mercredi 14 janvier 2015

Entretien avec le traducteur Bernard Hœpffner – réalisé par Maëlig Bonnifait

Maëlig Bonnifait est étudiante à l'Université Bordeaux Montaigne – Master « Métiers de la traduction » / parcours anglais.

Quelle(s) langue(s) traduisez-vous ? 
Principalement de l'anglais au français et du français à l'anglais, mais il m'est arrivé de traduire de l'allemand et à quelques occasions (pour des revues) du russe.

Quel(s) genre(s) de textes traduisez-vous ?
Il est difficile de parler de genre; je pense que les livres que j'ai traduits sont éminemment "littéraires", avec une prédilection pour la Renaissance et les textes expérimentaux contemporains; j'ai aussi longtemps traduit des catalogues pour des musées et des galeries, mais plus du tout aujourd'hui. Plus généralement, j'essaye de traduire les textes que j'aime.

Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
Depuis bientôt trente ans.

Quelle formation avez-vous suivi ?
Aucune formation, mes diplômes s'arrêtent au niveau baccalauréat, si on oublie six mois d'études aux Beau-Arts (architecture).

La traduction est-elle votre seule source de revenus ?
Oui (avec quelques conférences, et divers ateliers dans les mastères de traduction)

Combien de livres traduisez-vous par an ?
Difficile à dire, disons que j'ai traduit 240 livres en trente ans. Des tous petits (Mille et une nuits) et des énormes (Anatomie de la mélancolie: 2400 pages)

Quels outils utilisez-vous ? (dictionnaires, logiciels,…)
Je dois avoir une centaine de dictionnaires dans mon bureau, mais je dois dire que je les utilise moins depuis que le web existe. Ceux que j'utilise toujours régulièrement sont (le « Grand Bob » en 9 vol.) , le Thésaurus Larousse, le Bouquet de Duneton, Le OED (Oxford English Dictionary) que j'ai en DVD, Le Trésor de la langue française, sur le Web, le Littré sur mon téléphone, Le Webster en 3 volumes, quelques dictionnaires d'argot et des dictionnaires de rimes anglais et français, le Gaffiot et un dictionnaire du latin de la Renaissance, quelques dictionnaires d'ancien français. Il m'arrive d'utiliser le Robert & Collins sur l'ordi, surtout pour trouver des synonymes.

Combien de relectures effectuez-vous avant de soumettre un texte ?
Je fais toujours des premiers jets très rapides (jusqu'à trente feuillets par jour) et ensuite de nombreuses relectures, selon le livre et sa difficulté. Au minimum quatre relectures (dont une de collation, pour vérifier que tout y est, et une uniquement dans la langue cible). Les Mark Twain ont eu droit à au moins sept lectures. Presque toutes ces lectures se font sur papier et non à l'ordi.

Quelle est votre approche par rapport à la traduction ? (sourciste ou cibliste ?) et pour quelle(s) raison(s) ?
Je m'étais toujours considéré comme sourciste; je m'aperçois à l'usage que je suis un peu les deux. Je défends mordicus la langue de l'auteur que je traduis et suis prêt à commettre toutes sortes de violences à la langue d'arrivée pour y faire rentrer une écriture, un style, un vocabulaire. La fidélité que je défends est à la langue de l'auteur, mais je me rends compte qu'il faut aussi être parfois un peu cibiste pour garder cette fidélité. Meschonic disait bien qu'il faut connaître les théories mais qu'en traduisant chaque mot peut demander une théorie différente.

Comment communiquez-vous avec les éditeurs ? Avez-vous déjà eu des conflits ?
Le plus souvent par email, j'ai peu de contact direct avec eux (j'ai longtemps habité aux Pays-Bas et je suis maintenant dans la Drôme); mais en fin de compte, j'en connais beaucoup et un bon nombre sont devenus des amis.
Oui j'ai souvent eu des conflits (le plus souvent autour du paiement [feuillets dactylographiés- feuillets informatiques]); parfois à propos des corrections suggérées (ou imposées), trois de mes traductions ont été publiées sans mon nom après un conflit. Deux fois, j'ai dû aller en justice (j'ai gagné les deux fois). Par ailleurs, il y a souvent des conflits légers au moment du contrat.

Choisissez-vous les textes que vous traduisez ou vous sont-ils imposés par les éditeurs ?
Jamais un éditeur ne m'a imposé un livre, bien que, au début, les propositions soient venues des éditeurs. Depuis une vingtaine d'années, la plupart des livres que je traduits sont des propositions de ma part, le reste des propositions des éditeurs qui me conviennent (ils commencent à me connaître). Je refuse la plupart des livres qu'on m'envoie.

Effectuez-vous des voyages dans le cadre de votre profession ?
Oui; pas mal de voyages en Europe pour des conférences ou des ateliers; beaucoup de voyages en tant que président d'ATLAS, et des voyages (surtout en Angleterre, Irlande, États-Unis) pour des conférences, de la prospection et, surtout, pour aller voir ceux des auteurs que je traduis qui sont devenus des amis.


Bernard Hœpffner a également publié plusieurs textes à propos de la traduction sur son site : http://wvorg.free.fr/hoepffner/

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