samedi 28 février 2009

« Mon dictionnaire, c'est comme un doudou », disait-elle…

En photo : calvin_et_hobbes par always uncertain

Lors d'une séance de travail avec les étudiants de L3 de Lettres modernes (oui, ça existe… mais ne vous inquiétez pas, je mène une véritable campagne de recrutement pour qu'ils nous rejoignent en espagnol. Car ce serait de très bons éléments, Orianna, Julien, Chistelle… : figurez-vous qu'ils sont si passionnés par la version, que je ne peux presque plus faire de littérature. Quand je leur demande au début du cours : « On fait quoi aujourd'hui ? Trad ou litté ? », la réponse est presque systématiquement : TRAAAAAAADDDDD. Oui, oui, comme ça, une espèce de cri. Misère de misère… encore des tradadictos, comme dirait Brigitte), je faisais récemment la remarque suivante à une étudiante [parenthèse utile : elle venait juste d'arriver, au second semestre, et j'ai d'autant plus remarqué son "attitude coupable" que les autres ne le faisaient plus depuis longtemps] : « mais enfin, arrêtez de passer votre temps dans le dictionnaire. » Et je lui ai expliqué qu'en réfléchissant, en particulier en s'inquiétant avant tout du sens… et en étant moins l'esclave des mots (tiens, ça me rappelle quelque chose), elle devrait pouvoir se passer la plupart du temps du dictionnaire. Attention, je ne suis pas anti-dico… Je les consulte moi-même très régulièrement (sur mon Mac l'onglet Word Reference chauffe, bout, brûle, croyez-moi). Mais il y a consultation du dictionnaire et consultation du dictionnaire. Ce que je ne veux pas, c'est que ça devienne une sorte de béquille pour un traducteur volontairement boiteux, une sorte d'empêcheur de penser pour un traducteur sciemment fainéant, une sorte de tueur de voix pour un traducteur complètement sourd, une sorte de briseur de rythme pour un traducteur coupablement insensible à la sensualité débridée de la littérature. Comment, en effet, entendre la voix du texte et percevoir son rythme quand la cacophonie des définitions du dictionnaire parasite la ligne ? Quand cette étudiante (qui ignorait qu'elle deviendrait l'héoïne d'un post de Tradabordo) m'a très honnêtement répondu : « Mon dictionnaire, c'est comme un doudou, je ne peux pas m'en séparer », je me suis dit qu'effectivement, il fallait faire avec son dico comme on fait avec son dodou… : décider qu'un jour, il convient de briser là, de grandir et d'essayer de voler de ses propres ailes. Pleurez donc un bon coup et envoyez votre dico au fond d'un ravin, pour aller rejoindre un certain parapluie d'une certaine Maga d'un certain Cortázar.
À vous de rompre le sortilège Calvin et Hobbes ! Oui, Hobbes n'est qu'un tigre en peluche… pas une bête qui parle et philosophe. Oui, votre dico n'est qu'une montagne de papier… pas une bête qui parle et philosophe…

Pour information

Pour ceux et celles (Nathalie notamment) qui l'attendent avec impatience… je vous annonce que je viens de publier la traduction « officielle » de la version n°26, La venas abiertas de América latina, d'Eduardo Galeano.
Merci à Brigitte de m'avoir procuré le passage et, surtout, d'avoir effectué le travail fastidieux de recopiage…

Pour information

Je viens de publier la traduction « officielle » de la version n°30, La Virgen de los sicarios de Fernando Vallejo.

Références culturelles, 53 : Frida Kahlo (1907–1954)

En photo : Raizes - Frida Kalho par nuchapedro

Frida Kalho
Par Blandine

Frida Kahlo est l’un des peintres mexicains les plus connus, avec son époux Diego Rivera. C’est une femme qui a connu un destin tragique. Dès son enfance, elle est atteinte de poliomyélite, et des années plus tard, elle a un accident de la route qui bouleverse sa vie. Elle devra en effet désormais porter un corset sa vie durant et ne pourra pas avoir d’enfant, son souhait le plus cher.
Frida est aussi et surtout une femme de tête, qui sait ce qu’elle veut. Elle n’hésite pas à militer pour le mouvement artistique de l’époque, elle est brillante, s’intéresse à la politique et s’engage dans le parti communiste mexicain, en 1928.
Elle est surtout célèbre pour les nombreux autoportraits ainsi que les 150 peintures qu’elle va accomplir dans sa vie. Elle va peindre essentiellement dans son lit où elle a fait placer un miroir afin de pouvoir travailler.
Dès l’âge de 15 ans, elle a décidé de se marier avec Diego Rivera de 20 ans son aîné, ils se marieront en 1929. Leur mariage subira des hauts et des bas, et malgré un divorce et un remariage ils resteront unis jusqu’à la fin.
Frida est aussi connue pour sa liaison avec Trotski, qui avait obtenu l’asile politique grâce à Diego Rivera, en 1937. Trotski qui sera assassiné deux ans plus tard.
Frida va exposer ses œuvres à New York en 1938 où elle rencontre un franc succès. Une nouvelle exposition à Paris en 1939, où elle va rencontrer de nombreux peintres surréalistes.
Elle meurt le 13 juillet 1954, et est incinérée, suite à sa volonté : " Même dans un cercueil, je ne veux plus jamais rester couchée ! "

http://www.mexique-fr.com/frida.php

Version d'entraînement, 31 (Carlos Ruiz Zafón)

En photo : Carlos Ruiz Zafón - mayo 22 y 23 par radionica

Nunca podré olvidar la noche que nevó sobre Calcuta. El calendario del orfanato del St. Patricks desgranaba los últimos días de mayo de 1932 y dejaba atrás uno de los meses más calurosos que recordaba la historia de la ciudad de los palacios.
Día a día esperábamos con tristeza y temor la llegada de aquel verano en que cumpli-ríamos los dieciséis años y que habría de significar nuestra separación y la disolución de la Chowbar Society, aquel club secreto y reservado a siete miembros exclusivos que había sido nuestro hogar durante años en el orfanato. Allí crecimos sin otra familia que nosotros mismos y sin otros recuerdos que las historias que contábamos al llegar la madrugada en torno al fuego, en el patio de la vieja casa abandonada que se alzaba en la esquina de Cotton Street y Brabourne Road, un caserón en ruinas que habíamos bautizado como el Pala-cio de la Medianoche. No sabía entonces que aquella era la última vez que vería el lugar en cuyas calles me crié y cuyo embrujo me ha perseguido hasta hoy.
No volví a Calcuta después de aquel año, pero siempre fui fiel a la promesa que todos hicimos en silencio bajo la lluvia blanca a orillas del río Hooghly: no olvidar jamás lo que habíamos presenciado. Los años me han enseñado a atesorar en la memoria cuanto sucedió durante aquellos días Y a conservar las cartas que recibía desde la ciudad maldita y que han mantenido viva la llama de mi recuerdo. Supe así que nuestro antiguo palacio fue derribado para alzar sobre sus cenizas un edificio de oficinas y que Mr. Thomas Carter, el director del St. Patricks, falleció tras haber pasado los últimos años de su vida en la oscuridad, después de producirse el incendio que cerró sus ojos para siempre.
Lentamente, tuve noticia de la progresiva desaparición de los escenarios en que vivi-mos aquellos días. La furia de una ciudad que se devoraba a sí misma y el espejismo del tiempo acabaron por borrar el rastro de los miembros de la Chowbar Society.
De este modo, sin elección, tuve que aprender a vivir con el temor de que esta historia se perdiera para siempre por falta de un narrador.
La ironía del destino ha querido que sea yo, el menos indicado, el peor dotado para la tarea, quien emprenda la labor de relatarla y desvelar el secreto que hace ya tantos años nos unió y nos separó a la vez para siempre en la antigua estación del ferrocarril de Jheeter’s Gate. Hubiera preferido que fuese otro el encargado de rescatar esta historia del olvido, pero una vez más la vida me ha mostrado que mi papel era el de testigo, no el de protagonista.
Durante todos estos años he guardado las escasas cartas de Ben y Roshan, atesorando los documentos que daban luz al destino de cada uno de los miembros de nuestra sociedad particular, releyéndolos una y otra vez en voz alta en la soledad de mi estudio. Quizá porque de algún modo intuía que la fortuna me había hecho depositario de la memoria de todos nosotros. Quizá porque comprendía que, de entre aquellos siete muchachos, Yo siempre fui el más reticente al riesgo, el menos brillante y osado y, por tanto, el que más posibilidades tenía de sobrevivir.

Carlos Ruiz Zafón, El palacio de la medianoche

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Jamais je ne pourrai oublier la nuit où il neigea sur Calcutta. Le calendrier de l’orphelinat St Patricks égrainait les derniers jours du mois de mai 1932 et laissait derrière lui l’un des mois les plus chauds dans l’histoire de la ville des palais.
Jour après jour, nous attendions avec tristesse et crainte l’arrivée de cet été où nous fêterions nos seize ans et qui signifierait notre séparation et la dissolution de la Chowbar Society, ce club secret et réservé à sept membres exclusifs qui avait été notre foyer pendant des années d’orphelinat. C’est là que nous avions grandi sans autre famille que nous-mêmes et sans autres souvenirs que les histoires que nous nous racontions autour du feu, au lever du jour, dans la cour de la vieille maison abandonnée qui se dressait à l’angle de Cootton street et de Brabourne Road ; une grosse maison en ruines que nous avions baptisée « le Palais de Minuit ». J’ignorais alors que cette nuit-là serait la dernière où je verrais le lieu dont les rues m’avaient vu grandir et dont le charme m’envoûte encore aujourd’hui.
Je ne suis pas revenu à Calcutta après cette année-là, mais je suis toujours resté fidèle à la promesse que nous avions tous faite en silence sous la pluie blanche près du fleuve Hooghly : ne jamais oublier ce dont nous avions été les témoins. Les années m’ont appris à conserver dans ma mémoire tout ce qui s’était passé ces jours-là et à conserver les lettres que je recevais en provenance de la ville maudite et qui ont maintenu vivace la flamme de mon souvenir.
C’est ainsi que j’appris que notre ancien palais avait été démoli pour élever sur ses cendres un immeuble de bureaux, et que Mr Thomas Carter, le directeur du St Patricks, était mort après avoir passé les dernières années de sa vie dans l’obscurité, après l’incendie qui avait fermé ses yeux à jamais.
Petit à petit, je fus informé de la disparition progressive des décors où nous avions vécu ces jours là. La furie d’une ville qui se dévorait elle-même et le mirage du temps finirent par effacer la trace des membres de la Chowbar Society.
Et c’est ainsi que, sans autre choix, je dus apprendre à vivre avec la crainte que cette histoire se perde pour toujours par faute de narrateur.
L’ironie du sort voulut que ce soit moi, le moins indiqué, le plus mal loti pour cette tâche, qui entreprenne de la raconter et de révéler le secret qui, il y a tant d’années déjà, nous avait unis et séparés en même temps pour toujours à l’ancienne gare de Jheeter’s Gate.
J’aurais préféré qu’un autre soit chargé de sauver cette histoire de l’oubli. Mais, une fois de plus, la vie m’a montré que mon rôle était celui de témoin, pas celui d’acteur.
Pendant toutes ces années, j’ai conservé les rares lettres de Ben et Roshan, accumulant les documents qui mettaient en lumière le destin de chacun des membres de notre société particulière, en les relisant encore et encore à voix haute dans la solitude de mon studio. Peut-être parce que, d’une certaine manière, j’avais l’intuition que le sort qui avait fait de moi le dépositaire de notre mémoire à tous. Peut-être parce que je comprenais que, parmi ces sept garçons que nous étions, j’ai toujours été le plus timoré face au danger, le moins brillant et intrépide cependant, celui qui avait donc le plus de chances de survivre.

***

Odile nous propose sa traduction :

Jamais je n'oublierai la nuit où la neige tomba sur Calcutta. Le calendrier de l'orphelinat de St Patrick égrenait les derniers jours du mois de mai 1932 qui venait après l'un des mois les plus chauds dont se souvenaient les annales de la cité aux palais.
Jour après jour, nous attendions avec tristesse et crainte la venue de cet été qui nous verrait atteindre les dix-sept ans et signifierait aussi notre séparation et la dissolution de la Chowbar City, ce club secret réservé à 7 membres exclusifs, et qui avait été notre foyer pendant les années passées à l'orphelinat. Nous grandîmes là-bas, sans autre famille que nous-mêmes et sans autres souvenirs que les histoires que nous racontions au petit matin, autour du feu, dans la cour de la vieille maison abandonnée que se dressait à l'angle de Cotton Street et de Brabourne Road, une grande bâtisse en ruines que nous avions baptisée le Palais de Minuit. Je ne savais pas alors que ce serait la dernière nuit que je voyais l'endroit dont les rues m'avaient vu grandir et dont le sortilège me m'a pas quitté jusqu'à aujourd'hui.
Je ne revins pas à Calcutta après cette année-la, mais j'ai toujours été fidèle à la promesse silencieuse que nous fîmes tous, en silence, sous la pluie blanche, au bord du fleuve Hooghly: ne jamais oublier ce dont nous avions été les témoins. Les années m'ont appris à garder précieusement en mémoire tout ce qui s'était passé ces jours-là et à conserver les lettres venues de la ville maudite, entretenant vivace la flamme de mon souvenir. C'est ainsi que j'appris que notre ancien palais fut démoli pour ériger sur ses cendres un immeublede bureaux et que Mr Thomas Carter, le directeur de St Patricks, mourut après avoir passé les dernières années de sa vie dans l'obscurité, après l'incendie qui détruisit ses yeux pour toujours.
Peu à peu, je fus informé de la disparition progressive des lieux où nous vécûmes ces jours-là; la folie d'une ville qui se dévorait elle-même et le mirage du temps finirent par effacer la trace des membres de la Chowbar Society.
Ainsi, sans le vouloir, je dus apprendre à vivre avec la crainte que cette histoire ne se perde à tout jamais, faute d'un narrateur.
L'ironie du destin a voulu que ce soit moi, le moins indiqué, le moins bien doué pour la tâche, qui entreprenne le travail de la relater et de dévoiler le secret qui, tant d'années auparavant, nous avait unis et séparés à la fois, sur les quais de l'ancienne garde de Jheeter'Gate. J'aurais préféré qu'un autre soit chargé de sauver cette histoire de l'oubli, mais une fois de plus, la vie m'a démontré que mon rôle était celui de témoin et non celui d'acteur. Pendant toutes ces années j'ai gardé les rares lettres de Ben et de Rosham, accumulant les documents qui mettaient en lumière le destin de chacun des membres de notre société particulière, les relisant encore et encore à voix haute dans la solitude de mon studio. Peut-être parce que, d'une certaine manière, j'avais l'intuition que la chance m'avait fait dépositaire de notre mémoire à tous. Peut-être parce que je comprenais que parmi ces sept garçons, j'ai toujours été le plus craintif face au danger, le moins brillant et le moins intrépide, et par là-même, celui qui avait le plus de chances de survivre.

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Claire – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Je ne pourrai jamais oublier la nuit où il neigea sur Calcutta. Le calendrier de l’orphelinat de Saint Patricks égrenait les derniers jours du moi de mail 1932 et laissait derrière nous un des mois les plus chauds que gardait en mémoire l’histoire de la ville aux palais.
Jour après jour nous attendions avec tristesse et crainte l’arrivée de cet été où nous aurions dix-sept ans et qui signifierait notre séparation et la dissolution de la Chowbar Society, ce club secret et réservée à sept uniques membres qui avait été notre foyer pendant des années à l’orphelinat. Là, nous avions grandi sans autre famille que nous-mêmes et sans autres souvenirs que les histoires que nous nous racontions quand l’aube pointait, autour du feu, dans la cour de la vieille maison abandonnée qui se dressait au coin de Cotton Street et Bradbourne Road, une grande bâtisse que nous avions baptisée le Palais de Minuit. Je ne savais pas alors que ce serait la dernière fois que je verrais le lieu où se trouvaient les rues qui m’avaient vu grandir et dont la magie m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui.
Je ne revins pas à Calcutta après cette année-là, mais je fus toujours fidèle à la promesse que nous avions tous fait en silence sous la pluie blanche, au bord du fleuve Hoogly : ne jamais oublier ce à quoi nous avions assisté. Les années m’ont enseigné à amasser dans ma mémoire tout ce qui c’était passé pendant ces jours-là et à conserver les lettres que je recevais depuis la ville maudite et qui ont entretenu la flamme de mon souvenir. J’appris que notre ancien palais avait été démoli et qu’un immeuble de bureaux avait été dressé sur ses cendres, et que Mr Thomas Carter, le directeur de Saint Patricks, était mort après avoir passé les dernières années de sa vie dans l’obscurité, après l’incendie qui avait fermé ses yeux pour toujours.
Lentement, je fus informé de la progressive disparition des décors où nous avions vécu ces jours-là. La furie d’une ville qui se dévorait elle-même et le mirage du temps finirent par effacer toute trace des membres de la Chowbar Society.
C’est ainsi que, sans avoir le choix, je dus apprendre à vivre avec la crainte que cette histoire se perde pour toujours faute de narrateur.
L’ironie du destin a voulu que ce soit moi, le moins indiqué et le moins doué pour l’exercice, qui entreprenne la tâche de la raconter et de révéler le secret qui, il y a déjà tant d’années nous avait à la fois uni et séparé pour toujours dans l’ancienne gare ferroviaire de Jheeter’s Gate. J’aurais préféré qu’un autre soit chargé de sauver cette histoire de l’oubli, mais une fois de plus la vie m’a montré que mon rôle était celui d’un témoin, non d’un protagoniste.
Pendant toutes ces années j’ai conservé les quelques cartes de Ben et de Roshan, amassé les documents qui faisaient naître le destin de chacun des membres de notre société spéciale, les relisant encore et toujours voix haute dans la solitude de mon bureau. Peut-être parce qu’en quelque sorte je pressentais que la fortune avait fait de moi le dépositaire de notre mémoire à tous. Peut-être parce que je comprenais que, parmi ces sept adolescents, moi, j’avais toujours été le plus rétif au danger, le moins brillant et courageux et, par conséquent, celui qui avait le plus de chances de survivre.

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Andrès – étudiant du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Je ne pourrais jamais oublier la nuit où il neigea sur Calcutta. Le calendrier de l’orphelinat du St. Patrick égrainait les derniers jours de Mai de 1932 et laissait derrière lui un des mois les chauds enregistrés dans l’histoire de la ville des palais.
Jour après jour nous attendions avec tristesse et crainte l’arrivée de cet été où nous aurions nos seize ans et qui signifierait notre séparation ainsi que la dissolution de la Chowbar Society, ce club secret et réservé à sept membres exclusifs, qui avait été notre foyer durant des années à l’orphelinat. C’est là que nous grandîmes, sans autre famille que nous mêmes, et sans d’autres souvenirs que les histoires que nous racontions autour du feu lorsque pointait l’aube, dans le jardin de la vieille maison abandonnée qui se dressait au coin de Cotton street et Brabourne Road, une demeure en ruine que nous avions baptisé le palais de Minuit. Je ne savais pas alors que cette fois serait la dernière où j’allais voir l’endroit dans les rues duquel j’avais grandi, et dont le sortilège m’a poursuivi jusqu’à ce jour.

Je ne revins pas à Calcutta après cette année-là, mais toujours je fus fidèle à la promesse que nous fîmes tous en silence, sous la pluie blanche, au bord du fleuve Hoogly: ne jamais oublier ce que nous avions vu. Les années m’ont appris à garder en mémoire tout ce qui avait pu se produire au cours de ces journées, et à conserver les cartes que je recevais depuis la maudite ville, et qui ont maintenu éclairée la flamme de mon souvenir. Je sus ainsi que notre ancien palais fut détruit pour construire sur ses cendres un immeuble de bureaux et que Mr Thomas Carter, le directeur du St. Patricks, mourut après avoir passé les dernières années de sa vie dans l’obscurité, après que se produise l’incendie qui ferma ses yeux à jamais. Peu à peu, j’eus vent de la progressive disparition des décors où nous vécûmes ces journées. La furie d’une ville qui se dévorait à elle-même et le mirage du temps finirent par effacer la trace des membres de la Chowbar Society.
De cette manière, sans avoir le choix, je dus apprendre à vivre avec la crainte que cette histoire se perde pour toujours de par l’absence d’un narrateur.
L’ironie du sort à voulu que ce soit moi, le moins indiqué, le moins prédisposé pour cette tâche, qui entreprenne le travail de la narrer et de dévoiler le secret qui nous unit il y a maintenant tant d’années et qui nous sépara à la fois pour toujours dans l’ancienne gare de trains de Jheeter’s gate. J’aurais préféré qu’un autre soit chargé de sauver de l’oubli cette histoire, mais une fois de plus la vie m’a prouvé que mon rôle était celui d’un témoin, pas celui d’un protagoniste.
Pendant toutes ces années j’ai conservé les rares lettres de Ben et Roshan, gardant les documents qui éclairaient le destin de chacun des membres de notre société particulière, les relisant une fois, puis une autre encore, dans la solitude de mon studio. Peut-être parce que d’une certaine manière j’eus l’intuition que la fortune m’avait rendu dépositaire de notre mémoire à tous. Peut-être parce que je comprenais que, parmi ces sept garçons, moi, je fus toujours le plus réfractaire au risque, le moins brillant, et , par conséquent, celui qui avait les plus de chances de survivre.

***

Aurélie Bianchi – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Jamais je ne pourrai oublier la nuit où il neigea sur Calcutta. Le calendrier de l’orphelinat du St Patricks égrainait les derniers jours du mois de mai 1932 et laissait dernière lui un des mois les plus chauds dont se rappellerait l’histoire de la ville des palais.
Jour après jour, nous attendions tristement et avec craintes l’arrivée de cet été où nous fêterions nos seize ans et qui devrait signifier notre séparation et la dissolution de la Chowbar Society, ce club secret et réservé à sept membres exclusifs qui avait été notre foyer durant des années à l’orphelinat. Nous grandîmes là sans autre famille que nous-même et sans autres souvenirs que les histoires que nous racontions au lever du jour autour du feu, dans la cour de la vieille maison abandonnée qui s’élevait au croisement de Cotton Street et de Brabourne Road, une grosse baraque en ruines que nous avions baptisée le Palais de Minuit. J’ignorais alors que c’était la dernière fois que je verrais le lieu dans les rues duquel je grandis et dont l’enchantement m’a poursuivi jusqu’à aujourd’hui.
Je ne revins pas à Calcutta après cette année-là, mais je restai fidèle à la promesse que nous fîmes tous en silence sous la pluie blanche au bord de la rivière Hooghly : ne jamais oublier ce à quoi nous avions assisté. Les années m’ont enseigné à conserver précieusement dans ma mémoire tout ce qui arriva ces jours-là et à conserver les lettres que je recevais de la ville maudite et qui ont maintenu en vie la flamme de mon souvenir. J’appris ainsi que notre ancien palais avait été détruit pour faire élever sur ses cendres un building de bureaux et que Mr. Thomas Carter, le directeur du St Patricks, était mort après avoir passé les dernières années de sa vie dans le noir, à la suite de l’incendie qui ferma ses yeux à tout jamais.
Lentement, je pris connaissance de la progressive disparition des scènes où nous vécûmes ces jours-là. La furie d’une ville se dévorant elle-même et le reflet du temps finirent par effacer la trace des membres de la Chowbar Society.
De cette façon, n’ayant pas le choix, je dus apprendre à vivre dans la crainte que cette histoire ne se perde pour toujours, orpheline d’un narrateur.
L’ironie du sort a voulu que ce soit moi, le moins indiqué, le pire doté pour ce travail, qui entreprenne la tâche de la raconter et de révéler le secret qui, il y a tant d’années, nous unit en même temps qu’il nous sépara pour toujours dans l’ancienne gare de chemins de fer de Jheeter’s Gate. J’aurais préféré qu’un autre soit chargé de sauvegarder cette histoire de l’oubli, mais une fois encore la vie m’a montré que mon rôle est celui de témoin, non de protagoniste.
Pendant toutes ces années, j’ai gardé les rares lettres de Ben et Roshan, conservant précieusement les documents qui mettaient la lumière sur le destin de chacun des membres de notre société particulière, les relisant de temps à autre à voix haute dans la solitude de mon bureau. Peut-être parce que, d’une certaine façon, j’avais l’intuition que le destin m’avait fait le dépositaire de notre mémoire à tous. Peut-être parce que, parmi ces sept garçons, moi, je fus toujours le plus réticent face au risque, le moins brillant et le moins courageux et, par conséquent, celui qui avait le plus de probabilités de survivre.

vendredi 27 février 2009

Une apprentie traductrice met la main sur un stage : récit d'une aventure

En photo : ouf ! par od.

Recherche stage en maison d’édition…
Par Nathalie


Après plusieurs semaines de démarches infructueuses, je viens enfin de trouver une maison d’édition qui accepte de m’accueillir. Maintenant, je peux jeter un regard en arrière et me rappeler comment j’ai fini par dénicher la perle rare.
N’ayant personne qui puisse m’héberger et n’envisageant pas de faire des dépenses inconsidérées, j’ai délibérément tourné le dos aux grandes maisons d’édition, implantées, dans leur immense majorité, à Paris et dans sa proche banlieue, pour m’intéresser aux structures bordelaises, certes plus modestes, mais tout aussi représentatives du fonctionnement éditorial.
Pour connaître les coordonnées des éditeurs bordelais, je suis allée sur le site de l’ARPEL, et une fois ma liste constituée, j’ai commencé, début janvier, par envoyer quelques demandes de stage, qui sont restées lettre morte (seules les Editions Sud Ouest m’ont fait parvenir un courrier m’expliquant qu’ils avaient déjà recruté leurs stagiaires).
J’ai alors changé de tactique : j’ai appelé les éditeurs que j’avais sélectionnés afin de savoir s’ils accueillaient des stagiaires. Le problème, c’est qu’ils choisissent en priorité les étudiants qui préparent le DUT « métiers du livre »… Ce qui laisse peu de chance aux autres de trouver à se placer. Malgré tout, je leur ai fait parvenir un CV par mail. On ne sait jamais : « sur un malentendu », quelquefois, ça peut marcher. Puis, j’ai attendu. Ne voyant rien venir, j’ai relancé ces mêmes maisons par téléphone. Et j’ai finalement obtenu un rendez-vous. Hélas, cet éditeur ne cherchait pas un(e) stagiaire mais un(e) employé(e) à plein temps, non rémunéré(e) et corvéable à merci… Je l’ai échappé belle.
Je commençais à désespérer quand j’ai décidé de retourner sur le site de l’ARPEL afin de faire provision d’une nouvelle liste de maisons d’édition, que j’avais écartées dans un premier temps. Et parmi elles, Culture Suds – elle m’avait échappé la première fois ( !) – qui publie des ouvrages sur la tauromachie et le rugby, mais aussi des textes d’auteurs régionaux, espagnols et latino-américains. Le premier contact, téléphonique, m’a paru très encourageant. Nous avons convenu d’un rendez-vous et c’est Antonio Arévalo qui m’a reçue, mercredi, en toute simplicité. Il travaille avec sa femme, qui anime un atelier de peinture, situé dans les locaux mêmes du siège éditorial, et s’occupe de tout, de A à Z ; c’est la raison pour laquelle il ne publie que 3 ou 4 livres par an. Il assure également la diffusion en France d’une revue espagnole sur la tauromachie et trouve encore le temps d’écrire : il est en train de finir son deuxième roman.
Nous avons discuté une bonne heure afin de savoir en quoi allait consister mon stage : rencontre avec les diffuseurs, peut-être même avec l’imprimeur (qui travaille à Mont-de-Marsan), visite des librairies et du Salon du Livre, immersion dans la comptabilité et les factures, participation à la promotion du catalogue et des nouvelles publications… Je vais me retrouver au cœur de la machine éditoriale et ainsi, pouvoir observer comment travaille un « artisan-éditeur ». J’aime bien ce concept d’artisanat (qui, pour moi, reste intimement lié à l’amour du travail bien fait) ; c’est d’ailleurs le terme que Caroline avait employé pour nous parler de son activité de traductrice. Je ne risque pas de me sentir dépayser, d’autant plus qu’Antonio Arévalo parle parfaitement l’espagnol - notre entretien s’est d’ailleurs déroulé en espagnol. Que demander de plus ?
J’espère que le récit de mes démarches incitera toutes celles et ceux qui sont en quête de stage à ne pas baisser les bras. Et si la liste que j’ai constituée peut vous être utile, voici les maisons d’édition que j’ai contacté : les PUB, Sud Ouest, Castor Astral, Confluences, Elytis, Pleine Page, le CRDP, Finitude, l’Horizon Chimérique, Féret, Sangam, William Blake and Co, et Bière.

Sondage : « Traduire la poésie, une entreprise en soi vouée à l'échec ? »

En photo : Merece la pena tanto esfuerzo? par miguel_out

Comme je vous l'ai dit, l'aventure Tradabordo a commencé un peu avant la création du Master 2 pro de traduction littéraire, à partir d'un projet de co-traduction (réunissant les universités de Bordeaux 3 et de Grenade) d'une anthologie de poèmes de la poétesse espagnole Elena Martín Vivaldi. Or à l'époque, alors que nous peinions collectivement sur ces textes très exigeants – la construction du sens dépendait en grande partie du travail formel, la rime et la métrique étaient déterminantes –, nous avions beaucoup réfléchi sur ce que signifiait traduire la poésie… Outre qu'il a rapidement été évident pour tout le monde que cela n'avait à peu près rien à voir avec la traduction d'œuvres de fiction, nous nous demandions régulièrement si l'opération avait véritablement un sens et, surtout, à quelles conditions – c'est-à-dire au prix de quels choix douloureux, de quels renoncements cruels ?
Et vous, alors, que feriez-vous si vous deviez perdre vos rimes, votre métriques… et pourquoi pas un sonnet entier ?
Courez donc aux urnes, une fois de plus, pour donner votre avis !

Résultats du sondage de Nathalie : « À votre avis, le traducteur doit-il se placer en priorité au service… ? »

Sur 21 votants – et sachant que plusieurs réponses étaient possibles :

Du sens = 18 voix (85%)
Des mots = 5 voix (23%)
De l'usage = 7 voix (33%)
De la norme = 2 voix (9%)

Je laisse à Nathalie le loisir de commenter les résultats de ce sondage qu'elle a commandé à Tradabordo :

À la lecture des résultats du sondage proposé, je me rends compte que c’est le bon sens qui a parlé (voté, en l’occurrence). En effet, vous êtes une majorité (85 %) à penser que le traducteur se place d’abord et avant tout au service du sens : il se sert du matériau linguistique qu’il a à sa disposition pour essayer de rendre du mieux possible le texte original et l’impression que produit ce texte à la lecture. A l’évidence, il traduit des mots (et c’est je pense ce qu’ont voulu rappeler celles et ceux qui ont voté pour la deuxième proposition) mais les mots ne sont qu’un moyen, pas une fin.
Bilan de mi-parcours : la littérarité l’emporte largement sur la littéralité.
Passons maintenant au second couple : usage vs norme. Là encore, l’écart est important : vous êtes trois fois plus à penser que le traducteur s’appuie essentiellement sur l’usage puisqu’il s’adresse à un lectorat qui connaît et manie cette langue du quotidien ; dès lors, la traduction participe au maintien et à la diffusion d’un état de langue donné.
Que penser des 2% de votants qui estiment que le traducteur est au service de la norme ? Certes, un traducteur a toujours besoin de dictionnaires pour éviter les fautes de langue inutiles mais il ne peut s’en remettre à la règle qu’à partir du moment où elle ne fait pas obstacle à la restitution des traits sémantiques du texte.
2° bilan : le recours à l’usage ou à la norme ne peut se justifier qu’en fonction de l’orientation définie par le texte lui-même.
Conclusion : le sens, encore et toujours… car le traducteur est un médiateur, pas un terminologue ou un grammairien.

Un débat intéressant…

En photo : loupe par Alain Bachellier

Pour ceux qui suivent nos discussions régulières sur les traductions publiées sur le blog, les nôtres ou celles des traducteurs « officiels » des textes sur lesquels nous travaillons, vous aurez sans doute remarqué que Brigitte a formulé certaines questions sur les deux traductions « officielles » des textes de Pérez Reverte, Le Capitaine Alatriste et Le Club Dumas, en français. Il ne s'agissait pas pour elle de régler des comptes avec le traducteur… loin de là (répétons pour la énième fois – ça n'est pas inutile – qu'il n'est jamais bon pour un traducteur de faire la leçon à un autre traducteur, surtout en public), mais d'essayer d'apprendre à partir de ce qu'il propose. À défaut de comprendre ses choix, nous pouvons effectivement nous interroger dessus et mener nos propres réflexions… avec les limites que nous sommes prêts à assumer. L'apprenti n'a-t-il pas la légitimité de demander à percer les secrets de fabrication du maître-artisan ?
Voici donc, modestement, quelques remarques de l'attentive Brigitte sur la traduction de Club Dumas. Au passage, je la remercie d'avoir fait ce travail minutieux de comparaison, d'être tellement passionnée qu'elle a pris le temps de plonger au plus profond du texte et de son miroir français. Sacrée traductrice-enquêtrice !
Je remets le français avant, pour mémoire :

La traduction officielle par Jean-Pierre Quijano, pour les éditions Jean-Claude Lattès :

« L'éclair du flash projeta la silhouette du mort sur le mur. Immobile, il pendait du lustre, au centre du salon. Et tandis que le photographe tournait autour de lui en appuyant sur le déclencheur de son appareil, l'ombre produite par le flash se dessinait successivement sur des tableaux, des vitrines aux étagères chargées de porcelaines, des rayons de livres, des rideaux ouverts sur des grandes fenêtres derrière lesquelles tombait la pluie.
Le juge d'instruction était jeune. Il avait le cheveu rare, en désordre, encore mouillé, comme la gabardine qu'il portait sur ses épaules tandis qu'il dictait son procès-verbal au secrétaire assis sur le sofa, une machine à écrire portative posée devant lui sur une chaise. Le crépitement des touches ponctuait la voix monotone du juge et les commentaires que les policiers échangeaient à voix basse en examinant la pièce :
— … En pyjama, avec une veste d'intérieur. Le cordon de celle-ci a provoqué la mort par strangulation. Le cadavre a les mains attachées devant lui au moyen d'une cravate. Son pied gauche est chaussé d'une pantoufle, le droit est nu…
Le juge toucha le pied nu du mort et le cadavre pivota lentement, au bout du cordon de soie qui reliait son cou à l'ancrage du lustre. Il tourna d'abord de gauche à droite, puis en sens contraire, mais un peu moins loin déjà, jusqu'à retrouver sa position initiale, comme une aiguille aimantée retrouve le Nord après une brève oscillation. Lorsque le juge s'écarta, il dut faire un mouvement de côté pour éviter un policier en uniforme qui cherchait des empreintes digitales au-dessus du cadavre. Une potiche brisée gisait à terre, de même qu'un livre ouvert dont une page était soulignée au crayon rouge. C'était un vieil exemplaire du Vicomte de Bragelonne, une édition bon marché reliée en toile. Le juge se pencha par-dessus l'épaule de l'agent et jeta un coup d'œil sur le texte souligné :
— Oh ! Je suis trahi, murmura-t-il : on sait tout.
— On sait toujours tout, répliqua Porthos qui ne savait rien. »
Il demanda au secrétaire de prendre note du passage et de faire mention du livre dans le procès-verbal, puis il alla rejoindre un homme de haute taille qui fumait devant une fenêtre ouverte.
— Qu'en pensez-vous ? demanda-t-il lorsqu'il l'eut rejoint.
L'homme de haute taille portait un insigne de policier sur la poche de son blouson en cuir. Il prit une bouffée de la cigarette qu'il tenait entre ses doigts avant de répondre, puis jeta le mégot par la fenêtre sans regarder derrière lui.
— Liquide blanc, en bouteille : on peut généralement conclure qu'il s'agit de lait, répondit-il enfin, énigmatique, mais le juge aperçut un sourire flotter sur ses lèvres ; à la différence du policier, il regardait dans la rue où la pluie continuait à tomber violemment.
Quelqu'un ouvrit une porte au fond de la pièce et le courant d'air fit pleuvoir quelques gouttes sur son visage.
— Fermez la porte, ordonna-t-il sans se retourner. Il arrive aussi qu'on maquille des homicides en suicides, continua-t-il en s'adressant au policier.
— Et inversement, corrigea l'autre, toujours très calme.
— Que pensez-vous des mains et de la cravate ?
— Il arrive qu'ils aient peur de reculer au dernier moment… Si c'était autre chose, elles seraient attachées derrière le dos.
— C'était inutile, rétorqua le juge. Le cordon est fin et solide. Une fois qu'il perdait pied, il n'aurait pas eu la moindre chance, même avec les mains libres.
— Tout est possible. Nous en saurons davantage après l'autopsie.
Le juge se retourna pour regarder de nouveau le cadavre. L'agent qui relevait les empreintes digitales se releva, le livre à la main.
— Plutôt curieux, cette page.
Le policier de haute taille haussa les épaules.
— Je lis peu, répondit-il. Mais ce Porthos était bien un de ces personnages, n'est-ce pas ?… Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan – il compta sur ses doigts, puis s'arrêta, pensif. C'est quand même bizarre. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelle les trois mousquetaires, alors qu'ils sont quatre.

***

Quelques remarques concernant la traduction « officielle » :

1. « Flash » au lieu de « Luz »ne me semble pas justifié puisque le mot flash est répété trois lignes plus loin. On découvre le cadavre presque en même temps que les policiers, presque aux coups de flash du photographe.
2. Dans le texte sur le blog, nous avions « vitrinas con porcelanas, estanterías con libros » J’avais mal vu la place de la virgule mais on aurait pu rendre « des vitrines pleines de porcelaines, des étagères/rayonnages de livres »
3. « sur ses épaules » donne l’impression qu’il a enlevé sa gabardine et l’a posée sur les épaules alors que je pense simplement qu’il n’a pas eu le temps de l’enlever donc il l’a toujours « sur le dos » , « sur lui ».
4. « secrétaire » Le mot « greffier » ne serait-il pas plus adapté ici s’agissant d’un juge d’instruction ?
5. sofa, peu usité
6. Le mot « cordon » s’agissant probablement de la ceinture d’une veste d’intérieur, peignoir ou robe de chambre me gêne un peu car il peut prêter à confusion avec « cordón », le fil électrique de la lampe du plafond.
7. Dans le texte espagnol, nous avons « el juez tocó el pie calzado » et non « descalzo » donc je ne comprends pas pourquoi il a été traduit « nu », à moins qu’il s’agisse d’une coquille dans le texte original ?
8. Le mouvement de gauche à droite du pendu fait penser à l’aiguille d’une boussole donc je pense que le corps fait une sorte de mouvement de pendule de gauche à droite et de droite à gauche et non un mouvement pivotant du corps qui tourne sur lui-même.
9. « bajo el cádaver » a été traduit « au-dessus du cadavre » au lieu de « au-dessous » : le cadavre est encore pendu au plafond, j’ai du mal à « visualiser » d’ailleurs comment le policier peut chercher des empreintes au-dessus…
10. Pour la traduction du passage du Vicomte de Bragelonne, je n’ai pas l’édition française mais le mieux serait d’aller vérifier dans l’édition originale car la phrase « On sait toujours tout » ne me semble pas très explicite ici.
11. Par ailleurs, « une page soulignée au crayon rouge » peut-être là faudrait-il traduire par « ouvert à une page dont un passage était souligné en rouge » car ce n’est pas toute la page qui est soulignée.
12. « L’homme de haute taille » me paraît curieux « à l’oreille » …
13. Le passage de « Liquide blanc, en bouteille…jusqu’à « …flotter sur ses lèvres » ne me semble pas évident car le texte dit « crítico » ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’énigmatique…
Voilà les quelques remarques ou interrogations soulevées par la traduction française… Le débat est donc ouvert…

Références culturelles, 52 : yemas y reliquias en Ávila

En photo : Yemas González par su-lin

YEMAS y RELIQUIAS en ÁVILA
Par Brigitte

A l’occasion d’un stage d’été à la prestigieuse Université de Salamanque, j’ai profité du repos dominical octroyé pour découvrir la ville d’Avila et sa région.
Au hasard de mes pérégrinations, j’ai découvert, non loin d’Avila, célèbre pour ses remparts impressionnants, le petit village d’Alba de Tormes où avait lieu, en ce dimanche d’Août, la « Fiesta de la Transverberación ».
Mon ignorance de touriste moyenne m’incita à questionner la population du village pour m’enquérir du sens de ce mot inconnu à mon répertoire d’hispanisante… Les habitants du village, non sans humour, m’expliquèrent alors : « oxigenan a la santa una vez al año ».
Traduction explicitante …
Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) de son nom de religieuse, fut baptisée sous le nom de Teresa de Cepeda y Ahumado. Sainte catholique, elle réforma la congrégation des religieuses carmélites vers 1560, en revenant à la règle des Carmes : retour à une vie monastique plus authentique, plus stricte qui prônait une vie communautaire faite d’austérité, d’isolement et de pauvreté.
Elle fut béatifiée en 1614 et déclarée patronne d’Espagne en 1627.
Ses reliques reposent dans le dernier couvent d’Alba de Tormes où elle vécut et où elle s’éteignit, malade, à l’âge de 33ans.
Chaque dernier dimanche d’août, lors de la Fête de la Transverbération - « gracia espiritual por la que a la Santa, llena de amor divino, se le traspasó el corazón por una espada » - un hommage est rendu à la sainte femme : ses reliques sont extraites du couvent où elles sont précieusement conservées, promenées à travers le village le temps d’une procession et d’une messe, puis remises à leur place à l’issue des cérémonies jusqu’à l’année suivante.
Après l’austérité du couvent et la prière dominicale… n’étant moi-même ni une sainte, ni une nonne, je m’adonnai donc au péché de gourmandise… avec une petite douceur locale qui fut la bienvenue… Et de goûter aux célèbres YEMAS… Mea culpa !
Les YEMAS sont typiques de la région de Castilla y León, et plus spécialement de la ville d’Avila, d’où leur appellation YEMAS DE AVILA ou encore YEMAS DE SANTA TERESA.
Leur origine reste incertaine : les spécialistes pensent qu’il s’agit d’une recette dite monastique, confectionnée par les ordres religieux et couvents en abondance à Avila. Certains gastronomes attribuent la recette à un illustre inconnu Isabelo Sanchez qui l’aurait élaborée il y a 130 ans.
Qualifiées de dessert, il s’agit plutôt d’une confiserie qui se déguste à l’heure du café. Très sucrées, les YEMAS, comme leur nom l’indique (Yema = jaune d’œuf) sont élaborées essentiellement à base de jaune d’œufs, mélangés à du sucre, de la cannelle et du zeste de citron. Elles se présentent sous forme de petites boules jaune orangé roulées dans le sucre et glacées.
Bon appétit, mes sœurs-apprenties traductrices !

Dominique Breton, à propos de l’inscription en Master « recherche »...

En photo : Le chercheur par Yves SIMON

Un Master 2 « Recherche » en traductologie,
pour quoi faire ?
Par Dominique Breton

L’idée de s’inscrire en Master « Recherche » après avoir obtenu un Master-Pro de Traductologie peut sembler inutile, étonnant, contradictoire avec une démarche qui privilégie avant tout une pratique de la traduction. Le traducteur est a priori un passionné de la langue et des mots, et il aime la confrontation directe avec les textes, leurs difficultés, leurs surprises, leurs impasses, les questions qu’ils suscitent... ; il apprend avec l’expérience, à s’en accommoder, à les contourner, à les résoudre ou à y répondre à sa façon, plus pragmatique, plus intuitive, plus inconsciente même que réellement théorique. Qu’on me comprenne bien, il ne s’agit nullement d’opposer ici d’une part une pratique spontanée et irréfléchie de la langue et d’autre part, une démarche théorique pleinement satisfaisante. L’idée est précisément de relier enfin cet élan dynamique de la pratique traductive spontanée menée par le traducteur et une réflexion traductologique permettant à ce même traducteur de réfléchir au quotidien sur ses propres pratiques, sur les mécanismes qu’il emploie de façon spontanée ou inconsciente, partant du principe qu’il s’agit d’encourager à terme une sorte de va-et-vient permanent entre théorie et pratique, l’une s’alimentant directement de l’autre, et vice versa. Chaque traducteur est un chercheur traductologue en puissance qui n’a pas encore tenté de verbaliser, de conceptualiser son propre rapport à la traduction et à la langue.
La question n’est donc pas (ou pas simplement) d’acquérir un diplôme de plus, même si cela n’est jamais négligeable. L’intérêt de cette démarche est de pouvoir vous consacrer pendant une année à une réflexion épanouissante et libératrice qui doit, à terme, pouvoir vous apporter un réel soutien dans votre rapport à la traduction.
Et puis, même en partant du principe qu’un diplôme de plus n’est pas la priorité absolue, il peut être intéressant sur le marché de l’emploi, de vous démarquer des interprètes et traducteurs trilingues de l’ESIT, par exemple, en justifiant d’un parcours spécifique, volontairement ciblé sur une langue et une culture, et d’une démarche scientifique particulière (en fonction du sujet de mémoire que vous choisissez). Alors, justement ...

Chercher, oui, peut-être... mais sur quoi ?

Eh bien oui, justement... ! La traductologie est si jeune que tout l’intérêt est là, puisque TOUT est encore à faire, et plus encore dans le domaine hispanique, pratiquement vierge du point de vue des publications scientifiques. Comme la linguistique il y a quelques décennies, la traductologie est donc une discipline promise à un bel avenir, et ce d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte mondialisé appelé à mobiliser de plus en plus les compétences des traducteurs et interprètes.
Cela signifie donc une extraordinaire liberté que vous pouvez choisir d’exploiter, à mon avis, selon trois grands axes (qui présentent de nombreux points d’intersection) :
1) Une réflexion qu’on pourrait qualifier d’épistémologique sur la discipline elle-même, puisque celle-ci n’a pas encore réellement délimité de façon stricte son champ de compétences.
-Il peut être intéressant de travailler sur des sujets qui s’interrogent sur les contours de la traductologie (s’intéresse-t-elle à l’écrit, à l’oral, à l’écrit ET à l’oral, au gestuel, à l’image fixe ou en mouvement –est-elle « traduisible » ?-, etc... ) ; l’adaptation (d’une pièce de théâtre au cinéma, ou d’un livre à l’écran... ), la réécriture (moderniser un texte ancien)... sont aussi des pratiques textuelles qui correspondent à une démarche qui vise à « transposer », à « traduire », d’une certaine façon... ; quels points communs ont ces pratiques avec la traduction ? ...
-Quels sont ses rapports avec d’autres disciplines (la linguistique, la sociologie, la sémiotique, la socio-linguistique, la didactique des langues, la philosophie, les sciences du langage... ),
-l’histoire, toute jeune, de la traductologie (où apparaît-elle, dans quel pays, qui la conceptualise –il semble que ce soit un français, Jean-René Ladmiral, en 1972...-, quel est l’état des lieux bibliographique aujourd’hui de la discipline, quelles sont les langues les « avancées » dans la recherche traductologique... ?)
-la didactique de la discipline (comment est-elle enseignée aujourd’hui, quelles pistes pour demain, quels rapports avec l’enseignement du FLE... ?)
2) Une réflexion conceptuelle, théorique, sur des problèmes de traductologie :
C’est une grande question que celle des « problèmes théoriques de la traduction », lancée par Georges Mounin il y a déjà un certain temps, et qui est loin d’être close, avec des pistes très diverses, telles que :
-la « fidélité » au texte source (fidélité à quoi, à la lettre, à l’interprétation, fidélité envers la « source » ou être fidèle au sens, à son interprétation, à « la cible »... ?) ,
-Que faire de l’ambiguïté ?
-Qu’est-ce que l’auto-traduction,
-Comment concevoir la confrontation à l’intraduisible, a priori... Quels sont les sources « intraduisibles », les cas « limites » ? Qu’est-ce que l’intraduisible... ?
-Comment traduire les fautes, les maladresses, les néologismes... ?
-Quels sont les problèmes posés par les TAO (traductions assistées par ordinateur) ou les TA (traductions automatiques), avec lesquelles il nous faut compter aujourd’hui ?
-Comment traduire les noms propres, les titres, les micro-énoncés, les slogans, graffiti, etc.
-Comment traduire aujourd’hui des textes anciens tels que le Libro de Buen amor, Don Quichotte, etc. (dans quelle « langue » : un français actuel, , un ancien français équivalent à l’époque du texte traduit, une démarche intermédiaire ?... )
3) Des sujets plus « pratiques », à base de corpus textuels plus ou moins resserrés ou élargis, rejoignant d’une façon ou d’une autre la réflexion épistémologique ou de grandes questions théoriques :
-On imagine justement, à propos du dernier exemple cité, un sujet comparant les différentes traductions du « Quichotte » et des choix opérés par les traducteurs...
-une enquête socio-linguistique sur un éventail représentatif de traducteurs et/ou interprètes interrogeant leurs propres pratiques ou difficultés traductives, (plus ou moins ciblées sur des questions précises), etc...
-une enquête sur l’enseignement de la traduction dans les lycées français / espagnols, ou à l’université...
-un corpus recensant des textes a priori « intraduisibles » sans recours aux fameuses NDT, tels que les textes de Novarina, des articles du Canard enchaîné, des histoires drôles, ...
-une analyse comparée de campagnes publicitaires
...
On l’a bien compris, ces trois « axes » sont de simples repères, mais ils sont amenés à se superposer sur bien des sujets. L’essentiel est avant tout de se faire plaisir tout en approfondissant son rapport à la langue, et en travaillant sur des supports que l’on aime.
J’indique enfin pour terminer quelques références bibliographiques à connaître qui me semblent aller dans le même sens...
-la SFT publie 2 fois par an une revue, « Traduire », qu’on peut acheter au numéro ou par abonnement. Elle témoigne d’un éventail de questions à la fois concrètes et théoriques sur la discipline, émanant de réflexions et discussions entre différents « usagers » de la langue et de la traduction –traducteurs, écrivains, théoriciens, enseignants...

-Jean-René Ladmiral, (né en 1942) est un philosophe, linguiste et germaniste français.
Il fait ses études préparatoires à Henri IV (hypokhâgne et khâgne) enseigne la philosophie allemande, ainsi que la traductologie (discipline qu'il a créée dès 1972) à l'Université de Paris-X-Nanterre, où il dirige aussi le C.E.R.T. (Centre d'études et de Recherches en Traduction). Il "enseigne" aussi la traduction et la traductologie à l'I.S.I.T. (Institut Supérieur d'Interprétation et de Traduction) de Paris. Jean-René Ladmiral est aussi traducteur. Il a surtout traduit les philosophes allemands: Jürgen Habermas et l'École de Francfort, mais aussi Kant, Nietzsche. Sa première traduction de l'anglais: Crisis of Psychoanalysis de Erich Fromm.Outre ses travaux sur la philosophie allemande, et en didactique des langues, ses recherches ont porté principalement sur la traduction. Sa thèse d'Habilitation à diriger des recherches s'intitulait: "La traductologie: de la linguistique à la philosophie", fut dirigé par Michel Arrivé et Paul Ricœur en président du jury. Il a publié de nombreux articles et dirige plusieurs revues (Languages nos 28 116, Langue française no 51, Revue d'Esthétique No 12) sur la traduction. Mais aussi des ouvrages : Traduire: théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, 1994, réédité en 2003(coll. Tel, no 246). Dans le prolongement de ces travaux sur la traduction, il a aussi publié en collaboration avec Edmond Marc Lipiansky, un ouvrage intitulé La Communication interculturelle, Paris, Armand Colin, 1989, 1991 & 1995 Bibliothèque européenne des sciences de l'éducation. Il est connu pour son enseignement de philosophie du langage, épistémologie et philosophie de la traduction et philosophie allemande à l'université Paris X-Nanterre où il officia pendant plus de 40 ans. Il est également connu pour de très nombreux articles philosophiques empreints de ressorts comiques et des jeux de mots d'une richesse intellectuelle inégalable et inégalée à ce jour.
-LADMIRAL Jean-René (1994). «Traduire : théorèmes pour la traduction». Paris : Gallimard, 1994.
-LADMIRAL Jean-René (1995). «La traductologie: de la linguistique à la philosophie». Thèse d'habilitation à diriger des recherches soutenue à l'Université de Paris X-Nanterre, le 21 janvier 1995,sous la direction de Michel Arrivé et sous la présidence de Paul Ricœur.
-LADMIRAL, Jean-René (2002), "La traductologie au XXIème siècle: de la linguistique à la psychologie", in Traduire au XXlème siecle: Tendances et perspectives ... (Actes du colloque international de Salonique: 27-29 septembre 2002), éd. Tonia Nenopoulou, Faculté des Lettres de l'Université Aristote de Thessalonique 2004, pp. 336-346.

-Michel Ballard, Professeur émérite à l’université d’Artois, angliciste. Docteur d’état en traductologie soutenu à Paris 3. Ses publications reflètent une approche très intéressante de la traductologie, à la fois très synthétique (théorique, panoramique) ET très concrète, pratique.
Cf. CV sur le lien suivant :
http://www.univ-artois.fr/francais/rech/centres/pages/textes_cultures/pdf_tc/mballard.pdf
Voir aussi ses publications largement diffusées dans le commerce (et accessibles dans les bibliothèques universitaires), tout particulièrement :
-Traductologie et enseignement de la traduction à l’université
-Les corpus en linguistique et en traductologie
-Qu’est-ce que la traductologie
-Correct/incorrect
-Le nom propre en traduction
-Les faux amis

Pour information

Je viens de publier ma proposition de traduction pour la version n°29, « El Chino Luis », de Enrique Núñez Rodríguez.

Version d'entraînement, 30 (Fernando Vallejo)

En photo : Fernando Vallejo par _°Xime°_

Había en las afueras de Medellín un pueblo silencioso y apacible que se llamaba Sabaneta. Bien que lo conocí porque allí cerca, a un lado de la carretera que venía de Envigado, otro pueblo, a mitad de camino entre los dos pueblos, en la finca Santa Anita de mis abue¬los, a mano izquierda viniendo, transcurrió mi infancia. Claro que lo conocí. Estaba al final de esa carretera, en el fin del mundo. Más allá no había nada, ahí el mundo empezaba a bajar, a redondearse, a dar la vuelta. Y eso lo constaté la tarde que elevamos el globo más grande que hubieran visto los cielos de Antioquia, un rombo de ciento veinte pliegos inmenso, rojo, rojo, rojo para que resaltara sobre el cielo azul. El tamaño no me lo van a creer, ¡pero qué saben ustedes de globos! ¿Saben qué son? Son rombos o cruces o esferas hechos de papel de china deleznable, y por dentro llevan una candileja encendida que los llena de humo para que suban. El humo es como quien dice su alma, y la candileja el corazón. Cuando se llenan de humo y empiezan a jalar, los que los están elevan-do sueltan, soltamos, y el globo se va yendo, yendo al cielo con el cora-zón encendido, palpitando, como el Corazón de Jesús. ¿Saben quién es? Nosotros teníamos uno en la sala; en la sala de la casa de la calle del Perú de la ciudad de Medellín, capital de Antioquia; en la casa en donde yo nací, en la sala entronizado o sea (porque sé que no van a saber) bendecido un día por el cura. A él está consagrada Colombia, mi patria. Él es Jesús y se está señalando el pecho con el dedo, y en el pecho abierto el corazón sangrando: góticas de sangre rojo vivó, encendido, como la candileja del globo: es la sangre que derramará Colombia, ahora y siempre por los siglos de los siglos amén.
¿Pero qué les estaba diciendo del globo, de Sabaneta? Ah sí, que el globo subió y subió y empujado por el viento, dejando atrás y abajo los gallinazos se fue yendo hacia Sabaneta. Y nosotros que corremos al carro y ¡ran! que arrancamos, y nos vamos siguiéndolo por la carretera en el Hudson de mi abuelito. Ah no, no fue en el Hudson de mi abuelito, fue en la carcacha de mi papá. Ah sí, sí fue en el Hudson. Ya ni sé, hace tanto, ya no recuerdo... Recuerdo que íbamos de bache en bache ¡pum! ¡pum! ¡pum! por esa carreterita destartalada y el carro a toda, desbarajustándose, como se nos desbarajustó después Colombia, o mejor dicho, como se "les" desbarajustó a ellos porque a mí no, yo aquí no estaba, yo volví después, años y años, décadas, vuelto un viejo, a morir.

Fernando Vallejo, La Virgen de los sicarios

***

La traduction « officielle » par Michel Bobard pour les éditions Belfond, 1997 :

Il y avait dans la banlieue de Medellin un village silencieux et paisible qui s'appelait Sabaneta. Oh oui je l'ai bien connu parce que c'est tout près de là, au bord de la route venant d'Envigado, un autre village, que j'ai passé mon enfance : à mi-chemin entre les deux villages, dans la propriété de mes grands-parents, Santa Anita, à main gauche quand on arrive. Ça oui, je l'ai bien connu. Il se trouvait tout au bout de cette route, au bout du monde. Plus loin il n'y avait rien, c'est là que le monde commençait à descendre, à s'arrondir, à prendre son virage. Et ça je l'ai constaté l'après-midi où nous avons lâché le ballon le plus grand qu'avaient jamais vu les cieux d'Antoquia, un losange de cent vingt plis, immense, rouge, rouge, rouge pour qu'il se détache bien sur le bleu du ciel. Un de cette taille vous ne le croirez pas, mais qu'est-ce que vous y connaissez, vous, aux ballons ! Vous savez ce que c'est ? C'est des losanges ou des sphères ou des croix faits de papier de soie très fin, et dedans on leur met une petite lampe allumée qui les remplit de fumée pour les faire monter. La fumée est comme qui dirait leur âme, et la petite lampe leur cœur. Quand ils se remplissent de fumée et qu'ils commencent à tirer, ceux qui les tiennent à bout de bras les lâchent, nous les lâchons, et le ballon s'en va, s'en va au ciel avec son cœur enflammé, palpitant, comme le Coeur de Jésus. Vous savez qui c'est ? Nous on en avait deux dans le salon ; dans le salon de la maison de la rue du Pérou de la ville de Medellin, capitale d'Antioquia, dans la maison où je suis né ; il était dans le salon, intronisé, c'est-à-dire (parce que je sais que vous ne devez pas savoir) béni un jour par le curé. C'est à lui qu'est consacrée la Colombie, ma patrie. Lui, c'est Jésus, et il désigne sa poitrine avec son doigt, et dans sa poitrine ouverte son cœur qui saigne : de petites gouttes de sang rouge vif, ardent, comme la flamme du ballon : c'est le sang que versera la Colombie, maintenant et toujours pour les siècles des siècles amen.
Mais qu'est-ce que je vous racontais sur le ballon et sur Sabaneta ? Ah oui, que le ballon est monté, monté et, poussé par le vent, laissant les charognards derrière lui et bien plus bas il a pris la direction de Sabaneta. Et nous on se précipite vers la voitire et vroum ! on démarre et on le suit le long de la route dans la Hudson de mon grand-père. Ah non, ce n'était pas la Hudson de mon grand-père, c'était la vieille bagnole de mon père. Ah si, si, c'était la Hudson… Je ne sais plus, il y a si longtemps, je ne me rappelle plus… Je me rappelle que nous sautions d'ornière en nid-de-poule boum ! boum ! boum ! sur cette petite route défoncée et la voiture qui se délinguait de plus en plus, comme ensuite la Colombie s'est délinguée entre nos mains, ou plutôt comme elle s'est déglinguée entre « leurs » mains parce que moi non, moi je n'étais pas là, moi je suis revenu après, des années et des années plus tard, des décennies, un vieillard désormais, pour y mourir.

***

Odile nous propose sa traduction :

Il y avait dans la banlieue de Medellin un village silencieux et paisible qui s'appelait Sabaneta. Je l'ai bien connu ,oui, car c'est tout près de là, au bord de la route venant de Envigado, un autre village, dans la propriété de mes grands-parents, Santa Anita, à mi-chemin entre les deux autres et à main gauche quand on arrive que j'ai passé mon enfance.Bien sûr que je l'ai connu. Il était au bout de cette route, au bout du monde. Au-delà, il n'y avait rien, là le monde commençait à descendre, à s'arrondir, à tourner. Et ça, je l'ai constaté l'après midi où nous avons laché le ballon, le plus grand qu'avaient jamais vu les cieux d'Antioquia, un losange de 120 plis, immense, rouge, rouge, rouge pour qu'il se détache sur le bleu du ciel. Vous n'allez pas le croire qu'il était si grand, mais qu'est-ce que vous y connaissez ,vous, en ballons? Vous savez ce que c'est au moins? Ce sont des losanges ou des croix ou des sphères en papier de soie très fragile et dedans on y met une petite lampe allumée qui les remplit de fumée pour qu'ils montent. La fumée est comme qui dirait leur âme, et la lampe leur coeur. Lorsqu'ils se remplissent de fumée et commencent à tirer, ceux qui tiennent les lachent, nous les lachons, et le ballon s'en va, il s'en va au ciel avec le coeur enflammé, tout palpitant, comme le coeur de Jésus. Vous savez qui c'est? Nous, nous en avions un dans le salon, dans le salon de la maison de la rue du Pérou de la ville de Medellin, capitale de Antioquia, dans la maison où je suis né, dans le salon, consacré, c'est à dire, parce que je sais que vous ne le savez pas) bénie un jour par le curé. C'est à lui qu'est consacrée la Colombie, ma patrie. Lui, c'est Jésus et il montre son coeur avec son doigt, et dans sa poitrine ouverte son coeur qui saigne, des petites gouttes de sang rouge vif, ardent, comme la lampe du ballon: c'est le sang que versera la Colombie, maintenant et toujours, pour les siècles des siècles, amen.
Mais qu'est-ce que j'étais en train de vous dire du ballon et de Sabaneta. Ah oui, que le ballon est monté, monté, et, poussé par le vent, laissant derrière lui et bien plus bas les charognards, il est parti vers Sabaneta. Et nous, on court vers la voiture et, vroum, on démarre et on le suit par la route dans la Hudson de mon grand-père. Ah non, ce n'était pas dans la Hudson de mon grand-père, c'était dans la vieille voiture de mon père. Ah si, si, c'était dans la Hudson. Je ne sais même plus, ça fait si longtemps, je ne me souviens plus...Je me souviens que nous sautions de nid de poule en nid de poule, boum! boum! boum! sur cette petite route défoncée, et de la voiture qui se déglinguait de plus en plus, comme s'est déglinguée notre Colombie, ou plutôt comme « ils » l'ont déglinguée, parce que moi je n'étais pas là, je suis revenu après, des années et des années plus tard, des décennies, devenu vieux, pour y mourir.

jeudi 26 février 2009

Références culturelles, 51 : Habaneras y cremàt

En photo : Preparant el cremat par alf2000_E1

HABANERAS Y CREMÀT
Par Brigitte

C’est par hasard, lors d’un séjour à Barcelone, que j’ai eu l’occasion de découvrir Las Habaneras et de déguster, à l’issue d’un concert de rue, le célèbre cremàt.
Comme leur nom le laisse deviner, les Habaneras viennent à l’origine de Cuba. Elles datent du XIXème siècle.
Les Habaneras de Cuba furent d’abord des danses et musiques de type classique interprétées et écoutées par la haute société et l’aristocratie. (Le célèbre « Prends garde à toi » repris dans le Carmen de Bizet était une Habanera).
Après une évolution au fil des siècles, les Habaneras sont restées des chansons de tradition populaire en Espagne, encore très prisées, notamment sur la côte catalane, dans certains villages de pêcheurs.
Au rythme lent de boléro ou de tango, elles sont plutôt nostalgiques et sont souvent chantées par des chorales ou bandas, parfois simplement instrumentales.
Elles s’intègrent au répertoire de chansons dites « de ida y vuelta » souvent associées aux chants de marins puisqu’elles étaient créées et chantées par les émigrants, les indianos, et les gens de mer. Leurs thèmes sont donc assez récurrents : la mer – notamment des chants inspirés par la perte de Cuba, dernière colonie espagnole en 1898 – la tristesse des adieux, le bonheur du retour, les pensées pour la bien-aimée…
Un Festival de Habaneras a même lieu tous les ans, en juillet, dans le village de Calella de Palafrugell.

Le Cremàt original se consomme sur la Costa Brava. Il s’agit d’une boisson chaude, à base de rhum, de café et de cognac parfumée avec du zeste de citron, de la cannelle et du sucre de canne. La préparation est flambée jusqu’à totale évaporation de l’alcool et servie bien chaude.

http://marenostrum.org/nuestrascostas/cbpasoapaso/havaneres/
http://librairieespagnole.blogspot.com/2009/01/las-habaneras.html
http://www.musica.cult.cu/documen/habanera.htm

Youtube
Un extrait typique de Habanera « el meu avi »
http://vivenciesjosep.blogspot.com/2008/03/las-habaneras.html

Version d'entraînement, 29 (Enrique Núñez Rodríguez)

En photo : Jardín chino (no japonés) par MartinaFlor®

EL CHINO LUIS

Tenía su puesto de frutas frente a mi vieja casa de madera. No sé cuando lo vi por primera vez, aunque debe haber estado allí, leyendo el periódico de su país, desde mucho antes de que yo naciera. Quizás desde siempre. Por largo que parezca ese lapso.
Se llamaba Luis. El chino Luis, sin ningún otro apellido conocido :
-Pellido, ¿ pa’qué ? Gente no entiende pellido chino.
Se sentaba detrás del mostrador, acomodado en su viejo taburete, y se ponía a leer el periódico, de grande caracteres asiáticos, entrecerrando aún más sus pequeños ojos rasgados.
Su establecimiento olía a platanitos maduros y a calabacitas chinas. Nunca lo vi levantarse del taburete. Cuando llegaba un cliente y solicitaba un centavo de platanitos, no alzaba la vista y se limitaba a rezongar :
- Coge tú mismo. Deja el linelo mostlaló.
Y seguía leyendo.
[…]
Terminé la escuela primaria, la secundaria, el bachillerato y, siempre que pasaba, veía a Luis leyendo el periódico chino con sus ojillos entrecerrados y somnolientos.
Cuando iba de vacaciones, estando ya en la Universidad, lo encontraba sentado en su taburete de siempre y me parecía observar, en sus labios, una especie de sonrisa lejana y amable que yo interpretaba como su silencioso saludo. Un día me atreví a preguntarle cómo iba el negocio. Me contestó :
-Bien. Muy bien. Nadie compla ná. Mejol pa’mí.
Y me dijo que cogiera una calabacita china, como cuando era niño y el se hacía el bobo, mientras yo se la robaba.
Aquella mañana de 1951 el taburete amaneció vacío. Lo encontraron muerto entre ristras de ajos y racimos de plátanos manzanos, acostado en su catre de loneta. Sobre el pecho un ejemplar de un periódico cantonés fechado en 1920. El único periódico que se encontró entre sus escasas pertenencias. El mismo que leía, día tras día, desde que lo conocí.
Alguien echó a rodar, después, la leyenda de que había muerto mientras regresaba, en sueños, a su aldea natal de Cantón, donde lo esperaba, para casarse con él, la novia que dejó al partir.
La novia que nadie le conoció.
Claro que eran puras invenciones de la gente. Porque Luis pasó del sueño a la muerte, víctima de un infarto masivo, según me dijo el médico del pueblo. ¿ Cómo se iba a saber con qué soñaba ?
Con el tiempo he pensado que aquella leyenda pudo ser cierta, porque en vida, jamás, le había visto en el rostro la dulce sonrisa que le dibujó la muerte.
Luis no lo sabrá nunca, pero desde entonces, yo he deseado vivir como él.

Enrique Núñez Rodríguez, “El Chino Luis”, in Gente que yo quise…, Ediciones Unión, col. Anécdotas, La Habana, 1995, pp.29-30.

***

La traduction que je vous propose :

Son étal de fruits se trouvait juste en face de ma vieille maison en bois. J’ignore quand je l’y ai vu pour la première fois, même s’il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse.
Il s’appelait Luis. Luis le Chinois, sans autre nom de famille connu :
« Nom famille, pou’lquoi faile ? Gens complend pas nom famille chinois. »
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et il se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, rétrécissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Sa boutique sentait la banane naine mûre et la courge cireuse. Je ne l’ai jamais vu quitter son tabouret. Quand un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de rouspéter :
« Sels-toi tout seul. Laisse algent comptoil. »
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J’achevai l’école primaire, le secondaire, je décrochai mon diplôme de fin d’études et, chaque fois que je passais, je voyais Luis en train de lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j’étais à l’université, je le trouvais assis sur son éternel tabouret et il me semblait remarquer, sur ses lèvres, un vague sourire aimable, que j’interprétais comme sa manière à lui de me saluer en silence. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Ce à quoi il répondit :
« Bien. Tlès bien. Pelsonne achète lien. Mieux poul moi. »
Et il me dit de prendre une courge cireuse, comme quand j’étais petit et qu’il jouait les imbéciles, pendant que je la lui volais.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide ; on le découvrit mort au milieu de chapelets d’ail et de régimes de bananes rouges, couché sur son grabat de toile à voile. Avec, sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul journal que l’on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu’il avait lu, jour après jour, depuis que j’avais fait sa connaissance.
Plus tard, quelqu’un lança la légende/rumeur selon laquelle il était mort en rêvant qu’il retournait dans son village natal de Canton, où l’attendait, pour se marier avec lui, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Il va de soi que ce n’était qu’inventions des gens. Car, d’après les dires du médecin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d’un infarctus foudroyant. Comment aurait-on pu savoir de quoi il était en train de rêver, hein ?
Avec le temps, j’en suis venu à penser que cette légende/rumeur pouvait très bien être exacte, parce que de son vivant, je ne lui avais jamais vu ce sourire doux qu’avait peint la mort sur son visage.
Luis n’en saura jamais rien, mais depuis lors, j’ai aspiré à vivre comme lui.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Luis, le Chinois.

Il tenait son échoppe de fruits en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l’ai vu pour la première fois, même s’il était sûrement là, à lire le journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Peut-être depuis toujours. Même si ça paraît beaucoup. Il s’appelait Luis, Luis le Chinois, on ne lui connaissait aucun autre nom :
- Nom famille ? Poul quoi fai’ ? Gens pas complend’ nom famille chinois.
Il s’asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret, et se mettait à lire son journal, aux gros caractères asiatiques, plissant encore plus qu’ils ne l’étaient ses petits yeux bridés.
Son commerce avait l’odeur des petites bananes bien mûres et des calebasses chinoises. Jamais je ne l’ai vu se lever de son tabouret. Lorsqu’un client arrivait et demandait pour un centavo de petites bananes, il ne levait pas les yeux et se contentait de marmonner :
- Plendl’ toi-même. Laisse l’algent sul comptoil.
Et il poursuivait sa lecture.
( …)
J’ai terminé mes études à l’école primaire, en secondaire, le bac et, chaque fois que je passais devant, je voyais Luis en train de lire son journal chinois de ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je venais pour les vacances, alors que j’étais déjà à l’université, je le retrouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait lire sur ses lèvres, une sorte de sourire lointain et aimable que j’interprétais comme un bonjour silencieux. Un jour, je me suis hasardé à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit :
- Bien. Tlès bien. Pelsonne lien acheter. Tant mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite calebasse chinoise, comme celle que je lui volais quand j’étais petit et qu’il faisait alors mine de ne rien voir.
En ce matin de 1951, le tabouret resta vide. On le retrouva mort entre des tresses d’ail et des régimes de bananes naines, couché sur sa natte de toile. Sur la poitrine, un exemplaire d’un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l’on trouva parmi ses affaires personnelles. Le même qu’il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Quelqu’un fit circuler, plus tard, la légende selon laquelle il était mort en retournant, en rêve, dans sa bourgade natale de Canton, où l’attendait, pour l’épouser, la fiancée qu’il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait jamais connue.
Bien sûr, ce n’étaient que pures inventions des gens. Car Luis était passé du sommeil à la mort, terrassé par un infarctus foudroyant, d’après ce que m’avait dit le médecin du village. Comment savoir à quoi il pouvait bien rêver ?
Avec le temps, j’ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais, de ma vie, je ne lui avais vu ce sourire bienheureux qu’avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais c’est à compter de ce jour-là que j’ai voulu vivre comme lui.

***

Odile nous propose sa traduction :

Son étal de fruits se trouvait en face de ma vieille maison de bois. Je ne sais plus quand je l'ai vu pour la première fois, même s'il était probablement là, plongé dans la lecture du journal de son pays, depuis bien avant ma naissance. Depuis toujours, peut-être. Pour long que cela paraisse. I l s'appelait Luis, Luis le Chinois, sans autre nom connu.
- Nom famille? Poul quoi fail? Gens complend pas nom famille chinois.
Il s'asseyait derrière le comptoir, installé sur son vieux tabouret et se mettait à lire son journal aux grands caractères asiatiques, plissant encore davantage ses petits yeux bridés.
Son commerce sentait la banane naine mûre et la courge chinoise. Je ne l'ai jamais vu se lever de son tabouret. Lorsqu'un client arrivait et demandait un centavo de bananes naines, il ne levait même pas les yeux, se contentant de grommeler:
- Sels-toi. Laisse algent sul comptoil.
Et il reprenait sa lecture.
[…]
J'ai terminé ma scolarité du primaire, du secondaire, puis les classes du baccalauréat et chaque fois que je passais, je voyais Luis occupé à lire son journal chinois, ses petits yeux mi-clos et ensommeillés.
Quand je revenais pour les vacances, alors que j'étais déjà à l'université, je le trouvais assis sur son tabouret de toujours et il me semblait remarquer sur ses lèvres un vague sourire aimable que j'interprétais comme un salut silencieux. Un jour, je me hasardai à lui demander comment marchaient les affaires. Il me répondit:
- Bien. Très bien! Pelsonne lien acheter. Mieux poul moi.
Et il me dit de prendre une petite courge chinoise, comme celle que je lui volais lorsque j'étais enfant, ce qu'il faisait mine de ne pas remarquer.
Un matin de 1951, le tabouret resta vide. On le trouva mort au milieu de chapelets d'ail et de régimes de bananes pommes, couché sur son grabat de toile à voile. Sur la poitrine, un exemplaire d'un journal cantonais daté de 1920. Le seul et unique journal que l'on trouva parmi ses maigres biens. Le même qu'il lisait, jour après jour, depuis que je le connaissais.
Plus tard, quelqu'un fit circuler la légende selon laquelle il était mort en rêvant qu'il retournait sans son village natal de Canton où l'attendait, pour l'épouser, la fiancée qu'il avait laissée là-bas en partant.
La fiancée que personne ne lui avait connue.
Bien sûr, ce n'étaient que pures inventions des gens. Car, selon ce que m'avait dit le médeçin du village, Luis était passé du sommeil à la mort, victime d'un infarctus fourdroyant. Comment aurait-on pu savoir à quoi il rêvait?
Avec le temps, j'ai pensé que cette légende avait pu être vraie, car jamais de son vivant je ne lui avais vu ce doux sourire qu'avait dessiné la mort sur son visage.
Luis ne le saura jamais, mais depuis lors, j'ai voulu vivre comme lui.

mercredi 25 février 2009

Pour information

Je viens de publier la traduction « officielle » de la version n°28, El Club Dumas d'Arturo Pérez Reverte.

Pour information

Je viens de publier ma proposition de traduction pour la version n°25, La isla de los amores infinitos de Daína Chaviano.

Conseil de lecture…

En photo : Garcia Marquez par azul222

En feuilletant pour la énième fois les œuvres journalistiques de Gabriel García Márquez, je suis tombée sur ce petit article consacré aux dictionnaires : « La vaina de los diccionarios », paru dans l'anthologie Notas de prensa 1980-1984, Barcelona, Mondadori, 1991.
Je ne vous en recopie que les premières lignes, pour vous donner envie de monter jusqu'au perchoir du Cadist (3e étage de la B.U.) afin de lire la suite :

« Uno de los placeres de la vida es encontrar las imbecilidades de los diccionarios. Para mí, en especial, constituyen una cierta forma de venganza contra el destino, porque mi abuelo el coronel me enseño desde muy niño que los diccionarios no sólo lo sabían todo, sino que además no se equivocaban nunca. El suyo, que era un mamotreto muy viejo y ya a punto de desencuadenarse, tenía pintado en el lomo un Atlas corpulento con la bola del mundo sobre los hombros. « Esto quiere decir que el diccionario tiene que cargar con el mundo entero », me decía mi abuelo, a quien, sin duda, no se le occurió nunca buscar la nota sobre Atlas en el propio diccioanrio. De haberlo hecho, se habría dado cuenta de que ese dibujo era un error muy grave. Atlas, en efecto, era uno de los titanes de la mitología griega que provocó una guerra contra los dioses, por lo cual lo condenó Zeus a sostener el firmamento sobre sus espaldas… »

De la part de Sophie Léchauguette

Voici quelques informations pratiques que m'envoie Sophie :

Michel Volkovitch, traducteur et auteur, s'occupe des cours d'écriture à Charles V pour les M2 trad et son site aux nombreuses rubriques contient des pages intéressantes pour les traducteurs et amoureux de la Grèce.
http://www.volkovitch.com/

Autre info pour nos apprentis traducteurs, un article dans le dernier Translittérature, sur le devenir des étudiants dans la profession, avec interviews et témoignages, et appel à autres témoignages à envoyer à
translitterature@atlf.org

Et enfin l'adresse d'un dictionnaire des intraduisibles en chantier
http://www2.bulac.fr/actualites/dictionnaire-des-intraduisibles/presentation

Références culturelles, 50 : la salsa

En photo : Dirty Salsa > babushka par Varela ©

La Salsa
Par Laure

Las raíces más remotas de la salsa son afrocubanas, entiéndase que se originó este sonido en los ritmos traídos por los esclavos negros a Cuba.
Pero la salsa tal como la conocemos hoy, y con esta denominación genérica, es el último e innovador baile popular que cobró forma en los años 60-70 en los barrios hispanos de Nueva York, en la comunidad esencialmente cubana y puertorriqueña. Su nacimiento en las calles neoyorkinas no debe descontextualizarla del Caribe, en especial de Cuba. De hecho, las relaciones y las influencias musicales siempre han sido estrechas y bidireccionales entre Nueva York y Cuba (grupos de jazz que introducen percusiones, cantantes cubanos que parafrasean el jazz,…). Nueva York y sus clubes como el famoso Palladium Dancehall de la calle 52 fueron los vehículos de los ritmos cubanos que los inmigrados tocaban allí en exclusiva. Cabe destacar además que en los años 40-50, La Habana era el traspatio de los norteamericanos, el Las Vegas cubano, en donde los turistas estadounidenses podían recrearse con esos ritmos sugestivos que les gustaban. Por otra parte, el bloqueo contra Cuba no impedirá el continuo flujo de los ritmos cubanos a Nueva York, sino que más bien los favorecerá con la instalación de músicos cubanos en Nueva York en tiempos del castrismo.
Sin embargo, el origen del nombre « salsa » se remonta a los años 1930 cuando un cantante y músico cubano, Igancio Piñeiro, introdujo por primera vez la trompeta en el son caribeño (otro tipo de música y baile, más anciano), en una canción llamada « échale salsita ». La nueva música incipiente conservó de aquel entonces el nombre picante del sustantivo, (en todo caso, tales nombres, como « sabor », « azúcar », solían servir de interjección para dar expresividad en las canciones). Fue a un sello de comercialización, Fania Récords, a quien se le ocurrió utilizar la palabra « salsa » (rememorando aquella canción) para englobar este nuevo tipo de múscia en un género reconocible : este nombre es pues una especie de golpe márketing. De hecho, a partir de los años 70, la salsa empezó a suscitar el furor por todo el mundo.
Tanto es así que pasó a ser una seña de identidad caribeña, y un ritmo universalmente conocido y apreciado, cuyo encanto perdura, distando mucho de lo efímero de cualquier moda. Por extenderse a todo el continente, cobra variantes en la forma de bailar : la salsa puertorriqueña difiere de la salsa cubana, de la colombiana,…Su estilo musical está definido, y se vale de instrumentos variados como el bomgo, las campanas, los timbales, las maracas, el guiro (rama de árbol vaciado y estriado), las congas.

Sondage :
Jamais il ne nous viendrait à l’esprit de traduire « la salsa » en français car :
­il s’agit d’une référence culturelle universellement connue
­le sens du mot en soi importe peu
­on ne traduit pas non plus le chacha ou le tango qui eux, ne renvoient pas à des concepts précis
­on voit mal ce que viendrait faire « la sauce » dans le contexte de rythme ou danse.

Question subsidiaire :
N’est-il donc pas étrange que certaines références culturelles soient pour le traducteur des automatismes (« la salsa » ne peut être que « la salsa ») et que d’autres invitent à la réflexion, voire sont de véritables casse-tête (traduire ou pas traduire les instruments de musique ? traduire ou pas traduire un genre littéraire ?)… La conclusion qu’on peut en tirer est que le genre musical est universel et n’a pour nom que son nom d’origine (jazz, reggeaton, rock,…) car la musique n’a pas besoin de traduction pour être entendue, comprise, ressentie [allez, je vous accorde une exception : la valse devient el vals !...serait-ce car elle n’est pas à la portée de tous, qu’elle est moins « popular » ?!]. Mais pour le reste, la traduction ou l’adaptation s’impose car la compréhension ne va pas de soi… Qu’en pensez-vous ?

Avec le son et l'image :
http://www.youtube.com/watch?v=Mv1ZsSrE03o
http://www.youtube.com/watch?v=wb35M43Kcds

Version d'entraînement, 28 (Arturo Pérez Reverte), nouveau test

En photo : El Club Dumas par retanaviajes

El fogonazo de luz proyectó la silueta del ahorcado en la pared. Colgaba inmóvil de una lámpara en el centro del salón, y a medida que el fotógrafo se movía a su alrededor, accionando la cámara, la sombra provocada por el flash se recortaba sucesivamente sobre cuadros, vitrinas con porcelanas, estanterías con libros, cortinas abiertas sobre grandes ventanales tras los que caía la lluvia. El juez instructor era joven. Tenía el pelo escaso, revuelto y aún mojado, como la gabardina que conservaba sobre los hombros mientras dictaba las diligencias al secretario que escribía sentado en el sofá, con la máquina portátil sobre una silla. El tecleo punteaba la voz monótona del juez y los comentarios en voz baja de los policías moviéndose por la habitación :
- … En pijama, con un batín por encima. El cordón de esa prenda causó la muerte por ahorcamiento. El cadáver tiene las manos atadas en la parte anterior del cuerpo con una corbata. Su pie izquierdo conserva puesta una zapatilla y el otro se encuentra desnudo...
El juez tocó el pie calzado del muerto y el cuerpo giró un poco, despacio, al extremo del tenso cordón de seda que unía su cuello con el anclaje de la lámpara en el techo. El movimiento fue de izquierda a derecha, y después en sentido inverso y con más corto recorrido hasta centrarse de nuevo en la postura original, como una aguja imantada que recobrase el norte tras breve oscilación. Al apartarse, el juez se ladeó para esquivara un policía uniformado que, bajo el cadáver, buscaba huellas digitales. Había un jarrón roto en el suelo y un libro abierto por una Página subrayada con lápiz rojo. El libro era un viejo ejemplar de El vizconde de Bragelonne, una edición barata encuadernada en tela. Inclinándose sobre el hombro del agente, el juez le echó un vistazo al texto marcado :
« Me han vendido -murmuró-. ¡Todo se sabe!
- Todo se sabe al fin -repuso Porthos, que nada sabía. »
Hizo que el secretario tomase nota de aquello, ordenó incluir el libro en el sumario, y fue a reunirse con un hombre alto que fumaba junto al alféizar de una ventana abierta.
- ¿ Qué le parece ? - preguntó al llegar a su lado.
El hombre alto llevaba la placa de policía colgada en un bolsillo de su chaqueta de cuero. Tardó en responder el tiempo necesario para apurar la colilla que tenía entre los dedos, antes de arrojarla por la ventana sin mirar atrás.
- Cuando es blanca y viene embotellada, suele tratarse de leche- respondió por fin, críptico, mas no tanto como para que el juez no apuntara una sonrisa; a diferencia del policía, él sí miraba la calle, donde seguía lloviendo con fuerza. Alguien abrió una puerta al otro lado de la habitación, y la ráfaga de aire le trajo gotas de agua contra el rostro.
- Cierren esa puerta -ordenó sin volverse. Después le habló al policía-: Hay homicidios que se disfrazan de suicidios.
- Y viceversa - matizó tranquilo el otro.
- ¿ Qué opina de las manos y la corbata ?
- A veces temen arrepentirse a última hora... De otro modo las
tendría atadas a la espalda.
- Eso no cambia las cosas - repuso el juez -. El cordón es fino y resistente. Una vez perdido pie, ni con las manos libres tenía la menor oportunidad.
- Todo es posible. Con la autopsia sabremos más.
El juez volvió a echarle otra ojeada al cadáver. El agente de las huellas digitales se levantaba con el libro en las manos.
- Es curioso lo de esa página.
El policía alto se encogió de hombros.
- Yo leo poco - dijo -. Pero el tal Porthos será uno de esos personajes, ¿no?... Athos, Porthos, Aramis y d'Artagnan contaba con el pulgar sobre los dedos de una mano y al concluir se detuvo, pensativo. Tiene gracia. Siempre me he preguntado por qué se les llama los tres mosqueteros, si en realidad eran cuatro.

Arturo Pérez Reverte, El Club Dumas

***

La traduction officielle par Jean-Pierre Quijano, pour les éditions Jean-Claude Lattès :

« L'éclair du flash projeta la silhouette du mort sur le mur. Immobile, il pendait du lustre, au centre du salon. Et tandis que le photographe tournait autour de lui en appuyant sur le déclencheur de son appareil, l'ombre produite par le flash se dessinait successivement sur des tableaux, des vitrines aux étagères chargées de porcelaines, des rayons de livres, des rideaux ouverts sur des grandes fenêtres derrière lesquelles tombait la pluie.
Le juge d'instruction était jeune. Il avait le cheveu rare, en désordre, encore mouillé, comme la gabardine qu'il portait sur ses épaules tandis qu'il dictait son procès-verbal au secrétaire assis sur le sofa, une machine à écrire portative posée devant lui sur une chaise. Le crépitement des touches ponctuait la voix monotone du juge et les commentaires que les policiers échangeaient à voix basse en examinant la pièce :
— … En pyjama, avec une veste d'intérieur. Le cordon de celle-ci a provoqué la mort par strangulation. Le cadavre a les mains attachées devant lui au moyen d'une cravate. Son pied gauche est chaussé d'une pantoufle, le droit est nu…
Le juge toucha le pied nu du mort et le cadavre pivota lentement, au bout du cordon de soie qui reliait son cou à l'ancrage du lustre. Il tourna d'abord de gauche à droite, puis en sens contraire, mais un peu moins loin déjà, jusqu'à retrouver sa position initiale, comme une aiguille aimantée retrouve le Nord après une brève oscillation. Lorsque le juge s'écarta, il dut faire un mouvement de côté pour éviter un policier en uniforme qui cherchait des empreintes digitales au-dessus du cadavre. Une potiche brisée gisait à terre, de même qu'un livre ouvert dont une page était soulignée au crayon rouge. C'était un vieil exemplaire du Vicomte de Bragelonne, une édition bon marché reliée en toile. Le juge se pencha par-dessus l'épaule de l'agent et jeta un coup d'œil sur le texte souligné :
— Oh ! Je suis trahi, murmura-t-il : on sait tout.
— On sait toujours tout, répliqua Porthos qui ne savait rien. »
Il demanda au secrétaire de prendre note du passage et de faire mention du livre dans le procès-verbal, puis il alla rejoindre un homme de haute taille qui fumait devant une fenêtre ouverte.
— Qu'en pensez-vous ? demanda-t-il lorsqu'il l'eut rejoint.
L'homme de haute taille portait un insigne de policier sur la poche de son blouson en cuir. Il prit une bouffée de la cigarette qu'il tenait entre ses doigts avant de répondre, puis jeta le mégot par la fenêtre sans regarder derrière lui.
— Liquide blanc, en bouteille : on peut généralement conclure qu'il s'agit de lait, répondit-il enfin, énigmatique, mais le juge aperçut un sourire flotter sur ses lèvres ; à la différence du policier, il regardait dans la rue où la pluie continuait à tomber violemment.
Quelqu'un ouvrit une porte au fond de la pièce et le courant d'air fit pleuvoir quelques gouttes sur son visage.
— Fermez la porte, ordonna-t-il sans se retourner. Il arrive aussi qu'on maquille des homicides en suicides, continua-t-il en s'adressant au policier.
— Et inversement, corrigea l'autre, toujours très calme.
— Que pensez-vous des mains et de la cravate ?
— Il arrive qu'ils aient peur de reculer au dernier moment… Si c'était autre chose, elles seraient attachées derrière le dos.
— C'était inutile, rétorqua le juge. Le cordon est fin et solide. Une fois qu'il perdait pied, il n'aurait pas eu la moindre chance, même avec les mains libres.
— Tout est possible. Nous en saurons davantage après l'autopsie.
Le juge se retourna pour regarder de nouveau le cadavre. L'agent qui relevait les empreintes digitales se releva, le livre à la main.
— Plutôt curieux, cette page.
Le policier de haute taille haussa les épaules.
— Je lis peu, répondit-il. Mais ce Porthos était bien un de ces personnages, n'est-ce pas ?… Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan – il compta sur ses doigts, puis s'arrêta, pensif. C'est quand même bizarre. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelle les trois mousquetaires, alors qu'ils sont quatre.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

L’éclair lumineux projeta la silhouette du cadavre sur le mur. Il pendait, immobile, au bout d’un fil électrique, au centre du salon, et au fur et à mesure que le photographe tournait autour en déclenchant son appareil, l’ombre produite par le flash se détachait successivement sur fond de tableaux, de vitrines, de porcelaine, d’étagères de livres, de rideaux ouverts sur de grandes baies vitrées derrière lesquelles tombait la pluie.
Le juge d’instruction était jeune. Les rares cheveux qu’il lui restait étaient en bataille et encore mouillés, tout comme la gabardine qu’il gardait sur le dos pendant qu’il dictait le procès verbal à son greffier. Celui-ci, assis sur le canapé, écrivait sur sa machine portable installée sur une chaise. Son pianotage sur le clavier ponctuait la voix monotone du juge et les commentaires à voix basse des policiers qui circulaient dans la pièce :
-« …en pyjama, avec un peignoir par-dessus. La ceinture dudit vêtement a provoqué la mort par pendaison. Le cadavre a les mains attachées par devant avec une cravate. Son pied gauche a conservé une pantoufle et l’autre est nu… »
Le juge toucha le pied chaussé du mort et le corps pivota lentement sur lui-même, au bout du cordon de soie tendu qui reliait son cou à la fixation de la lampe du plafond.
Il imprima un mouvement de gauche à droite puis en sens inverse, et sur une plus courte distance, pour se recentrer enfin dans sa position initiale, comme une aiguille aimantée qui retrouve le nord après une légère oscillation.
En s’écartant, le juge se pencha sur le côté pour éviter un policier en uniforme qui cherchait des empruntes digitales sous le cadavre. Par terre, il y avait un vase cassé et un livre ouvert à une page, soulignée au crayon rouge. Le livre était un vieil exemplaire du Vicomte de Bragelonne, une édition bon marché reliée en toile. En se penchant par-dessus l’épaule de l’agent, le juge jeta un coup d’œil au texte souligné :
- On m’a trahi ! – murmura-t-il. Ils savent tout !
- Tout finit par se savoir - répondit Porthos qui en fait ne savait rien.
Il fit en sorte que le greffier prenne ça en note, ordonna d’ajouter le livre aux pièces du dossier et alla rejoindre un grand type qui fumait près d’une fenêtre ouverte.
- Qu’est-ce que vous en dîtes ? – l’interrogea-t-il en arrivant près de lui.
Le gaillard portait une plaque de police fixée à la poche de son blouson en cuir. Il tarda à répondre, le temps de finir le mégot qu’il serrait entre ses doigts, avant de le jeter par la fenêtre sans se retourner.
- Quand c’est blanc et en bouteille, en général c’est du lait- répondit-il enfin, critique, mais pas assez pour que le juge ne le gratifie d’un sourire ; à la différence du policier, lui, par contre, il regardait dans la rue où il tombait toujours des cordes. Quelqu’un ouvrit une porte à l’autre bout de la pièce et le courant d’air lui projeta des gouttes d’eau sur le visage.
- Fermez-moi cette porte – ordonna-t-il sans se retourner. Puis, il parla au policier : il y a des homicides déguisés en suicides.
- Et inversement – précisa l’autre, serein.
- Qu’est-ce vous pensez des mains attachées avec la cravate ?
- Parfois, ils ont peur de regretter au dernier moment… Sinon, il aurait les mains attachées dans le dos.
- Ca ne change pas grand-chose – répliqua le juge – Le fil est fin et résistant. Une fois lâché pied, même avec les mains libres, il n’avait aucune chance.
- Tout est possible. On en saura plus avec l’autopsie.
- Le juge jeta un nouveau coup d’œil au cadavre. L’agent qui vérifiait les empreintes digitales se redressait avec le livre en mains.
- C’est bizarre, cette page.
Le grand policier haussa les épaules.
- Moi, je lis très peu – Mais le Porthos en question, ça doit être un des personnages, non ? …Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan, il faisait le compte sur les doigts d’une main puis s’arrêta, pensif. C’est drôle. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelait les Trois mousquetaires, puisqu’en fait ils sont quatre.

***

Andrès, étudiant du groupe 2 de CAPES, nous propose sa traduction :

L’éclair de lumière projeta la silhouette du pendu contre le mur. Il pendait, immobile, d’une lampe au centre du salon, et à mesure que le photographe se déplaçait autour de lui, actionnant l’appareil, l’ombre provoquée par le flash se découpait successivement contre les tableaux, les vitrines avec de la porcelaine, les étagères avec des livres, les rideaux ouverts sur de grandes baies vitrées derrière lesquelles tombait la pluie. Le juge instructeur était jeune. Il avait les cheveux courts, ébouriffés et encore mouillés, comme la gabardine qu’il conservait sur les épaules tandis qu’il dictait les diligences au secrétaire qui écrivait assis sur le canapé, avec la machine à écrire portable posée sur une chaise. Le bruit du clavier ponctuait la voix monotone du juge ainsi que les commentaires à voix basse des policiers se déplaçant dans la pièce :
- …En pyjama, avec une veste par-dessus. Le cordon de ce vêtement a provoqué la mort par pendaison. Le cadavre a les mains ligotées au dos avec une cravate. Son pied gauche chausse encore un chausson tandis que l’autre est nu…
Le juge toucha le pied chaussé du mort et le corps tourna un peu, lentement, à l’extrémité du cordon en soie tendu ; qui unissait son cou avec les branches de la lampe au plafond. Le mouvement se fit de gauche à droite, et après dans le sens inverse et avec moins d’espace parcouru jusqu’à se recentrer de nouveau dans la position initiale, comme une aiguille aimantée, qui retrouve le nord après une brève oscillation. En s’écartant, le juge se pencha pour esquiver un policier en uniforme qui, sous le cadavre, cherchait des empreintes digitales. Un vase cassé trônait sur le sol accompagné d’un livre ouvert à une page soulignée au stylo rouge. Le livre était un vieil exemplaire du Vicomte de Bragelonne, une édition bon marché recouverte de tissu. En se penchant par-dessus l’épaule de l’agent, le juge jeta un coup d’œil au texte souligné.
« on m’a dénoncé -murmura-t-il-. Tout se sait !
- Tout finit par se savoir- répliqua Porthos qui ne savait rien. »
Il fit en sorte que le secrétaire prenne note de cela, ordonna que l’on inclue le livre dans le sommaire, et alla rejoindre un homme grand, qui fumait contre le rebord d’une fenêtre ouverte.
-Qu’est-ce que vous en dites ?- demanda-t-il en arrivant à ses côtés.
L’homme grand portait une plaque de police qui pendait d’une poche de sa veste en cuir. Il tarda à répondre le temps de finir le mégot qu’il tenait entre ses doigts, avant de le jeter par la fenêtre sans regarder derrière lui.
-Quand il est blanc, et qu’on l’embouteille, il s’agit généralement de lait- répondit-il à la fin, cryptique, mais pas au point que cela empêche le juge d’esquisser un sourire ; contrairement au policier, lui regardait bien la rue, ou la pluie s’abattait toujours avec force.
Quelqu’un ouvrit une porte à l’autre extrémité de la pièce, et la rafale d’air lui amena des gouttes d’eau sur son visage.
-fermez la porte- ordonna-t-il sans se retourner. Après il parla au policier- : il y a des homicides que l’on déguise en suicides.
-Et vice et versa- nuança l’autre tranquillement.
- Que pensez-vous des mains et de la cravate ?
-Parfois il ont peur de se rétracter au dernier moment…elles seraient ligotées au dos d’une autre manière.
- Ca ne change rien- répliqua le juge-. Le cordon est fin et résistant. Une fois les pieds dans le vide, même avec les mains libres il n’avait pas la moindre chance.
-tout est possible- Avec l’autopsie nous en saurons davantage.
Le juge jeta de nouveau un coup d’œil au cadavre. L’agent des empreintes digitales se levait avec le livre dans ses mains.
- C’est curieux pour la page.
Le grand policier haussa les épaules.
- Je lis peu -avoua-t-il-. Mais ce Porthos doit être un des personnages, non ?
Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan contait-il avec son pouce sur les doigts de sa main et en concluant il s’arrêta, plongé dans ses pensées. C’est drôle. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelle les trois mousquetaires, alors qu’en réalité ils étaient quatre.

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Odile nous propose sa traduction :

L'éclair de lumière projeta la sihouette du pendu sur le mur. Immobile, il pendait au lustre, au centre du salon et au fur et à mesure que le photographe tournait autour de lui tout en actionnant le déclencheur de son appareil, l'ombre produite par le flash se dessinait successivement sur des tableaux, des vitrines remplies de porcelaines, des étagères de livres, des rideaux ouverts sur de grandes fenêtres derrière lesquelles tombait la pluie.
Le juge d' instruction était jeune. Il avait le cheveu rare, en désordre et encore mouillé, comme l'imperméable qu'il portait sur lui tandis qu'il dictait le procès-verbal au greffier qui écrivait, assis sur le fauteuil, la machine à écrire portative posée sur une chaise. Le bruit de la frappe ponctuait la voix monotone du juge et les commentaires à voix basse de policiers se déplaçant dans la pièce.
-.... En pyjama, avec une veste d'intérieur. Le cordon de ce vêtement a provoqué la mort par strangulation. Le cadavre a les mains liées devant lui au moyen d'une cravate. Son pied gauche est chaussé d'une pantoufle, l'autre est nu.
Le juge toucha le pied chaussé du mort et le corps pivota un peu, lentement, au bout du cordon de soie tendu qui reliait son cou à l'ancrage du lustre. Le corps tourna de gauche à droite, moins complètement en sens inverse, puis finit par retrouver sa position initiale comme une aiguille aimantée qui retrouve le Nord après une brève oscillation.
Lorsqu'il s'écarta, le juge dût faire un mouvement de côté pour esquiver un policier en uniforme qui, sous le cadavre, cherchait des empreintes digitales. Il y avait une potiche brisée sur le sol et un livre ouvert à une page dont un passage était souligné au crayon rouge. Le livre était un vieil esemplaire du Vicomte de Bragelonne, d'une édition bon marché, reliée en toile. Le juge se pencha sur l'épaule de l'agent et jeta un coup d'oeil sur le texte souligné:
- « On m'a trahi – mumura-t-il-. On sait tout!
- Tout fini par se savoir – répliqua Porthos ,- qui ne savait rien. »
Il demanda au greffier de prendre note de ce passage, ordonna d'ajouter le livre aux pièces du dossier et rejoignit un homme de grande stature qui fumait près du rebord d'une fenêtre ouverte.
- Qu'est-ce que vous en dites? - lui demanda-t-il en arrivant près de lui.
L'homme de grande taille portait la plaque de police sur la poche de sa veste de cuir. Il ne lui répondit que lorsqu'il eut terminé sa cigarette et jeté le mégot par la fenêtre sans regarder derrière lui.
-Lorsque c'est blanc et mis en bouteille, généralement, c'est du lait – finit-il par répondre, énigmatique, mais son petit sourire n'échappa pas au juge; à la différence du policier, celui-ci regardait dans la rue, où la pluie tombait toujours violemment. Quelqu'un ouvrit une porte de l'autre côté de la pièce et le courant d'air projeta quelques gouttes d'eau sur son visage.
- Fermez cette porte- ordonna-t-il sans se retourner. Puis il s'adressa au policier :
- Il y a aussi des homicides maquillés en suicides.
- Et vice et versa,- nuança calmement l'autre.
- Que pensez-vous des mains et de la cravate?
- Parfois, ils ont peur de le regretter au dernier moment....Sinon, elles seraient attachées dans le dos.
Cela ne change rien -répondit le juge-. Le cordon est fin et résistant. Une fois qu'il perdait pied, il n'avait aucune chance, même avec les mains libres.
- Tout est possible. L'autopsie nous en dira plus.
Le juge jeta encore un coup d'oeil au cadavre. L'agent qui relevait les empreintes digitales se redressa, le livre entre les mains.
- C'est bizarre cette page.
Le policier a la grande taille haussa les épaules.
- Je lis peu dit-il-. Mais ce Porthos doit être un de ces personnages, non?... Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan - comptait-il avec le pouce sur les doigts d'une main et en terminant, il s'arrêta, pensif.- C'est drôle. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelle les trois mousquetaires, alors qu'en réalité ils sont quatre.