vendredi 24 septembre 2010

Exercice d'écriture : « Filet », par Olivier Marchand

En photo : Oie bernache du Canada
par mamnic47

Ma graine originelle, avalée par une oie du Canada avide de découvertes culinaires, aurait pu voyager très loin, mais c'est dans le parc Congaree que je débarquai. Mon transporteur, gêné dans sa migration par un fardeau inutile, en l'occurrence moi, s'en était débarrassé en plein vol. Ma chute avait été longue et angoissante, mais la fiente, dont mon hôte avait su si gracieusement m'entourer, en atténua le choc.
C'est près d'une minuscule rivière que j'arrivai, et à ce même endroit je m'installai, profitant pour me nourrir les premiers jours de ce généreux excrément, dans lequel je puisais tous ce dont j'avais besoin. Le taux d'humidité locale correspondait parfaitement à la demande de mon organisme et je profitais chaque jour des rayons du soleil, les grands arbres et imposants végétaux étant, en raison de l'instabilité du sol, incapables de pousser en cette zone.
Après ma naissance chaotique et nauséabonde, c'est donc dans ce luxuriant marécage que mon séduisant corps s'épanouissait au fil des mois, provoquant, je le voyais bien, un ébahissement collectif aux alentours. Il faut dire que je n'étais pas de ces «All Green» ou de ces «Filiformis» dont les couleurs maussades et les proportions démesurées lassent, écœurent, et ce jusqu'à provoquer des réactions anatomiques innommables. Non! Moi, je faisais parti de l'élégante élite, de la majestueuse minorité : j'étais une «Akai Ryu». Mes splendides atouts ne suscitaient qu'admiration et vénération de la part des végétaux voisins, la ligne verte qui habillait le bord extérieur de mes feuilles s'accordait à la perfection avec le rouge flamboyant de ma robe, mes dimensions étaient idylliques et mes formes, tout simplement, célestes.
Au mois de septembre, une fois que mon cycle de croissance annuelle prit fin, je dressai fièrement vers le ciel mes ravissantes feuilles. Il me fallut un certain temps avant que mes glandes sessiles se mettent à sécréter le nectar qui servirait d'appât, et l'énergie que je dus dépenser dans cette exsudation affecta quelque peu mes somptueuses couleurs. Si je voulais continuer à régner de par ma beauté sur les environs, il me fallait un apport rapide en azote.
La seule source susceptible de m'en fournir était cette infâme colonie de vilaines mouches noires, que l'on appelle communément «mouche à merde» et qui méritent amplement, je vous l'assure, cette scatophile appellation. La subtile fragrance qui se dégageait de mon nectar ne cessait, je le voyais, de démanger les papilles de ces abjects insectes et un beau matin, un de ces ridicules animaux, ignorant qui j'étais, vint se régaler de ma substance. Sans même remarquer mon ingénieuse autonomie, il toucha un de mes poils sensitifs. Le piège était en route et il ne restait plus beaucoup de temps à vivre à la pauvre créature. Comme il était à prévoir, un deuxième contact suivi et, inexorablement mon piège se referma, emprisonnant le répugnant individu. Je laissai quelque peu entrouvertes mes feuilles afin de tâter ma proie et d'en vérifier la fraîcheur, les dents qui les ceinturaient empêchant la moindre fuite. Il fallait la voir se démener comme un folle furieuse, c'était tout bonnement ridicule. Telle un poisson pris dans un filet, elle s'agitait inutilement, elle remuait frénétiquement, ignorant qu'aucun échappatoire n'était possible.
Ayant considéré la viande comme assez savoureuse pour mon délicat organisme, je commençai à expulser mon acide et la chaire liquéfiée de la mouche se mit à couler vers mon appareil digestif, me procurant au passage, un plaisir intense. Les effets sur mon corps de cet apport en azote se firent sentir de suite. Les somptueuses couleurs qui avaient, l'espace d'un instant, abandonnées mes feuilles revinrent s'y loger en une fraction de seconde et mes tiges qui s'étaient quelque peu affalées, suite aux efforts répétés, de nouveau s'érigèrent vers le ciel.
Comme un merveilleux alchimiste, j'avais transformé la bête la plus vile, la plus détestable et la plus sordide en la créature la plus admirable : moi!

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