vendredi 21 octobre 2011

Version de CAPES, 17 (à rendre pour le 21 octobre)

CADA VIDA, UN FOLLETÍN

Pasé casi todo ese año de 1993 encerrada escribiéndote, Paula, entre lágrimas y recuerdos, pero no pude evitar una larga gira por varias ciudades norteamericanas para promover El plan infinito, una novela inspirada en la vida de Willie; acababa de publicarse en inglés, pero la había escrito dos años antes y ya existía en varios idiomas europeos. El título se lo robé al padre de Willie, cuya religión trashumante se llamaba «el plan infinito». Willie había mandado mi libro de regalo a todos sus amigos, calculo que él compró la primera edición completa. Estaba tan ufano que debí recordarle que no era su biografía, sino ficción.

«Mi vida es una novela», me respondió. Todas las vidas pueden contarse como una novela, cada uno de nosotros es el protagonista de su propia leyenda. En este momento, al escribir estas páginas, tengo dudas. ¿Sucedieron los hechos tal como los recuerdo y como los cuento? A pesar de la fundamental correspondencia con mi madre, en la que preservamos día a día una versión más o menos verídica tanto de los eventos triviales como de los importantes, estas páginas son subjetivas. Willie me dijo que el libro era un mapa de su trayectoria y agregó que era una lástima que el actor Paul Newman estuviese un poco viejo para el papel del protagonista en caso que hicieran la película.

«Habrás notado que Paul Newman se parece a mí», me hizo ver con su habitual modestia. No me había dado cuenta, pero no conocí a Willie de joven, cuando seguramente eran iguales.

La publicación del libro en inglés ocurrió en mal momento para mí; no deseaba ver a nadie y la idea de una gira de promoción me agobiaba. Estaba enferma de pena, obsesionada por lo que pude haber hecho y no hice para salvarte. ¿Cómo no me di cuenta de la desidia de los médicos en aquel hospital de Madrid? ¿Por qué no te saqué de allí y te traje de inmediato a California? Por qué, por qué... Me encerraba en la pieza donde pasaste tus últimos días, pero ni siquiera en ese lugar sagrado hallaba algo de paz. Habrían de pasar muchos años antes de que te convirtieras en una amiga suave y constante. Entonces sentía tu ausencia como un dolor agudo, una lanza en el pecho, que a veces me ponía de rodillas.

También me preocupaba Nico, porque acabábamos de enterarnos de que tu hermano también tiene porfiaría.

«Paula no murió de porfiria, sino por negligencia médica», insistía tu hermano, para tranquilizarme, pero estaba inquieto, no tanto por sí mismo como por sus dos hijos y el tercero que venía en camino. Los niños podrían haber recibido esa nefasta herencia; lo sabríamos cuando tuvieran edad para someterse a los exámenes. Tres meses después de tu muerte, Celia nos anunció que esperaban otro crío, lo que yo ya sospechaba, por sus ojeras de sonámbula y porque yo lo había soñado, tal como soñé a Alejandro y Andrea antes de que se movieran en el vientre de su madre. Tres hijos en cinco años era una imprudencia; Nico y Celia carecían de empleo seguro y sus visas de estudiante estaban a punto de expirar, pero igual celebramos la noticia.

Isabel Allende, La suma de los días

***

Annabelle nous propose sa traduction :

Chaque vie, un feuilleton

Je passai presque toute cette année 1993 enfermée à t'écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je ne pus éviter une longue tournée par différentes villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d'être publié en anglais, mais je l'avais écrit deux ans auparavant et il existait déjà dans plusieurs langues européennes. J'avais volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s'appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis, je pense qu'il a acheté la première édition complète. Il était si fier que je dus lui rappeler que ce n'était pas sa biographie, mais une fiction.

« Ma vie est un roman », me répondit-il. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d'entre nous est le protagoniste de sa propre légende. Maintenant, en écrivant ces pages, j'ai des doutes. Les faits se sont-ils produits comme je m'en souviens et comme je les raconte ? Malgré la correspondance fondamentale avec ma mère, où nous avons préservé jour après jour une version plus ou moins véridique aussi bien des événements triviaux que de ceux qui sont importants, ces pages sont subjectives. Willie me dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il ajouta qu'il était dommage que l'acteur Paul Newman soit un peu trop vieux pour le rôle du personnage principal au cas où on ferait le film.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble », me fit-il observer avec sa modestie habituelle. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais je n'avais pas connu Willie jeune, lorsqu'ils étaient certainement pareils.

La publication du livre en anglais arriva à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l'idée d'une tournée de promotion m'accablait. J'étais malade de chagrin, obsédée par ce que j'aurais pu faire et que je n'avais pas fait pour te sauver. Comment ne m'étais-je pas aperçue de la désinvolture des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t'avais-je pas sortie de là pour d'emmener immédiatement en Californie ? Pourquoi, pourquoi... Je m'enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même en ce lieu sacré je ne trouvais pas de paix. Il aura fallu que beaucoup d'années passent avant que tu ne te transformes en une amie douce et constante. En ce temps-là, je sentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine, qui me mettait parfois à genoux.

Je m'inquiétais aussi pour Nico, parce que nous venions d'apprendre que ton frère aussi a la porphyrie.

« Paula n'est pas morte de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet, pas autant pour lui-même que pour ses deux fils et pour le troisième qui était en route. Les enfants pouvaient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions quand ils auraient l'âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Célia nous annonça qu'elle attendait un autre bébé, ce que je soupçonnais déjà, à cause de ses cernes de somnambule et parce que je l'avais rêvé, tout comme j'avais rêvé d'Alejandro et Andrea avant qu'ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c'était une imprudence ; Nico et Celia n'avaient pas d'emploi stable et leurs visas d'étudiants étaient sur le point d'expirer, mais nous avons quand même célébré la nouvelle.

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Hélène nous propose sa traduction :

À chaque vie, un feuilleton

Paula, j’ai passé presque l’intégralité de cette année 1993 renfermée, à t’écrire, avec pour seule compagnie les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pas pu éviter une longue tournée dans différentes villes nord-américaines pour promouvoir El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux années auparavant et il existait déjà en plusieurs langues en Europe. J’ai volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumaniste s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis ; d’après mes calculs, il a acheté l’intégralité de la première édition. Il était si fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment même, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les évènements se sont-ils produits tels que je m’en rappelle et tels que je les raconte ? Ces pages sont subjectives même si dans la correspondance fondamentale avec ma mère, nous préservons jour après jour une version plus ou moins véridique tant des évènements banals que des principaux. Willie m’a dit que le livre retraçait son parcours et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle principal au cas où il y aurait une adaptation au cinéma.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble » m’a-t-il souligné avec son habituelle modestie. Je ne m’étais pas rendue compte, mais je n’ai pas connu Willie dans sa jeunesse, quand assurément ils étaient semblables.

La publication du livre en anglais a eu lieu à un mauvais moment pour moi ; je ne voulais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion m’accablait. J’étais malade de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire et ce que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment ai-je pu ne pas me rendre compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’ai-je pas sortie de là pour t’emmener aussitôt en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu as passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais la paix. Il faudra sans doute beaucoup d’années avant que tu deviennes une amie douce et constante. Pour l’instant, je sentais ton absence telle une douleur aiguë, un poignard dans le cœur, qui parfois me mettait à genoux.

Je m’inquiétais également pour Nico car nous venions d’apprendre que ton frère était lui aussi atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie mais de négligence médicale » insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet, pas tant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les petits pouvaient avoir reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions quand ils seraient en âge de passer les tests. Trois mois après ta mort, Celia nous annonçait qu’ils attendaient un autre bébé, ce que je soupçonnais déjà au vu de ses cernes de somnambules et parce que je l’avais rêvé, de la même manière que j’ai rêvé d’Alejandro et d’Andrea avant même qu’ils bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était une folie ; Celia et Nico n’avaient pas d’emploi stable et leurs visas étudiants étaient sur le point d’expirer, mais nous fêtions la nouvelle comme si de rien était.

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Laurie nous propose sa traduction :

Chaque vie est un feuilleton

J’avais passé presque toute cette année 1993, enfermée, à t’écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je n’avais pas pu éviter une longue tournée dans plusieurs villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, pour lequel je m’étais inspirée de la vie de Willie. Il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il était déjà sorti dans plusieurs langues européennes. Le titre, je l’avais volé au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre, en cadeau, à tous ses amis, d’après mes calculs, il avait acheté, à lui seul, la première édition en entier. Il était si fier que j’avais dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’avait-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun d’entre nous est le héros de sa propre légende. Maintenant, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les faits se sont-ils passés tel que je m’en souviens et tel que je les raconte ? Malgré ma correspondance fondamentale avec ma mère, dans laquelle nous préservons, jour après jour, une version plus ou moins véridique des événements, qu’ils soient triviaux ou importants, ces pages sont subjectives. Willie m’avait dit que le livre était une carte de son parcours et il avait ajouté qu’il trouvait dommage que l’acteur Paul Newman fût un peu vieux pour le rôle du protagoniste au cas où on ferait un film.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble », avait-il souligné avec son habituelle modestie. Je ne m’en étais pas rendue compte, mais je n’avais pas connu Willie dans sa jeunesse, quand ils étaient, sûrement, identiques.

La publication du livre en anglais était mal tombée pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée promotionnelle m’accablait. J’étais malade de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire, et que je n’avais pas fait, pour te sauver. Comment avais-je pu passer à côté du laisser-aller des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas faite sortir pour t’emmener aussitôt en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais pas un peu de paix. De nombreuses années avaient dû passer avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Alors, je sentais ton absence comme une douleur aiguë, comme un poignard dans le cœur, qui me mettait parfois à genoux.

Nico aussi m’inquiétait, parce que nous venions d’apprendre que ton frère aussi était atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère, pour me rassurer, mais il était inquiet, pas vraiment pour lui-même mais plutôt pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants avaient pu recevoir cet héritage néfaste ; nous ne l’aurions su que quand ils auraient eu l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu’ils attendaient un autre enfant, ce que, moi, je soupçonnais déjà, à cause de ses cernes de somnambule et parce que je l’avais rêvé, tout comme j’avais rêvé d’Alexandre et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était de l’imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas d’emploi fixe et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais cela ne nous avait pas empêchés de fêter la nouvelle.

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Auréba nous propose sa traduction :

J’ai passé quasiment toute cette année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, avec mes larmes et mes souvenirs, mais je n’ai pas pu éviter une longue tournée à travers plusieurs villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans plus tôt et il existait déjà dans plusieurs langues européennes. Le titre, je l’ai volé au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis, je crois que c’est lui qui a acheté l’intégralité de la première édition. Il était tellement fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais de la fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les faits se sont-ils déroulés comme je me les rappelle et comme je les raconte ? Malgré la correspondance essentielle avec ma mère, dans laquelle nous préservons au jour le jour une version plus ou moins véridique autant des événements triviaux que des plus importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du protagoniste au cas où on en ferait un film.

« Tu as peut-être dû remarquer que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait voir avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie quand il était jeune, quand ils étaient sûrement pareils.

La publication du livre en anglais est arrivée à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion me stressait. Je mourais de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire et que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment ai-je pu ne pas me rendre compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’en ai-je pas sorti pour t’emmener de suite en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu as passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré, je n’arrivais pas à trouver un peu de paix. De nombreuses années allaient devoir s’écouler avant que tu deviennes une amie douce et constante. À l’époque, je ressentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine, au point quelques fois de me mettre à genoux.

J’étais inquiète aussi pour Nico, parce que nous venions d’apprendre que ton frère aussi souffre de porphyrie.

« Paula n’est pas morte pour cause de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère, pour me tranquilliser, mais il était inquiet, pas autant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pouvaient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions quand ils auraient l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous a annoncé qu’ils attendaient un autre bébé, ce dont je me doutais déjà, à en juger par ses cernes de somnambule et parce que j’en avais rêvé, tout comme j’ai rêvé d’Alejandro et d’Andréa avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était une imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas de travail sûr et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais nous avons quand même célébré la nouvelle.

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Elena nous propose sa traduction :

CHAQUE VIE, UN FEUILLETON

J’ai passé presque toute l’année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je n’ai pu éviter une longue tournée dans plusieurs villes nord-américaines afin de promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il existait déjà en plusieurs langues européennes. Le titre, je l’avais emprunté au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre comme cadeau à tous ses amis, je crois même qu’il avait acheté la première édition en entier. Il en était tellement fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d’entre nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, en écrivant ces pages, je suis dans le doute. Les faits se sont-ils déroulés tel que je m’en souviens et comme je les raconte ? En dépit de l’importante correspondance avec ma mère, à travers laquelle nous préservons, jour après jour, une version plus ou moins véridique autant des événements triviaux que des importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de son parcours et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle principal, si jamais on réalisait le film.

« Tu auras constaté que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait remarquer avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie étant jeune, quand ils étaient certainement semblables.

La publication du livre en anglais avait eu lieu à une mauvaise période pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion m'accablait. J’étais malade de peine, obsédée par l’idée de ce que j’aurais pu faire et que je n’avais pas fait pour te sauver. Comment ne m’étais-je pas aperçue de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas sortie de là et ramenée immédiatement en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la chambre où tu avais passé tes derniers jours, mais même à cet endroit sacré, je ne trouvais pas un peu de repos. Beaucoup d’années ont dû s’écouler avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Mais à l’époque, je ressentais ton absence comme une douleur aigüe, une lance dans ma poitrine, qui parfois m’agenouillait.

Nico m’inquiétait aussi, car nous venions d’apprendre que ton frère aussi est atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais par négligence médicale », insistait ton frère, pour me rassurer, cependant il était inquiet, pas tellement pour lui-même, mais pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pourraient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions lorsqu’ils auraient l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ton décès, Celia nous avait annoncé qu’ils attendaient un autre gamin, ce que je soupçonnais déjà, de par ses cernes de somnambule et parce que je l’avais rêvé, tel que j’avais rêvé d’Alejandro et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans était une imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas de travail fixe et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais nous avons également célébré la nouvelle.

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Irène nous propose sa traduction :

Chaque vie, un feuilleton

J'ai passé presque toute cette année 1993 enfermée à t'écrire, Paula passant des larmes aux souvenirs, mais je n'ai pas pu éviter une longue tournée à travers différentes villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; on venait de le publier en anglais, mais je l'avais écrit deux ans auparavant et il existait en différentes langues européennes. Le titre, je l'avais volé au père de Willie dont la religion transhumante s'appelait « le plan infini ».

Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis et je suppose qu'il avait acheté toute la première édition. Il en était si fier que je dus lui rappeler que ce n'était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman » me répondit-il. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le héros de sa propre légende. En ce moment, lorsque j'écris ces pages, j'ai des doutes. Les faits se sont-ils déroulés comme je les remémore et comme je les raconte? Malgré la correspondance avec ma mère, correspondance fondamentale dans laquelle nous avons préservé jour après jour une version plus ou moins véridique, aussi bien des événements triviaux que des événements importants, ces pages sont subjectives. Willie me dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il ajouta qu'il était regrettable que l'acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du protagoniste, si par cas on faisait le film.

«Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble», me signifia t-il avec sa modestie habituelle. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais je ne connaissais pas Willie dans sa jeunesse, lorsqu'ils étaient sûrement pareils. La publication du livre en anglais eut lieu à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l'idée d'une tournée promotionnelle m'angoissait. J'étais malade de chagrin, obsédée par ce que j'aurais pu faire et que je n'avais pas fait pour te sauver. Comment ne m'étais-je pas rendu compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t'avais-je pas sortie immédiatement de là et ne t'avais-je pas emmenée directement en Californie? Pourquoi, pourquoi... Je m'enfermais dans la chambre où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais pas un peu de paix. Il a fallu que s'écoulent de nombreuses années avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. En ce temps-là, je ressentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine qui m'obligeait parfois à m'agenouiller.

Nico aussi m'inquiétait, parce que nous venions d'apprendre que ton frère lui aussi est atteint de porphyrie.

« Paula n'est pas morte de porphyrie, mais à cause d'une négligence médicale », insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet et pas tant pour lui-même que pour ses deux fils ainsi que pour le troisième qui était en route. Les enfant avaient peut-être reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions lorsqu'ils seraient en âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu'ils attendaient un autre enfant, ce que je soupçonnais déjà à ses cernes de somnambule et parce que je l'avais rêvé, de même que j'avais rêvé d' Alejandro et d'Andrea avant qu'ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c'était une imprudence ; Nico et Celia n'avaient pas d'emploi stable et leurs visas d'étudiants étaient sur le point d'expirer, mais nous fêtâmes tout de même la bonne nouvelle.

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Justine nous propose sa traduction :

J’ai passé presque toute cette année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, entre les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pu éviter un long voyage dans de nombreuses villes nord-américaines pour la promotion de El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il en existait déjà de nombreuses versions européennes. J’avais volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « el plan infinito ». Willie avait offert mon livre à tous ses amis, je pense qu’il a acheté la première édition complète. Il était si fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais de la fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Chaque vie peut être racontée comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, lorsque j’écris ces pages, j’ai des doutes. Les choses se sont-elles passées comme dans mon souvenir et comme je les raconte ? Malgré une correspondance fondamentale avec ma mère, dans laquelle nous préservons jour après jour une version plus ou moins véridique aussi bien des évènements banals que des évènements importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il a ajouté qu’il était dommage que Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du personnage principal en cas d’adaptation cinématographique.

« Tu auras remarqué que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait observer avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie quand il était jeune, lorsque ils étaient sûrement semblables.

La publication du livre en anglais a eu lieu au mauvais moment pour moi ; j’avais envie de ne voir personne et l’idée d’un voyage de promotion m’angoissait. J’étais rongée par la peine, obnubilée par ce que j’aurais pu faire et n’avais pas fait pour te sauver. Comment ne m’étais-je pas rendu compte de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas sorti de là pour t’emmener immédiatement en Californie ? Pour qui, pour quoi… ? Je m’enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré, je ne trouvais pas la paix. Beaucoup d’années auront passé avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Je ressentais alors ton absence comme une douleur aigue, un poignard en plein cœur, qui parfois me laissait à genoux.

Je me faisais aussi du souci pour Nico, car nous venions d’apprendre que ton frère aussi était atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de la porphyrie, mais à cause de négligence médical », insistait ton frère, pour me rassurer, mais il était inquiet, pas tant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui allait naître. Les enfants pourraient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurons quand ils seront en âge d’aller faire les examens. Trois mois après ta mort, Celia nous a annoncé qu’ils attendaient un autre enfant, ce que je soupçonnais déjà, à ses oreilles de somnambule, et pour en avoir rêvé, comme j’avais rêvé d’ Alejandro et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans c’était imprudent ; Nico et Celia n’avaient pas d’emplois stables, et leurs visas d’étudiants arrivaient bientôt à expiration, mais peu importe nous célébrons la nouvelle.

J'aimerais savoir si les choix temporels pour lesquels j'ai opté vous paraissent judicieux?

D'autre part, j'ai cru comprendre que vous enseigniez actuellement à Poitiers, savez-vous si là-bas ou à Bordeaux, il y aura un jour un Master Professionnel de traduction littéraire, ou si celui -ci est définitivement condamné?

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Armelle nous propose sa traduction :

A chaque vie, son feuilleton.

J’ai passé presque toute l’année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, dans les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pu échapper à une longue tournée dans plusieurs villes des Etats-Unis pour faire la promotion de El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait de paraître en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il était déjà disponible dans plusieurs langues européennes. J’ai volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis ; je suppose qu’il acheta l’ensemble de la première édition. Il était tellement fier, que j’ai du lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais bien une fiction.

« Ma vie est un roman » me répondit-il. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d’entre nous est le héros de sa propre légende. A cet instant, en écrivant ces pages, je doute. Les événements se sont-ils passés tels que je m’en souviens et tels que je les raconte ? Ces pages demeurent subjectives, en dépit de l’importante correspondance avec ma mère, où nous gravions jour après jour une version plus ou moins véridique des événements les plus banals comme les plus importants. Willie m’a dit que le livre était une carte de son parcours et il ajouta que c’était dommage que Paul Newman fût trop âgé pour jouer le rôle principal dans le cas où ils en feraient un film.

« Tu auras noté que Paul Newman me ressemble » me dit-il avec son habituelle modestie. Je ne l’avais pas remarqué, mais je n’ai pas connu Willie jeune, quand vraisemblablement ils se ressemblaient.

La publication du livre en anglais advint au mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion me rendait malade. J’étais morte de tristesse, obsédée par ce que j’aurais pu faire et ce que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment est-il possible que je ne me sois pas rendu compte de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’ai-je pas tirée de là et immédiatement amenée en Californie ? Pourquoi… pourquoi… Je me retirais dans la pièce où tu passas tes derniers jours, mais même dans cet endroit sacré, je ne trouvais pas la moindre paix. Il aura fallu de nombreuses années avant que tu ne deviennes en une amie douce et constante. C’est alors que je ressentais une douleur insupportable, une flèche en plein cœur, qui parfois me mettait à genoux.

Nico aussi m’inquiétait, en effet, nous venions d’apprendre qu’il était également atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais de la négligence des médecins » insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet. Pas tant pour lui-même, que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pourraient avoir reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions lorsqu’ils seraient en âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu’elle attendait un autre bébé, ce que je suspectais, en voyant ses cernes d’insomniaque et parce que je l’avais vu, comme j’avais vu Alejandro et Andrea en rêve avant même qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en moins de cinq ans, c’était une imprudence ; il manquait à Nico et Celia un emploi stable et leurs visas d’étudiants étaient sur le point d’expirer, mais nous nous sommes tout de même réjouis de la nouvelle.

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