vendredi 10 septembre 2010

Entretien avec Hélène Geniez, adaptatrice de films (espagnol, anglais), réalisé par Auréba

En photo : The great local Rio Cinema, London...
par Metropol 21

Hélène Geniez est traductrice free-lance pour le cinéma depuis une dizaine d’années. Elle traduit des scénarios et sous-titre en français des films hispanophones et anglophones. Parmi les films hispanophones diffusés dans les cinémas français entre les mois de juin et de septembre 2010, elle a adapté Cellule 211 de Daniel Monzón (Espagne), Dioses de Josué Méndez (Pérou/Argentine/France), Année bissextile de Michael Rowe (Mexique) et Rabia de Sebastián Cordero (Espagne/Colombie). Lors d’un entretien téléphonique qu’elle m’a gentiment accordé, elle m’a parlé de son expérience dans le domaine du sous-titrage de films…

1) Qu’est-ce qui vous a amenée vers la traduction, et en particulier la traduction de films ?
Je suis cinéphile et j’adore les langues depuis mes années de collège. C’est une connexion entre les deux. J’ai fait un double DEUG LCE espagnol-anglais, puis une maîtrise d’espagnol et je suis partie en échange universitaire en Argentine. Je suis restée 3 ans à Buenos Aires. Revenue en France, j’ai fait un DESS de traduction à Toulouse, avec une option audiovisuel. Je voulais devenir traductrice de films. Il y a deux grands laboratoires de sous-titrage en France : Titra film et LVT. J’ai effectué un stage à Titra film et je suis tombée amoureuse de ce métier. J’ai été recrutée en tant que technicienne de sous-titrage.

2) Quelle a été votre première traduction ? Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Mes tous premiers films étaient des sous-titrages pour une entreprise de sous-titrage électronique espagnole, Fila 13. C’étaient des films argentins pour des festivals. Pour le sous-titrage électronique, les sous-titres ne sont pas gravés au laser sur la copie 35 mm, mais s’affichent au moment de la projection sur un écran électronique installé sous l’écran de cinéma. Ces premières traductions, je ne les ai pas relues, il ne vaut mieux pas, car je n’avais que quatre jours pour les faire.

3) Qu’est-ce qui détermine le choix des films que vous traduisez ?
Les distributeurs s’enthousiasment pour un film à un festival, par exemple. Ils achètent les droits du film, puis cherchent un traducteur. Ce n’est pas vraiment moi qui choisis.

4) Comment vous tenez-vous au courant de l’actualité cinématographique à l’étranger ?
En suivant l’actualité cinématographique et la programmation des festivals étrangers sur internet. Je reçois par exemple la newsletter du festival de San Sebastián (qui possède une importante section de films latino-américains). Quand je peux, je vais au festival.

5) Voyagez-vous beaucoup ?
Pendant dix ans, je suis souvent allée en Argentine. J’essaye de me rendre aux festivals de Toulouse et San Sebastián tous les ans.

6) Qui sont vos clients ?
J’ai fini par avoir un réseau de clients. Ce sont des distributeurs (ceux qui achètent les films et les sortent en France) et des coproducteurs français (ceux qui s’associent dans une coproduction internationale). Dans le cadre de coproductions, il y a souvent besoin d’une traduction dès le scénario (un scénario fait en général entre 80 et 100 pages) pour que l’équipe française puisse le lire en français. Cela permet également d’envoyer le scénario à des organismes de financement.

7) Comment s’organise votre travail ?
Pour un scénario, je reçois un fichier texte, que je renvoie traduit en français avec la même mise en page.
Pour des sous-titres, le laboratoire, au moyen d’un logiciel spécial, procède au repérage : c’est le découpage des dialogues en petites séquences numérotées, déterminant ainsi un nombre de caractères que l’adaptateur ne devra pas dépasser. Il faut que le spectateur ait le temps de lire et de regarder l’image en même temps. Je commence par regarder le film en vérifiant la fidélité du relevé de dialogues. Puis, à partir des éléments envoyés par le laboratoire, j’écris les sous-titres, en visionnant chaque scène plusieurs fois.
Ensuite, on procède à la simulation. Avant que les sous-titres soient gravés sur la copie, au laboratoire, on visionne le film avec les sous-titres pour vérifier que tout va bien, qu’il n’y a pas d’erreurs de traduction, de coquilles ou de problèmes de synchronisation. Le but est que le spectateur n’ait pas l’impression de lire des sous-titres. Un sous-titrage réussi, c’est un sous-titrage que l’on ne voit pas.

8) Que faites-vous lorsque vous rencontrez une difficulté ?
Quand il y a une difficulté d’ordre linguistique, j’appelle des natifs pour me faire expliquer une nuance ou une expression idiomatique. En ce qui concerne le film Cellule 211, il y avait un peu d’argot carcéral, et par ailleurs, les dialogues étaient très rapides, avec un montage assez serré, caractéristique des films d’action. Il fallait garder une langue percutante, adaptée au style des personnages. Il y avait aussi des scènes plus tendres. Il faut s’adapter en permanence.

9) Combien de temps mettez-vous, en général pour écrire les sous-titres d’un film ?
Pour un long-métrage d’1h30, on compte en moyenne 1 000 sous-titres. À un rythme de 8 heures par jour de travail, il faut huit à dix jours. Je suis souvent appelée au dernier moment pour un sous-titrage. Il est parfois difficile de demander une rallonge de délai.

10) Vous arrive-t-il d’avoir des échanges avec des personnes (acteurs, réalisateurs, scénaristes) ayant travaillé pour le film que vous traduisez ?
Quand je commence à travailler sur un film ou un scénario, je demande les coordonnées du réalisateur ou du scénariste. Quand je comprends qu’il y a des références personnelles de l’auteur, je préfère le consulter directement. Cela peut m’aider à trancher entre deux options de traduction. En général, il est ravi et rassuré de voir que le traducteur cherche à vérifier son intention première.

11) Avez-vous l’impression d’avoir une grande responsabilité vis-à-vis de la réception d’un film par le public ?
Oui !

12) Quelle sensation vous procure le fait d’ouvrir les horizons cinématographiques du public ?
La satisfaction de servir de relais, de trait d’union entre différentes cultures. L’apport à la diffusion d’expressions artistiques souvent méconnues. C’est une démarche qui s’inscrit dans une vision presque politique du monde, si on s’attache à travailler sur des petits films qui ont du mal à toucher leur public. Mais il est difficile d’en vivre ! Gros paradoxe à résoudre : travailler sur des films qui m’intéressent, hors circuits commerciaux, et réussir à gagner ma vie dans un monde de plus en plus sauvage.

13) Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier de traductrice ?
L’ouverture sur le monde que le métier implique et procure.

14) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ? Quel est le film que vous avez préféré traduire ?
Je garde un très bon souvenir de La Science des rêves et de La Femme sans tête, parce que j’ai pu collaborer directement avec les réalisateurs. Parmi mes meilleurs souvenirs, tous les films traduits en binôme avec des collègues, pour l’émulation.

15) En quoi l’exercice de la traduction a changé votre vie (si elle l’a changée) ?
C’est un enrichissement culturel permanent ; cela m’a donné une certaine vision du cinéma et un meilleur sens de l’observation des films, ainsi qu’un approfondissement de ma connaissance des langues…

16) Avez-vous déjà envisagé de traduire un roman ?
La traduction littéraire reste un grand rêve, finalement tout à fait accessible, pour peu que j’entre en contact avec le milieu de l’édition, mais les tarifs pratiqués, eux, ne font pas du tout rêver !

17) Auriez-vous un conseil à donner aux apprentis traducteurs ?
Les atouts à développer : curiosité, culture générale, réactivité, partage et solidarité entre confrères, rigueur absolue et modestie vis-à-vis des langues, exigence vis-à-vis du client. Attention à ne pas accepter n’importe quoi à n’importe quel prix, par respect pour la profession et pour son propre travail. Ne pas se limiter aux recherches sur internet : le monde et les gens en général sont des sources inépuisables de vocabulaire et de connaissance !
Pour la traduction audiovisuelle, une source d’infos importante : le site de l’ATAA (http://www.traducteurs-av.org/)

Mon site :
http://www.helenegeniez.fr

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