mardi 15 juin 2010

« De la nécessité d’avoir un stagiaire… », par Amélie Rioual

Soyons francs : dans chaque service de chaque entreprise, le stagiaire est amené, un jour ou l’autre, à jouer les petites mains. C’est-à-dire à effectuer les tâches ingrates ou répétitives que personne n’a envie de faire au moment où il faut les faire (stagiaire y compris, mais on ne lui demande pas son avis, à lui). Au service commercial des Éditions Lattès, nous ne dérogeons pas à la règle ; j’en ai donc fait les frais depuis mon arrivée, et plus particulièrement ces derniers temps, période de présentation de la rentrée littéraire à venir. Vous allez comprendre…
Qui dit « Rentrée Littéraire » dit livraison des nouveaux livres à la maison d’édition et dit également comités de lecture et réunions dans les grandes enseignes de diffusion pour décider quel livre sera davantage mis en avant, lequel recevra un prix, lequel aura l’honneur de figurer sur la couverture du prochain numéro, etc. Si ces questions ne sont pas existentielles, elles sont néanmoins cruciales pour ce qui intéresse le plus le service où je me trouve : les chiffres (qui, soit dit en passant, sont quelque peu en berne à cette époque, crise oblige). Il est donc primordial que ces acteurs fondamentaux soient en possession desdits livres le plus vite possible, d’autant plus que nous ne sommes pas très en avance par rapport aux autres maisons. À partir de là, deux cas de figure : pour la Fnac, Virgin, Cultura et j’en passe, il s’agit d’envoyer des colis de 10 à 25 livres. À nouveau deux possibilités : ou Gilles, notre responsable des stocks, est présent, auquel cas je lui prépare les tas, lui laisse les étiquettes avec les adresses et il s’en charge, très gentiment. Ou bien il est absent, comme la semaine dernière. Et là… je me transforme soudainement en reine du cutter, de la machine à scotch et de l’optimisation de l’espace dans un carton. « Bagatelles » me direz-vous. Bien sûr… mais 20 livres que multiplient 7 titres de la Rentrée Littéraire que multiplient5 grandes enseignes? 700. À méditer. Second cas de figure : l’adresse du destinataire se trouve à deux pas de la maison d’édition et les quantités sont minimes (au bout d’un mois et demi, j’ai trouvé le décodeur : deux pas signifie 1,5 kilomètre et quantité minime se situe entre 10 et 20). Puisque c’est à deux pas, on ne va quand même pas appeler un coursier, étant donné que l’on a une paire de jambes qui fonctionne sous la main ! Alors, je remplis mes sacs et je sors prendre l’air. « Plutôt agréable » commenterez-vous. Certes…mais 20 que multiplient 7 que multiplient…vous vous souvenez ? Bon.
Qui dit « Rentrée Littéraire » dit aussi petit déjeuner ou déjeuners de présentation. À Paris, nous organisons un petit déjeuner au cours duquel nous invitons tous les libraires parisiens (susceptibles d’être intéressés par nos publications) ainsi que les auteurs de la rentrée littéraire française, pour qu’ils viennent parler de leurs romans. Cet événement était initialement prévu le 24 juin, à 9h30 (ce « initialement » devrait déjà vous mettre la puce à l’oreille). J’ai donc créé des invitations, écrit ou imprimé les adresses sur environ deux cents enveloppes, glissé les invitations à l’intérieur puis déposé le tout près de la machine à affranchir. Nous étions dans les temps (pour une fois), tout se déroulait parfaitement. Sauf que mercredi dernier, à 16h45, nous avons appris par une éditrice qu’un préavis de grève avait été déposé par tous les syndicats, notamment ceux des transports, pour ce jeudi 24 juin. Impossible donc pour nous de maintenir cette date car nous n’aurions eu que très peu de monde : c’est donc reporté au lendemain. C’est bien joli tout ça mais il fallait bien prévenir les gens… Un mail collectif ? Nécessaire mais insuffisant. Un coup de téléphone à chacun ? Indispensable mais trop tôt. Refaire une invitation sur le modèle de l’ancienne, sur laquelle on lit clairement que la date a changé. Parfait. Et devinez qui a dû réécrire les deux cents enveloppes ? Quant à la province – comme ils disent ici – nous lui réservons des déjeuners, où sont rassemblés une vingtaine de libraires, quelques auteurs, une éditrice et le directeur commercial. Lille, Toulouse, Marseille et Lyon. Pour chaque ville, même schéma : faire une invitation, l’imprimer en autant d’exemplaires que d’invités, la couper, la mettre dans des enveloppes dûment remplies. Puis les appeler. Les ennuis arrivent quand personne ne pense à me prévenir qu’il y a plusieurs listes d’invités dans chaque pochette et que moi, je n’y pense pas, jusqu’au vendredi, 17h15. Une fois n’est pas coutume, rester au boulot jusqu’à 19h une veille de week-end, ce n’est pas si terrible !
J’ai l’air de me plaindre comme ça, mais pas du tout. Ces tâches parfois ingrates permettent de voir du monde, de communiquer, de devenir polyvalent (coursier, secrétaire, standardiste, déménageur, pro de la manutention, créateur), de connaître de mieux en mieux les librairies, les livres parus et à paraître et de ne pas s’ennuyer .
Une question, pourtant, me taraude : comment survivraient-ils sans leurs stagiaires ?

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