vendredi 30 avril 2010

Entretien avec les traducteurs de Dan Brown

http://www.fluctuat.net/6952-Entretien-avec-les-traducteurs-de-Dan-Brown

Votre version de la semaine

El pánico del marqués de Senara por el suceso de la igle­sia le llevó a considerar la posibilidad de abandonar el país. A pesar de que los pocos milicianos que quedaban se refugiaron en el monte cuando comenzaron las re­presalias, la familia no podía superar el miedo a que al­guno de ellos regresara. Su hermana, la duquesa de Au­gusta, había tomado ya la decisión de marcharse, la tomó en el instante en que supo que su marido y cuatro de sus hijos iban a morir, cuando se los llevaron al ama­necer, y los vio llorar abrazada al único hijo que le deja­ban con vida. Necesitaba huir. Huir de las lágrimas que afortunadamente su hijo ciego no pudo ver. Ese llanto de su marido y de sus cuatro hijos, que la duquesa adivi­nó resignado, la perseguía por todas las calles de aquel pueblo al que no pensaba regresar jamás. En su residen­cia de verano, suficientemente lejos del horror, a dos­cientos cincuenta kilómetros más allá de la frontera, co­menzaría su exilio, incapaz de borrar la imagen última de los suyos caminando en pijama hacia la muerte.
La misma tarde que escapó de morir en la parroquia, el marqués de Senara movió todos los resortes que tenía a su alcance hasta que pudo saber la suerte que habían corrido su cuñado y sus sobrinos. En el momento en que se confirmó que habían sido asesinados, se lo comunicó a su hermana.
-Traerán los cuerpos inmediatamente, Amalia. Será muy duro para ti, si prefieres, pueden llevarlos a mi casa.
-Te lo agradezco, Julián, pero de aquí se los lleva­ron y quiero que vuelvan aquí.
Doña Amalia recibió la noticia como si ya la conocie­ra. Acertó a decir que se marcharía después del entierro, y le propuso a su hermano que la acompañara.
-Vente conmigo, Julián. Allí hay sitio para todos.
Su hermana no cesaba en su intento de convencerle, le repetía a cada instante que aceptara su invitación, al menos por un tiempo. Le rogó que pensara en sus cinco hijas. Pero él temía por los dos varones, ambos alféreces provisionales en el frente del sur. Aunque el general al mando de las tropas, íntimo amigo suyo y padrino de su hijo mayor, le había asegurado que no los expondría a ningún peligro, las dudas le llevaban a postergar su deci­sión. Necesitaba serenarse y la insistencia de su hermana le creaba aún más inseguridad. Al regresar a su casa, se refugió en su despacho. Sacó el violín de su estuche y co­menzó a tocar un réquiem. La música le ayudaría a re­flexionar. Pero las notas de la melodía sacra que había escogido le devolvieron al interior de la parroquia. Escu­chó de nuevo las detonaciones que se oían a su alrede­dor y sintió el olor de su propia carne quemada. Retiró el arco de las cuerdas y se apartó del atril. Se sentó en el sillón junto a la puerta de cristal que daba al pasillo, y vio cómo su mujer se acercaba.

Dulce Chacón, Cielo de barro

***

Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

La panique qui s’était emparée du marquis de Senara après les événements de l’église le poussa à envisager la possibilité de quitter le pays. En dépit du fait que les quelques miliciens qui restaient s’étaient réfugiés dans la montagne au début des représailles, la famille ne pouvait pas surmonter sa peur de voir l’un d’entre eux revenir. Sa sœur, la duchesse de Augusta, avait déjà pris la décision de partir : elle l’avait prise à l’instant même où elle avait su que son mari et quatre de ses fils allaient mourir, quand on les lui avait amenés à l’aube, et qu’elle les avait vus pleurer, alors qu’elle serrait dans ses bras le seul fils qu’on lui laissait en vie. Elle avait besoin de fuir. Fuir les larmes que son fils aveugle, heureusement, n’avait pas pu voir. Ces pleurs de son mari et de ses quatre fils, dont la duchesse avait deviné la résignation, la poursuivaient à travers toutes les rues de ce village où elle pensait ne jamais revenir. Dans sa résidence d’été, suffisamment loin de l’horreur, à deux cent cinquante kilomètres au-delà de la frontière, elle entamerait son exil, incapable d’effacer la dernière image des siens marchant en pyjama vers la mort.
L’après-midi même où il échappa à la mort dans la paroisse, le marquis de Senara fit jouer tous les ressorts qu’il avait à sa portée jusqu’à ce qu’il pût savoir quel sort avaient connu son beau-frère et ses neveux. Dès qu’il eut la confirmation qu’ils avaient été assassinés, il prévint sa sœur.
— On va te ramener les corps d’ici peu, Amalia. Cela va être très dur pour toi, si tu préfères, ils peuvent les laisser chez moi.
— Je te remercie, Julián, mais c’est d’ici qu’on les a emmenés, c’est donc ici où je veux qu’ils reviennent.
Doña Amalia reçut la nouvelle comme si elle la connaissait déjà. Elle parvint à dire qu’elle partirait après l’enterrement, et elle proposa à son frère de l’accompagner.
— Viens avec moi, Julián. Là-bas, il y a de la place pour tous.
Sa sœur persistait dans sa tentative de le convaincre, elle lui répétait à chaque instant d’accepter son invitation, du moins pour un temps. Elle le pria de penser à ses cinq filles. Mais lui craignait pour ses deux garçons, qui étaient sous-lieutenants provisoires sur le front du sud. Bien que le général au commandement des troupes, son ami intime et le parrain de son fils aîné, l’eût assuré qu’il ne les exposerait à aucun danger, ses doutes le poussaient à retarder sa décision. Il avait besoin de se calmer et l’insistance de sa sœur le rendait encore plus nerveux. De retour chez lui, il se réfugia dans son bureau. Il sortit son violon de son étui et il commença à jouer un requiem. La musique l’aiderait à réfléchir. Mais les notes de la mélodie sacrée qu’il avait choisie le ramenèrent à l’intérieur de la paroisse. Il perçut à nouveau les détonations qu’on entendait autour et il sentit l’odeur de sa propre chair brûlée. Il retira l’archet des cordes et s’éloigna du pupitre. Il s’assit dans le fauteuil près de la porte vitrée qui donnait sur le couloir, et il regarda sa femme s’avancer.

***

Laëtitia nous propose sa traduction :

La panique du marquis de Senara ressentie lors de l’épisode de l’église l’amena à considérer la possibilité d’abandonner le pays. Malgré le fait que les rares miliciens qui restaient s’étaient réfugiés dans la montagne quand les représailles avaient commencé, la famille ne pouvait pas supporter la peur que l’un d’eux revînt. Sa sœur, la duchesse d’Augusta, avait déjà pris la décision de s’en aller, elle l’avait prise au moment où elle avait su que son mari et quatre de ses enfants allaient mourir, quand ils les avaient emmenés au lever du jour, et qu’elle les avait vus pleurer étreignant l’unique fils qu’ils lui laissaient en vie. Elle devait fuir. Fuir des larmes qu’heureusement son fils aveugle n’avait pas pu voir. Ces pleurs, de son mari et de ses quatre fils, que la duchesse avait devinés résignés, la poursuivaient dans toutes les rues de ce village où elle ne pensait jamais retourner. Dans sa résidence d’été, suffisamment loin de l’horreur, à deux cent cinquante kilomètres au-delà de la frontière, son exil débuterait, incapable d’effacer l’image ultime des siens marchant en pyjama vers la mort.
Le même après-midi où il avait manqué de mourir dans la paroisse, le marquis de Senara avait tiré toutes les ficelles qui étaient à sa portée jusqu’à ce qu’il pût connaître le sort qu’avaient subit son beau-frère et ses neveux. Au moment où on lui confirma qu’ils avaient été assassinés, il en informa sa sœur.
-Ils vont ramener les corps immédiatement, Amalia. Ce sera très dur pour toi, si tu préfères, ils peuvent les amener chez moi.
-Je t’en remercie, Julián, mais c’est ici qu’ils ont été enlevés et je veux qu’ils reviennent ici. Doña Amalia accueillit la nouvelle comme si elle en avait déjà pris connaissance. Elle consentit à dire qu’elle s’en irait après l’enterrement, et elle proposa à son frère de l’accompagner.
-Viens avec moi, Julián. Là-bas, il y a de la place pour tous.
Sa sœur n’avait de cesse de tenter de le convaincre, elle lui répétait à chaque instant d’accepter son invitation, au moins pour un temps. Elle lui demanda de penser à ses cinq filles. Mais il craignait pour les deux garçons, tous deux aspirants provisoires au front sud. Bien que le général au commandement des troupes, un ami intime à lui et parrain de son fils aîné, lui eût assuré qu’il ne les exposerait à aucun danger, les doutes le conduisaient à retarder sa décision. Il avait besoin de se calmer et l’insistance de sa sœur créait en lui encore plus d’insécurité. En rentrant chez lui, il se réfugia dans son bureau. Il sortit le violon de son étui et il commença à jouer un requiem. La musique l’aiderait à réfléchir. Mais les notes de la mélodie sacrée qu’il avait choisie le ramenèrent à l’intérieur de la paroisse. Il écouta de nouveau les détonations qu’on entendait aux alentours et il sentit l’odeur de sa propre chair brûlée. Il retira l’archet des cordes et s’écarta du pupitre. Il s’assit dans le fauteuil à côté de la porte en verre qui donnait sur le couloir, et vit sa femme s’approcher.

Références culturelles, 444 : Arantxa Sánchez Vicario

En photo : Arantxa's footprint (smaller than...
par SheelahB

http://es.wikipedia.org/wiki/Arantxa_S%C3%A1nchez_Vicario

mercredi 28 avril 2010

mardi 27 avril 2010

Exercice d'écriture

En photo : op de fiets / à bicyclette, par hier houd ik van

Le sujet était : premiers rayons de soleil

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Laëtitia Sw. :

Arborant une mine fière sur sa bicyclette flambant neuve, elle descendait, faisant fi des secousses, le large sentier caillouteux au cœur du parc floral. Elle commença par longer la rotonde de treilles chargées de rosiers grimpants qui trônait un peu en hauteur sur sa droite, continua vivement tout droit pour s’engager sous les arceaux de vigne vierge, emprunta le petit chemin creux qui s’ouvrait sur sa gauche, puis s’enfonça, à grands coups de pédaliers, sous les frondaisons des grands arbres majestueux, en direction du lac. C’est hilare qu’elle traversa, à toute vitesse, la multitude des légers ponts de bois qui enjambaient, un peu partout, d’inoffensifs ruisseaux. Elle ne pouvait pas s’empêcher, à chaque fois, d’être fort amusée par les craquements monstrueux qu’émettaient, plaintives, les vieilles planches. Elle aimait s’imaginer que c’était peut-être là leur manière de lui signifier qu’elles étaient contentes de la revoir, après ces longs mois d’absence. Elle ralentit en arrivant à proximité du torrent pyrénéen, reconstitué de toutes pièces, à une extrémité du domaine. Elle essayait toujours, en passant, de capter la rumeur de l’eau qui se brisait en cascades sur les rochers et les galets de granit, parsemés très naturellement, de ci de là, sur l’arête sinueuse de la pente aménagée. Quelques promeneurs s’étaient arrêtés pour profiter de la fraîcheur de l’endroit et du cliquetis délicieux des eaux ronronnantes. Comme elle, ils étaient venus se régaler des premiers rayons du soleil printanier. Et, malgré l’heure tardive, eux non plus ne semblaient pas très pressés de regagner leur logis, pour reprendre le cours, peut-être las, voire ennuyeux, de leur existence. Elle chassa, d’un mouvement de tête, le flot des soucis qui affleuraient à sa pensée. Elle se les représentait en une interminable file de récriminateurs, vociférant et roulant de gros yeux irrités. Ce n’était pas le moment de se perdre en ruminations stériles. Elle aurait tout le loisir d’y penser plus tard. Pour l’instant, elle avait dans l’idée de se régénérer, comme tous ces végétaux à nouveau gorgés de sève, qu’elle voyait se déployer vigoureusement devant elle, puisant leurs forces dans les profondeurs palpitantes de la terre. Elle assistait à une explosion de couleurs, de senteurs, de bruissements et de sensations vivifiantes. Seul le présent importait. Elle se dirigeait maintenant vers les jardins aux fleurs : pivoines, iris, azalées, camélias. Elle pensait y flâner tranquillement avant de se reposer sur un des bancs des allées plantées de magnolias et de rhododendrons. Là, elle boirait quelques lampées au goulot de la bouteille de thé frais et fruité qu’elle transportait dans sa musette. Il faudrait qu’elle résiste à la tentation d’entamer la lecture du livre qu’elle avait déniché cet après-midi-là sur l’étalage poussiéreux et délavé d’un bouquiniste de passage ; un livre qui lui était apparu étrangement rutilant au milieu de ses confrères fanés. Elle poursuivrait alors sa promenade vers le lac. Certes, les moustiques viendraient sûrement lui tourner autour, mais elle arriverait bien à s’en débarrasser à grands renforts de jurons insecticides et de jets de bombe répulsive dont elle comptait s’asperger copieusement. Eux aussi, finalement, ils l’amusaient, à leur façon... Ainsi, elle riait d’avance à l’idée de les retrouver car elle constatait combien, au fil du temps, le genre de petits désagréments qu’ils constituaient venait, immanquablement, avec la même fureur, échauffer son esprit, décidément toujours aussi fâcheux et rancunier en la matière ! Tiens, ça y est, ça commençait ! Viiii ! – entendait-elle bourdonner perfidement autour d’elle. À l’attaque ! – traduisait-elle. Ah, c’est comme ça... Tiens, prends ça ! Scratch ! Le premier écrasé ! Ha ha, tu ne l’as pas volé ! – ricana-t-elle. Et une bataille de remportée !

Références culturelles, 441 : Alfredo di Stéfano

En photo : Alfredo Stéfano di Stéfano Laulhé, par Copying✂Puccini

http://es.wikipedia.org/wiki/Alfredo_Di_St%C3%A9fano

dimanche 25 avril 2010

samedi 24 avril 2010

« Le traducteur est un passeur », par Jean-Claude Capèle

http://www.khristophoros.net/khristo.html

Fin des cours…














Chloé, Émeline, Amélie, Laëtitia Sw. et Coralie… le jour de la rentrée

Cette semaine – jeudi avec les derniers cours et vendredi avec l'agréable conversation avec Jean-Marie Saint-Lu (que je remercie à nouveau de nous avoir si gentiment et si généreusement accompagnés au cours de ces deux années, en parrain attentif), en présence d'un petit groupe d'étudiants de L3 d'espagnol, des anglicistes [oui, ils étaient là !] et des hispanistes du M2… –, marquait la fin de cette année universitaire 2009-2010. Et, comme à chaque fois, c'est le petit pincement au cœur. Il y a eu quelques larmes de… ; allez, je ne dis pas son nom, car elle serait fâchée après moi. De beaux mois se sont écoulés, avec la troupe, Amélie, Chloé, Coralie, Émeline, Laëtitia So., Laëtitia Sw., un très bon cru d'apprenties traductrices motivées et douées. Maintenant, on peut attendre beaucoup d'elles, car elles ont énormément travaillé, fait des progrès considérables et, c'est l'essentiel, elles demeurent aussi passionnées par ce métier qu'elles l'étaient en arrivant. Souhaitons qu'elles fassent leur bonhomme de chemin dans l'univers de la traduction et qu'elles y trouvent toutes les satisfactions qu'il offre à ceux et celles qui s'y consacrent avec "amour et abjection", comme dirait ce cher Padura Fuentes… À titre personnel, je me permets de les remercier pour ce qu'elles m'ont apporté en tant que traductrice et en tant qu'enseignante. Des bises à toutes les 6.
Bon courage pour les stages (on attend de vos nouvelles régulièrement)
Bon courage pour les traductions longues
Et rendez-vous en septembre pour les soutenances et une petite fête en présence de notre petite Bretonne…

Votre version de la semaine

Me despertaron los gorriones piando como locos en la azotea. Dice el señor Moro que la señora de Ladislao tenía la costumbre de echarles las migajas de pan de las sobras al levantarse. Así se explica que hubiera más de un ciento de ellos revoloteando entre las chimeneas y los tendederos. La madre llevaba un rato levantada, rutando porque no le tira la cocina. Debe de ser por el tiempo quedo, sin una brizna de viento. De todas formas a estas cosas hay que cogerles el punto flaco. La madre estaba hecha a la cocina de la otra casa y ésta le extraña. Además, la madre siempre anda dispuesta a protestar. Es su manera de ser. Todavía no ha hincado el pico. Se le ha ido el día recordando a la señora Rufina. A las siete me dijo: «¿Y qué hago yo a estas horas si no puedo sacar una silla a la puerta?» «Siéntese en la azotea, madre», le dije yo. Ella dijo: «Ya, a ver pasar los pájaros, ¿verdad?» A la mujer no le falta razón, pero cuando hemos cenado a la fresca, bajo un techo de estrellas, se le ha desarrugado el semblante. A medio comer me pidió la toquilla porque notaba el relente. Yo le dije que de cuándo acá había necesitado la toquilla en agosto. Al concluir, la llevé a la baranda para que contemplara las vistas. Ella se asomó y dijo: «Es muy hermosa nuestra ciudad, ¿verdad, hijo?» Desde la azotea se divisa un mar de luces y todo está en silencio, como muerto. Sólo de vez en cuando le asusta a uno el silbido de un tren. Cuando le mostré el Sagrado Corazón, se le alegró la cara y se santiguó: «Lo tenemos aquí cerquita, hijo. Casi al alcance de la mano», decía. La notaba sobrecogida porque el Sagrado Corazón, iluminado por una luz blanquecina, parece tal cual una aparición milagrosa.

Miguel Delibes, Diario de un cazador

***

Laëtitia :

Les moineaux me réveillèrent en piaillant comme des fous sur la terrasse. Monsieur Moro dit que Madame de Ladislao avait coutume de leur jeter les miettes de pain des restes de la veille en se levant. C’est pourquoi il y en avait plus d’une centaine qui voletaient entre les cheminées et les étendoirs. La mère était levée depuis un moment, rouspétant parce que le fourneau de cuisine ne tirait pas bien. Ce doit être à cause du temps calme, pas un souffle de vent. De toutes manières ces choses-là, il faut les prendre par leur point faible. La mère était habituée au fourneau de l’autre maison et celui-ci, elle ne s’y fait pas. De plus, la mère est toujours disposée à protester. C’est sa façon d’être. Elle n’a pas encore rendu l’âme. Elle a passé sa journée à se rappeler Madame Rufina. A sept heures, elle me dit : « Et qu’est-ce que je fais à cette heure-ci si je ne peux pas sortir une chaise sur le pas de la porte ? » « Asseyez-vous sur la terrasse, mère », lui dis-je. Elle répondit : « C’est ça, pour voir passer les oiseaux, pas vrai ? » La femme ne manque pas de discernement, mais quand nous avons dîné à la fraîche, sous une voûte étoilée, son expression s’est déridée. Au milieu du repas elle me demanda son châle parce qu’elle sentait la fraîcheur du soir. Je lui demandai depuis quand ici elle avait eu besoin de son châle en août. Pour finir, je l’amenai à la balustrade pour qu’elle contemple la vue. Elle s’avança et dit : « Notre ville est très belle, n’est-ce pas, mon fils ? » Depuis la terrasse on distinguait une mer de lumières et tout était silencieux, comme mort. De temps en temps seulement on a peur du sifflement d’un train. Lorsque je lui montrai le Sacré Cœur, sa figure se réjouit et elle se signa : « Il est tout près de nous, mon fils. Presque à portée de main », disait-elle. Je trouvais qu’elle était effrayée parce que le Sacré Cœur, illuminé par une lumière blanchâtre, a tout d’une apparition miraculeuse.

***

Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

Je fus réveillé par les moineaux qui pépiaient comme des fous sur la terrasse. Monsieur Moro dit que madame de Ladislao avait l’habitude, à son lever, de leur jeter les restes de pain émiettés. Cela explique qu’il y en eût plus d’une centaine qui voletait entre les cheminées et les étendoirs. Ma mère était debout depuis un moment, elle rouspétait parce que le fourneau de la cuisine ne tire pas. Ce doit être à cause du temps calme, sans le moindre brin de vent. De toute façon, il faut pointer la faiblesse de ce genre de choses. Ma mère est habituée au fourneau de l’autre maison, pas à celui-ci. Et puis, ma mère est toujours encline à râler. C’est sa manière d’être. Elle n’a pas encore cassé sa pipe. Elle a passé la journée à se rappeler madame Rufina. À sept heures, elle me dit : « Qu’est-ce que je vais faire, moi, à cette heure-ci, si je ne peux pas sortir une chaise devant la porte ? » « Asseyez-vous sur la terrasse, mère », lui répondis-je. Et elle : «C’est ça, pour regarder passer les oiseaux peut-être ? » Elle n’a pas tort mais, après avoir dîné à la fraîche, sous un toit d’étoiles, son visage s’est détendu. À mi-repas, elle me réclama son fichu parce qu’elle sentait l’humidité du soir. Je lui demandai depuis quand, ici, elle avait besoin de son fichu au mois d’août. Finalement, je l’amenai à la balustrade pour contempler la vue. Elle se pencha et dit : « Elle est très belle, notre ville, pas vrai, mon fils ? » Depuis la terrasse, on aperçoit une mer de lumières, tout est silencieux, comme mort. On est seulement effrayé de temps à autre par le sifflement d’un train. Quand je lui montrai le Sacré Cœur, sa figure s’anima et elle se signa : « Nous l’avons là, tout près, mon fils. Presque à portée de main », disait-elle. Je remarquai qu’elle était surprise parce que le Sacré Cœur, illuminé par une lumière blafarde, a l’air d’une apparition miraculeuse.

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Sonita nous propose sa traduction :

Ce furent les moineaux qui piaillaient comme des fous sur le toit qui me réveillèrent. Monsieur Moro dit que madame de Ladislao avait pour habitude de leur donner les miettes des restes de pain en se levant. Cet ainsi qu’on explique qu’il y en eût plus d’une centaine d’eux qui voletaient entre les cheminées et les cordes à linge.
La mère était debout depuis un bon moment déjà, rouspétant parce que le fourneau de la cuisine ne fonctionnait pas bien. Cela doit être à cause du temps tranquille, sans un brin de vent. De toute façon il faut trouver à ces choses-là leur point faible. La mère était habituée à la cuisine de l’autre maison et celle-ci lui est étrangère. De plus, la mère est toujours d’humeur grognonne. C’est sa manière d’être. Elle n’a toujours pas plié le bec. Elle a passé sa journée à se souvenir de madame Rufina. À sept heures elle me dit : « Et, qu’est-ce que je fais à cette heure-ci si je ne peux pas mettre une chaise sur le pas de la porte ? » « Asseyez-vous sur la terrasse, mère », lui dis-je. Elle dit : « Bien sûr, pour voir les oiseaux passer, n’est-ce pas ? ». Et elle n’a pas tord la bonne femme, mais quand nous avons dîné dehors, sous un toit d’étoiles, son visage s’est détendu. Au milieu du dîner elle me demanda son châle parce qu’elle sentait la fraîcheur du soir. Je lui dis que depuis quand avait-elle eu besoin de châle en août. À la fin du repas je l’emmenai sur le balcon afin qu’elle puisse contempler la vue. Elle se pencha et dit : « Elle est très belle notre ville, n’est-ce pas mon fils ? » Depuis la terrasse on voit une mer de lumières et le silence règne, comme mort. Seulement de temps en temps l’on est effrayé du sifflement d’un train. Quand je lui eu montré le Sacré Cœur, son visage se réjouit et elle se signa : « Nous l’avons tout près, mon fils, presqu’à portée de main », disait-elle. Je la remarquai saisie d’effroi, parce que le Sacré Cœur, illuminé par une lumière blanchâtre, ressemble à une apparition miraculeuse.

Le protagoniste de ma traduction longue, par Laëtitia Sw.

Le personnage principal de ma traduction longue

L’inspecteur Leo Caldas, le personnage principal du roman policier « Ojos de agua », répond dans une large mesure, comme on peut s’y attendre en pareil cas, aux codes du genre : solitaire, un peu taciturne, parfois nostalgique ou mélancolique, il est le reflet de ces enquêteurs pugnaces et méticuleux qui peuplent les polars dont le but ultime est, bien sûr, de démasquer le coupable de crimes atroces. Une observation s’impose d’emblée : il n’est décrit, au fil du récit, que par des caractéristiques psychologiques. Effectivement, nous n’avons pas la moindre trace de description physique, ce qui laisse tout le loisir au lecteur de donner libre cours à son imagination. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un personnage récurrent que nous suivons ici dans sa première affaire (une première précision : sa première affaire dans la réalité extra-fictionnelle, puisque dans l’histoire, il a déjà à son actif une longue série d’enquêtes). Par conséquent, nous aurons l’occasion de le retrouver dans d’autres romans (une deuxième précision : un second roman intitulé « La playa de los ahogados » est paru en 2009). Observons en outre que ces caractéristiques psychologiques se déduisent plus qu’elles ne sont décrites dans la mesure où nous ne découvrons l’intériorité de Caldas qu’à la faveur de flashes-back qui éclairent certains épisodes précis de sa vie. En voici quelques exemples :
1) la découverte, au début du roman, du cadavre d’un jeune saxophoniste, Luis Reigosa, provoque chez Leo une réaction qu’il connaît bien : son habituel « sursaut intérieur » qui le ramène à chaque fois à la mort de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant (p.27), son premier traumatisme (un traumatisme durable, par ailleurs).
2) la vue de l’entrée fleurie de la maison d’un des suspects qu’il va interroger (p.112) le transporte dans un souvenir de voyage (la visite des châteaux de la vallée de la Loire) avec Alba, son ex compagne. Ce personnage interviendra de façon récurrente dans le récit mais il s’agit toujours d’évocations brèves et vagues déclenchées par des réminiscences fugaces. Dans le même ordre d’idées, Leo se remémore certains dimanches après-midi passés à lire et à écouter de la musique avec Alba. Le lecteur comprend, au fil du roman, qu’elle est partie et que son absence pèse à Leo, mais il n’a jamais l’occasion d’apprendre les circonstances de son départ, ni à quand remonte celui-ci, pas plus qu’il ne sait d’ailleurs si elle est vivante ou morte aujourd’hui.
3) les rencontres assez rares avec son père vieillissant sont l’occasion pour Leo de s’apercevoir qu’il a lui aussi accompli une grande partie du chemin de sa vie de même qu’il vit beaucoup avec ses souvenirs.
4) l’escapade à la plage de Lapamán (pp. 80-81) lui rappelle les vacances de son enfance. Il est content de faire découvrir à Rafael Estévez la beauté et le calme de cette plage de sable fin et blanc, bordée de pins et d’eucalyptus, où sont échouées quelques « dornas », les barques de pêche galiciennes traditionnelles.
5) la rencontre avec un personnage-clé du roman (p. 70) dont il remarque le drôle de tremblement qui affecte sa lèvre inférieure (alors qu’il lui demande quelques renseignements en apparence anodins) fait surgir dans la mémoire de Leo le souvenir d’un livre marquant : « La colmena » de l’écrivain galicien Camilo José Cela (prix Nobel de littérature en 1989).
Comme les autres personnages de la région (tels que Guzmán Barrio, le médecin légiste ou María de Castro Raposo, la femme de ménage de la victime), Leo a une façon « toute galicienne » de se comporter : par exemple, l’habitude de répondre à une question par une autre question (le plus souvent rhétorique) alors que rien ne l’exige (la situation est explicite) ; à l’inverse, celle de rester dans le flou, de s’enfermer dans le silence ou de cultiver l’ambiguïté alors que le contexte, là, n’est justement pas clair ; et même parfois, celle de s’amuser à dire tout le contraire de ce que l’on pense, ou comment ne pas rater une occasion de s’adonner à l’ironie ! Autant de particularismes qui ne manquent pas de décontenancer Rafael Estévez, l’assistant de Leo, fraîchement débarqué de sa Saragosse natale : le pauvre a un mal fou à s’adapter à toutes ces subtilités du tempérament galicien.
Enfin, Leo a, comme tout bon enquêteur, une conscience aiguë des situations qui lui sont données de rencontrer. Silencieux, apparemment détaché, sa pensée n’en reste pas moins toujours en éveil, son esprit critique toujours affûté, le flux de sa conscience toujours occupé à démêler les fils de la pelote emmêlée qui symbolise son affaire à éclaircir. Il fonctionne à l’intuition, au flair, au ressenti empirique des lieux et des personnes et il s’appuie sur les réflexes et les enseignements qu’il a acquis ou retirés de sa longue expérience. Il est courtois, réfléchi, patient, tout le contraire de son assistant qui s’emporte à tout bout de champ, ce qui n’empêche pourtant pas Leo de le couvrir dans ses débordements. On peut donc ajouter à son portrait d’autres qualités : loyal, tolérant, avec une bonne dose d’épaisseur humaine. Cet homme dont on mesure tout le vécu tend parfois à se montrer un peu blasé, voire désenchanté. On peut observer, par exemple, comment il apparaît résigné face à l’éventail de comportements incorrigibles des auditeurs qui le contactent à son émission de radio « Patrulla en las ondas ». Notons que sa participation à cette émission lui a assuré une incroyable popularité, que l’on peut vérifier à chaque fois qu’il est amené à croiser de nouvelles personnes, notamment dans le cadre de son travail. Néanmoins, il n’en tire aucune gloire. Au contraire, il en est même un peu agacé. En effet, il ne comprend pas les raisons de cet engouement puéril qui consiste à être émerveillé devant quelqu’un de plus ou moins connu, au seul prétexte de sa supposée célébrité. Dans cette émission, Leo écoute patiemment les requêtes des habitants de Vigo (problèmes de voisinage, etc.) et essaye d’y répondre favorablement. Il est là pour rendre service aux citoyens, des plus loufoques au plus enquiquinants. Il a d’ailleurs une manière amusante de comptabiliser leurs appels comme s’il disputait avec eux un match. Inutile de préciser que Leo est toujours perdant...

Références culturelles, 438 : Fernando Alonso

En photo : Fernando Alonso, par Jaytor

http://es.wikipedia.org/wiki/Fernando_Alonso

vendredi 23 avril 2010

dimanche 18 avril 2010

Exercice d'écriture

Le sujet était : description d'un lieu

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Amélie :

L’annonce disait : 22m², cuisine équipée, salle de bain séparée, proche commerces et tram facultés. C’était il y a neuf mois. Aujourd’hui, la pièce fait toujours la même taille et les commodités n’ont pas changé. Mais les lieux, si.
Sur les murs, des photos, des cartes postales et des cadres ; autant de souvenirs de tranches de vie que l’on voit sans regarder. Autant de présences qui comblent l’espace davantage que les meubles. Une haute étagère de forme triangulaire accueille cinémas, musiques et littératures en tous genres. On dirait qu’elle a été fabriquée pour être placée là, dans ce petit angle perdu, littéralement clouée au bureau pour éviter qu’elle ne soit bancale. Le bureau justement, véritable repère anthropologique. S’y côtoient une imprimante, un boîtier à lunettes –contenant lesdites lunettes–, des blocs de minis post-it® multicolores, des crayons tout aussi bariolés, une oreillette et un chargeur de portable, une brosse à cheveux, des bougies –recommandation maternelle en cas de panne d’électricité–, des dessins d’enfants, une carte de Bordeaux, une liste de courses. Des dictionnaires, en nombre, pour tenter de mener au mieux la difficile tâche de la traduction longue. Des billets de train, sésames pour des voyages salutaires quand la distance devenait trop lourde. De la poussière aussi, un peu trop, qui indique que le ménage n’est vraiment pas la priorité. Et un ordinateur portable, constamment allumé, outil de travail, lien social et vecteur d’évasion. Près du lit, l’étagère suédoise à quatre cases où sont rangés paquet de céréales, farine et boîtes de conserves, rappelle les multiples allers-retours dans le grand magasin bleu à enseigne jaune pour se constituer un petit « chez-soi » confortable. Entre les deux, une valisette bleue estampillée « Istanbul chamber of commerce », fraîche réminiscence de l’escapade livresque parisienne. Outre des livres, qui n’en ont pas bougé depuis, elle recèle des kilomètres parcourus, des rencontres, des découvertes, de la fatigue et des rires, qui viennent se mêler à ceux qui résonnent déjà dans la pièce, recueillis lors de journées thé-traduction-deezer-bavardages. Trois mètres plus loin, sous l’évier, le rebord de la porte du meuble conserve toujours l’empreinte d’un petit animal pressé, à l’origine d’une frayeur sans fin.
Et dans un coin, dissimulé dans l’ombre comme quelque chose que l’on n’a pas vraiment envie de voir, un carton vide annonce déjà le départ à venir.

***

Laëtitia Sw. :

Le funiculaire du Tibidabo grimpait, alerte, à flanc de colline, dans la moiteur du soir. Comme à l’accoutumée, il s’apprêtait à déverser son énième flot de passagers devant la lourde grille en fer forgé de la fête foraine, qui matérialisait une barrière symbolique entre deux mondes. De ces hauteurs, la ville, dont on ne percevait plus qu’une vague rumeur, moutonnait, aussi fière et belle qu’une princesse orientale, jusqu’à l’horizon. On racontait que celui qui en avait un jour foulé le sol ne pouvait plus l’oublier et vivait dans l’attente anxieuse de la retrouver. Une attente qui, sous peine de rester insatisfaite, ne connaissait jamais de fin. Comme un sortilège.
C’était bien l’avis de Lorenzo qui, en sortant du petit train, s’était précipité vers le parapet pour la contempler. Il ne se lassait pas de ce spectacle qu’il connaissait par cœur, pourtant. Goûtant avec délice les effluves du jasmin en fleurs, il mesurait une fois encore combien il lui serait impossible de vivre loin d’elle. Absorbé dans ses pensées, il resta immobile, rêveur, pendant un long moment. Cette ville exerçait sur lui un étrange magnétisme. Il avait l’impression de l’avoir toujours connue, et même que ce sentiment datait de bien avant sa naissance, comme s’il flottait là une part irréductible de lui-même, quelque chose de son âme éternelle, en somme. Depuis quelques temps, il sentait vibrer en lui une telle impétuosité qu’il se demandait, un peu décontenancé, ce qu’il lui arrivait. Ce regain de vigueur, comme à l’aube d’une seconde vie, en venait parfois à l’inquiéter. Il ne manquerait plus qu’il couve des élans mystiques ! Il allait devoir surveiller de près cette nouvelle bizarrerie...
Le rire d’un enfant qui passait derrière lui le tira de sa rêverie. Un coup d’œil sur sa montre. Mince ! À tant arriver toujours trop à l’avance, il se trouvait au final immanquablement en retard. Ce qui, en définitive, revenait au même. Jamais dans le tempo. Achronique, voire anachronique. Comme son ardeur fébrile pour cette ville. Désir déraisonnable ? Les esprits fougueux, éternels amoureux enflammés, brûlant d’inexplicables passions étaient aujourd’hui suspects. L’époque n’était plus vraiment au romantisme dix-neuvièmiste. Concrètement, il apparaissait aussi comme un incorrigible étourdi. Il risquait de rater son rendez-vous. Il se mit donc à courir, soudain affolé, vers l’entrée du parc. Il paya en vitesse son billet au guichetier sans âge puis, après lui avoir ravi des mains le ticket magique, il s’élança sous le toit végétal des chênes centenaires.

***

Coralie :

Ciel bleu, sans nuages. Des piliers de bétons. Gris. De la ferraille. Des ouvertures sur la mer. Carrés, géométrie, symétrie. La rue. D'autres piliers, les mêmes. Dix mètres de haut. Inachevés. Des tiges de fer, promettant des extensions. Des étais, par centaines. Des échafaudages. En bois. Chantiers inanimés, comme abandonnés. Travaux stoppés. Panorama du quartier : sable, béton, ferraille. La vie ? Fuyant le soleil de plomb. Dans l’ombre, des enfants, pieds nus, la peau brune, les cheveux ébène. Un ballon. Des cris. Des chutes. Des genoux râpés. Assis sur le trottoir, quelques hommes, turbans indigo, jilbabs blancs. Thé à la menthe. Jeu de cartes. Quotidien égyptien. haut. Inachevés ?

Références culturelles, 432 : Andoni Luis Aduriz

En photo : Andoni Luis Aduriz, par Soda New TV

http://es.wikipedia.org/wiki/Andoni_Luis_Aduriz

samedi 17 avril 2010

Exercice d'écriture pour le 23 avril

Le sujet : Premiers rayons de soleil

Votre version de la semaine : pour le 23 avril

En photo : César Aira, par Leonardo Antoniadis

Esa noche después de cenar, Lu Hsin reflexionaba en lo que había sucedido. A esta hora el negro cerrado de la noche promovía el pensamiento, incluso con cierta densidad que él se permitía de vez en cuando. Se preparó un té y salió a beberlo al patio. Había dejado de llover al anochecer, y los vientos del este habían barrido las nubes. Era una noche sin luna, pero diseminada de astros muy brillantes. Caminó hasta abajo del gingko y miró el cielo entre sus delicados encajes de follaje. Dejaba que el vapor de su tacita de te subiera hasta las pequeñas hojas palmeadas, esa humedad caliente aterciopelada por la luz de acero de las estrellas.
Los giros de burla reticente en sus amigos le habían dado una idea... aunque todavía no sabía bien cuál. Como muchos seres extremadamente inteligentes, actuaba siempre por reacción. Sólo que elegía cuidadosamente (y en este punto no estaba para nada entregado a las manos con frecuencia torpes del destino) las circunstancias a las cuales reaccionar.
Desde hacía un tiempo, unos meses, un año todo lo más, no había llevado la cuenta, Lu había concebido una pasión violenta por Bao, la hija de la montañesa que le traía ágatas. Pero había descartado ese sentimiento como un sueño o una fantasía, algo que en realidad no le sucedía enteramente a él... pero podría sucederle. No excluía la posibilidad. Era una jovencita de catorce o quince años, que casi nunca hablaba. Lu Hsin había mantenido el contacto con la madre aun cuando no necesitara su provisión, e incluso había llegado al absurdo de comprarle frutos silvestres, simulando una predilección que no existía.
Ahora, gracias a la intervención casual de sus invitados esta tarde, vio de pronto que podía ir al otro lado de su burla, perfectamente... Al otro lado incluso de sus sospechas, si es que las habían concebido.
Había algo que volvía irreal a Bao, algo que de todos modos resultaría difícil (en rigor, imposible aun al más largo plazo) de superar, y era lo que hoy día se llamaba, siguiendo la moda francesa, la cuestión racial. Bao era una típica montañesa, casi indiscernible de las demás, y en ese caso, ¿cómo podía decir que se había enamorado de ella? Bao misma se perdía en la multiplicidad que representaba, o que otras representaban por ella.

César Aira, Una novela china

***

Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

Cette nuit-là, après le dîner, Lu Hsin songeait à ce qu’il s’était passé. À cette heure, la nuit noire était propice à la réflexion, une réflexion par ailleurs plutôt dense, qu’il s’offrait de temps en temps. Il se prépara un thé et sortit le boire dans la cour. Il avait cessé de pleuvoir à la tombée de la nuit, et les vents de l’est avaient balayé les nuages. C’était une nuit sans lune, mais parsemée d’astres très brillants. Il alla se placer sous le ginkgo et regarda le ciel à travers la dentelle délicate de son feuillage. Il laissait les vapeurs de sa tasse de thé monter jusqu’aux petites feuilles palmées, cette chaude humidité veloutée par la lumière d’acier des étoiles.
Les moqueries réticentes de ses amis lui avaient donné une idée... bien qu’il ne sût pas encore vraiment laquelle. Comme beaucoup d’êtres extrêmement intelligents, il agissait toujours par réaction. Sauf qu’il choisissait soigneusement les circonstances auxquelles réagir (et sur ce point, il ne se trouvait en rien livré aux mains fréquemment maladroites du destin).
Depuis un certain temps, quelques mois, un an tout au plus, il n’avait pas compté, Lu avait commencé à nourrir une passion violente pour Bao, la fille de la montagnarde qui lui apportait des agates. Mais il avait rejeté ce sentiment comme s’il s’agissait d’un rêve ou d’une fiction, quelque chose qui, en réalité, ne lui arrivait pas entièrement à lui... mais qui pourrait lui arriver. Il n’excluait pas la possibilité. C’était une jeune fille de quatorze ou quinze ans, qui ne parlait jamais, ou presque. Lu Hsin avait entretenu le contact avec sa mère, même s’il n’avait pas besoin de ses provisions, au point qu’il était arrivé à l’absurdité de lui acheter des fruits sauvages, feignant un penchant qui n’existait pas.
À présent, grâce à l’intervention fortuite de ses invités cet après-midi, il vit soudain qu’il pouvait passer outre ses moqueries, parfaitement... Outre ses soupçons, si tant est qu’il les eût conçus.
Il y avait quelque chose qui rendait Bao irréelle, quelque chose que, de toute façon, il serait difficile de dépasser (en réalité, impossible, même à très long terme) : ce que, de nos jours, on appelait, selon la mode française, la question raciale. Bao était une montagnarde typique, presque indiscernable des autres ; dans ce cas, comment pouvait-il affirmer qu’il était tombé amoureux d’elle ? Bao se perdait dans la multiplicité qu’elle représentait, ou que les autres représentait par rapport à elle.

***

Laëtitia nous propose sa traduction :

Cette nuit-là, après le dîner, Lu Hsin pensait à ce qui s’était passé. A cette heure-là, l’obscurité épaisse de la nuit favorisait la réflexion, avec en outre une certaine densité qu’il se permettait de temps en temps. Il se prépara un thé et sortit le boire dans la cour. La pluie s’était arrêtée à la tombée du jour, et les vents de l’est avaient balayé les nuages. C’était une nuit sans lune, mais parsemée d’astres très étincelants. Il marcha jusque sous le ginkgo et regarda le ciel entre ses délicates dentelles de feuillage. Il laissait la vapeur de sa tasse de thé monter jusqu’aux petites feuilles palmées, cette humidité chaude veloutée par la lumière d’acier des étoiles.
Les moqueries réticentes de ses amis lui avaient donné une idée... Quoiqu’il ne sût pas encore bien laquelle. Comme beaucoup d’êtres extrêmement intelligents, il agissait toujours par réaction. Sauf qu’il choisissait soigneusement (et en ce point il n’était en rien livré aux mains souvent maladroites du destin) les circonstances auxquelles réagir. Depuis longtemps, quelques mois, un an tout au plus, il n’avait pas fait le compte, Lu avait vu naître en lui une passion violente pour Bao, la fille de la montagnarde qui lui apportait des agates. Pourtant il avait écarté ce sentiment comme on écarte un rêve ou une chimère, quelque chose qui en réalité ne lui arrivait pas entièrement à lui...mais qui pourrait lui arriver. Il n’excluait pas cette possibilité. C’était une jeune fille de quatorze ou quinze ans, qui ne parlait presque jamais. Lu Hsin avait maintenu le contact avec sa mère y compris quand il n’avait pas besoin de ses provisions, et il en était même arrivé au point absurde de lui acheter des fruits sylvestres, simulant une prédilection qui n’existait pas.
A présent, grâce à l’intervention fortuite de ses invités ce soir-là, il vit soudain qu’il pouvait aller au-delà de leurs moqueries, parfaitement... Au-delà même de leurs soupçons, si tant est qu’ils les eussent formés. Il y avait quelque chose qui rendait Bao irréelle, quelque chose qui de toute façon serait difficile (strictement, impossible même sur le plus long terme) à dépasser, et c’était ce que de nos jours on appelait, suivant la mode française, la question raciale. Bao était une montagnarde typique, presque indiscernable des autres, et dans ce cas, comment pouvait-il dire qu’il était tombé amoureux d’elle ? Bao elle-même se perdait dans la multiplicité qu’elle représentait, ou que d’autres représentaient pour elle.

***

Amélie nous propose sa traduction :

Cette nuit-là, après le dîner, Lu Hsin songeait à ce qu’il s’était passé. À cette heure, l’épaisse obscurité de la nuit était propice à la réflexion, y compris à celle d’une certaine densité qu’il s’autorisait de temps en temps. Il se prépara un thé et sortit le boire dans la cour. La pluie avait cessé à la tombée du jour, et les vents d’est avaient balayé les nuages. C’était une nuit sans lune, mais parsemée d’astres très brillants. Il marcha jusqu’au ginko puis, une fois dessous, il regarda le ciel à travers la dentelle délicate de son feuillage. Il laissait la fumée de sa petite tasse de thé monter jusqu’aux petites feuilles palmées, cette humidité chaude veloutée par la lumière d’acier des étoiles.
Les moqueries réticentes de ses amis lui avaient donné une idée… bien qu’il ne sût pas encore vraiment laquelle. À l’instar de beaucoup d’êtres extrêmement intelligent, il agissait toujours par réaction. Sauf qu’il choisissait avec soin (et sur ce point, il n’était absolument pas livré aux mains du destin, souvent maladroites d’ailleurs) les circonstances auxquelles réagir.
Depuis un certain temps, quelques mois, un an tout au plus, il n’avait pas compté, Lu nourrissait une passion violente à l’égard de Bao, la fille de la montagnarde qui lui apportait des agates. Cependant, il avait rejeté ce sentiment comme s’il s’agissait d’un rêve ou de chimères ; quelque chose qui, en réalité, ne lui arrivait pas vraiment…mais pourrait lui arriver. Il n’excluait pas cette éventualité. C’était une jeune fille de quatorze ou quinze ans, qui ne parlait presque jamais. Lu Hsin avait gardé le contact avec sa mère même s’il n’avait pas besoin d’être approvisionné, et avait même poussé l’absurdité jusqu’à lui acheter des fruits sauvages, feignant une prédilection qui n’existait pas.
À présent, grâce à l’intervention fortuite de ses invités ce soir-là, il vit soudain qu’il pouvait aller au-delà de leurs moqueries, parfaitement… Voire au-delà de leurs soupçons, si tant est qu’ils en aient.
Il y avait quelque chose chez Bao qui la rendait irréelle, quelque chose qui, de toute façon, serait difficile à surmonter (impossible à vrai dire, même à très long terme) : c’était ce que l’on appelait aujourd’hui, selon la mode française, la question raciale. Bao était une montagnarde typique, quasiment indiscernable des autres et, dans ce cas, comment pouvait-il affirmer qu’il était tombé amoureux d’elle ? Bao elle-même se perdait dans la multiplicité qu’elle représentait, ou que les autres représentaient pour elle.

***

Sonita nous propose sa traduction :

Cette nuit-là après le dîner, Lu Hsin réfléchissait à ce qui s’était passé. À cette heure-ci la nuit noire favorisait la réflexion, y compris avec une certaine densité qu’il se permettait de temps en temps. Il se prépara un thé et sortit le boire dans la cour. Il s’était arrêté de pleuvoir à la tombée de la nuit et les vents de l’est avaient balayé les nuages. C’était une nuit sans lune mais parsemée d’astres très brillants. Il marcha jusque sous le gingko et regarda le ciel à travers son délicat feuillage en dentelle. Il laissait la vapeur de sa petite tasse monter jusqu’au petites feuilles palmées, cette humidité chaude veloutée par la lumière en acier des étoiles.
Les moqueries réticentes de ses amis lui avaient donné une idée… bien qu’il ne sache pas encore laquelle. Comme beaucoup d’êtres extrêmement intelligents il agissait toujours par réaction. Sauf qu’il choisissait soigneusement (et en ce point il ne se remettait pas du tout aux mains souvent maladroites du destin) les circonstances auxquelles il aurait à réagir.
Depuis quelque temps, quelques mois, un an tout au plus, il n’avait pas tenu les comptes, Lu avait conçu une passion violente pour Bao, la fille de la montagnarde qui lui ramenait des agates. Mais il avait écarté cette pensée comme un rêve ou une fantaisie, quelque chose qu’en réalité ne lui arrivait pas à vraiment à lui… mais qui pouvait lui arriver. Il n’en excluait pas la possibilité. C’était une jeune fille de quatorze ou quinze ans qui ne parlait quasiment jamais. Lu Hsin avait gardé le contact avec la mère même quand il n’avait pas besoin de provisions, et il était même arrivé à l’absurdité de lui acheter des fruits sylvestres, feignant une prédilection qui n’existait pas.
Maintenant, grâce à l’intervention fortuite de ses invités cette après-midi-là, il vit soudainement qu’il pouvait parfaitement aller outre leurs moqueries… y compris outre leurs soupçons si c’est qu’ils en avaient conçu.
Il y avait quelque chose qui rendait Bao irréelle, quelque chose qui de toute façon serait difficile (à la rigueur, impossible bien qu’à plus à long terme) de surmonter, et c’était ce qu’on appelait aujourd’hui, d’après la mode française, la question raciale. Bao était une montagnarde typique indiscernable des autres, et dans ce cas-là, comment pouvait-il dire qu’il était tombé amoureux d’elle ? Bao, elle-même, se perdait dans la multiplicité qu’elle représentait ou que les autres représentaient à sa place.

Références culturelles, 431 : Marc Singla

En photo : tortilla marc singla, par franzconde

http://ecodiario.eleconomista.es/gourmet/noticias/1484166/08/09/Marc-Singla-regresa-a-los-fogones.html

jeudi 15 avril 2010

Références culturelles, 429 : Quique Dacosta

En photo : quique dacosta del restaurante el..., par rafa arjones

http://es.wikipedia.org/wiki/Quique_Dacosta

mercredi 14 avril 2010

lundi 12 avril 2010

Références culturelles, 426 : Sergi Arola

En photo : Sergi Arola Guia Michelin 2009, par El Aderezo - Blog de Cocina

http://es.wikipedia.org/wiki/Sergi_Arola

Exercice d'écriture pour le 19 avril

Le sujet : Description d'un lieu

Votre version de la semaine : pour le 19 avril

En photo : El laberinto de las aceitunas, par Planetalector.com

En la esquina de Balmes-Pelayo di a la Emilia las últimas instrucciones:
—Recuerda bien lo que te he dicho: cuando me veas salir, me sigues sin que te vean. Cuando deje caer al suelo este pañuelo blanco que he encontrado en el bolsillo del pantalón y que, por cierto, no debieron ver los de la tintorería, porque está que resbala, te vas al primer teléfono que encuentres y avisas al comisario Flores. Pero sólo si dejo caer el pañuelo. Antes, no. ¿Estamos?
—Que sí, hombre, que sí.
La dejé en el coche, soportando el aguacero de injurias que los demás automovilistas le dirigían por bloquear media calzada, y no sin cierto canguelo entré en el edificio, saludé al portero, que no me reconoció, y subí a la agencia. La puerta estaba cerrada, pero se apreciaba actividad en su interior a través del cristal esmerilado. Abrí la puerta y me colé en el local. En el escritorio del fondo había un individuo de rostro enjuto y pelo ensortijado, vestido con una americana de cuadros negros y blancos, a quien un mocetón casi acostado sobre la mesa estaba dando explicaciones. Iba el otro a replicarle cuando sus ojos se posaron en mi distinguida persona.
—¡Chitón! —exclamó.
Yo me hice el desentendido, perfilándome ora de un lado ora del otro y dando chicuelinas con el maletín para que todo el que pudiera estar interesado en él lo percibiera. Una secretaria muy joven, de pelo grasiento y rasgos poco agraciados me preguntó que qué deseaba. Adopté una actitud que juzgué pizpireta y le respondí que quería ser estrella del séptimo arte, que me habían recomendado aquella agencia y que me condujera a presencia del director. La secretaria me rogó que aguardara un instante y me señaló el banquillo adosado a la pared, en el que mataban el tiempo una señora de mediana edad profusamente maquillada y un enano. El enano se entretenía jugueteando con una caña y la señora haciendo pucheros. Por iniciar la conversación pregunté quién era el último. La señora se señaló a sí misma y luego señaló al enano.
—Venimos juntos —dijo sin dejar de sollozar.
El enano le arreó un mandoble con la caña. Venía ya la secretaria diciendo que el señor director me recibiría de inmediato. Saludé con una inclinación a la pareja y me encaminé a la mesa del de la americana escaqueada. El mocetón había cruzado la pieza y montaba guardia junto a la salida. Me puse de puntillas para tratar de ver a través del balcón si todavía estaba el coche de la Emilia frente al edificio, pero no lo pude encontrar entre aquel magma de vehículos que circulaba a ritmo de sepelio. El señor director me tendió una mano gelatinosa y fría que estreché jovialmente.

Eduardo Mendoza, El laberinto de las aceitunas

***

Laëtitia nous propose sa traduction :

A l’angle des rues Balmes et Pelayo, je donnai les dernières instructions à Emilia :
-Souviens-toi bien de ce que je t’ai dit : dès que tu me vois sortir, tu me suis sans être vue. Et dès que je laisse tomber ce mouchoir blanc que j’ai trouvé dans la poche de mon pantalon et que les employés du pressing n’ont probablement pas dû voir, parce qu’il glisse, tu vas au premier téléphone que tu trouves et tu préviens le commissaire Flores. Mais uniquement si je laisse tomber le mouchoir. Pas avant. Compris ?
-Mais oui, mon vieux, mais oui.
Je la laissai dans la voiture, sous le flot d’injures que les autres automobilistes déversaient sur elle parce qu’elle bloquait la moitié de la chaussée, j’entrai dans l’immeuble non sans ressentir une certaine trouille, je saluai le portier, qui ne me reconnut pas, et je montai à l’agence. La porte était fermée, mais on distinguait de l’activité à l’intérieur à travers la vitre en verre dépoli. J’ouvris la porte et je me faufilai dans le local. Dans le bureau du fond, se trouvait un individu au visage émacié et aux cheveux bouclés qui portait une veste à carreaux noirs et blancs, et à qui un grand gaillard à demi couché sur la table donnait des explications. L’autre allait répliquer quand ses yeux se posèrent sur mon illustre personne.
-Chut ! –s’exclama-t-il.
Je fis comme si de rien n’était, me mettant de profil tantôt d’un côté tantôt de l’autre, faisant des passes de cape avec la mallette pour que quiconque s’y intéresse la remarque.
Une secrétaire très jeune, aux cheveux gras et aux traits peu harmonieux me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et lui répondis que je voulais devenir une étoile du septième art, que cette agence m’avait été recommandée et qu’elle veuille bien me conduire devant le directeur. La secrétaire me pria d’attendre un instant et m’indiqua le petit banc adossé au mur, sur lequel une dame d’âge moyen au maquillage outrancier et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec un roseau et la dame en faisant des grimaces. Pour amorcer la conversation, je demandai qui était le dernier.
La dame se signala elle-même puis signala le nain.
-Nous sommes venus ensemble –dit-elle sans cesser de pleurnicher.
Le nain la fouetta avec le roseau. La secrétaire déjà de retour m’informa que monsieur le directeur allait me recevoir immédiatement. Je saluai le couple en m’inclinant et je me dirigeai vers le bureau de l’homme à la veste en damier. Le grand gaillard avait traversé la pièce et montait la garde à la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour essayer de voir par le balcon si la voiture d’Emilia était toujours en face de l’immeuble, mais je ne pus pas la localiser au milieu de ce magma de véhicules qui progressait à la lenteur d’un cortège funèbre. Monsieur le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Coralie nous propose sa traduction :

À l’angle de Balmes-Pelayo, je donnai à Emilia les dernières instructions :
— Souviens-toi bien de ce que je t’ai dit : quand tu me verras sortir, tu me suivras sans qu’ils te voient. Quand je laisserai tomber par terre ce mouchoir blanc que j’ai trouvé dans la poche du pantalon et que, bien sûr, ceux de la teinturerie n’avaient pas du voir, parce que c’en est un qui glisse, tu vas au premier téléphone que tu trouves et tu préviens le commissaire Flores. Mais seulement si je laisse tomber le mouchoir. Pas avant. On est d'accord ?
Mais oui, évidemment, oui.
Je la laissai dans la voiture, subissant l'averse d'injures que les autres automobilistes lui proféraient parce qu'elle bloquait la moitié de la chaussée, j’entrai non sans une certaine frousse dans l’immeuble, et je montai à l'agence. La porte était fermée, mais l'on discernait de l'activité à l’intérieur à travers le carreau poli. J’ouvris la porte et me faufilai dans le siège. Dans le bureau du fond, il y avait un individu au visage maigre et aux cheveux bouclés, vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs, auquel un grand gaillard presque couché sur la table était en train de donner des explications. L’autre allait lui répondre quand ses yeux se posèrent sur ma très distinguée personne.
Chut ! -s’exclama-t-il.
Moi, je fis la sourde oreille, me présentant tantôt d'un côté tantôt de l'autre et faisant des chicuelinas avec la mallette pour qu’il y distingue tout ce qui pouvait l’intéresser. Une secrétaire, très jeune, aux cheveux graisseux et aux traits ingrats, me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et je lui répondis que je voulais devenir une étoile du septième art, qu’on m’avait recommandé cette agence et qu’elle devait me conduire auprès du directeur. La secrétaire me pria de patienter un instant et me montra le banc adossé au mur, sur lequel une dame d’âge moyen abondamment maquillée et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec une canne et la dame en faisant la moue. Pour lancer la conversation, je demandai qui était le dernier. La dame se désigna elle-même et désigna ensuite le nain.
— Nous sommes venus ensemble –dit-elle sans cesser de sangloter.
Le nain lui flanqua un coup avec la canne. La secrétaire venait alors pour me dire que monsieur le directeur allait me recevoir tout de suite. Je saluai le couple avec inclination et je me dirigeai vers le bureau de celui à la veste quadrillée. Le grand gaillard avait traversé la pièce et montait la garde près de la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour tenter de voir à travers le balcon si la voiture d’Emilia était toujours face à l’immeuble, mais je ne pus la trouver parmi ce magma de véhicules qui circulait à l’allure d’un convoi funéraire. Monsieur le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Chloé nous propose sa traduction :

À l’angle des rues Balmes et Pelayo, je donnai à Emilia mes dernières instructions :
Rappelle-toi bien ce que je t’ai dit : quand tu me verras sortir, tu me suis sans te faire remarquer. Quand je laisserai tomber par terre ce mouchoir blanc que j’ai trouvé dans la poche du pantalon, et que ceux de la teinturerie n’ont sûrement pas dû voir, puisque qu’il est tout visqueux, tu vas vers le premier téléphone que tu trouves et tu informes le commissaire Marguerites. Mais seulement si je laisse tomber le mouchoir, pas avant ! Nous sommes d’accord ?
Oui, c’est bon, c’est bon.
Je la laissai dans la voiture, supportant le flot d’injures que les autres automobilistes lui déversaient étant donné qu’elle bloquait la moitié de la chaussée, et je pénétrai dans le bâtiment –non sans avoir la frousse –, je saluai le portier, qui ne me reconnut pas, et je montai à l’agence. La porte était fermée, néanmoins on percevait de l’agitation à l’intérieur au travers du verre dépoli. J’ouvris la porte et me faufilai dans le local. Dans le bureau du fond se trouvait un individu au visage émacié et aux cheveux bouclés, vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs, à qui un grand gaillard presque couché sur la table était en train de donner des explications. L’autre allait lui répliquer quelque chose lorsque ses yeux se posèrent sur mon éminente personne.
Chut ! s’exclama-t-il.
Quant à moi, je fis l’innocent, en pivotant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, tout en balançant la mallette pour que tous ceux qu’elle pourrait intéresser la remarquent. Une secrétaire très jeune, le cheveu gras et les traits peu harmonieux me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et lui répondis que je souhaitais devenir une vedette du septième art, que l’on m’avait recommandé cette agence et qu’elle conduise auprès du directeur. La secrétaire me pria de patienter un instant et me désigna la banquette adossée contre le mur, où une dame d’âge moyen au maquillage outrancier et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec une canne et la dame faisait la moue. Pour engager la conversation je demandai qui était le dernier. La dame se désigna, puis elle désigna le nain.
Nous sommes venus ensemble – dit-elle sans cesser de sangloter.
Le nain lui flanqua un coup de canne. Déjà la secrétaire revenait, m’informant que le directeur me recevrait immédiatement. Je saluai le couple d’une révérence et je me dirigeai vers la table de l’homme à la veste à damiers. Le grand gaillard avait traversé la pièce pour monter la garde près de la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir par le balcon si la voiture d’Emilia était toujours en face du bâtiment, mais je ne pus la distinguer parmi ce magma de véhicules qui circulait au rythme d’un convoi funèbre. Monsieur le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Amélie nous propose sa traduction :

À l’angle des rues Balmes et Pelayo, je donnai mes dernières instructions à Emilia :
— Rappelle-toi bien ce que je t’ai dit : dès que tu me vois sortir, tu me suis sans te faire remarquer. Quand je laisserai tomber par terre ce mouchoir blanc que j’ai trouvé dans la poche du pantalon –et qui a sûrement dû échapper au teinturier, parce qu’il est tout visqueux–, tu sautes sur le premier téléphone que tu croises et tu préviens le Commissaire Marguerites. Mais seulement si je laisse tomber le mouchoir. Et pas avant ! Compris?
— Oui, oui, c’est bon.
Je la laissai dans la voiture, sous le flot d’injures que les autres automobilistes lui adressaient car elle bloquait la moitié de la chaussée, et, non sans une certaine frousse, je pénétrai dans le bâtiment, saluai le concierge –qui ne me reconnut pas– et montai à l’agence. La porte était fermée ; néanmoins, on distinguait de l’agitation à l’intérieur, à travers le verre dépoli. J’ouvris la porte et me glissai dans le local. Dans le bureau du fond se trouvait un individu au visage émacié et aux cheveux bouclés, vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs, à qui un grand gaillard à moitié affalé sur la table donnait des explications. L’autre allait répliquer lorsque ses yeux se posèrent sur mon élégante personne.
—Chut ! —s’exclama-t-il.
Quant à moi, je fis le sourd, me tournant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, tout en balançant la mallette pour que tous ceux qu’elle pourrait intéresser la remarquent. Une secrétaire très jeune, aux cheveux graisseux et au visage ingrat me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et lui répondis que je voulais devenir une star du septième art, que l’on m’avait recommandé cette agence, et qu’elle me conduise auprès du directeur. La secrétaire me pria de patienter un instant et me désigna la banquette adossée au mur, sur laquelle une dame d’âge moyen maquillée à outrance et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec une badine et la femme faisait la moue. Pour engager la conversation, je leur demandai qui était le dernier. La dame se désigna, avant de désigner le nain.
—Nous sommes venus ensemble— dit-elle, sans cesser de sangloter.
Le nain lui flanqua un coup de badine. La secrétaire revenait déjà, en m’informant que Monsieur le Directeur allait me recevoir immédiatement. Je saluai le couple d’un signe de tête et me dirigeai vers la table de l’homme à la veste à damiers. Le grand gaillard avait traversé la pièce et montait la garde près de la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour tenter de voir par le balcon si la voiture d’Emilia se trouvait toujours en face du bâtiment, mais je ne pus la trouver parmi ce magma de véhicules qui circulait au rythme d’un convoi funèbre. Monsieur le Directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

À l’angle des rues Balmes et Pelayo, je donnai à Emilia les dernières instructions :
— Rappelle-toi bien ce que je t’ai dit : quand tu me verras sortir, tu me suis sans être vue. Quand je laisserai tomber par terre ce foulard blanc que j’ai trouvé dans la poche de mon pantalon — et qu’au pressing, à coup sûr, ils n’ont pas dû voir, vu qu’il est tout poisseux —, tu vas à la première cabine téléphonique que tu trouveras et tu préviens le commissaire Flores. Mais seulement si je laisse tomber le foulard. Pas avant. D’accord ?
— Mais oui, voyons !
Je la laissai dans la voiture, sous le flot d’injures que les autres automobilistes lui adressaient parce qu’elle bloquait la moitié de la route, et c’est avec une certaine trouille que j’entrai dans l’immeuble ; je saluai le gardien, qui ne me reconnut pas, et je montai à l’agence. La porte était fermée, mais on devinait une activité à travers la vitre fumée. J’ouvris la porte et me faufilai à l’intérieur. Dans le bureau du fond, il y avait un individu au visage maigre et aux cheveux bouclés, vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs, à qui un grand gaillard presque couché sur la table fournissait des explications. L’autre allait lui répondre lorsque ses yeux se posèrent sur ma vénérable personne.
— Chut ! — s’exclama-t-il.
Je fis celui qui ne comprenait pas, me tournant d’un côté puis de l’autre, en arborant ma mallette pour la faire bien voir à quiconque pourrait être intéressé. Une très jeune secrétaire, aux cheveux gras et aux traits ingrats me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai avenante et lui répondis que je voulais être une star du septième art, qu’on m’avait recommandé cette agence, puis je lui demandai de me conduire chez le directeur. La secrétaire me pria d’attendre un instant et m’indiqua un banc adossé au mur, sur lequel une dame d’âge moyen, maquillée à outrance, et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec sa canne et la dame en pleurnichant. Pour entamer la conversation, je demandai qui était arrivé le dernier. La dame se désigna elle-même puis elle désigna le nain.
— Nous sommes ensemble — dit-elle sans cesser de sangloter.
Le nain lui flanqua un coup de canne. La secrétaire, déjà de retour, venait m’annoncer que monsieur le directeur allait me recevoir immédiatement. Je saluai le couple d’une inclination de tête et me dirigeai vers le bureau de l’homme à la veste à damiers. Le grand gaillard avait traversé la pièce et montait la garde près de la sortie. Je me hissai sur la pointe des pieds pour essayer de voir par le balcon si la voiture d’Emilia était toujours devant l’immeuble, mais je ne parvins pas à la distinguer au milieu de ce magma de véhicules qui roulaient à un rythme d’enterrement. Monsieur le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Carole nous propose sa traduction :

Au coin da la rue Balmes-Pelayo, je donnai à Emilia mes dernières instructions :
-Rappelle-toi bien ce que je t’ai dit : quand tu me verras sortir, tu me suis sans qu’ils te voient. Quand je laisserai tomber par terre ce mouchoir blanc que j’ai trouvé dans la poche du pantalon et que, certainement, au pressing ils n’ont pas du voir, parce qu’il glisse, tu vas au premier téléphone que tu trouves et tu préviens le commissaire Flores. Mais uniquement si je laisse tomber le mouchoir. Avant, non. C’est clair?
-C’est bon, mon vieux, c’est clair.
Je la laissai dans la voiture, supportant la cascade d’injures que les autres automobilistes lui déversaient car elle bloquait la moitié de la chaussée, et non sans une certaine frousse, j’entrai dans l’immeuble, je saluai le concierge, qui ne me reconnut pas, et je montai à l’agence. La porte était fermée, mais on percevait l’activité à l’intérieur à travers le verre poli. J’ouvrai la porte et je me faufilai dans le local. Dans le bureau du fond, il y avait un individu au visage sec et aux cheveux bouclé, vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs, à qui un grand-gaillard presque allongé sur le bureau était en train de donner des explications. L’autre était sur le point de lui répondre quand ses yeux se posèrent sur ma personne distinguée.
-Chut! s’exclama-t-il.
Moi, je fis l’innocent, me dirigeant soit d’un côté soit de l’autre tout faisant tourner ma mallette, afin que celui qui pourrait être intéressé par celle-ci, la perçoive. Une secrétaire très jeune, aux cheveux gras et aux traits peu gracieux me demanda ce que je souhaitais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et je lui répondis que je voulais être une star du septième art, qu’on m’avait recommandé cette agence et qu’elle me conduise auprès du directeur. La secrétaire me pria d’attendre un instant et m’indiqua un petit banc adossé au mur, sur lequel une dame d’un âge moyen et maquillée avec profusion ainsi qu’un nain tuaient le temps. Le nain s’amusait en jouant avec une cane et la dame faisait la moue. Afin d’entamer la conversation, je demandai qui était le dernier arrivé. La dame se montra elle-même puis montra le nain.
-Nous sommes venus ensemble- dit-elle sans cesser de sangloter.
Le nain lui flanqua un coup avec sa cane. La secrétaire revenait déjà en disant que le directeur me recevrait sur le champ. Je saluai le couple en m’inclinant et je marchai jusqu’au bureau de l’individu à la veste en damier. Le grand-gaillard avait traversé la pièce et montait la garde à la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour essayer de voir depuis le balcon si la voiture d’Emilia était toujours en face de l’immeuble, mais je ne pus la trouver parmi le magma de véhicules qui circulaient au rythme d’un cortège funéraire. Le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

***

Sonita nous propose sa traduction :

Au coin de la rue Balmos et de la rue Pelayo je donnai les dernières instructions à Emilia :
—Souviens-toi bien de ce que je t’ai dit : dès que tu me vois sortir tu me suis sans que l’on te voie. Au moment où je laisse tomber ce mouchoir blanc parterre, que j’ai trouvé dans ma poche, et que bien entendu on n’a pas vu à la teinturerie, parce qu’il est tout collant, tu prends le premier téléphone que tu trouves et tu préviens le commissaire Flores. Mais seulement si je fais tomber le mouchoir, pas avant, nous sommes d’accord ?
—Mais oui, mais oui.
Je la laissai dans la voiture endurant l’averse d’insultes que les automobilistes lui adressaient parce qu’elle bloquait la moitié de la chaussée et j’entrai dans l’immeuble - non sans une certaine trouille -, je saluai le portier qui ne me reconnut pas et je montai à l’agence. La porte était fermée, mais on distinguait de l’activité à l’intérieur à travers la vitre teintée. J’ouvris la porte et je me faufilais dans le local. Dans le bureau au fond il y avait un individu au visage émacié et cheveux bouclés vêtu d’une veste à carreaux noirs et blancs à qui un grand gaillard quasiment couché sur la table était en train de donner des explications. L’autre était sur le point de lui répondre quand ses yeux se sont posés sur ma personne distinguée.
—Chut ! —s’exclamât-il.
Je fis celui qui ne comprenait pas en me profilant tantôt d’un côté tantôt de l’autre en faisant des tours de passe-passe avec l’attaché-case pour que quiconque fût intéressé par lui le voie. Une secrétaire très jeune aux cheveux gras et traits fort peu gracieux me demanda ce que je désirais. J’adoptai une attitude que je jugeai guillerette et je lui répondis que je voulais être une star du septième art, que l’on m’avait recommandé cette agence-là et je lui demandai de me conduire chez le directeur. La secrétaire me pria d’attendre un moment et me fit signe de la banquette adossée au mur où une femme d’âge moyen excessivement maquillée et un nain tuaient le temps. Le nain se distrayait en jouant avec une canne et la femme en faisant des grimaces. Pour entamer la conversation je demandai qui était le dernier. La femme se signala elle-même puis signala le nain.
—Nous sommes venus ensemble —dit-elle sans arrêter de sangloter.
Le nain lui assena un coup avec la canne. La secrétaire revenait en me disant que le directeur me recevrait immédiatement. Je saluai avec une inclination le couple et je me dirigeais vers le bureau de celui à la veste qui se débinait. Le grand gaillard était de l’autre côté de la pièce et il montait la garde près de la sortie. Je me mis sur la pointe des pieds pour essayer de voir si la voiture d’Emilia était encore devant l’immeuble, mais je ne pus pas la voir parmi ce magma de véhicules qui circulait à rythme d’un cortège funéraire. Monsieur le directeur me tendit une main gélatineuse et froide que je serrai jovialement.

Exercice d'écriture

Le sujet était : Évacuation

***

Coralie :

Après ces longs mois de dur labeur, d’absence de vie sociale, de stress, de fatigue, de semaines sans week-ends, de malbouffe, de nuits blanches, qui ne rêverait pas d’une journée d’évacuation ? Une toute petite journée de détente ! Allongée sur le sable chaud, plongée dans les potins d’un magazine people sans substance, je profiterais de ces quelques heures pour tout oublier, pour gorger ma peau blanche de soleil, pour tenter enfin de recharger mes batteries afin d’entamer la dernière ligne droite, sans doute la plus difficile… Le bruit des vagues me bercerait, je somnolerais, la plage serait calme, les premiers vacanciers ne l'auraient pas encore envahie. Au milieu de l'après midi, nous siroterions une boisson fraîche ou nous dégusterions un sorbet, framboise, fruits de la passion... Un avant-goût d'été. Sur la serviette jusqu'à la tombée de la nuit, un repas entre amis sur une terrasse du bord de mer, un dernier verre dans une ambiance estivale… Et un retour brutal à la réalité…

***

Laëtitia Sw. :

D’un pas lent et régulier, elle remontait le chemin creux qui partait de la grange. Au bout de longues enjambées, répétées inlassablement avec la même détermination, elle finit par atteindre une clairière. Le soleil encore timide de ce mois d’avril à peine éclos filtrait ça et là à travers les frondaisons. Une légère brise s’était levée. Elle marchait depuis trois heures maintenant mais ne voulait pas pour autant prêter attention aux manifestations déjà claires de la fatigue. Elle était grisée par la douceur de l’air, la caresse des rayons obliques et du vent sur sa peau, les effluves vivifiants qui émanaient de la terre. Chaque année, à la même période, elle sentait de nouveau sourdre dans sa chair cette pulsion de vie qui réanimait les éléments. Elle s’insinuait d’abord imperceptiblement, comme un chatouillement diffus qui lui éclairait le sourire et les yeux, puis plus nettement, tel un flux discret mais constant qui irradiait la moindre parcelle de son être, enfin, librement, en un frissonnement joyeux, en un bouillonnement continu des sens. Filtres d’amour au zénith, ces sursauts capricieux d’énergie, qui lui faisaient l’effet d’enivrantes bulles pétillantes, marquaient l’étape finale de sa métamorphose. Chaque année, quoi qu’il arrive, c’était donc la même promesse, la même réaction : le printemps reprenait immanquablement ses droits sur l’hiver et évacuait les dernières ombres de désolation. Mais pour l’instant, le processus était tout juste engagé. Elle avait donc toujours l’impression tenace de se réveiller d’un long sommeil. D’ailleurs, c’est encore engourdie, un peu gauche dans ses mouvements et le souffle vaguement court qu’elle s’était élancée hors de la maison ce matin.
En longeant les champs d’en haut, elle prit une inspiration profonde pour s’emplir du parfum capiteux des mimosas en fleur, puis elle décida de faire un détour par le sentier aux coquelicots où coulait, tapi dans un coin broussailleux, un ruisseau rieur. Elle s’assit sur une petite butte mousseuse, se déchaussa et plongea avec ravissement ses pieds dans l’eau froide. Elle se renversa sur le dos, ferma les yeux et s’absorba dans le ressenti délicieux de son corps palpitant, accordé à la nature.

dimanche 11 avril 2010

Références culturelles, 425 : Pedro Subijana

En photo : Pedro Subijana en el Akelarre, par El Aderezo - Blog de Cocina

http://es.wikipedia.org/wiki/Pedro_Subijana

samedi 10 avril 2010

jeudi 8 avril 2010

À propos d'Arcoiris, une belle initiative d'une tradabordienne – Sonita Ferreira

Arcoiris – Escuela de Idiomas, est un Institut de langues âgé à peine de deux ans et qui a jeté l’ancre dans une petite ville portuaire située dans le Pacifique Sud du Mexique : Ixtapa-Zihuatanejo. Son nom, Zihuatanejo, vient du mot Nahuatl “Cihuatlan” qui signifie "lieu de femmes". Ici, on ne nait pas Zanka, on le devient. C’est en tout cas ce qu’affirment les habitants d’Ixtapa-Zihuatanejo qui se sont appropriés du mot “zanco“, terme désignant une sorte d’échafaudage qui sert à soutenir le cintre. Ainsi, un “zanco“ est un soutien et donc un ami !
C’est ce cadre, à connotation idyllique, que j’ai finalement choisi pour vivre et travailler.
Mais l’histoire commence un peu avant.
Lorsque j’étais encore sur les bancs de la fac j’avais déjà bien défini ma destination FLE. Enseigner le français à des étrangers oui, mais il me fallait connaître leur langue maternelle afin d’être plus à même de les aider dans leur apprentissage.
Je parle couramment le portugais, l’espagnol et l’anglais, mais j’ai su très vite que le Portugal ou un pays hispanophone serait mon point d’ancrage.
C’est d’abord à Valparaíso, au Chili, puis en Espagne, à Salamanque que j’ai fait mes armes. Ces expériences m’ont réconfortée dans mon choix d’enseigner dans un pays hispanophone où je pourrais mettre mes connaissances à l’épreuve, les renforcer et parfois aussi les démanteler et en construire d’autres.
Connaître les deux langues en présence me rassure et je crois dur comme fer qu’il n’y a pas de meilleure façon de mener ses apprenants à bon port que de décortiquer le rouage linguistique. Cela les rassure de se sentir en terrain connu me confient-ils quelques fois. C’est comme un pont qui se crée entre les deux langues.
Mes expériences de travail dans quelques pays hispanophones m’ont permis de découvrir un « autre » espagnol. Je pense notamment comment « maíz » devient « choclo » en chilien et « elote » en mexicain.
Bien que le mécanisme linguistique reste inchangé, ces quelques variations lexicales, appelées « modismos », que j’ai apprises sur le tas sont un plus dans la sphère de la traduction.
Avant mon arrivée sur Tradabordo je n’y avais pas vraiment pensé. Pour moi, ces termes n’étaient que du vocabulaire nouveau. Mais, une fois ici, au milieu de tous ces textes, venus de toutes parts, je crois que ce bagage extra est une richesse, une vraie perle : « palta» ; « frutilla » ou encore « cuche » n’ont plus de secrets pour moi !
Je dois dire qu’avant Tradabordo je ne m’étais jamais arrêtée à penser à la traduction en classe de langue. J’y ai recours bien sûr, comme je disais, ce n’est pas un hasard que j’ai choisi d’enseigner le FLE dans un pays hispanophone, mais je n’avais pas véritablement pris conscience de la façon dont je l’utilisais en classe.
Je sais, cependant, que je n’ai jamais été une adepte de la traduction au mot par mot. Bien que je me sois adoucie depuis (les années d’expérience sûrement !), je me souviens de ces moments de franche colère quand un apprenant me demandait ce que signifiaient tous et chacun des mots. Aaaarrrrgh ! « tu dois essayer de comprendre le sens général de ton texte. S’il y a des mots que tu ne comprends pas, ce n’est pas grave. Ne te mets pas toi-même plein d’obstacles dans ton chemin ! » Combien de fois n’ai-je pas assené cette phrase !
Puis, avec (grâce) à Tradabordo, j’ai commencé à m’observer enseigner. Oh, surprise ! Je passe beaucoup plus par la traduction de ce que je ne voulais bien l’admettre : lors d’une explication grammaticale complexe, pendant un texte où tous semblent buter sur un même mot ou que je crois savoir qu’ils ne connaissent pas. Sporadique, mais présente.
Aussi, il m’arrive de faire de la grammaire comparative où j’essaie de pointer les points communs entre les deux langues. Comme je l’ai déjà dit auparavant, la traduction est un pont, une aide indispensable dans le parcours d’apprentissage, cela met les apprenants en confiance, les rassure.
Je me laisse facilement embarquer dans cette jonque de la traduction finalement. Les apprenants en ont besoin et ce recours à la traduction les aide à mieux mémoriser, à établir des liens entre leur langue et celle qu’ils apprennent.
Pour terminer, je vous confie que j’ai aussi remarqué que le fait d’être en permanence en contact avec la langue espagnole (avec ses nuances mexicaines) me permet d’être à une bonne place pour éviter, pas toujours faut bien le dire, de tomber dans les faux sens quand j’ai un texte à traduire.
Bien entendu, j’en suis tout aussi consciente que c’est très important d’être en contact avec la langue cible pour éviter de tomber dans des aberrations de forme et structure linguistiques à dormir debout – « elle parle français celle-là ??! » – ou que simplement je tombe dans des hispanismes (Caroline tu te souviendras de mes « rames » pour branches… par exemple !).
Certes, je suis dans une position privilégiée, mais mon maigre contact (direct) avec la langue française me laisse parfois dans une situation fort inconfortable au moment de rendre un français « naturel », qui ne choque pas le lecteur. Pour un traducteur, je l’ai lu ici maintes fois, il est important de s’effacer aux yeux du lecteur, celui-ci ne doit pas remarquer sa présence.
Bien sûr, on m’a aussi dit que le mot d’ordre c’est de lire, lire, lire et encore lire, mais en ce qui me concerne c’est le contact moins littéraire avec la langue qui me fait terriblement défaut. Je ne veux pas parler comme un livre, non plus !!!
Ce qui m’amène alors à vous demander chers Tradabordiennes, Tradabordiens, si vous n’avez pas le sentiment que votre exposition à la langue de départ (espagnol) ne vous fait pas défaut à certains moments ?

D’intérêt lexical :
“palta “ = aguacate en Chile
“frutilla” = fresa en Chile
“cuche” = puerco en México, modismo de la región de Guerrero