vendredi 27 février 2009

Version d'entraînement, 30 (Fernando Vallejo)

En photo : Fernando Vallejo par _°Xime°_

Había en las afueras de Medellín un pueblo silencioso y apacible que se llamaba Sabaneta. Bien que lo conocí porque allí cerca, a un lado de la carretera que venía de Envigado, otro pueblo, a mitad de camino entre los dos pueblos, en la finca Santa Anita de mis abue¬los, a mano izquierda viniendo, transcurrió mi infancia. Claro que lo conocí. Estaba al final de esa carretera, en el fin del mundo. Más allá no había nada, ahí el mundo empezaba a bajar, a redondearse, a dar la vuelta. Y eso lo constaté la tarde que elevamos el globo más grande que hubieran visto los cielos de Antioquia, un rombo de ciento veinte pliegos inmenso, rojo, rojo, rojo para que resaltara sobre el cielo azul. El tamaño no me lo van a creer, ¡pero qué saben ustedes de globos! ¿Saben qué son? Son rombos o cruces o esferas hechos de papel de china deleznable, y por dentro llevan una candileja encendida que los llena de humo para que suban. El humo es como quien dice su alma, y la candileja el corazón. Cuando se llenan de humo y empiezan a jalar, los que los están elevan-do sueltan, soltamos, y el globo se va yendo, yendo al cielo con el cora-zón encendido, palpitando, como el Corazón de Jesús. ¿Saben quién es? Nosotros teníamos uno en la sala; en la sala de la casa de la calle del Perú de la ciudad de Medellín, capital de Antioquia; en la casa en donde yo nací, en la sala entronizado o sea (porque sé que no van a saber) bendecido un día por el cura. A él está consagrada Colombia, mi patria. Él es Jesús y se está señalando el pecho con el dedo, y en el pecho abierto el corazón sangrando: góticas de sangre rojo vivó, encendido, como la candileja del globo: es la sangre que derramará Colombia, ahora y siempre por los siglos de los siglos amén.
¿Pero qué les estaba diciendo del globo, de Sabaneta? Ah sí, que el globo subió y subió y empujado por el viento, dejando atrás y abajo los gallinazos se fue yendo hacia Sabaneta. Y nosotros que corremos al carro y ¡ran! que arrancamos, y nos vamos siguiéndolo por la carretera en el Hudson de mi abuelito. Ah no, no fue en el Hudson de mi abuelito, fue en la carcacha de mi papá. Ah sí, sí fue en el Hudson. Ya ni sé, hace tanto, ya no recuerdo... Recuerdo que íbamos de bache en bache ¡pum! ¡pum! ¡pum! por esa carreterita destartalada y el carro a toda, desbarajustándose, como se nos desbarajustó después Colombia, o mejor dicho, como se "les" desbarajustó a ellos porque a mí no, yo aquí no estaba, yo volví después, años y años, décadas, vuelto un viejo, a morir.

Fernando Vallejo, La Virgen de los sicarios

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La traduction « officielle » par Michel Bobard pour les éditions Belfond, 1997 :

Il y avait dans la banlieue de Medellin un village silencieux et paisible qui s'appelait Sabaneta. Oh oui je l'ai bien connu parce que c'est tout près de là, au bord de la route venant d'Envigado, un autre village, que j'ai passé mon enfance : à mi-chemin entre les deux villages, dans la propriété de mes grands-parents, Santa Anita, à main gauche quand on arrive. Ça oui, je l'ai bien connu. Il se trouvait tout au bout de cette route, au bout du monde. Plus loin il n'y avait rien, c'est là que le monde commençait à descendre, à s'arrondir, à prendre son virage. Et ça je l'ai constaté l'après-midi où nous avons lâché le ballon le plus grand qu'avaient jamais vu les cieux d'Antoquia, un losange de cent vingt plis, immense, rouge, rouge, rouge pour qu'il se détache bien sur le bleu du ciel. Un de cette taille vous ne le croirez pas, mais qu'est-ce que vous y connaissez, vous, aux ballons ! Vous savez ce que c'est ? C'est des losanges ou des sphères ou des croix faits de papier de soie très fin, et dedans on leur met une petite lampe allumée qui les remplit de fumée pour les faire monter. La fumée est comme qui dirait leur âme, et la petite lampe leur cœur. Quand ils se remplissent de fumée et qu'ils commencent à tirer, ceux qui les tiennent à bout de bras les lâchent, nous les lâchons, et le ballon s'en va, s'en va au ciel avec son cœur enflammé, palpitant, comme le Coeur de Jésus. Vous savez qui c'est ? Nous on en avait deux dans le salon ; dans le salon de la maison de la rue du Pérou de la ville de Medellin, capitale d'Antioquia, dans la maison où je suis né ; il était dans le salon, intronisé, c'est-à-dire (parce que je sais que vous ne devez pas savoir) béni un jour par le curé. C'est à lui qu'est consacrée la Colombie, ma patrie. Lui, c'est Jésus, et il désigne sa poitrine avec son doigt, et dans sa poitrine ouverte son cœur qui saigne : de petites gouttes de sang rouge vif, ardent, comme la flamme du ballon : c'est le sang que versera la Colombie, maintenant et toujours pour les siècles des siècles amen.
Mais qu'est-ce que je vous racontais sur le ballon et sur Sabaneta ? Ah oui, que le ballon est monté, monté et, poussé par le vent, laissant les charognards derrière lui et bien plus bas il a pris la direction de Sabaneta. Et nous on se précipite vers la voitire et vroum ! on démarre et on le suit le long de la route dans la Hudson de mon grand-père. Ah non, ce n'était pas la Hudson de mon grand-père, c'était la vieille bagnole de mon père. Ah si, si, c'était la Hudson… Je ne sais plus, il y a si longtemps, je ne me rappelle plus… Je me rappelle que nous sautions d'ornière en nid-de-poule boum ! boum ! boum ! sur cette petite route défoncée et la voiture qui se délinguait de plus en plus, comme ensuite la Colombie s'est délinguée entre nos mains, ou plutôt comme elle s'est déglinguée entre « leurs » mains parce que moi non, moi je n'étais pas là, moi je suis revenu après, des années et des années plus tard, des décennies, un vieillard désormais, pour y mourir.

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Odile nous propose sa traduction :

Il y avait dans la banlieue de Medellin un village silencieux et paisible qui s'appelait Sabaneta. Je l'ai bien connu ,oui, car c'est tout près de là, au bord de la route venant de Envigado, un autre village, dans la propriété de mes grands-parents, Santa Anita, à mi-chemin entre les deux autres et à main gauche quand on arrive que j'ai passé mon enfance.Bien sûr que je l'ai connu. Il était au bout de cette route, au bout du monde. Au-delà, il n'y avait rien, là le monde commençait à descendre, à s'arrondir, à tourner. Et ça, je l'ai constaté l'après midi où nous avons laché le ballon, le plus grand qu'avaient jamais vu les cieux d'Antioquia, un losange de 120 plis, immense, rouge, rouge, rouge pour qu'il se détache sur le bleu du ciel. Vous n'allez pas le croire qu'il était si grand, mais qu'est-ce que vous y connaissez ,vous, en ballons? Vous savez ce que c'est au moins? Ce sont des losanges ou des croix ou des sphères en papier de soie très fragile et dedans on y met une petite lampe allumée qui les remplit de fumée pour qu'ils montent. La fumée est comme qui dirait leur âme, et la lampe leur coeur. Lorsqu'ils se remplissent de fumée et commencent à tirer, ceux qui tiennent les lachent, nous les lachons, et le ballon s'en va, il s'en va au ciel avec le coeur enflammé, tout palpitant, comme le coeur de Jésus. Vous savez qui c'est? Nous, nous en avions un dans le salon, dans le salon de la maison de la rue du Pérou de la ville de Medellin, capitale de Antioquia, dans la maison où je suis né, dans le salon, consacré, c'est à dire, parce que je sais que vous ne le savez pas) bénie un jour par le curé. C'est à lui qu'est consacrée la Colombie, ma patrie. Lui, c'est Jésus et il montre son coeur avec son doigt, et dans sa poitrine ouverte son coeur qui saigne, des petites gouttes de sang rouge vif, ardent, comme la lampe du ballon: c'est le sang que versera la Colombie, maintenant et toujours, pour les siècles des siècles, amen.
Mais qu'est-ce que j'étais en train de vous dire du ballon et de Sabaneta. Ah oui, que le ballon est monté, monté, et, poussé par le vent, laissant derrière lui et bien plus bas les charognards, il est parti vers Sabaneta. Et nous, on court vers la voiture et, vroum, on démarre et on le suit par la route dans la Hudson de mon grand-père. Ah non, ce n'était pas dans la Hudson de mon grand-père, c'était dans la vieille voiture de mon père. Ah si, si, c'était dans la Hudson. Je ne sais même plus, ça fait si longtemps, je ne me souviens plus...Je me souviens que nous sautions de nid de poule en nid de poule, boum! boum! boum! sur cette petite route défoncée, et de la voiture qui se déglinguait de plus en plus, comme s'est déglinguée notre Colombie, ou plutôt comme « ils » l'ont déglinguée, parce que moi je n'étais pas là, je suis revenu après, des années et des années plus tard, des décennies, devenu vieux, pour y mourir.

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