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mercredi 14 janvier 2015

Entretien avec la traductrice María Teresa Gallego Urrutia – réalisé par Aude Monnoyer de Galland

Aude Monnoyer de Galland est étudiante à l'Université Bordeaux Montaigne – Master « Métiers de la traduction » / parcours anglais.

C’est lors des 31ème Assises de la Traduction Littéraire que j’ai rencontré María Teresa Gallego Urrutia, traductrice du français vers l’espagnol depuis plus de 50 ans. Au terme de la table ronde « Traduire Jean Hatzfeld », à laquelle elle participait en tant que traductrice de l’écrivain, elle a acceptée de raconter son parcours et de partager son expérience.

Vous traduisez depuis 50 ans ! C’est impressionnant…
Ce n’est pas que je sois jeune, je ne le suis pas, mais il faut dire que j’ai commencé très jeune : j’ai traduit mon premier livre à 18 ans et depuis je n’ai pas cessé de traduire, donc évidemment, j’ai eu le temps de traduire pas mal de choses ! J’ai commencé à traduire alors que je commençais mes études à l’université, et même si je suis désormais retraitée de mon poste de professeur agrégé de français, je continue de traduire quand même. J’ai toujours voulu être traductrice et j’y suis parvenue, ce qui me rend très heureuse.

Vous avez débuté à 18 ans, c’est jeune ! Comment cela s’est-il passé, comment avez-vous obtenu votre premier livre ?
Quand j’étais petite, j’étais inscrite au lycée français de Madrid et donc j’ai pratiquement toujours été bilingue. C’est là que j’ai fait toutes mes études, de la maternelle à la terminale et cela m’a donné une expérience non seulement de la langue mais aussi de la France. Quand on suit un enseignement français, même en étant à Madrid, on vit en France une partie de la journée. Et puis, je suis tombée amoureuse très tôt de la langue française. Je ne m’en rendais pas compte parce que j’étais petite, mais je m’en rends compte maintenant : c’était un coup de foudre, un coup au cœur immédiat entre le français et moi. Donc J’avais une idée très nette de ce que je voulais faire, enfin je voulais faire beaucoup de choses, mais l’une d’elles c’était traduire la littérature française en espagnol.

Est-ce que vous avez bénéficié d’une formation spéciale pour ça, est-ce que cela existait seulement à l’époque ?
Non, ça n’existait pas mais je ne crois pas que ce soit indispensable. Je crois que pour être un bon traducteur, il faut être très cultivé, avoir beaucoup lu. Connaitre à fond les deux langues mais aussi ce qu’il y a derrière les deux langues, car au fond la langue exprime la façon de vivre la vie des gens, c’est pour ça qu’il y a différentes expressions, différentes tournures, différentes façons de dire les choses dans chaque pays, et chaque langue : parce que la langue est le reflet de la manière dont on vit dans chaque culture. Du moment qu’on a ça, je pense qu’il n’est pas indispensable d’avoir une formation spécifique. Je ne dis pas que ce soit inutile, je dis que ce n’est pas suffisant et que ce n’est pas indispensable. Ceci dit, plus on étudie, plus on sait de choses, mieux ça vaut. Je ne sais pas comment ça se passe en France, mais en Espagne, quand je vais faire des tables rondes ou intervenir dans les facs de traduction, mais je rencontre souvent des étudiants qui n’ont pratiquement rien lu…

C’est embêtant pour traduire la littérature !
Alors évidemment, quand on se trouve devant des jeunes qui en sont à la 3ème ou 4ème année de leurs études en traduction et qui ont étudié plein de matières comme la traductologie, enfin des trucs de ce genre-là, auxquels d’ailleurs je ne crois pas… (rires)

C’est justement la question que j’allais vous poser ! Vous avez vu l’émergence de la traductologie, qui est une discipline relativement récente puisqu’elle existe depuis environ 30 ans. Vous traduisiez donc depuis déjà environ 20 ans quand le champ s’est développé. Pensez qu’elle a changé les choses ?
Oui je pense que ça encombre inutilement le cerveau ! (rires)

Donc ça n’a rien changé à votre pratique de toute évidence…
Non. Je pense qu’on peut faire une histoire de la traduction si on le souhaite : on peut tout à fait étudier comment certaines œuvres ont été traduites, ou certaines langues, mais seulement ce qui a déjà été fait. Ce qu’on ne peut pas faire, c’est théoriser sur une traduction qui n’existe pas encore. Chez nous, dans mon association de traducteurs, l’Association espagnole des traducteurs, nous avons une petite plaisanterie que nous répétons très souvent : en traduction, il y a une seule norme fixe, et c’est ça dépend. Même dans le même livre, il faut parfois traduire différemment le même mot, mettre un mot différent en espagnol même si c’est le même en français, car il faut prendre en compte les nuances et le contexte. On ne peut pas traduire de la même manière un roman du XXème siècle et un livre du XVIIIème. Pour résumer, on ne peut jamais traduire de la même manière. C’est amusant parce que nous avons à l’association une espèce de forum. Ceux qui veulent participent, ça se passe en temps réel : comme on passe des heures devant notre ordinateur quand on travaille, on est branché sur le forum et on voit arriver en temps réel les questions des collègues, on répond, on discute… Et des fois il y a quelqu’un comme ça qui envoie une question du genre : « comment vous diriez… » Et tout de suite il y a 38 personnes qui répondent : ça dépend.

Ça dépend du contexte, ça dépend du livre…
Ça dépend de tout. Ce qui arrive souvent avec des traducteurs plus jeunes, c’est qu’ils demandent en gros. Comment traduire telle expression, tel mot. Alors, tout de suite on leur répond : ça dépend. Tu me donnes l’écrivain, la classe sociale des gens qui parlent, tu me dis l’époque et alors, à ce moment-là, peut-être que je pourrais envisager de te donner un conseil mais pas avant, pas avant ! (rires)

Ce qui m’avait frappé lors de votre intervention [à la table ronde « Traduire Jean Hatzfeld »], c’est le bon sens. Vous aviez une approche très pragmatique, vous cherchez de toute évidence à traduire un texte dans son ensemble, en cohérence, plutôt que d’essayer de le rendre petit bout de phrase par petit bout de phrase…
Oui. Ce que je disais tout à l’heure, et qui est toujours vrai, c’est que quand on se trouve confronté à une difficulté de traduction, il faut l’analyser et voir à quelle catégorie elle appartient. Par exemple, s’il s’agit d’un livre amusant, d’un auteur ingénieux qui fait tout le temps des jeux de mots, ça n’affecte pas le fond de ce qu’il écrit et on peut donc mettre cette ingéniosité n’importe où. À mon avis, il ne faut pas se dire que puisqu’à la ligne trois du chapitre 5 du chapitre, il y a quelque chose de rigolo, alors il faut absolument reproduire ça là. Ça peut marcher mais cela peut aussi ne pas marcher, et ça aurait l’air forcé.

Vous parliez de ce qui comptait c’est ce qui reste à la fin, quand on a fermé le livre. D’être parvenu à épouser la sensibilité de l’auteur.
L’essentiel c’est qu’en fermant le livre l’auteur se dise « comme c’est amusant, comme c’est bien tourné, quels bons jeux de mots, comme l’auteur est agréable à lire ! » Le livre dont on parlait aujourd’hui, La Saison des machettes, il faut des expressions qui ont l’air un peu étrange à l’oreille française. C’est une autre langue, une langue du Rwanda traduite en français et qui « sonne » bizarre. Mais est-ce que cela voudrait dire qu’il faut garder cela uniquement dans la parole des interviewés ? Non ! Ce qu’il faut, c’est que l’impression générale soit là à la fin. Alors, on le fait lorsque la langue espagnole le permet de façon fluide ou spontanée. On ne force pas, car cela se remarque toujours. Si c’est recherché, ça se voit et ça devient invraisemblable.
Par contre, si un auteur choisi de faire un jeu de mot précis et concret de façon à ce que ça affecte l’histoire, alors là, il faut résoudre cette difficulté à ce moment-là. Car il s’agit là d’un jeu de mot de fond et non juste de forme. Parfois on s’arrête quand c’est le fond, on s’arrache les cheveux, on demande aux collègues et puis on réussit moins bien ou très bien, on réussit comme ci comme ça, et on se le reproche toute sa vie ! (rires) Ça, ça dépend aussi.

Vous avez des regrets de cet ordre-là ?
Oui ! (rires)

En cinquante ans de carrière, c’est normal !
Surtout qu’en traduisant, on apprend. Quand on repense à des textes qu’on a traduit il a trente ans, on se dit : « ah j’aurais dû mettre ça, ça aurait été mieux. » Et puis, nous envoyons les textes trop vite aux éditeurs.

Ah oui ?
C’est-à-dire qu’on finit son brouillon, on retape la version définitive, on relit plusieurs fois et puis on envoie à l’éditeur. Mais tout ça s’est enchaîné, et il n’y a pas eu de délai entre la fin définitive de la traduction… enfin définitive… comme le dit la formule : la traduction est finie quand l’éditeur fait savoir qu’il ne peut plus attendre !

(Rires) C’est une jolie formule !
Quand l’éditeur dit : « écoute, je veux le livre dans la demi-heure », là, la traduction est finie parce que tu n’as plus de marge pour continuer. Mais en principe, il y a un moment, quand même, où tu te dis que la traduction est finie, et puis le délai se termine le lendemain à 8h, donc tu l’envoies. Tu l’envoies, comme on dit en espagnol « in caliente » c’est-à-dire encore chaude, tout juste sortie du four. Mais tous les gens qui font la cuisine savent qu’il y a des plats qu’il faut laisser refroidir avant de les consommer. On met toujours la tarte aux cerises sur le bord de la fenêtre ; chaude le goût n’est pas le même, la consistance non plus. Et pourtant nous envoyons les textes sans les laisser refroidir, ils partent encore fumants. Mais il y a quelque chose de bien, du moins en Espagne : c’est qu’après, il y a les épreuves. Et les épreuves arrivent deux mois plus tard. À ce moment-là le texte a refroidi suffisamment, et il y a des choses que l’on voit différemment et qu’on peut changer. C’est déjà un texte qu’on a déjà un peu oublié. C’est comme l’expression « l’arbre qui cache la forêt ». Avant, on est entre les arbres, mais quand les épreuves reviennent, on voit déjà la forêt… Ah, je ne sais pas comment on en est arrivés là, ce n’était pas du tout la question initiale ! (rires)

Non mais c’est intéressant ! On parlait des regrets…
Ah oui les regrets ! D’ailleurs il y a une traduction que j’ai refaite plusieurs fois, parce qu’heureusement, les droits me sont revenus. Après que les droits se sont épuisés, la maison n’a pas réédité le livre et les droits me sont revenus, comme le veut la loi espagnole : lorsqu’un livre est épuisé pendant plus de deux ans et que le livre n’est pas réédité, les droits reviennent au traducteur. Si l’éditeur veut encore le livre, il doit faire un nouveau contrat, et s’il ne le veut plus, le traducteur récupère ses droits, qu’il peut ensuite céder à une autre maison d’édition. Cela m’est arrivé deux fois, et les deux fois avec des livres de Jean Genet, qui n’est pas un auteur évident à traduire.

Ah, non effectivement ! Racontez-nous…
Alors la première traduction de Genet que j’ai faite, j’étais très jeune, 34 ou 35 ans…Je me suis trouvée face au Journal du voleur, où les problèmes étaient multiples car non seulement le livre était difficile en soi, mais en plus il y avait la problématique de l’époque de la langue. C’est un livre des années 40 qui se déroule dans les milieux homosexuels mais également en prison. Et évidemment, ces langages-là évoluent. Il fallait donc ne pas commettre d’anachronismes, et trouver en espagnol une langue de la de prison et des milieux homosexuels, qui ne soit ni trop ancienne, ni trop moderne, mais précisément des années 40. C’était le grand défi pour ce livre de Genet. Ce qui fait que, du coup, je me suis totalement centrée sur ce problème-là, qui était bien résolu je crois, d’ailleurs j’ai reçu un prix national de traduction pour ma traduction de ce livre là, mais c’était un prix injuste.

Vraiment ? Pourquoi dites-vous cela ?
Ce prix m’a été décerné pour la recréation de cette langue-là en espagnol, mais le reste n’était pas très soigné. Pourquoi ? D’abord parce que j’étais trop jeune, et parce que j’étais obnubilée par cette problématique et le reste est un peu négligé. Je n’étais pas très contente de cette traduction-là et plus le temps passait, moins j’en étais contente.

Et vous avez eu l’occasion de refaire cette traduction par la suite ?
Quelques années plus tard, la maison d’édition qui l’avait éditée m’a demandé les droits. J’ai dit oui, mais à condition que je puisse la refaire, l’améliorer. À ce moment-là, il s’était passé environ 15 ans depuis la première traduction. Puis cette maison d’édition a fermé, les droits me sont donc revenus à nouveau, c’était comme une partie de tennis, la balle me revenait toujours ! (rires) Et puis, il y a deux ans, quand j’étais déjà une vieille dame, une nouvelle maison d’édition, la troisième, m’a demandé les droits. Je leur ai dit la même chose : oui, mais je veux le traduire encore. Alors je l’ai traduit à nouveau, et maintenant que j’ai plus d’expérience, je suis contente de cette traduction. J’ai eu la même chose avec Le Miracle de la rose de Genet, que j’ai traduit trois fois aussi, pour trois maisons différentes. J’ai tout refait de zéro, parce que je n’étais pas contente du résultat. J’étais consternée, j’avais une sensation de malaise, je me disais : «  ah, mais ces livres-là que j’ai signés, qui se baladent avec ma signature et qui ne me plaisent pas du tout, ah mais j’ai raté ça, ça, et ça… » Ah, et on en est arrivé là en parlant de la traductologie…

Ah oui, tout au début !
Oui parce qu’on peut réfléchir, on peut même théoriser sur la traduction des affects. Ce qu’on ne peut pas faire à mon avis, c’est parler à priori de la traduction.

C’est l’approche prescriptive qui vous dérange.
Il n’y a pas une traduction, il y a des traductions. Ce n’est pas une science au même sens que la biologie, avec des règles que l’on peut définir à l’avance et qu’un médecin apprend par cœur, même si après il doit encore étudier l’anatomie et décortiquer des cadavres… En traduction et en littérature on ne peut pas faire ça. Je trouve la traductologie tout à fait absurde. Pédante. Ah la la ! Je vais me faire attraper par quelqu’un, c’est sûr (rires). Mais je crois que c’est vrai, on ne peut jamais théoriser la création, on ne peut qu’en parler.

Vous considérez donc que la traduction est vraiment une création ?
Ah oui, absolument.

Et vous disiez que vous ne croyez absolument pas au fameux dicton « traduire, c’est trahir » ?
Ça peut arriver, mais c’est comme dire « être médecin, c’est tuer ». Et non, ça dépend ! Il y a des médecins qui tuent leurs malades, mais la plupart les guérissent.

Du coup, 50 ans de traductions, ça fait combien de livres ? Est-ce que vous les comptez encore ?
Non, mais ça fait dans les 200 à peu près. Plus ou moins. Je ne compte pas les premiers livres parce que… Ah ! Je me souviens du premier livre que j’ai traduit.

Qu’est-ce que c’était ?
C’était La Pitié de Dieu de Jean Cau, qui avait été prix Goncourt cette année-là.

Vous avez commencé par un prix Goncourt en plus !
Et j’ai commencé par un prix Goncourt en plus (rires).

Comment est-ce arrivé ? C’est vous qui êtes allée, livre sous le bras, démarcher les éditeurs ?
Non, il faut dire que j’ai eu beaucoup de chance. Et pas que dans ma carrière. J’ai eu une vie heureuse. Et ça me fait peur de le dire, mais je le dis quand même. J’ai eu beaucoup de chance. J’étais une jeune fille qui parlait français et qui aimait beaucoup cette langue, qui lisait beaucoup, qui aimait la littérature, pas seulement française. Je lisais continuellement, j’étais dans une famille d’écrivain. Il faut dire que j’étais plongée dans cette atmosphère : mon père était traducteur aussi. Mais, comme je m’étais dit que je voulais être traductrice, un beau jour j’ai pris une feuille de papier, j’ai pris un stylo, et j’ai écrit au directeur d’une maison d’édition qui s’appelle Seix Barral. J’en connaissais le nom car mon père avait traduit des livres pour eux, et puis j’avais eu un prix de rédaction. Quand je finissais mes études au lycée français, je m’étais inscrite aux cours de littérature de l’Alliance française, juste à côté du lycée français, littéralement la porte à côté, c’était très pratique ! Il y avait une sorte de prix à la fin de l’année scolaire. On pouvait gagner un séjour à Paris. J’ai eu le prix de rédaction de l’Alliance française et au mois de juillet, j’ai débarqué à Paris avec mon prix, et j’ai rencontré des élèves venus de toute l’Europe. Il y avait plusieurs personnes espagnoles car il y avait une Alliance française à Madrid et à Barcelone. C’est là que j’ai rencontré Noudia Petit, qui avait eu le prix à Barcelone. Nous sommes devenues très amies et nous avons continué à écrire quand nous sommes rentrées chez nous. C’était la fille de Juan Petit, qui travaillait à Seix Barral. Mais je n’ai pas parlé d’elle ni de mon père quand j’ai écrit.

Vous vouliez être choisie sur vos propres qualités. Qu’avez-vous avez écrit ?
Ou ne pas être choisie pour mes propres qualités ! (rires) J’ai écrit au directeur : « Je me présente, je viens de finir mes études, je commence des études de philologie française l’année prochaine à l’université de Madrid, et je voudrais être traductrice. Alors, est-ce que vous croyez que je pourrais un jour, le plus tôt possible d’ailleurs, traduire un livre pour votre maison d’édition ? » Il aurait très bien pu mettre la lettre à la poubelle, en se disant mais qu’est-ce qu’elle croit celle-là, cette petite de 18 ans, qui s’amène avec ses prétentions. Mais il m’a répondu. Il m’a dit de prendre Le Vent de Claude Simon et de lui traduire un chapitre. J’étais enchantée. J’avais déjà lu Claude Simon mais pas ce livre-là alors, je suis allée à la bibliothèque de l’Institut français, je l’ai emprunté, je l’ai lu, et j’ai traduit un chapitre. À l’époque, à la machine évidemment. C’était en … 1960 ou 61… J’ai traduit le chapitre 10 et je l’ai envoyé par la poste à Barcelone. À l’époque, on vivait comme le titre de Hartzfeld, Dans le nu de la vie. J’ai reçu une réponse quelques jours plus tard. Il me disait que ma traduction n’était pas bien, évidemment il y avait plein de fautes et d’erreur. Mais la lettre disait aussi : « je vois en vous une traductrice », quand j’ai lu ça, des larmes de joies dégoulinaient sur mes joues. Il m’a dit : « je vais vous donner le prix Goncourt de cette année. Mais avec une condition : vous allez faire des brouillons, chapitre par chapitre, on va en parler au téléphone, et après cela vous le refaites. » J’étais enchantée : j’allais avoir un professeur de traduction rien que pour moi, qui allait me dire exactement ce qui allait et n’allait pas. Il m’expliquait plein de choses que lui savait, parce qu’il connaissait bien le français et puis c’était un monsieur d’une cinquantaine d’années qui dirigeait la maison d’édition depuis longtemps. Je refaisais le chapitre en prenant en compte ses indications, et j’ai traduit le livre comme ça. À la fin, il m’a dit que ce n’était pas mal, que ce serait mieux sans doute à l’avenir mais en tout cas que c’était une traduction tout à fait valable. Et là, il s’est passé deux choses : le livre a été interdit en Espagne par la censure, et il n’a donc pas été publié et ensuite, Juan Petit est mort tragiquement, sans prévenir, un jour dans son bureau, d’un infarctus. C’était un décès tragique évidemment, et j’avais perdu mon mentor que j’adorais. Mais il m’avait permis de me lancer. À partir de là, les traductions ont commencé à arriver, petit à petit. J’ai traduit plusieurs romans de Simenon, on avait fait une équipe pour sortir ça assez vite. Je ne sais pas pourquoi on m’a appelé, sans doute grâce à Juan Petit, qui avait dû parler de moi à d’autres éditeurs.

Votre premier livre était un Goncourt, et vous êtes également la traductrice de Patrick Modiano, qui vient de recevoir le Nobel. Vous le traduisez depuis longtemps ?
Je le traduis depuis 2006, j’ai traduit onze de ses romans.
Et alors maintenant, que va-t-il se passer : était-il déjà prévu que vous traduisiez les autres ? Est-ce qu’on vous demande soudainement de traduire tous ses autres romans ?
Eh bien, Modiano avait été traduit dans les années 90 en Espagne, pas tous ses livres, 3 ou 4, La Place de l’Etoile, Les Boulevards périphériques, Dora Bruder… Il n’avait pas eu particulièrement de succès à l’époque. Et un beau jour en 2006 ou 2007, il publie Un Pédigrée. C’est un roman qui donne une série de clefs sur son travail, on voyait enfin sous le tapis ! C’est là qu’une maison d’édition, Anagrama, a pensé qu’il fallait récupérer Modiano et commencer par ce livre, le dernier. Curieusement, cet auteur qui avait été oublié, qui n’avait pas connu un grand succès dans les années 90, a fait beaucoup de bruit à ce moment-là. Donc l’éditeur s’est mis à acheter les droits des livres de Modiano au fur et à mesure, mais de plus, il a commencé à récupérer les droits de ses livres plus anciens. Donc j’ai alterné, les livres plus récents et les livres plus anciens. J’étais à mon 11ème Modiano et il venait de m’envoyer le dernier, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Il voulait le publier en mars ou avril 2015, et là, boum, Modiano remporte le Nobel en Octobre ! Évidemment, j’étais ravie ! D’abord parce que c’est un écrivain que j’adore, et puis aussi parce que je suis sa traductrice en Espagne. Ça a été un peu la folie, pas mal de journaux ont appelé pour avoir des interviews de la traductrice. À tel point que mon mari me disait : « Mais alors ce prix Nobel, c’est Modiano qui l’a eu ou c’est toi ? » (Rires). Quelques jours après, c’est la maison d’édition qui m’a appelée pour me dire « on vient de récupérer les droits de sept livres de Modiano ».

« Et tu peux les faire pour quand ? »
C’est ça ! On les veut tous à la suite. Du coup, j’ai déjà commencé Une jeunesse et je suis embarquée jusqu’au mois de juin à peu près avec du Modiano, pour finir en beauté avec le dernier.

Quand vous avez commencé à traduire Modiano, il avait déjà été traduit par quelqu’un d’autre : comment procède-t-on dans ces cas-là ? Pour vous, était-ce une retraduction ou avez-vous complètement fait fi de la première traduction ?
J’ai commencé par Un Pedigree et celui-là n’avait encore jamais été traduit, c’était un nouveau livre. Quant au reste, il faut dire que je n’aime pas tellement regarder la traduction précédente car je ne veux pas me laisser influencer. Je m’explique : parfois, il y a cette tentation, dans laquelle il ne faut pas tomber je crois, de faire différemment à tout prix (même si ce n’est pas justifié) dans le but de laisser sa marque. Il y a un exemple assez récent, avec une traduction d’À la recherche du temps perdu de Proust, publiée il y a cinq ou dix ans. Le traducteur a complètement gâché la première phrase car il voulait à tout prix qu’elle soit différente des autres traductions. La suite, c’est une autre histoire, c’est très difficile, mais la première phrase du temps perdu « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. », il n’y a pas 36 façons de la traduire, il n’y a pas lieu de chercher à changer. En voulant se démarquer, à cause de son ego, le traducteur l’a complètement gâchée, c’est absurde et ça ne veut plus rien dire. Pourquoi se compliquer la vie pour une phrase évidente ? Il a dû réfléchir pour si mal tourner cette phrase ! C’est justement ce qui me fait peur, d’être influencée. Non pas pour m’inspirer, car alors, pourquoi pas, quitte à mettre une note à la fin. C’est ce qu’on a fait avec Au Bonheur des dames de Zola. On a gardé un titre en espagnol car il était excellent. C’était le meilleur titre possible. Donc, nous avons indiqué dans une note au début que ce n’était pas ma trouvaille, mais une trouvaille du traducteur précédent.

Le danger, c’est donc de vouloir se démarquer.
Le danger, ce qui arrive le plus souvent, c’est de surimposer une personnalité que l’on n’aurait pas dû mettre. Donc non, je n’ai pas lu les précédentes traductions.

Autre question, peut-être question bête, maintenant que Monsieur Modiano a reçu le prix Nobel, est-ce que cela change votre regard ou votre façon de traduire ses œuvres ?
Justement non. Quand il a reçu le prix Nobel, on venait de réaliser en Espagne un cycle de conférence dont l’une s’appelait « Traduire un prix Nobel ». Je m’étais dit que c’était idiot, car il n’y a aucune raison de faire différemment ! On traduit parfois des auteurs qui ont reçu le prix Nobel il y a des années, par exemple, j’ai traduit certains écrivains qui ont reçu le prix Nobel quand j’étais petite, ou que je n’étais même pas encore née. Je ne me suis pas dit « je traduis un prix Nobel, » je me suis dit, « je traduis Romain Roland, je traduis Gide… » Est-ce que ça m’a influencée ? Non. Quant à Modiano, je ne vais pas traduire différemment après le 10 octobre, je vais le traduire exactement de la même manière. J’étais, et je reste convaincue qu’on ne traduit pas un prix Nobel, on traduit un écrivain. Je ne pense pas qu’un traducteur se pose ce genre de questions. Il y a pas mal d’auteurs que j’ai traduits qui aurait pu être prix Nobel et qui le seront peut-être, ou ne le seront jamais et l’auraient mérité pourtant. Pierre Michon, par exemple. Pourquoi Modiano et pas Pierre Michon ? Je trouve que Modiano mérite son Nobel mais Pierre Michon l’aurait mérité également. Je n’ai pas de raison de traduire Pierre Michon différemment de Modiano parce qu’il n’a pas eu le Nobel !

Une dernière question : est-ce que vous avez un conseil pour les jeunes traducteurs, dont je fais partie, qui vont lire cet entretien ?
Moi, mon conseil, ça dépend aussi. Obtenir son premier livre dépend des époques. Quand j’avais 17 ans, c’était plus facile. On traduisait moins peut-être, mais la traduction n’était pas professionnalisée. On avait souvent recours à de jeunes écrivains, à des jeunes férus de littérature qui connaissaient la langue, même s’ils étaient peu expérimentés ou même pas du tout parce qu’ils étaient très peu payés. Maintenant il y a la concurrence, et avec la crise, du moins en Espagne, les maisons d’éditions cherchent à faire des économies et traduisent moins. Mais il y a une chose qui ne change pas : il faut avoir lu férocement, avidement, voracement depuis l’enfance. Si tu as lu, tu mettras peut-être du temps à percer, mais tu perceras. Parce que tu traduiras bien. C’est la musique. La musique de l’auteur et de l’écrivain, mais aussi la musique de l’époque. Le rythme du siècle. Il faut l’avoir intériorisé dans les deux langues. Cette musique, il faut l’acquérir en lisant : le vocabulaire, en lisant, la musique, en lisant, la syntaxe, en lisant aussi… Mais il y a, surtout, ce sixième sens du traducteur qui se développe quand on lit. Quelque chose qu’on ne comprend pas, mais qu’on sent. Une sensibilité à part. Parfois, des jeunes me demandent quelle filière ils devraient suivre, et bon, peut-être que ce n’est pas très gentil, mais je commence à leur citer des phrases de Dostoïevski, de Tolstoï, de Hugo… Des phrases qui font partie du bagage littéraire d’une personne qui a suffisamment lu. Si ça ne leur dit rien, alors je leur dit que ça ne va pas. Qu’il faut rattraper le temps perdu maintenant. Parce que vraiment, il faut ce bagage-là. Il faut l’avoir intériorisé, ce doit faire partie des réflexes. D’autre part, il faut s’inscrire très tôt à une association de traducteurs. Là, il y a des gens qui traduisent déjà, il y a des forums où les uns et les autres participent. On peut poser des questions, répondre, voir les questions que posent les gens plus expérimentés, et commencer à voir le processus de traduction, la cuisine de la traduction, de l’intérieur. Et on y trouve aussi du travail : parfois, quelqu’un n’a pas le temps de traduire un livre, et met le nom et l’adresse de la maison d’éditions sur le forum. Et il ne faut pas hésiter à demander des tuyaux ! On se conseille, on parle des maisons d’éditions, de celles qui n’offrent pas de contrats et qu’il faut éviter, et au contraire de celles pour qui il faut faire du beau boulot parce que ça en vaut la peine. Les traducteurs pour la plupart sont très solidaires entre eux. Il faut prendre part à la profession de manière vivante.

Entretien avec le traducteur Bernard Hœpffner – réalisé par Maëlig Bonnifait

Maëlig Bonnifait est étudiante à l'Université Bordeaux Montaigne – Master « Métiers de la traduction » / parcours anglais.

Quelle(s) langue(s) traduisez-vous ? 
Principalement de l'anglais au français et du français à l'anglais, mais il m'est arrivé de traduire de l'allemand et à quelques occasions (pour des revues) du russe.

Quel(s) genre(s) de textes traduisez-vous ?
Il est difficile de parler de genre; je pense que les livres que j'ai traduits sont éminemment "littéraires", avec une prédilection pour la Renaissance et les textes expérimentaux contemporains; j'ai aussi longtemps traduit des catalogues pour des musées et des galeries, mais plus du tout aujourd'hui. Plus généralement, j'essaye de traduire les textes que j'aime.

Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
Depuis bientôt trente ans.

Quelle formation avez-vous suivi ?
Aucune formation, mes diplômes s'arrêtent au niveau baccalauréat, si on oublie six mois d'études aux Beau-Arts (architecture).

La traduction est-elle votre seule source de revenus ?
Oui (avec quelques conférences, et divers ateliers dans les mastères de traduction)

Combien de livres traduisez-vous par an ?
Difficile à dire, disons que j'ai traduit 240 livres en trente ans. Des tous petits (Mille et une nuits) et des énormes (Anatomie de la mélancolie: 2400 pages)

Quels outils utilisez-vous ? (dictionnaires, logiciels,…)
Je dois avoir une centaine de dictionnaires dans mon bureau, mais je dois dire que je les utilise moins depuis que le web existe. Ceux que j'utilise toujours régulièrement sont (le « Grand Bob » en 9 vol.) , le Thésaurus Larousse, le Bouquet de Duneton, Le OED (Oxford English Dictionary) que j'ai en DVD, Le Trésor de la langue française, sur le Web, le Littré sur mon téléphone, Le Webster en 3 volumes, quelques dictionnaires d'argot et des dictionnaires de rimes anglais et français, le Gaffiot et un dictionnaire du latin de la Renaissance, quelques dictionnaires d'ancien français. Il m'arrive d'utiliser le Robert & Collins sur l'ordi, surtout pour trouver des synonymes.

Combien de relectures effectuez-vous avant de soumettre un texte ?
Je fais toujours des premiers jets très rapides (jusqu'à trente feuillets par jour) et ensuite de nombreuses relectures, selon le livre et sa difficulté. Au minimum quatre relectures (dont une de collation, pour vérifier que tout y est, et une uniquement dans la langue cible). Les Mark Twain ont eu droit à au moins sept lectures. Presque toutes ces lectures se font sur papier et non à l'ordi.

Quelle est votre approche par rapport à la traduction ? (sourciste ou cibliste ?) et pour quelle(s) raison(s) ?
Je m'étais toujours considéré comme sourciste; je m'aperçois à l'usage que je suis un peu les deux. Je défends mordicus la langue de l'auteur que je traduis et suis prêt à commettre toutes sortes de violences à la langue d'arrivée pour y faire rentrer une écriture, un style, un vocabulaire. La fidélité que je défends est à la langue de l'auteur, mais je me rends compte qu'il faut aussi être parfois un peu cibiste pour garder cette fidélité. Meschonic disait bien qu'il faut connaître les théories mais qu'en traduisant chaque mot peut demander une théorie différente.

Comment communiquez-vous avec les éditeurs ? Avez-vous déjà eu des conflits ?
Le plus souvent par email, j'ai peu de contact direct avec eux (j'ai longtemps habité aux Pays-Bas et je suis maintenant dans la Drôme); mais en fin de compte, j'en connais beaucoup et un bon nombre sont devenus des amis.
Oui j'ai souvent eu des conflits (le plus souvent autour du paiement [feuillets dactylographiés- feuillets informatiques]); parfois à propos des corrections suggérées (ou imposées), trois de mes traductions ont été publiées sans mon nom après un conflit. Deux fois, j'ai dû aller en justice (j'ai gagné les deux fois). Par ailleurs, il y a souvent des conflits légers au moment du contrat.

Choisissez-vous les textes que vous traduisez ou vous sont-ils imposés par les éditeurs ?
Jamais un éditeur ne m'a imposé un livre, bien que, au début, les propositions soient venues des éditeurs. Depuis une vingtaine d'années, la plupart des livres que je traduits sont des propositions de ma part, le reste des propositions des éditeurs qui me conviennent (ils commencent à me connaître). Je refuse la plupart des livres qu'on m'envoie.

Effectuez-vous des voyages dans le cadre de votre profession ?
Oui; pas mal de voyages en Europe pour des conférences ou des ateliers; beaucoup de voyages en tant que président d'ATLAS, et des voyages (surtout en Angleterre, Irlande, États-Unis) pour des conférences, de la prospection et, surtout, pour aller voir ceux des auteurs que je traduis qui sont devenus des amis.


Bernard Hœpffner a également publié plusieurs textes à propos de la traduction sur son site : http://wvorg.free.fr/hoepffner/

mardi 13 janvier 2015

Entretien avec le traducteur François Happe – réalisé par Virginia Lafuente et Thomas Luchier

Virginia Lafuente et Thomas Luchier sont étudiants à l'Université Bordeaux Montaigne – Master « Métiers de la traduction » / parcours anglais.

Introduction :
Professeur de littérature américaine à l’Université d’Orléans jusqu’en 2011, François Happe est agrégé d’anglais et titulaire de deux doctorats. Il a publié de nombreux textes critiques sur la fiction américaine contemporaine, notamment sur l’œuvre de Don DeLillo (Don DeLillo : la fiction contre les systèmes, Belin, 2000, entres autres).
Il a par ailleurs traduit une trentaine de romans, dont ceux de Tom Robbins. Il est le traducteur de Méditations en vert de Stephen Wright, considéré comme l’un des plus grands romans américains sur la guerre du Vietnam. Il a également traduit deux ouvrages sur la guerre de Sécession, Wilderness de Lance Weller et Le Voyage de Robey Childs de Robert Olmstead. Il termine actuellement la traduction de Redeployment de Phil Klay, un recueil de nouvelles sur la Guerre d’Irak.

1. Virginia Lafuente / Thomas Luchier : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Quelles études avez-vous suivies, quelle fut votre « autre vie » avant de devenir traducteur ?
François Happe : J’ai fait des études pour devenir professeur d’anglais, d’abord au lycée (Licence, Maîtrise, puis concours CAPES, puis Agrégation d’anglais). Parallèlement, j’ai fait un premier doctorat en littérature américaine sur JD Salinger. Après une dizaine d’années d’enseignement au lycée, mon Doctorat et l’Agrégation m’ont permis d’obtenir un poste de Maître de Conférences en littérature US à l’université d’Orléans où j’ai fait toute ma carrière par la suite. J’ai fait un second doctorat, toujours en en littérature US, sur Don DeLillo, puis j’ai été nommé Professeur de littérature américaine, toujours à Orléans, après avoir soutenu l’Habilitation à diriger des recherches. Ma « première » vie professionnelle est donc une vie d’enseignant-chercheur à l’université axée sur la littérature américaine contemporaine, mais j’ai toujours également donné des cours de traduction en plus de mes cours de littérature. L’exercice de la traduction m’a toujours beaucoup intéressé avant même que j’aie l’idée de traduire des livres.

2. VL / TL : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
F.H : Comme je viens de le dire, j’ai toujours aimé la traduction en tant qu’exercice universitaire – et puis j’ai passé pratiquement toute ma vie d’adulte dans les textes littéraires… J’avais aussi des amis professeurs de littérature US qui étaient également traducteurs et qui m’ont incité à me lancer, ce que j’ai fini par faire, assez tard d’ailleurs (en 2000), parce que je n’avais pas beaucoup de temps. En plus de mon travail de Professeur, j’étais directeur du département d’anglais, j’avais donc à faire beaucoup d’activités administratives… Mais au fond, je crois que ma motivation la plus profonde a été mon envie d’écrire moi-même un/des romans. Par manque de courage (ou plus probablement de talent), je ne suis jamais passé à l’acte et je crois vraiment que la traduction des textes des autres est pour moi ce qui se rapproche le plus de l’écriture romanesque… Sans la responsabilité de la création originale !

3. VL / TL : Pouvez-vous nous raconter les circonstances qui ont mené à la publication de votre première traduction ? Quel était l’auteur traduit ? Quel éditeur a publié ce texte ?
F.H : Quand j’ai commencé à dire autour de moi que j’avais envie de m’y mettre, un collègue qui faisait de la traduction m’a proposé de prendre contact avec un éditeur qui venait de lui proposer une traduction qu’il ne pouvait pas faire, étant pris ailleurs. Voilà, rendez-vous et entrevue avec cet éditeur qui décide de me confier la traduction de ce livre. Le reste s’enchaîne (presque) tout seul.
Ma première traduction, immédiatement suivie d’une seconde (les deux seules), a été faite pour les éditions Christian Bourgois. C’était un très joli roman britannique de Mick Jackson, intitulé Five Boys – Cinq garçons en français.

4. VL / TL : Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
F.H : C’est variable. J’ai fait deux traductions pour Christian Bourgois, puis notre collaboration s’est arrêtée là à la suite d’un petit différend concernant un paiement en retard. Sinon, j’ai toujours eu d’excellents rapports avec les éditeurs pour qui j’ai travaillé. Actuellement, je ne travaille plus qu’avec un seul éditeur qui ne tient pas à ce que j’aille traduire pour quelqu’un d’autre. Nous avons des rapports très amicaux, nous nous entendons vraiment très bien.

5. VL / TL : Vous êtes le traducteur de Don DeLillo et de Tom Robbins. Pouvez-vous nous dire comment vous avez abordé ces deux auteurs ? L’expérience de traduction est-elle très différente d’un auteur à l’autre ? Est-il par exemple plus difficile de traduire DeLillo que Robbins ou inversement ?
F.H : Petite correction, je n’ai pas traduit DeLillo (malheureusement), j’ai fait ma seconde thèse de doctorat sur lui et j’ai publié pas mal de textes critiques sur lui, mais pas de trad.
Mais je peux vous dire que, pour moi, chaque auteur est une expérience de traduction différente. Tom Robbins est très difficile à traduire, c’est une écriture compliquée, très travaillée, avec beaucoup de références littéraires pas toujours évidentes, et SURTOUT des jeux de mots à n’en plus finir, des phrases très longues, etc... Il m’arrive régulièrement de le contacter pour lui demander des précisions.
À l’inverse, j’ai traduit des nouvelles de Tobias Wolff, qui se situe plus dans le genre minimaliste à la Raymond Carver (toutes proportions gardées), c’est une écriture plus « simple » d’apparence, mais également travaillée, et dans ce cas la difficulté est de garder cette impression de simplicité.

6. VL/TL : Traduisez-vous d’autres genres que le roman ? (Théâtre, poésie) ?
F.H : Essentiellement prose de fiction : roman et nouvelles. J’ai tout de même traduit un essai de Don DeLillo et un long article « politico-journalistique » de Terry Southern.

7. VL / TL : Quel regard portez-vous sur la traductologie ? Êtes-vous vous-même lecteur d'ouvrages théoriques sur la traduction ?
F.H : Ayant moi-même enseigné la traduction à l’université, y compris dans le cadre d’un Master de Traduction, j’ai bien sûr lu des textes sur la traductologie. Ces textes théoriques me semblent indispensables pour la formation d’un traducteur professionnel. Ce socle théorique doit nourrir une réflexion personnelle et non pas la remplacer. Et c’est au contact de l’expérience pratique que cette réflexion s’enrichit et devient opérationnelle.

8. VL / TL : Avez-vous constaté une évolution dans votre pratique de la traduction ? Pensez-vous que le traducteur, comme le bon vin, se « bonifie » avec le temps et l’expérience ?
F.H : Bien sûr, poser la question, c’est déjà y répondre. On se forme soi-même, au-delà de la formation initiale, on prend de l’assurance, par contre mon opinion personnelle (je sais que tous les traducteurs ne sont pas de cet avis et j’admets cette différence) est que le traducteur doit résister à la tentation de se forger un style personnel. On est au service d’un texte et d’un auteur, pas de son ego.

9. VL / TL : Après avoir traduit autant d’œuvre, le plaisir de traduire est-il toujours intact ?
F.H : Oui, absolument, parce que c’est pour moi tout à la fois une passion, un enrichissement (culturel !) permanent, une formidable ouverture sur le monde de la littérature ; traduire (surtout quand c’est difficile) procure une grande satisfaction intellectuelle – un peu comme résoudre un problème mathématique.

10. VL / TL : Pourriez-vous nous décrire une journée typique dans votre vie de traducteur ? Où et comment travaillez-vous ? Combien de feuillets traduisez-vous par jour, en moyenne ?
F.H : Je me souviens qu’en 2000, j’ai fait ma première traduction en l’écrivant intégralement à la main sur un cahier. Je n’arrivais pas à utiliser l’ordinateur, ce qui apparaissait à l’écran était trop immatériel. Aujourd’hui, bien sûr, je tape directement ma traduction. Je travaille chez moi, dans mon bureau, au calme. En général, je travaille de 9h à 13h, puis de 14h à 20h. Je n’aime pas travailler par à-coups. Sauf si je suis en avance sur mon programme (rare) ou sauf circonstances particulière, je travaille 7 jours sur 7, mais peut-être un peu moins longtemps le dimanche. Le nombre de feuillets varie en fonction du texte, bien sûr. Il m’est arrivé de traduire un roman policier pas trop difficile et de faire 8 ou 9 feuillets dans la journée. Pour des textes ardus et denses (tous les Tom Robbins, ou Stephen Wright, dans Meditations in Green), il m’arrive d’être très content de faire 3 feuillets dans la journée.

11. VL / T.L : Pour finir, si vous aviez un conseil à donner à un(e) jeune traducteur (trice) souhaitant se lancer, quel serait-il ?
F.H : Le plus difficile, bien sûr, c’est de commencer. Je crois qu’il vaut mieux tenter sa chance chez un petit éditeur que dans une grande maison (genre Gallimard ou Actes Sud). Ces gens-là ont leurs traducteurs et ils font rarement confiance à de jeunes traducteurs. Le « mailing » a très peu de chance de réussir. Le mieux est de proposer à un petit éditeur un texte que vous avez choisi en expliquant pourquoi vous avez envie de traduite ce texte (tout en sachant que l’éditeur peut très bien vous piquer votre idée et donner la traduction à quelqu’un d’autre, c’est un risque à courir). Mais il est certain que les petits éditeurs n’ont pas toujours le temps (et le personnel) pour rechercher des romans intéressants pas encore traduits. On peut aussi voir les agences littéraires qui vendent les droits de traduction aux éditeurs et leur demander ce qu’ils ont « en stock » qui n’a pas été acheté par les grosses maisons. Les relations et connaissances peuvent être utiles. Un traducteur peut être sollicité à un moment où il n’est pas disponible et peut parfois proposer un nom à l’éditeur. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de règle…


Un grand merci à François Happe d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

Entretien avec la traductrice Anna D'Elia – par Claire Mandon et Laura Medan

Claire Mandon et Laura Medan sont étudiantes à l'Université Bordeaux Montaigne – Master « Métiers de la traduction » / parcours anglais.

Est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Je suis italienne, italien langue maternelle, la première langue dans laquelle j'ai exercé le métier de traducteur, c'était depuis l'anglais. J'ai commencé à traduire de l'anglais vers l'italien parce qu’une partie de ma famille vit aux États-Unis et donc l'anglais fait partie de mes souvenirs d'enfance. Après j'ai étudié l'anglais à l'école internationale British international school. Mais pour mes années d'école dans le système scolaire italien, j'ai choisi le français. Les deux langues dansent sur deux pieds différents. Donc j'ai commencé à traduire de l'anglais vers l'italien et c'était des livres, des essais et des manuels universitaires surtout (des livres d'histoire de l'art) et puis, petit à petit, j'ai aussi traduit des livres – qualifier cela de journalisme, c'est pas tout à fait juste – qui portaient, par exemple, sur des programmes d'interventions humanitaires, donc c'était des livres militants, si vous voulez.
En revanche le français a toujours été parlé dans ma famille paternelle et, pour moi, cela a toujours coïncidé avec la littérature. Le français et la littérature étaient plus ou moins la même chose dans mon imaginaire, dans la cartographie de ma tête. Donc pour le français, quand j'ai commencé à traduire, c'était tout de suite de la littérature. Je me souviens, j'ai fait la première partie de mes années universitaires à Parme dans le sud de l'Italie – je suis née à Milan puis je suis partie vivre dans le sud de l'Italie, puis en France. Pendant trois ans j'ai vécu entre Paris et Rome pour écrire ma thèse de doctorat (dans le système italien, cela s'appelle dottorato, ce qui correspond plus ou moins à un master +). Donc j'étais encore à l'université en programme de post-doc quand j'ai traduit du Balzac ! C'était une retraduction, j'ai retraduit le Père Goriot1 pour une grande maison d'édition, Rizzoli avait lancé une collection… C'est le genre de commande qui arrive par ton prof, évidemment, c'était mon professeur qui m'avait proposé de retraduire et c'était un peu la panique mais cela c'était bien passé.
Après quand je suis rentrée en Italie, après mes années en France, j'ai tout de suite commencé à travailler dans une maison d'édition universitaire. C'est là-bas que j'ai commencé à traduire les manuels universitaires, les essais universitaires. J'ai fait cela pendant dix ans en me servant de l'anglais et du français. Puis à la fin des années 1990, j'ai tout arrêté et je ne me suis consacrée qu'aux traductions littéraires. J'ai commencé à ne traduire que de la littérature et que du français.
Voilà, c'est mon histoire, mais il m'arrive aussi depuis un moment de faire de la traduction technique, aussi du français, mais quand je dis technique, c'est juridique. Parce que c'est le seul domaine qui m'intéresse vraiment. C’est-à-dire que je ne fais jamais de textes de médecine, d'économie… ça, non. Mais le langage juridique est très intéressant pour un traducteur littéraire. Je fais cela pour votre ministère, le Ministère des Finances français, en ligne, tout en étant à l'étranger, dans la cellule de traduction vers l'italien parce qu'ils ont besoin d'avoir des traductions vers les autres langues faites par des langues maternelles. C'est un travail très intéressant, le style de travail est extraordinaire.

Justement, vous avez une formation pour les traductions techniques ?
Si vous voulez, je n'ai pas fait d'études de droit, si c'est la question. Mais j'ai toujours travaillé avec des amis d'enfance qui sont magistrats et c'était avec eux que j'ai commencé. Ils travaillaient à la cour, au ministère de grâce et justice à Rome, et c'était par eux que j'avais commencé à traduire pour le ministère de grâce et justice italien. Par exemple les filatures, c'était passionnant. Donc cela s'est construit comme ça, petit à petit. Si j'avais des doutes, j'allais demander, il y avait des discussions très intéressantes avec mes amis magistrats qui ont aussi été magistrats de liaison, des figures juridiques qui assurent la liaison juridique entre deux États.

Au niveau de la littérature, est-ce que vous traduisez plutôt des classiques ou est-ce que vous découvrez aussi des auteurs ?
Le problème, c'est que quand on découvre un auteur et qu'on le propose, en général, les maisons d'édition italiennes n'écoutent pas trop les propositions des traducteurs. Il m'arrive de proposer mais c'est assez rare que mes propositions, finalement, débouchent sur une édition. Donc j'ai assez souvent traduit des classiques. Là, en ce moment, je retraduis Saint-Exupéry pour mon éditeur, une maison d'édition qui s'appelle Bompiani, c'est une grande maison d'édition italienne. La maison d'édition Bompiani était la maison de Saint-Exupéry de son vivant. La maison d'édition garde le contrat signé par Saint-Exupéry pour la traduction italienne du Petit Prince, qui est un long seller pour la maison d'édition depuis soixante-dix ans.

Est-ce que cette maison d'édition s'occupe uniquement des traductions vers l'italien ?
Oui, mais il existe des co-éditions, c’est-à-dire qu'il y a des maisons d'édition qui se regroupent et qui publient un texte en trois langues, par exemple. J'ai travaillé pour des co-éditions entre l'Italie, la France et les États-Unis par exemple. Ce sont des livres de luxe avec les images, des beaux livres très chers et qui paraissent en trois éditions, en trois langues. Il y en a qui paraissent avec les trois langues dans un même texte, ou le même format est décliné en trois langues.

Comment gardez-vous le contact avec vos différentes langues et leurs cultures respectives ?
Je me ruine en voyages ! J'ai une partie de ma famille qui est aux États-Unis, mais ce n'est pas à côté, donc c'est de toute façon un investissement. Pour la France, je considère Paris comme ma deuxième ville, je n'ai pas de chez moi à Paris, mais j'ai un réseau d'amis donc je n'ai jamais mis les pieds dans un hôtel à Paris. J'ai toujours été chez des amis, les mêmes qui viennent me voir à Rome, donc il y a un échange. En général ce sont des gens qui sont passionnés de littérature donc c'est un cercle vertueux.

Donc les États-Unis, c'est plutôt la famille et la France, les amis ?
Exactement, oui ! Ce qui est intéressant parce que cela déteint sur les choix de traduction. Je ne traduis pas de littérature de l'anglais.

Traduisez-vous beaucoup de livres par an ?
En fait, en Italie, on ne peut pas vivre de droits littéraires, ce n'est pas possible. On ne peut pas gagner sa vie avec la traduction littéraire. C'est très rare. Je sais qu'il y a quelqu'un qui y arrive mais je ne le connais pas personnellement. Mais, franchement, cela ne m'intéresse même pas, de passer quinze heures par jour devant un écran et ne faire que cela. J'ai un métier, toujours dans l'édition scientifique, qui est le métier qui me permet de vivre. Et puis je fais de la traduction que j'espère de bon niveau, je me permets le luxe extrême de choisir les livres que j'ai envie de traduire et d'avoir du temps. Évidemment, les maisons d'éditions ne laissent pas trop de temps, mais c'est un luxe, c'est un privilège. Je ne suis pas esclave de la traduction pour vivre. En Italie, en tous cas, c'est presque impossible. La grande majorité des traducteurs littéraires sont des profs qui sortent du lycée, il y a aussi des professeurs d'université qui ne sont pas de bons traducteurs en général. Les professeurs d'université, ce n'est pas de bons traducteurs. Par exemple, les professeurs de littérature, admettons d'une langue, ne sont pas forcément des traducteurs. C'est un autre métier. La tradition était que les grands traducteurs italiens étaient des employés des maisons d'éditions, cela arrivait. Tu étais employé, tu étais rédacteur chez une grande maison d'édition et à côté tu traduisais aussi, mais c'était par le passé. Maintenant, tout est outsourcing.
Ce qui m'intéresse aussi, c'est de faire de la révision, c’est-à-dire de la post-production, travailler sur les traductions des autres, ce qui est très intéressant. En général, la bonne traduction, que ce soit littéraire ou non, c'est le résultat d'une dialectique entre quelqu'un qui traduit et quelqu'un qui révise. La révision n'est pas une correction. Il ne s'agit pas de corriger mais de discuter des solutions. C'est très important. Une traduction réussie, c'est le résultat d'un double travail et d'un dialogue entre le traducteur et son rédacteur. C'est essentiel.

Plus entre le traducteur et le rédacteur qu'entre le traducteur et l'auteur ?
Parfois, l'auteur est mort. Pour le cas d'Une Saison de Machettes de Jean Hatzfeld, j'ai eu la chance, comme je l'ai dit hier à la conférence, d'avoir accès à l'auteur. D'abord parce que Jean Hatzfeld est extrêmement gentil et disponible, et il a répondu à toutes mes questions, qui ont duré… c'était des questions par mail ou de temps en temps on s'appelait aussi, mais cela a duré. Mais les questions que je posais à Jean Hatzfeld portaient sur des difficultés de compréhension de ma part du français rwandais. Une fois que j'ai compris ce que cela voulait dire, c'est à moi de trouver une solution. Jean Hatzfeld ne peut pas dire son mot en l’occurrence parce qu'il ne parlait pas italien. Donc le boulot passe au traducteur et au réviseur. Le réviseur ne doit pas forcément connaître la langue de départ. À la limite, c'est même mieux qu'il ne la connaisse pas. Même pour l'anglais, qui est pourtant de plus en plus répandu. L'anglais est une langue méconnue, quoi qu'on puisse imaginer. Je pense que la quantité de gens qui imaginent connaître l'anglais et qui, en fait, parlent une langue inexistante est immense.

Biographie :
Anna d’Elia a travaillé pendant dix ans dans le domaine de l’édition universitaire, et depuis 2001 se consacre à la traduction littéraire, en collaboration avec de nombreuses maisons d’édition italiennes (Bompiani, Rizzoli, Fazi, La Nuova Italia Scientifica, Carocci, Sossella). Elle a traduit, entre autres, Une Saison de Machettes2 de Jean Hatzfeld. Elle a participé à la table ronde « Traduire Jean Hatzfeld » le samedi 8 novembre aux Assises de la traduction littéraire à Arles et a eu la gentillesse de répondre à nos questions.
1 Papà Goriot, Milan, Rizzoli, 1995


2 Une saison de machettes, récits, Paris, Le Seuil, 2003 ; traduction en italien : A colpi di machete, Milan, Bompiani, 2011.

dimanche 20 avril 2014

Entrevista con el escritor Unai Elorriaga – Joana Barace


En 2002 ganó el Premio Nacional de Narrativa de España con su primera novela SPrako tranbia (Un tranvía en SP)

1) Ha sido usted traductor. ¿ Qué le ha atraído en esta profesión ?

Desde que era pequeño me ha gustado jugar con las palabras, con la lengua y, al fin y al cabo, la traducción es otra especie de juego lingüístico. Siempre se encuentra placer a la hora de poder narrar lo mismo en otra lengua…
Por otro lado, como escritor, la labor de traducción es enormemente valiosa para entender la manera de actuar del autor del texto de partida. Es decir, el traductor es un buen lector, y el buen lector es un buen estudiante de literatura. Hace poco realicé una traducción de un escritor al que admiro (Ádám Bodor) únicamente para entender su manera de hacer literatura.

2) ¿ Cómo llegó a ser escritor ?

En todas las conferencias que me hacen esa pregunta contesto igual: llegué a ser escritor de la misma manera un futbolista llega a ser jugador de primera división… Quiero decir que de la misma manera en que un futbolista que empieza en el equipo de su escuela, después pasa a un equipo local, después pasa a un equipo mejor y finalmente es fichado por un equipo de primer nivel…, un escritor empieza a escribir en la escuela, después gana un concurso local, después uno de nivel comarcal y finalmente es fichado por una gran editorial… A medida de que la gente del entorno ve las cualidades del escritor (futbolista, bailarín, arquitecto…), poco a poco éste se va afianzando en este terreno hasta convertirse en lo que quiso ser desde niño.

3) ¿ Cuando era traductor, que lenguas traducía ?

Traducía principalmente de castellano a euskera. Pero, excepcionalmente, hacía traducciones desde el gallego, portugués o inglés…

4)  Escribe en lengua vasca y ha traducido usted mismo sus obras al castellano. ¿ Hace usted unos cambios en sus traducciones o intenta ameliorar sus textos ? 

Hago muchísimos cambios en las traducciones, pero generalmente no afectan a la estructura principal del texto; son más bien cambios lingüísticos, de ritmo, tono… Y son, por supuesto, para mejorar la calidad del texto. En muchas ocasiones, considero la traducción como una nueva corrección del texto. Es decir, cuando escribes un texto, lo corriges hasta la extenuación, realizas 20, 25, 30 lecturas del mismo (de algunos pasajes incluso el doble). Cuando lo traduces, lo vuelves a corregir; se puede considerar casi como una nueva versión del texto.

5) ¿ En qué otras lenguas han sido traducidas sus obras ? Lee y controla usted las traducciones ?

Hasta ahora mis libros se han traducido a: inglés, alemán, castellano, gallego, catalán, sueco, italiano, serbio, estonio, lituano y ruso. En la medida que me es posible, intento controlar las traducciones, pero en ciertas ocasiones, resulta muy complicado.

6) ¿ Esta usted en relación con los traductores que traducen sus obras ? 

Intento estar siempre en contacto con los traductores. Siempre les ofrezco mi ayuda, les digo que estoy disponible para cualquier pregunta o duda que me puedan plantear. Normalmente se sienten muy complacidos y me hacen preguntas de todo tipo; en ocasiones, sin embargo, no tengo noticias de ellos y no vuelvo a ver el texto hasta que está traducido. Pero, por lo general, mantenemos el contacto… Incluso con alguno de ellos, se ha creado una relación de amistad que ha durado después de la traducción y publicación del libro.

7) Muchas veces, es la editorial quien elige el título de un libro. ¿ Fue su caso ? ¿ Estuvo de acuerdo con la editorial ? 

Jamás me ha sucedido que la editorial decida elegir el título de un libro. Siempre lo he propuesto yo y las editoriales lo han aceptado.

8) Las editoriales extranjeras le preguntan  a veces si esta de acuerdo con la elección del título en otra lengua ?

No me ha sucedido muchas veces que una editorial extranjera quiera cambiar el título original… En realidad, el único cambio sustancial en un título fue la traducción alemana de Un tranvía en SP. Lo titularon ‘Lucas o el cielo sobre Nepal’. Parece ser que SP hacía referencia a una organización nazi en la segunda guerra mundial, y querían evitar esa coincidencia. Lo que me dolió en aquella ocasión fue que no me lo consultaran: recibí el libro ya impreso con el título cambiado…

9) Todavía no ha sido traducido al francés. ¿ Le gustaría que se traduzcan sus obras en esta lengua ?
Por supuesto que me gustaría que se tradujeran al francés, cómo no. Es, podríamos decir, nuestra lengua vecina y, además de eso, es parte de nuestra cultura. Tres provincias en las que se habla euskera, tienen como referente principal el francés y muchos de nuestros términos están recogidos de esa lengua…
Por otra parte, cultural y literariamente, quién podría negarlo, es una de las principales lenguas del mundo. Muchos de los escritores que más admiro eran grandes admiradores de la cultura y la literatura francesa…

10) ¿Qué le aconsejaría a un(a) traductor(a) que recién empieza ?
No creo que sea yo capaz de dar consejos a nadie… Pero como decía un traductor con el que trabajé durante muchos años, “el traductor lo único que debe tener en sentido común…” Me parece un buen consejo que he seguido muchas veces. Quizá añadiría otro: el traductor debe conseguir escribir un gran texto en la lengua de llegada, debe ser tan buen escritor como el autor, y para eso debe entrenar, no debe creer que es un simple “escriba”.

mardi 4 mars 2014

Entretien avec la traductrice « Papillon » (Espagnol – Anglais / Français) – réalisé par Émeline Bénard

1) Émeline Bénard. Comment êtes-vous devenue traductrice ?
Papillon. Tout à fait par hasard, en vérité. J’ai toujours beaucoup lu, et j’avais même déjà écrit (un roman, un scénario de court métrage et un livret d’opéra), mais j’avais à l’époque un autre métier (régisseur de spectacles) et traduire ne m’avait jamais traversé l’esprit. Un vieil ami s’était engagé à co-traduire avec quelqu'un qu’il connaissait la moitié d’un polar mais s’était tellement dispersé dans d’autres activités qu’il n’a pas pu honorer sa part de travail et m’a demandé si je pouvais le remplacer. Comme j’étais à l’époque entre deux contrats, et que j’ai toujours eu du mal à refuser les expériences qu’on me proposait, j’ai accepté. J’ai trouvé l’exercice plutôt amusant et, l’année suivante, ce même traducteur ami de mon ami, m’a recontactée pour une autre co-traduction. Quelques années après, lorsque, pour des raisons personnelles, j’ai dû ralentir, puis arrêter complètement mes activités de régisseur, je me suis lancée dans la traduction et j’ai enchaîné un grand nombre de collaborations avec d’autres traducteurs.

2) Quel souvenir gardez-vous de votre première traduction ? Votre façon de traduire a-t-elle évoluée depuis ?
Difficile à dire car ça remonte à plus de quinze ans. Ça me changeait. La régie est un boulot physique, où vous êtes debout toute la journée (de très longues journées de douze heures minimum), où vous portez des tas de trucs et courez en tous sens. De sorte que j’ai trouvé ce travail de traduction reposant, en quelque sorte.
Oui, bien entendu, l’expérience aidant, votre façon de traduire évolue. L’expérience de la langue, mais aussi, lorsque vous traduisez un grand nombre d’ouvrages appartenant à un même genre littéraire, la connaissance des usages et du vocabulaire propres à ce genre.
Ce qui a vraiment changé depuis cette première traduction, c’est que j’y ai peu à peu pris goût. Comme je vous l’ai dit, la première fois s’est faite par hasard, par curiosité, pour dépanner un ami, et parce que ça tombait bien à ce moment-là. Désormais, je traduis parce que j’aime ça.

3) Comment considérez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
Je pourrais vous répondre que nous sommes le maillon indispensable entre un texte étranger et les lecteurs francophones. Mais, sans vouloir faire preuve de cynisme, j’en arrive à penser que nous ne sommes qu’un des maillons de la « chaîne du livre », comme on dit. Entre le texte d’origine et l’ouvrage qui sera finalement publié en France, tout un tas d’autres gens interviennent : les commerciaux qui décident du titre le plus accrocheur, de la couverture la plus accrocheuse, les relecteurs et correcteurs qui déterminent ce que « le » lecteur (comme s’il n’y avait qu’un modèle bien défini de lecteur) va comprendre ou non… De sorte que, même si vous admettez parfaitement que vous ne pouvez pas être le seul maillon de cette chaîne, comme vous avez vécu trois ou quatre mois (voire davantage) avec ce texte, que vous êtes imprégné de sa logique, de sa structure interne, de sa musique, vous avez tout de même du mal, parfois, à accepter certaines interventions intempestives.
Mais j’aime ce métier, parce que j’aime la littérature populaire, parce que j’aime raconter des histoires (et qu’en les traduisant, j’ai un peu l’impression de les raconter), parce que j’aime ma langue et ses multiples richesses, et enfin, parce que j’aime décider moi-même de mon planning sans qu’un petit chef vienne regarder par-dessus mon épaule ce que je suis en train de faire et quand suis-je en train de le faire.
Par contre, contrairement à certains de mes collègues, je ne crois pas que le traducteur, même s’il est bien évidemment l’auteur de sa traduction, devrait être crédité comme co-auteur du bouquin qu’il a traduit. Autant je trouve que c'est la moindre des choses de citer le nom du traducteur lorsqu'on critique un livre traduit, autant j'ai quelques réticences en ce qui concerne l'idée de nommer ce traducteur « co-auteur ». J'ai parfois l'impression que les traducteurs perdent de vue qu'à la base, il y a un auteur, avec son écriture et son intrigue. Sans nous, les lecteurs francophones ne pourraient pas lire le bouquin ; mais sans lui, ce bouquin n'existerait tout simplement pas.

4) À quels genres vous êtes-vous confrontées jusqu’ici ? Lequel préférez-vous ?
Principalement du polar ; un peu de théâtre et sciences humaines ; et, récemment, littérature jeunesse.
Et, je suis chanceuse : ce que je préfère, c’est le polar (j’englobe dans cette appellation les romans policiers, les romans noirs et les thrillers, avec une nette préférence pour les romans noirs).

5) Choisissez-vous les textes que vous traduisez et, le cas échéant, de quelle façon ?
Par contre, non, je n’ai pas la chance de véritablement choisir. Mais si je devais le faire, je me baserais sur la qualité de l’écriture ET de l’intrigue.

6) Quels sont les outils que vous utilisez ?
Ma foi, ceux de tout le monde, je pense : ordinateur, internet, dictionnaires, glossaires, bibliothèques.

7) Que faites-vous face à une difficulté qui vous résiste ?
J’en parle sur la liste de discussion de l’ATLF ou, si aucun de mes colistiers n’arrive à m’éclairer (mais cette liste fait des miracles), il m’arrive d’aller en discuter avec une ou plusieurs personnes aptes à résoudre mon problème. Par exemple, s’il s’agit d’un problème de vocabulaire spécifique ou de comprendre le fonctionnement de telle ou telle profession ou ustensile. J’ai ainsi déboulé un jour au commissariat de ma ville pour me faire expliquer le démontage-remontage d’un pistolet.

8) Quel serait votre meilleur souvenir de traduction ?
Une sorte de polar poétique espagnol qui n’a finalement pas été publié.

9) Quelles sont vos relations avec les auteurs que vous traduisez ? Et avec les éditeurs ?
Jusqu’à présent, quasi inexistantes avec les auteurs. Quant aux éditeurs… je crois que vous avez compris. Mais c’est probablement parce que je n’ai traduit, à de rares exceptions près, que de la littérature populaire. Je suppose que ceux qui traduisent des œuvres jugées plus intellectuelles ont une plus grande latitude.

10) Pour la traduction de Sœurs sorcières, de Jessica Spotswood, vous avez collaboré avec Rose-Marie Vassallo. Comment s’est fait le choix de la collaboration ? Quels sont les avantages (et les inconvénients) de ce mode de traduction ?
Rose-Marie avait déjà beaucoup de pain sur la planche et ne pensait pas avoir le temps de traduire intégralement cette trilogie ; elle envisageait donc une collaboration et elle a eu la gentillesse de faire appel à moi pour cette co-traduction.
L’avantage le plus flagrant pour moi a été d’avoir une sorte de filet de sécurité. C’était la première fois que je faisais du roman jeunesse et Rose-Marie est une grande spécialiste. C’était rassurant de savoir que je pouvais compter sur son expérience en la matière. L’autre avantage, bien sûr, c’est d’avoir une deuxième paire d’yeux, une deuxième paire d’oreilles, et un deuxième chaudron à idées.
L’inconvénient, c’est que dans toute co-traduction de ce genre (c'est-à-dire dire pas la traduction par plusieurs traducteurs de différents segments d’un ouvrage déjà segmenté, voire déjà co-écrit par plusieurs auteurs), il faut qu’il y ait une sorte de maître d’œuvre qui aura le dernier mot. Bien entendu, si vous êtes l’autre partie de ce binôme, ça peut être un peu frustrant.

11) Enfin, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un jeune traducteur ?
Aucun de but en blanc. Je ne crois pas qu’il y ait de conseils généraux à donner (à part veiller à ce que le code des usages et celui de la propriété intellectuelle soient respectés évidemment). Tout dépend des situations, du genre d’ouvrages que l’on arrive à se voir proposer, de ce qu’on attend de ce métier en termes de satisfactions personnelles et de rémunération.
On vous dira sûrement : « Ouh là là ! C’est un métier difficile, épuisant, où on travaille comme une brute pour un salaire de misère. » En un mot : « Renoncez. » Ce premier traducteur avec qui j’ai co-traduit enchaîne les best-sellers et gagne plutôt bien sa vie en bossant six ou sept heures par jour. Mais il est très insatisfait parce qu’à ses yeux, traduire de la littérature grand public est dégradant. J’en connais un autre qui vit dans un état de perpétuelle frustration parce qu’il voudrait être reconnu comme co-auteur des romans qu’il traduit et que cette place de l’ombre qui nous est attribuée lui semble extrêmement injuste. Enfin, régulièrement, quelqu'un s’exclame, sans s’y être jamais collé, qu’il gagnerait plus à faire des ménages.
Que vous dire, donc ? Soyez honnête avec vous-même, cherchez les vraies raisons qui vous poussent vers ce métier : l’amour de la littérature, le besoin d’indépendance et de liberté, le côté brillant des « professions intellectuelles », l’idée d’être reconnue un jour comme la personne qui aura fait découvrir en France tel ou tel auteur, ou qui aura admirablement bien su rendre en français tel texte étranger réputé difficile, le privilège et la joie d’un contact personnel avec des auteurs ? Il y a des dizaines de raisons d’exercer ce métier (pas nécessairement exclusives les unes des autres, d’ailleurs), et, par conséquent, des dizaines de chemins à suivre.
Maintenant, si la question était : quels conseils pour trouver des traductions ? – j’en ai encore moins. Si vous avez une vraie spécialité, un domaine un peu pointu que vous connaissez très bien (par exemple l'équitation, l'ornithologie, l'informatique...), vous pouvez démarcher les éditeurs d'ouvrages spécialisés dans ce domaine. Comme vous le savez, il ne suffit pas de connaître la langue que l'on traduit, il faut surtout maîtriser parfaitement celle vers laquelle on traduit. Un ouvrage d'ornithologie utilisera tout un vocabulaire spécifique que je ne connais pas mais qu'un passionné de la chose aura à sa disposition ; il fera donc un bien meilleur travail que moi. Vous pouvez également proposer à des éditeurs la traduction d'un roman ou d’un essai que vous avez particulièrement apprécié. Mais c'est un gros boulot, qui vous prendra un temps fou. Il faut préparer un dossier, avec résumé de l'ouvrage, bio de l'auteur, articles de presse parus lors de la sortie de l'ouvrage dans le pays étranger (traduits, bien sûr), et la traduction d'un ou deux chapitres. Puis, chercher minutieusement quels éditeurs ça pourrait intéresser, en fonction de leur catalogue. C'est très long, on ne vous répond pas tout de suite (quand on vous répond), et ça peut devenir assez frustrant. Mais parfois, ça marche ; surtout si vous traduisez une langue dite rare. J'en connais qui ont débuté ainsi.

vendredi 28 février 2014

Entretien avec la traductrice Sophie Bastide-Foltz (Anglais / Français)

1) Émeline Bénard. Comment êtes-vous devenue traductrice ? 
Sophie Bastide-Foltz. En répondant à une annonce il y a trente ans. Parce que je revenais des Etats Unis où j’avais passé cinq ans, que j’avais fait deux ans de journalisme et qu’on cherchait des traducteurs pour des livres techniques journalistiques.

2) É. B. Quel souvenir gardez-vous de votre première traduction ? Votre méthode a-t-elle évoluée depuis ?
S. B.-F. Ce n’était pas une traduction littéraire, donc oui, bien sûr. Je n’ai pas de méthode. Pour chaque livre, c’est différent. Il va de soi qu’on n’aborde pas un livre difficile comme on aborde un livre grand public.

3) É. B. Comment considérez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ? 
S. B.-F. La question n’est pas claire pour moi. Je pense que pour le littéraire il aura tendance à presque disparaître. En revanche il a de beaux jours devant lui pour les traductions courantes et techniques.

4) É. B. À quels genres vous êtes-vous confrontées jusqu’ici ? Avez-vous une préférence ?
S. B.-F. Je me suis confrontée à tous les genres sauf la littérature enfantine. Ma préférence ? C’est impossible à dire. Elle va aux bons livres, c’est tout, peut importe le genre. Ou en tout cas aux livres que j’aime. Cela dit, il m’arrive de traduire des livres qui m’intéressent moins, par fidélité envers un directeur de collection qui me fait régulièrement travailler, par exemple. Ou parce que j’en ai besoin financièrement.

5) É. B. Choisissez-vous les textes que vous traduisez et, le cas échéant, de quelle façon ?
S. B.-F. Je ne choisis que parmi ceux qu’on me propose. Il m’arrive de refuser. Mais je ne suis allée voir un éditeur avec un livre que j’aurais aimé traduire qu’une seule fois, sans succès.

6) É. B. Quels sont les outils que vous utilisez ?
S. B.-F. Tous les outils qu’offre la toile et ils sont nombreux. Je suis d’une génération qui devait se rendre en bibliothèque pour faire la moindre recherche. Aujourd’hui l’outil internet est formidable et nous facilite grandement la vie. J’utilise tous les dictionnaires qui sont à ma disposition sur la toile, plus les dictionnaires électroniques que j’ai achetés.

7) É. B. Que faites-vous face à une difficulté qui vous résiste ?
S. B.-F. Je laisse reposer. En général, ça suffit pour trouver la solution. Sinon je demande autour de moi, aux amis, à l’ATLF…

8) É. B. Quelles sont vos relations avec les auteurs que vous traduisez ? Et avec les éditeurs ?
S. B.-F. Avec les auteurs, généralement excellentes. Ils n’ont jamais refusé de m’aider quand je leur demandais des précisions. Avec les éditeurs, je n’en ai que très peu. Pour eux, les traducteurs existent à peine. Nous avons affaire à des directeurs de collection essentiellement. Il m’est arrivé de travailler pour un éditeur sans jamais rencontrer personne de la maison. Maintenant qu’on rend notre travail directement par internet, c’est devenu fréquent. Il faut vraiment vouloir avoir des contacts pour en avoir.

9) É. B. En tant que traductrice, quel serait votre meilleur souvenir ? 
S. B.-F. La toute première fois où j’ai vu mon nom en couverture d’un bon, très bon roman. Une émotion qui était très forte.


10) É. B. La traduction a-t-elle fait de vous une lectrice différente ? Si oui, en quoi ?

S. B.-F. Oui, bien sûr, je lis avec une attention d’un autre ordre. Je m’imprègne davantage du rythme, j’analyse davantage la structure d’une phrase. Je suis plus critique, aussi, mais c’est normal au bout de presque trente ans de métier.


11) É. B. Enfin, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un jeune traducteur ?

S. B.-F. Je lui donnerais le conseil de se spécialiser dans le technique s’il veut gagner correctement sa vie. Je ne crois pas qu’on peut arriver à gagner sa vie en faisant du bon travail littéraire. C’est la raison pour laquelle la plupart des traducteurs sont des traductrices. Je n’aurais jamais pu élever deux enfants seule avec les aléas du métier (on ne sait jamais si on va encore avoir du travail après le prochain) et la rémunération, qui est très peu conséquente, sauf si on traduit vite, et donc souvent mal.

Je lui conseillerais de se faire plaisir avec un livre de temps à autre, s’il peut, mais de s’assurer un travail régulier avec des organismes comme l’ONU par exemple. Et je lui donnerais le conseil, s’il veut faire du littéraire, de prendre le temps, justement, de ne pas aller trop vite. Et de se faire plaisir en prenant des livres qu’il aime. Mais attention. L’époque n’est pas favorable à la littérature, et même si on l’aime comme nous, il faut que nous soyons lucides. Je conseillerais donc à un jeune traducteur d’être le plus lucide possible. Et je lui souhaiterais bonne chance, tout de même !

mardi 18 décembre 2012

Entretien avec la traductrice (Espagnol/Français) Brigitte Torres-Pizzetta – réalisé par Elise Poullain

1) Elise Poullain. Comment êtes-vous venue à la traduction ?
Brigitte Torres-Pizzetta. Par amour de la langue, du jeu, et le plaisir de « rentrer » dans un texte. Et par ailleurs, le souhait,  l’envie de faire connaître, partager les découvertes littéraires, les auteurs admirés…

2) E. P. Exercez-vous ce métier à plein temps ?
B. T.-P. Non, je suis professeur-documentaliste, dans l’immédiat, je ne traduis « que » pour le plaisir.

3) E. P. Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
B. T.-P. En ce qui concerne la traduction littéraire, une aventure, un challenge… pas évident d’en vivre… 

4) E. P. Choisissez-vous et, le cas échéant, comment les textes que vous traduisez ?
B. T.-P. Oui, je ne fais… « que ce qu’il me plaît » ! Je peux me le permettre, puisque je ne vis pas de la traduction. Le problème, c’est que le temps passe vite et que beaucoup de textes me plaisent  Je « fouille »,  je cherche de beaux inconnus (via internet, en ce qui concerne les auteurs latino-américains),  et en m’entourant de conseillers… telle mon amie, Cristina Madero !

5) E. P. Quels sont les principaux outils que vous utilisez ?
B. T.-P. Les dictionnaires.

6) E. P. Lorsque vous rencontrez une difficulté, voire que vous êtes bloquée (inquiétude majeure des apprentis traducteurs), comment procédez-vous ?
B. T.-P. Au risque de vous sembler très bête, selon la gravité : je tourne et retourne, je lis à haute voix, parfois j’attends… et parfois, je vous assure, l’étincelle arrive ! et bien sûr, je n’hésite pas à demander conseil…

7) E. P. Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traductrice ?
B. T.-P. La rencontre avec Luisa, bien sûr, qui m’a toujours soutenue, encouragée, aidée et puis… le courrier de l’éditeur qui accepte le manuscrit !

8) E. P. Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
B. T.-P. Sans fausse modestie, je considère le traducteur comme un passeur. L’auteur reste pour moi  le seul vrai créateur, même si une traduction ne peut échapper à une interprétation,  évidemment propre à la lecture du traducteur.

9) E. P. Partagez-vous l'avis de ces traducteurs qui se décrivent avant tout comme des petits artisans ? 
B. T.-P. Artisans en opposition à « artiste » ? Justement parce qu’il ne « crée » pas ? parce qu’il manie cet « outil » qu’est pour lui la langue ?... Non,  je ne me sens pas rentrer dans le cadre d’un artisanat,  parce que je ne trouve,  dans la traduction,  aucune notion de « fabrication » inhérente à l’artisanat. Je me trompe peut-être, qu’en pensez-vous, vous qui vous destinez à ce métier ?

10) E. P. Traduire a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Et si oui, quelle lectrice ?
B. T.-P. Oui, incontestablement. De manière très insidieuse,  sans que j’en sois vraiment consciente,  il me semble me positionner perpétuellement dans le cadre d’une traduction (que je lise en français ou en espagnol). Je me surprends à enregistrer des mots,  des expressions,  des formes… Je me surprends à avoir un regard critique,  et je me surprends à me poser sans cesse la question : comment est-ce que je traduirais cela ?…

11) E. P. Vous avez traduit Cambio de armas de Luisa Valenzuela, pouvez-nous en dire quelques mots ?
B. T.-P. Outre la  rencontre avec Luisa, dont je vous ai parlé plus haut (vous ai-je raconté le hasard extraordinaire de cette rencontre ?) j’ai été très profondément touchée de la rencontre avec le texte. Vous savez peut-être qu’elle parle « d’écrire avec le corps », je vous assure que,  en « rentrant » dans le texte, j’ai eu des émotions de deux sortes : émotions quasiment physiques en abordant certains passages particulièrement durs, et fascination face au grand art de l’écriture propre à Luisa (qui m’a, par ailleurs, causé bien des soucis !!!.) Par ailleurs, j’ai choisi, avec son accord, cet ensemble de nouvelles parce qu’il forme un tout, qu’on y trouve un éventail des multiples variétés et capacités d’écriture de Luisa mais aussi et surtout parce qu’il est fondamentalement représentatif de son combat (féministe, mais pas uniquement) contre toutes les formes de dictatures.

12) E. P. Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à un(e) apprenti(e) traducteur(-trice) ?
B. T.-P. De conserver toujours l’amour de ce travail, l’enthousiasme, la persévérance  et… je reprendrais un mot de Claude Bleton : « Parfois, il faut accepter de s’avouer vaincu » !