vendredi 28 octobre 2011

Version de CAPES, 19 (à rendre pour le 4 novembre)

El escritor siempre está escribiendo. En eso consiste en realidad la gracia de ser novelista: en el torrente de palabras que bulle constantemente en el cerebro. He redactado muchos párrafos, innumerables páginas, incontables artículos, mientras saco a pasear a mis perros, por ejemplo: dentro de mi cabeza voy moviendo las comas, cambiando un verbo por otro, afinando un adjetivo. En ocasiones redacto mentalmente la frase perfecta, y a lo peor, si no la apunto a tiempo, luego se me escapa de la memoria. He refunfuñado y me he desesperado muchísimas veces intentando recuperar esas palabras exactas que iluminaron por un momento el interior de mi cráneo, para luego volver a sumergirse en la oscuridad. Las palabras son como peces abisales que sólo te enseñan un destello de escamas entre las aguas negras. Si se desenganchan del anzuelo, lo más probable es que no puedas volverlas a pescar. Son mañosas las palabras, y rebeldes, y huidizas. No les gusta ser domesticadas. Domar una palabra (convertirla en un tópico) es acabar con ella., Pero en el oficio de novelista hay algo aún mucho más importante que ese tintineo de palabras, y es la imaginación, las ensoñaciones, esas otras vidas fantásticas y ocultas que todos tenemos. Decía Faulkner que una novela «es la vida secreta de un escritor, el oscuro hermano gemelo de un hombre». Y Sergio Pitol, de quien he tomado la cita de Faulkner (la cultura es un palimpsesto y todos escribimos sobre lo que otros ya han escrito), añade: «Un novelista es un hombre que oye voces, lo cual lo asemeja con un demente». Dejando aparte el hecho de que, cuando todos los varones escriben «hombre», yo he tenido que aprender a leer también «mujer» (esto no es baladí, y probablemente vuelva a ello más adelante), me parece que en realidad esa imaginación desbridada nos asemeja más a los niños que a los lunáticos. Creo que todos los humanos entramos en la existencia sin saber distinguir bien lo real de lo soñado; de hecho, la vida infantil es en buena medida imaginaria. El proceso de socialización, lo que llamamos educar, o madurar, o crecer, consiste precisamente en podar las florescencias fantasiosas, en cerrar las puertas del delirio, en amputar nuestra capacidad para soñar despiertos; y ay de aquel que no sepa sellar esa fisura con el otro lado, porque probablemente será considerado un pobre loco., Pues bien, el novelista tiene el privilegio de seguir siendo un niño, de poder ser un loco, de mantener el contacto con lo informe. «El escritor es un ser que no llega jamás a hacerse adulto», dice Martin Amis en su hermoso libro autobiográfico Experiencia, y él debe de saberlo muy bien, porque tiene todo el aspecto de un Peter Pan algo marchito que se niega empeñosamente a envejecer. Algún bien haremos a la sociedad con nuestro crecimiento medio abortado, con nuestra madurez tan inmadura, pues de otro modo no se permitiría nuestra existencia. Supongo que somos como los bufones de las cortes medievales, aquellos que pueden ver lo que las convenciones niegan y decir lo que las conveniencias callan. Somos, o deberíamos ser, como aquel niño del cuento de Andersen que, al paso de la pomposa cabalgata real, es capaz de gritar que el monarca está desnudo. Lo malo es que luego llega el poder, y el embeleso por el poder, y a menudo lo desbarata y lo pervierte todo.

Rosa Montero, La loca de la casa

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Hélène nous propose sa traduction :

L’écrivain est continuellement en train d’écrire. C’est en cela que réside en réalité le bonheur d’être romancier : dans le torrent de mots qui ne cesse de bouillonner dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, maintes pages, un nombre incalculable d’articles en sortant promener les chiens par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, je change le verbe par un autre, j’affine un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, lorsque je ne la note pas à temps, je l’oublie. J’ai maugréé et je me suis agacé de nombreuses fois en essayant de retrouver ces mots exacts qui illuminèrent un moment mon esprit et replongèrent ensuite dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui laissent entrevoir un bref instant l’éclat de leurs écailles dans les eaux sombres. S’ils lâchent l’hameçon, le plus probable c’est qu’on ne puisse plus les repêcher. Les mots sont capricieux et rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le transformer en cliché) c’est l’abolir. Mais dans le métier de romancier, il y a quelque chose de beaucoup plus important encore que ce tintement de mots, c’est l’imagination, les rêves, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, le mystérieux frère jumeau d’un homme ». Sergio Pitol, à qui j’ai emprunté la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et tous nous écrivons ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, c’est pourquoi on l’identifie à un dément ». Si on laisse de côté le fait qu’au moment où tous les garçons écrivent « homme », moi j’ai aussi dû apprendre à lire « femme » (cela n’a rien d’insignifiant et j’y reviendrais sans doute plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination démesurée nous identifie plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous, tous les hommes, naissons sans bien savoir distinguer le réel du rêve ; de fait, l’enfance est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, ou mûrir, ou grandir, consiste précisément à tailler les floraisons de l’imagination, à fermer la porte au délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne sait colmater cette brèche avec une attitude inverse car autrement il sera probablement assimilé à un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de continuer à être un enfant, de pouvoir être un fou, de garder contact avec l’imaginaire. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à l’âge adulte », dit Martín Amis dans son beau livre autobiographique Experiencia. Il doit le savoir parfaitement bien, lui le Peter Pan quelque peu défraîchi qui refuse obstinément de vieillir. Nous devons faire du bien à la société avec notre croissance à moitié avortée, notre maturité si immature, car autrement on ne nous laisserait pas exister. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours du Moyen Âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions dissimulent et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou plutôt nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage d’une cavalcade royale, est capable de crier que le monarque est nu. Ce qui est mauvais c’est qu’après apparaissent le pouvoir et la tentation du pouvoir et que souvent ils détruisent et pervertissent tout.

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Xavier nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. A vrai dire, le bonheur d’être romancier se résume à un torrent de mots qui bouillonne constamment dans le cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, un nombre incalculable d’article et de pages, pendant que je sors promener mes chiens ; par exemple : dans ma tête je déplace les virgules, je change un verbe par un autre, j’ajuste un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, après elle s’échappe de ma mémoire. Je me suis énervé et bien souvent désespéré à récupérer ces mots exacts qui avaient éclairés l’intérieur de mon crâne, pour ensuite plonger à nouveau dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne te montrent qu’un éclat de leurs écailles entre les eaux sombres. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne puisses plus les pêcher à nouveau. Les mots sont rusés, rebelles et fugaces. Ils n’aiment pas être domptés. Dompter un mot (le rendre banal) c’est l’achever. Mais a travers le métier de romancier il y a quelque chose de bien plus important que ce tintement de mots, et c’est l’imagination, les rêves, ces autres vies fantastiques et occultes que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, le frère jumeau caché d’un homme ». Et Sergio Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous sur ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui l’assimile à un fou ». En mettant de coté le fait que moi j’ai du apprendre à lire aussi « femme » quand tous les hommes écrivent « homme », (ceci n’est pas futile, et j’y reviendrai probablement plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous assimile plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous, tous les humains, nous entrons dans l’existence sans savoir bien distinguer le réel du rêve ; en effet, la vie infantile est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, ou murir, ou grandir, consiste précisément à tailler les floraisons rêveuses, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver debout ; et malheur à celui qui ne saura sceller cette fissure à l’autre bout, car il sera probablement considérer comme un fou. Bref, le romancier a le privilège rester encore un enfant, de pouvoir être un fou, de garder le contact avec l’abstrait. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à devenir un adulte. », dit Martin Amis dans son merveilleux livre autobiographique Experencia, et il doit très bien le savoir, car il a tout l’air d’un Peter Pan quelque peu fané qui refuse délibérément de vieillir. Nous ferons du bien à la société avec notre croissance à moitié avortée, avec notre maturité tant immature, car notre existence n’aurait pas lieu d’être d’une autre façon. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que les conventions taisent. Nous sommes, ou plutôt nous devrions être, comme cet enfant tiré du conte d’Andersen qui, lorsque passe le pompeux défilé royal, est capable de crier que le roi est tout nu. Le problème est qu’après vient le pouvoir, et le charme du pouvoir, et souvent il le démantèle et pervertit tout.

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Annabelle nous propose sa traduction :

L’écrivain écrit tout le temps. C’est là que réside en réalité l’intérêt d’être romancier : en ce flot de mots qui bouillonne constamment dans son esprit. J’ai rédigé de nombreux paragraphes, d’innombrables pages, des articles inénarrables, quand je sors promener mes chiens, par exemple : je déplace dans ma tête les virgules, je remplace un verbe par un autre, j’affine un adjectif. Parfois je rédige mentalement la phrase parfaite, et le pire, si je ne la note pas à temps, c’est qu’après elle s’échappe de ma mémoire. J’ai ronchonné et je me suis désespérée bien des fois en essayant de récupérer ces mots exacts qui ont illuminé pendant un moment l’intérieur de mon crâne, pour ensuite repartir se plonger dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne te montrent qu’un scintillement d’écailles à travers les eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne pourras pas les pêcher à nouveau. Les mots sont adroits, rebelles, et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le changer en un lieu commun), c’est en finir avec lui. Mais dans le métier de romancier, il y a quelque chose d’encore plus important que ce tintement de mots, qui est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, l’obscur frère jumeau d’un homme ». Et Sergio Pitol, chez qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous à propos de ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le fait ressembler à un dément ». En laissant de côté le fait que, quand tous les mâles écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ceci n’est pas anodin et j’y reviendrai probablement plus loin), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous fait plus ressembler aux enfants qu’aux désaxés. Je crois que tous les humains entrent dans l’existence sans savoir distinguer le réel de l’illusoire ; de fait, la vie enfantine est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou grandir, consiste justement à élaguer les floraisons fantaisistes, fermer les portes du délire, amputer notre capacité à rêver éveillés ; et pauvre de celui qui ne saurait pas combler cette brèche vers l’autre côté, parce qu’il sera probablement considéré comme un pauvre fou. Alors, le romancier a le privilège de demeurer enfant, de pouvoir être fou, de garder le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à devenir adulte », dit Martin Amis dans son beau livre autobiographique Expérience, et il doit très bien le savoir, car il a tout l’air d’un Peter Pan un peu fané qui refuse désespérément de vieillir. Nous ferons du bien à la société avec notre croissance à demi avortée, avec notre maturité si immature, puisqu'autrement notre existence ne serait pas permise. Je suppose que nous sommes les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions nient, et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage de la pompeuse chevauchée royale, est capable de s’écrier que le monarque est nu. Le problème est qu’ensuite le pouvoir arrive, et la fascination du pouvoir, qui souvent détruit et pervertit tout.

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Justine nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. En cela réside en réalité la prouesse d’être écrivain : dans le torrent de mots en ébullition constante dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, un nombre incalculable d’articles, pendant que je sors promener mes chiens, par exemple : dans ma tête je déplace les virgules, je remplace un verbe par un autre, je cherche l’adjectif adéquat. Parfois je rédige mentalement la phrase parfaite, et malheureusement, si je ne la note pas à temps, elle échappe de suite à ma mémoire. J’ai râlé et désespéré de très nombreuses fois en essayant de récupérer ces mots justes qui un instant avaient illuminé l’intérieur de mon crâne, pour ensuite replonger dans l’obscurité. Les mots sont semblables aux poissons des abysses qui ne te montrent que le scintillement de leurs écailles dans les eaux sombres. S’ils se libèrent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne puisses pas les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles, fugaces. Etre dressé ne leur plaît pas. Dompter un mot (en faire un lieu commun), c’est en finir avec lui. Mais dans le métier de romancier il y quelque chose d’encore plus important que ce tintement de mots, et c’est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète de l’écrivain, le jumeau méconnu d’un homme ». Et serge Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous à propos de ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le rend semblable à un dément ». Abstraction faite du fait que, lorsque tous les hommes écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire également « femme » (ceci n’est pas insignifiant, donc j‘y reviendrai probablement plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous fait davantage ressembler aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois qu’en temps qu’êtres humains, nous entrons tous dans l’existence sans bien savoir distinguer la réalité du rêve ; de ce fait la vie infantile est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à tailler les floraisons d’imagination débordante, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés, et malheur à celui qui ne saura pas fermer hermétiquement cette fissure avec l’autre côté, car il sera probablement considéré comme un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de continuer à être un enfant, de pouvoir être un fou, de maintenir le contact avec ce qui est informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à devenir adulte », dit Martin Amis dans son beau livre autobiographique, Expérience, et il doit très bien le savoir, parce qu’il a tout l’air d’un Peter Pan un peu fané qui refuse obstinément de vieillir. On doit faire du bien à la société avec notre croissance à demi avortée, avec notre maturité si immature, autrement on ne permettrait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons du roi au moyen-âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent, et dire ce que la richesse permet de taire. Nous sommes, ou devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage du pompeux défilé royal, est capable de crier que le monarque est nu. L’ennui c’est que de suite arrive le pouvoir, et l’ivresse du pouvoir, et souvent cela bouleverse et pervertit tout.

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Elena nous propose sa traduction :

L’écrivain est sans arrêt en train d’écrire. Voilà en quoi consiste en réalité la grâce d’être un romancier : en le torrent de mots qui grouille constamment dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, nombre d’articles, en promenant mes chiens, par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, je remplace un verbe par un autre, j’affine un adjectif. À l’occasion, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, elle s’échappe par la suite de ma mémoire. J’ai maugrée et j’ai désespéré des nombreuses fois en essayant de récupérer ces mots exacts qui avaient éclairé un instant l’intérieur de mon crâne, pour me plonger ensuite de nouveau dans le noir. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne montrent qu’un scintillement d’écailles dans les eaux sombres. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est qu’on ne puisse pas les repêcher. Les mots sont malins, et rebelles, et farouches. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en un topique) est en finir avec lui. Or dans le métier de romancier, il y a quelque chose de beaucoup plus importante que ce tintement des mots, et c’est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, l’obscur frère jumeau d’un homme ». Et Sergio Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous par-dessus ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le rapproche des déments ». En laissant de côté le fait que, lorsque tous les garçons écrivent le mot « homme », moi, j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ça n’est pas insignifiant, et probablement, je reviendrai dessus plus loin), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous rapproche plus des enfants que des lunatiques. Je crois que tous les humains entrent dans l’existence sans savoir bien distinguer le réel du rêve ; d’ailleurs, la vie enfantine relève en grande partie de l’imaginaire. Le processus de socialisation, ce qu’on appelle éduquer, ou mûrir, ou grandir, consiste précisément à cisailler les floraisons fantaisistes, à fermer les portes au délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne saura pas sceller cette fissure aux deux côtés, car il sera à coup sûr considéré comme un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de rester encore un enfant, de pouvoir être un fou, de maintenir le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à devenir adulte.», déclarait Martin Amis dans son beau livre autobiographique Expérience et lui, il doit très bien le savoir parce qu’il a tout l’air d’un Peter Pan quelque peu flétri qui refuse avec ténacité de vieillir. Nous faisons sans doute un peu de bien à la société avec notre croissance à demie avortée, avec notre maturité si immature, car sinon, on ne tolérerait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions nient et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage de la pompeuse chevauchée royale, est capable de crier que le monarque est nu. Ce qui est dommage, c’est qu’ensuite arrive le pourvoir, et l’engouement pour le pouvoir, et souvent il bouleverse et pervertit tout.

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Jean-Nicolas nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. Voici en quoi consiste le talent du romancier : le torrent de mots qui bouillonne sans cesse dans son cerveau. J’ai écrit beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, quantité d’articles, pendant que je sors mes chiens se promener par exemple : dans ma tête, je bouge les virgules, change un verbe par un autre, affine un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite et, dans le pire des cas, si je n’en prends pas note à temps, elle s’échappe aussitôt de ma mémoire. J’ai ronchonné et je me suis tuée à la tache maintes fois pour essayer de récupérer ces mots exacts qui ont illuminé l’intérieur de mon crâne l’espace d’un instant pour ensuite se plonger à nouveau dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons colossaux qui ne te montrent qu’un éclat d’écailles dans les eaux troubles. S’ils se dérobent à l’hameçon, c’est que tu ne pourras certainement plus les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et volatils. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en un cliché), c’est le perdre. Mais, dans le métier de romancier, il y a encore quelque chose de plus important que ce tintement de mots, ce sont l’imagination, les songes, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait que le roman « est la vie secrète d’un écrivain, le frère jumeau caché d’un homme ». Et Sergio Pitol, duquel j’ai repris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous sur ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui l’apparente à un fou ». Sans compter le fait que, quand tous les hommes écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ceci a son importance et j’y reviendrai probablement plus tard) ; il me semble qu’en réalité, cette imagination débridée nous assimile plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous les humains, rentrons tous dans la vie sans savoir bien faire la part des choses entre la réalité et le rêve ; en réalité, la vie infantile est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à tailler les effloraisons imaginaires, à barrer la porte aux délires, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne sait pas fermer cette fissure avec l’autre côté car il sera certainement considéré comme un pauvre fou. Car, le romancier a le privilège de continuer à être enfant, de pouvoir être un fou, de garder le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à se réaliser adulte » dit Martin Amis dans son merveilleux livre autobiographique Expérience et, lui doit être très bien placé car il a tout de l’aspect d’un Peter Pan un peu obsolète et qui refuse catégoriquement de vieillir. Nous profiterons à la société avec notre croissance à moitié avortée, avec notre maturité si immature car notre existence ne nous sera pas permise autrement. Je suppose que nous sommes tels les bouffons de la cour au Moyen Âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage du défilé royal, est capable de crier que le monarque est nu. Le pire dans tout cela, c’est qu’alors vient le pouvoir et le goût pour le pouvoir et, bien souvent, il dérègle et pervertit tout.

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Florian nous propose sa traduction :

L'écrivain est toujours entrain d'écrire. En réalité, c'est en ceci que consiste le bonheur d'être romancier: dans le torrent de mots qui bout constamment dans le cerveau. J'ai rédigé bien des paragraphes, d'innombrables pages, d'incalculables articles, tout en sortant promener mes chiens, par exemple: dans ma tête, je déplace les virgules, je change un verbe par un autre, j'affine un adjectif. À l'occasion, je construis mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, elle finit par m'échapper de la mémoire. J'ai ronchonné et me suis désespéré maintes et maintes fois à essayer de retrouver ces mots exacts qui avaient illuminé l'espace d'un instant l'intérieur de mon crâne, pour en suite s'enfouir à nouveau dans l'obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne montrent qu'une lueur d'écailles au fond des eaux noires. S'ils se décrochent de l'hameçon, le plus probable est que vous ne pourrez plus jamais les pécher. Les mots sont rusés, et rebelles, puis fuyants. Ils n'aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en lieu commun), c'est en finir avec lui. Sauf que dans la tâche du romancier, il existe quelque chose ô combien plus important que ce tintement de mots, et c'est l'imagination, les songes, ces autres vies fantastiques et cachées que nous possédons tous. Faulkner disait qu'un roman "c'est la vie secrète d'un écrivain, l'obscur frère jumeau d'un homme". Et Sergio Pitol, dont j'ai repris la citation Faulkner (la culture est un palimpseste, autrement dit, nous nous inspirons tous de ce que les autres ont déjà produit), ajoute: "un romancier est un homme qui entend des voix, si bien qu'on l'assimile à un fou". Laissant de côté le fait que, lorsque toute la gente masculine écrit "homme", moi, j'ai dû également apprendre à lire "femme" ( cela n'est pas sans importance, et j'y reviendrai probablement plus loin), il m'apparaît qu'en réalité cette imagination débridée nous fait davantage ressembler aux enfants qu'aux lunatiques. Je crois que nous tous, humain, naissons sans savoir distinguer ce qui relève du réel ou du rêve; de fait, la vie infantile est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que l'on appelle: éduquer, ou mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à élaguer les fleuraisons fantaisistes, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver éveillé; et malheur à celui qui ne saura colmater cette fissure avec l'autre côté, car il sera sans nul doute considéré comme un pauvre aliéné. Ainsi donc, le romancier a le privilège de conserver son âme d'enfant, de pouvoir être dément, de maintenir le contact avec ce qui est informe. "L'écrivain est un être qui n'arrive jamais à devenir adulte", estime Martin Amis dans son très beau livre autobiographique Expérience, et il doit en savoir quelque chose, puisqu'il a le parfait aspect d'un Peter Pan un tantinet dépéri se refusant obstinément à vieillir. Nous apportons, quand même, un grand bol d'air à la société de part notre croissance à moitié avortée, notre immaturité probante, car dans le cas contraire, on ne permettrait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que ces mêmes conventions taisent. Nous sommes, ou devrions être, comme ce petit garçon du conte d'Andersen qui, au passage du pompeux défilé royal, est capable de crieur que le monarque est tout nu. Ce qui est mauvais, c'est qu'en suite vient le pouvoir, puis le sortilège causé par le pouvoir, qui très souvent bouleverse et pervertit tout.

1 commentaire:

Elena a dit…

J'ai fait une faute de frappe, lire : "maugréé"

J'ai un doute. Quand elle écrit par exemple:
"Las palabras son como peces abisales que solo TE enseñan..."

Comment interpréter ce TE, procédure assez courante en espagnol, d'ailleurs...?