Comme on se sent coupable de prendre une petite tasse de métal et de la poser à l’autre bout de la table, de la poser là simplement parce qu’on a apporté ses dictionnaires d’anglais, et que c’est de ce côté-là, à portée de main, qu’ils doivent être.
Déplacer cette petite tasse équivaut à un horrible une fausse note, inattendue au beau milieu de cette modulation de Ozenfant, comme si d’un seul coup les cordes de toutes les contrebasses s’étaient brisées en même temps, avec le même couac effroyable pendant le passage le plus silencieux d’une symphonie de Mozart.
Changer de place cette petite tasse altère le jeu de relations de toute la maison, de chaque objet en lien avec un autre, de chaque moment de son âme avec l’âme entière de la maison et de sa lointaine occupante.
Je ne peux approcher mes doigts d’un livre, je peux à peine saisir le cône de lumière d’une lampe, soulever le couvercle de la chaîne, sans qu’un sentiment d’outrage et de défi ne défile devant les yeux tel un vol de moineaux.

***

Eva – étudiante du groupe 2 de CAPES… et peut-être future apprentie traductrice – nous propose sa traduction :

Andrée, moi je ne voulais pas venir vivre dans votre appartement rue Suipacha. Ce n'est pas tant à cause des petits lapins, mais plutôt parce qu'il m'est pénible d'entrer dans un ordre fermé, déjà construit jusque dans les moindres détails, de ces détails qui, chez vous, préservent la musique de la lavande, le battement d'ailes d'un cygne poussiéreux, le jeu du violon et de la viole dans le quartet de Rará. C'est avec amertume que je pénètre dans un espace où quelqu'un qui y vit gracieusement a tout disposé tel un reflet visible de son âme, ici, les livres (d'un côté en espagnol, de l'autre en français et en anglais), là, les coussins verts, à cet endroit précis de la petite table, le cendrier en verre qui ressemble à un morceau de distributeur de savon, et toujours un parfum, un son, des plantes qui poussent, une photo de l'ami décédé, le rituel des plateaux avec thé et pince à sucre...Ah, ma chère Andrée, comme il est difficile de s'opposer, même en l'acceptant du plus profond de son être, à l'ordre minutieux qu'une femme instaure dans sa résidence frivole. Comme on se sent coupable de prendre une petite tasse en métal et de la poser à l'autre bout de la table, de la poser là simplement parce qu'on a apporté ses dictionnaires d'anglais et que c'est à cet endroit, à portée de main, qu'ils devraient être. Déplacer cette petit tasse, c'est comme une horrible fausse note inopinée, au beau milieu d'une modulation de Ozenfant, comme si soudain les cordes de toutes les contrebasses avaient cédé au même instant, dans un même claquement effrayant au moment le plus calme d'une symphonie de Mozart. Déplacer cette petite tasse altère le jeu de relations de toute la maison, de chaque objet avec un autre, de chaque état d'âme avec celui de la maison entière et de sa lointaine résidente. Et moi, je ne peux approcher les doigts d'un livre, réduire un tant soit peu la lumière, ouvrir la boîte à musique, sans qu'un sentiment d'outrage et de défi ne me passe devant les yeux comme une nuée d'oiseaux.

***

Odile nous propose sa traduction :

Andrée, moi je ne voulais pas venir vivre dans votre appartement de la rue Suipacha. Ce n'est pas tant à cause des petits lapins mais plutôt parce qu'il m'en coûte de devoir entrer dans un ordre établi, déjà construit jusque dans les plus petites mailles de l'air, celles qui chez vous préservent la musique de la lavande, le battement d'ailes d'un cygne poussiéreux, le jeu du violon et du violon alto dans le quatuor de Rará.
Il m'est pénible de pénétrer dans un espace où quelqu'un qui y vit si méticuleusement a tout disposé comme un calque visible de son âme, ici les livres (d'un côté, ceux en espagnol, de l'autre, ceux en français ou en anglais), là-bas les coussins verts, à cet endroit précis de la table basse le cendrier de cristal qui ressemble à la vue en coupe d'une bulle de savon et toujours un parfum, un son, une pousse de plante, une photographie de l'ami disparu, le rituel de plateaux avec thé et pinces à sucre... Ah, chère Andrée, qu'il est difficile de s'opposer, même en l'acceptant avec l'entière soumission de son être même, à l'ordre minutieux qu'une femme instaure dans son intérieur fragile.
Comme on se sent coupable de prendre une petite tasse de métal et de la poser à l'autre extrémité de la table, de la poser là, tout simplement parce qu'on a apporté ses dictionnaires d'anglais et que c'est de ce coté-là, à portée de main, qu'ils devront se trouver. Bouger cette petite tasse équivaut à un rouge inattendu au beau milieu d'une composition d'Ozenfant*, comme si tout à coup, les cordes de toutes les contrebasses cassaient en même temps avec le même horrible claquement au moment le plus calme d'une symphonie de Mozart. Bouger cette petite tasse dérange le jeu des relations de toute la maison, de chaque objet avec un autre, de chaque moment de son âme avec l'âme entière de la maison et de sa lointaine occupante.
Et moi je ne peux approcher les doigts d'un livre, modérer un tant soit peu l'intensité d'une lampe, ouvrir la boîte à musique, sans qu'un sentiment d'outrage et de défi ne passe devant mes yeux comme une volée de moineaux.

*Amédée Ozenfant : né le15 avril 1886 à Saint-Quentin, (Aisne) et mort le 3 mai 1966 à Cannes, (Alpes-Maritimes) était un peintre français.