mercredi 29 septembre 2010

Entretien avec Serge Mestre (traducteur), réalisé par Vanessa Canavesi

J'avais rencontré Serge Mestre en mai à Grenoble lors de la présentation de son dernier roman publié, La Lumière et l'Oubli (éd. Denoël), récit poignant sur l'exil républicain espagnol et la quête de vérité.
Serge Mestre est écrivain et traducteur de l'espagnol, il a traduit de nombreux auteurs hispanophones dont Manuel Rivas, Mayra Montero, Fernando Savater, Jorge Semprún, Alejandro Rossi, etc. Il a très gentiment accepté de se confronter au difficile questionnaire sur son propre métier.
Je tiens à remercier Monsieur Mestre de m'avoir accordé un peu de son précieux temps dans cet entretien par mail, et d'avoir livré ses réponses en toute sincérité. Merci encore !


Comment êtes-vous venu à la traduction ?
C’est une longue histoire. Après la publication de mon premier roman, en 1980, aux Éditions Flammarion, j’ai eu l’occasion de traduire le roman d’un ami, Emilio Sanchez-Ortiz, qui venait d’être accepté dans la collection Barroco (toujours chez Flammarion) dirigée par Gérard de Cortanze. Plus tard, en 1985, j’ai été engagé par Severo Sarduy, aux Éditions du Seuil pour rédiger des notes de lectures sur les livres en langue espagnole et j’ai alors eu l’occasion de faire encore quelques traductions. Puis Severo Sarduy est entré aux Éditions Gallimard comme directeur de collection. En 1996, après la mort de Severo Sarduy, Gustavo Guerrero, qui avait repris la collection de celui-ci, m’a demandé de le rejoindre comme conseiller littéraire : c’est à ce moment-là que la traduction a pris pour moi une tournure plus professionnelle.

Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Je ne sais pas, je ne relis jamais mes traductions après les avoir rendues. J’ai cependant le souvenir d’un travail immense que je ne soupçonnais pas et que j’ai peu à peu réussi à apprivoiser.

Vous avez traduit davantage de romans que de pièces de théâtre, par exemple, voyez-vous d’importantes différences entre les deux en tant que traducteur ?
J’ai traduit plus de romans que de pièces de théâtre, tout simplement parce qu’il s’agit, je pense, de deux circuits différents. Dans les maisons d’édition, on est surtout emmené à traduire des romans. Les traductions de théâtre se font la plupart du temps à l’occasion d’une nouvelle mise en scène et il faut être présent (ce qui n’est malheureusement pas mon cas) sur le circuit du théâtre pour obtenir ce genre de traduction, qui s’avère souvent être une traduction/adaptation, en collaboration avec le metteur en scène.

Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Tout comme ils font appel à d’autres traducteurs, les éditeurs font quelquefois appel à moi pour traduire un roman. Nous convenons alors d’une date de remise de la traduction en fonction de ma disponibilité du moment et, après signature du contrat, le travail peut alors commencer.
En ce qui concerne les Éditions Gallimard, mon rôle de conseiller littéraire m’emmène à discuter aussi de l’éventualité d’une traduction en français d’un roman en langue espagnole. Ceci ne signifie pas que je fasse systématiquement la traduction des romans que je conseille, s’ils sont édités.

Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ?
Si ce sont des auteurs contemporains, le courrier électronique nous permet d’être en contact permanent. Lorsque les auteurs l’acceptent, je peux alors faire des demandes d’éclaircissement auprès des auteurs : cela a modifié le travail de façon très significative.
Par ailleurs, lorsque les auteurs se rendent en France, souvent à l’occasion de la promotion de leur livre, j’ai la possibilité de les connaître et cela se solde parfois par de belles rencontres.

Vous êtes auteur également. Continuez-vous la traduction, ou préférez-vous vous consacrer désormais à l’écriture ?
Il est vrai que je suis également auteur. J’ai publié mon dernier roman en septembre 2009, La Lumière et l’oubli, aux Éditions Denoël, et j’ai eu la chance d’être retenu dans la sélection pour le prix Goncourt 2009 remporté par mon amie Marie Ndaye.
Je continue cependant à mener de front traduction et écriture, car en ce qui me concerne je trouve que l’une éclaire et enrichit l’autre de façon singulière, et réciproquement.
J’ai l’habitude de dire que la traduction est une belle école d’écriture ; et je suis bien tenté de retourner la phrase en disant que l’écriture est une belle école de traduction. En tout cas, elle permet au traducteur de toucher du doigt, de faire l’expérience pratique, de ce que contiennent les mots « passage », « passeurs » appliqués au domaine de la traduction.

Si vous traduisez en même temps, le fait d'écrire soi-même ne vous semble-t-il pas susceptible de créer des interférences avec la voix de l'auteur que le traducteur a ensuite à traduire ?
Si la traduction est une école d’écriture et vice-versa, il faut bien garder à l’esprit que l’école reste l’école : par conséquent, en aucun cas écriture et traduction ne se confondent, ne se superposent même pas.
Écrire, pour moi, c’est parfois se laisser aller à son style propre (qu’on choisit de temps en temps, qui le plus souvent nous dépasse) et parfois le contrôler. Le style d’un auteur ne se modifie pas avec la traduction, au point de coller avec celui de l’écrivain qu’il traduit, au mieux il s’enrichit, il dialogue. Parfois, il ne se passe rien.

Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
Mon meilleur souvenir comme traducteur, ce sont les rencontres avec les auteurs, les dialogues qui s’instaurent entre nous. Traduire, comme je l’ai déjà dit, m’a permis de réaliser de belles rencontres que je n’aurais pas pu faire autrement et qui ont enrichi mon existence d’écrivain.

Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
On peut déduire de mes réponses précédentes que c’est un passeur.

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