mercredi 15 septembre 2010

Version pour le 14 septembre

MELLIZOS
Leandro y Vicente Acuña eran gemelos, tan pero tan iguales que ni siquiera los padres eran capaces de dife­renciarlos. No era raro que uno de los dos cometiera un desaguisado y la bofetada correctiva la recibiera el otro. En la etapa estudiantil todas fueron ventajas. Se repartían cuidadosamente las materias. Si eran ocho, cada uno estudiaba cuatro y rendía dos veces el mismo examen, una como Leandro y otra como Vicente. Para ese par de aprovechados la sinonimia orgánica constituía normalmente una diversión, y cuando se encontraban a solas repasaban, a carcajada limpia, las erratas de la jornada.
Leandro era un centímetro más alto que Vicente, pero nadie andaba con un metro para comprobarlo. Por añadidura, ambos usaban boinas, una verde y otra azul, pero se las intercambiaban sin el menor es­crúpulo.
El problema sobrevino cuando conocieron a las hermanas Brunet: Claudia y Mariana, también mellizas gemelas y turbadoramente idénticas. Como era previsible, los Acuña se enamoraron de las Brunet y viceversa. Dos a dos, seguro, pero quién de quién.
Claudia creyó prendarse de Leandro, pero su pri­mer beso apasionado lo recibió Vicente. Ese error también originó el conflicto interno entre los Acuña, y no fue totalmente resuelto con el recurso del humor.
En otra ocasión, Vicente fue al cine con Mariana.
Cuando la película llegó a su fin y se encendieron las luces, ella contempló el brazo desnudo del mellizo de turno, y dijo, con un poco de asombro y otro poco de sorna: «Ayer no tenías ese lunar».
El desenlace de aquellas semejanzas encadenadas fue más bien sorpresivo. Una tarde en que Claudia viajaba en un taxi junto a su padre, al chofer le vino un repentino desmayo y el coche se estrelló con­tra un muro. El chofer y el padre quedaron malheri­dos pero sobrevivieron. Claudia, en cambio, murió en el acto.
En el concurrido velatorio, Leandro y Vicente se abrazaron con una llorosa y angustiada Mariana. De pronto ella puso distancia con el doble abrazo, y se dirigió, con paso inseguro, a la habitación donde ya­cía el cuerpo de la pobre Claudia. Los mellizos se mantuvieron, en respetuoso silencio, simplemente como dos más en el grupo de dolientes.
Pasados unos minutos, reapareció Mariana. Con una servilleta, suplente de pañuelo, enjugó su última edición de lágrimas. Los mellizos la miraron inqui­sidoramente, como preguntándole: «Y ahora ¿con quién?».
Ella entonces englobó a ambos con una declara­ción que era sentencia irrevocable: «Espero que com­prendan que ahora sólo soy la mitad de mí misma. Gracias por haber venido. Ahora vayanse. No quiero verlos nunca más».
Se fueron, claro, cabizbajos y taciturnos. Horas más tarde, ya en su casa, Leandro tomó la palabra: «Hermanito, creo que se acabó nuestro doblaje. De ahora en adelante, tenemos que diferenciarnos. Digamos que yo me tiño de rubio y vos te dejas la bar­ba. ¿Qué te parece?».
Vicente asintió, con gesto grave, y sólo tuvo áni­mo para comentar: «Está bien. Está bien. Pero te su­giero que mañana vayamos al fotógrafo para que nos tome nuestra última imagen de mellizos».

Mario Benedetti

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Julie nous propose sa traduction :

JUMEAUX

Leandro et Vicente Acuña étaient des jumeaux, tellement mais tellement ressemblants que même leurs parents étaient incapables de les différencier. Il n’était pas rare que l’un des deux fasse une bêtise et que ce soit l’autre qui reçoive la gifle corrective. L’époque de leurs études ne fut qu’avantages. Ils se distribuaient soigneusement les matières. S’il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, l’un au nom de Leandro et l’autre au nom de Vicente. Pour ces deux profiteurs la synonymie organique était généralement une distraction, et lorsqu’ils se retrouvaient seuls ils se rappelaient, en riant comme des baleines, les erreurs de leur journée.
Leandro faisait un centimètre de plus que Vicente, mais personne ne se promenait avec un mètre pour le vérifier. En prime, tous deux portaient un béret, l’un vert et l’autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Les complications survinrent quand ils firent la connaissance des sœurs Brunet : Claudia et Mariana, elles aussi jumelles et identiques de façon troublante. Comme on aurait pu le prévoir, les Acuña tombèrent amoureux des Brunet et vice-versa. Deux par deux, bien sûr, mais qui avec qui ?
Claudia crut s’éprendre de Leandro, mais ce fut Vicente qui reçut son premier baiser passionné. Cette erreur contribua aussi à créer le conflit interne entre les Acuña, et l’humour ne suffit pas à le régler complètement.
Une autre fois, Vicente alla au cinéma avec Mariana.
Lorsque le film se termina et que les lumières se rallumèrent, elle contempla le bras nu du jumeau de garde, et dit, à la fois étonnée et moqueuse : « Tu n’avais pas ce grain de beauté hier ».
Le dénouement de ces ressemblances enchaînées fut plutôt surprenant. Durant une après-midi où Claudia circulait en taxi avec son père, le chauffeur fut soudainement pris d’un malaise et la voiture s’écrasa contre un mur. Le chauffeur et le père furent grièvement blessés mais ils survécurent. Claudia, par contre, mourut sur le coup.
Lors de la veillée funèbre où du monde affluait, Leandro et Vicente serrèrent dans leurs bras une Mariana en pleurs et angoissée. Brusquement elle s’éloigna de cette double étreinte, et elle se dirigea, d’un pas incertain, vers la chambre dans laquelle gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux observèrent un silence respectueux, simplement, comme deux membres qui s’ajoutaient au cercle des endeuillés.
Quelques minutes après, Mariana réapparu. À l’aide d’une serviette, qui lui servait de mouchoir, elle sécha son dernier flot de larmes. Les jumeaux la regardèrent de façon inquisitrice, comme s’ils lui demandaient : « Et maintenant, tu choisis qui ? ».
Alors, elle s’adressa à tous les deux avec une déclaration qui s’apparentait à une sentence irrévocable : « J’espère que vous comprenez que désormais je ne suis plus que la moitié de moi-même. Merci d’être venus. Maintenant allez-vous-en. Je ne veux plus jamais vous voir ».
Ils partirent, bien sûr, la tête basse et sans dire un mot. Des heures plus tard, arrivés chez eux, Leandro prit la parole : « Petit frère, je crois qu’on va arrêter notre manège. Dorénavant, on doit se différencier. Disons que moi je me teins en blond et que toi tu te laisses pousser la barbe. Qu’en penses-tu ? ». Vicente acquiesça, le visage grave, et il eu juste le courage de répondre : « D’accord. D’accord. Mais je te propose d’aller demain chez le photographe pour qu’il prenne une dernière photo de nous en tant que jumeaux ».

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Auréba nous propose sa traduction :

Leandro et Vicente Acuña étaient jumeaux, mais tellement semblables que même leurs propres parents n’étaient pas capables de les différencier. Il n’était pas rare que l’un des deux fasse une sottise et que ce soit l’autre qui reçoive la gifle corrective. Pendant l’étape étudiante, ce n’étaient que des avantages. Ils se répartissaient soigneusement les matières. S’il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, une fois en tant que Léandre, une autre en tant que Vicente. Pour ces deux profiteurs, la synonymie organique constituait normalement une diversion et quand ils se trouvaient seuls, ils passaient en revue tout en riant aux éclats les erratums de la journée.
Leandro dépassait Vicente d’un centimètre, mais personne ne marchait avec un mètre pour le vérifier. En plus, ils portaient tous les deux des bérets, un vert et un autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Le problème est survenu lorsqu’ ils ont connu les sœurs Brunet : Claudia et Mariana, jumelles elles aussi, et d’une ressemblance troublante. Comme c’était prévisible, les frères Acuña sont tombés amoureux des sœurs Brunet et vice-versa. Deux par deux, c’est sûr, mais qui de qui.
Claudia a cru s’éprendre de Leandro, mais son premier baiser passionné, c’est Vicente qui l’a reçu. Cette erreur a été à l’origine du conflit interne entre les frères Acuña, et ça ne s’est pas totalement résolu avec le recours à l’humour.
Une autre fois, Vicente est allé au ciné avec Mariana
Quand le film est arrivé à sa fin et que les lumières se sont allumées, elle, elle a contemplé le bras nu du jumeau de service, et a dit, avec un peu d’étonnement ainsi que de goguenardise : « Hier, tu n’avais pas ce grain de beauté ».
Le dénouement de ces ressemblances enchaînées a été plutôt inattendu. Un après-midi où Claudia voyageait dans un taxi à côté de son père, le chauffeur a eu une perte de connaissance soudaine et la voiture s’est écrasée contre un mur. Le chauffeur et le père sont restés grièvement blessés mais ont survécu. Claudia, par contre, est morte sur le coup.
Pendant la veillée funèbre, Leandro et Vicente ont embrassé une Mariana en pleurs et anxieuse. Tout à coup, elle a mis de la distance vis-à-vis de l’embrassade double, et s’est dirigée, d’un pas incertain, vers la chambre où gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux sont restés dans un respectueux silence, simplement comme deux de plus dans le groupe de souffrants.
Passées quelques minutes, Mariana est réapparue. Avec une serviette en guise de mouchoir, elle a essuyé sa dernière édition de larmes. Les jumeaux l’ont regardée de façon inquisitrice, l’air de dire : « Et maintenant, avec qui ? ».
Elle les a alors englobés tous les deux avec une déclaration qui constituait une irrévocable sentence : « J’espère que vous comprenez que maintenant je ne suis que la moitié de moi-même. Merci d’être venus. Maintenant, allez-vous-en. Je ne veux plus jamais vous revoir ».
Ils sont partis, bien sûr, tête basse et taciturnes. Quelques heures plus tard, déjà chez eux, Leandro a pris la parole : « Frérot, je crois que notre doublage est terminé. Dorénavant, nous devons nous différencier. Disons que je me teins en blond et toi, tu te laisse pousser la barbe. Qu’est-ce que tu en penses ? ».

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Perrine nous propose sa traduction :

JUMEAUX


Leandro et Vicente Acuña étaient jumeaux, mais tellement semblables que même leurs parents étaient incapables de les différencier. Il n’était pas rare que l’un des deux ne commette une bêtise et que la gifle de correction ne la reçoive l’autre. Au cours de l’étape étudiante, il n’y eut que des avantages. Ils se répartissaient les matières avec soin. S’il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, une en tant que Leandro, l’autre en tant que Vicente. Pour ces deux profiteurs, la synonymie organique constituait normalement une diversion, et lorsqu’ils se retrouvaient seuls ils se remémoraient, en riant aux éclats, les coquilles de la journée.
Leandro dépassait Vicente d’un centimètre, mais personne ne sortait son mètre pour le vérifier. En plus, les deux portaient un béret, l’un vert et l’autre bleu, mais ils les échangeaient sans le moindre scrupule.
Le problème apparut quand ils rencontrèrent les sœurs Brunet : Claudia et Mariana, jumelles semblables et identiques de façon déconcertante. Comme il était prévisible, les Acuña tombèrent amoureux des Brunet, et vice versa. Deux par deux, évidemment, mais qui de qui.
Claudia crut s’éprendre de Leandro, mais ce fut Vicente qui reçut son premier baiser passionné. Cette erreur fit aussi naître le conflit interne entre les Acuña, et l’humour ne le résolut pas complètement.
Lors d’une autre occasion, Vicente alla au cinéma avec Mariana.
Quand le film arriva à sa fin et que les lumières s’allumèrent, elle contempla le bras nu du jumeau de garde, et elle dit, sur un ton quelque peu étonné et goguenard : « Hier tu n’avais pas ce grain de beauté ».
Le dénouement de ces similitudes entrelacées fut bien plus inattendu. Une après-midi où Claudia voyageait en taxi aux cotés de son père, le chauffeur fut pris d’un évanouissement soudain et la voiture se fracassa contre un mur. Le chauffeur et le père furent grièvement blessés mais survécurent. Claudia, en revanche, mourut sur le coup.
Lors de la veillée funèbre pleine de monde, Leandro et Vicente s’étreignirent avec une Mariana angoissée et en pleurs. Soudain elle mit de la distance avec cette double embrassade, et se dirigea, d’un pas incertain, vers la pièce où gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux restèrent immobiles, dans un silence respectueux, simplement comme deux de plus dans le groupe des gens tristes.
Quelques minutes passèrent, et Mariana réapparut. Avec une serviette, remplaçant un mouchoir, elle essuya sa dernière tournée de larmes. Les jumeaux la regardèrent de manière inquisitrice, comme s’ils lui demandaient : « Et maintenant, avec qui ? ».
Alors elle les réunit tous deux dans une déclaration qui était une sentence irrévocable : « J’espère que vous comprendrez que désormais je ne suis plus que la moitié de moi-même. Merci d’être venus. Maintenant allez vous en. Je ne veux plus jamais vous voir ».
Ils s’en allèrent, bien sûr, tête baissée et taciturnes. Des heures plus tard, déjà chez eux, Leandro prit la parole : « Frérot, je crois que notre doublage prend fin. Dorénavant, nous devons nous différencier. Disons que moi je me teins en blond et toi tu te fais pousser la barbe. Qu’en penses-tu ? ».
Vicente acquiesça, d’un geste grave, et il eut seulement le courage de commenter : « Très bien. Très bien. Mais je te suggère que demain nous allions chez le photographe pour qu’il prenne notre dernière image de jumeaux ».

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Stéphanie nous propose sa traduction :

Leandro et Vicente Acuña étaient jumeaux, leur ressemblance était si frappante que même leurs parents étaient incapables de les différencier. Il n'était pas rare que l'un des deux commette une bourde et que l'autre reçoive la correction. Durant leurs études, ils n'eurent que des avantages. Ils se partageaient soigneusement le travail. S'il y avait huit matières, chacun en étudiait quatre, et rendait le même examen, un au nom de Leandro et l'autre au nom de Vicente. Pour ces deux profiteurs, la synonymie organique était en général une distraction et quand ils se retrouvaient seuls, ils se remémoraient en s'esclaffant les méprises de la journée.
Leandro mesurait un centimètre de plus que Vicente, mais personne ne se baladait avec un mètre pour vérifier. Qui plus est, tous deux portaient un bonnet, l'un vert et l'autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Le problème survint lorsqu'ils rencontrèrent les soeurs Brunet : Claudia et Mariana, de vraies jumelles elles aussi . Comme on pouvait s'y attendre, les Acuña tombèrent amoureux des Brunet et vice et versa. Deux à deux bien sûr, mais qui avec qui.
Claudia crut s'éprendre de Leandro, mais ce fut Vincent qui reçut son premier baiser passionné. Cette erreur fut à l'origine du conflit interne entre les Acuña, et il ne fut pas complètement résolu malgré l'usage de l'humour.
Une autre fois, Vicente se rendit au cinéma avec Mariana.
Quand le film se termina et que les lumières se rallumèrent, elle contempla le bras nu du jumeau en service, et dit avec une pointe d'étonnement et une autre de sarcasme : « Tu n'avais pas ce grain de beauté, hier ». Le dénouement de cette succession de ressemblances fut assez surprenant. Une après-midi au cours de laquelle Claudia se déplaçait en taxi, le chauffeur fut pris d'un malaise et la voiture s'écrasa contre un mur. Le chauffeur et le père furent grièvement blessés mais ils s'en survécurent. Claudia, en revanche, mourut sur le coup.
Au milieu de l'assemblée de la veillée funèbre, Leandro et Vicente étreignirent une Mariana en larmes et angoissée. Soudain, elle se retira de cette double étreinte, et se dirigea, d'un pas incertain, vers la chambre où gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux se comportèrent simplement , dans un silence respectueux, comme deux membres de plus d'un groupe affligé. Au bout de quelques minutes, Mariana réapparut. Avec une serviette, suppléant le mouchoir, elle sécha sa dernière tournée de larmes. Les jumeaux lui lancèrent un dernier regard inquisiteur, comme s'il lui demandait : « Et maintenant, lequel choisis-tu ? »
Alors elle engloba les deux dans une sentence irrévocable : « J'espère que vous comprendrez que désormais je ne suis plus que la moitié de moi-même. Merci d'être venus. Maintenant, allez-vous en. Je ne veux plus jamais vous revoir. »
Évidemment, ils partirent la tête basse et l'air taciturne. Une heure plus tard, chez eux, Leandro prit la parole. « Frérot, je crois que l'heure est venue de mettre un terme à notre permutation/échange. À partir de maintenant, nous devons nous différencier. On a qu'à dire que je me teins en blond et toi, tu te laisses pousser la barbe. Qu'est-ce que tu en penses ? »
Vicente approuva l'air grave, il eut seulement le courage de dire : « D'accord. D'accord. Mais je suggère que nous allions demain chez le photographe pour qu'il prenne le dernier simulacre de notre gémellité. »

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Vanessa nous propose sa traduction :

Les jumeaux

Léandro et Vicente Acuña étaient des jumeaux, tellement mais tellement semblables que même leurs parents ne parvenaient pas à les différencier. Il n'était pas rare que l'un des deux fasse des dégâts, et que l'autre reçoive la gifle en punition. Pendant leurs études, il n'y eut que des avantages. Ils se répartissaient soigneusement les matières. S'il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, un en tant que Léandro, l'autre en tant que Vicente. Habituellement, la ressemblance organique de cette paire de profiteurs constituait une distraction pour eux, et, quand ils se retrouvaient seuls, ils revoyaient la liste de leurs méfaits, riant à gorge déployée.
Léandro mesurait un centimètre de plus que Vicente, mais personne ne se promenait avec un mètre pour vérifier. De surcroît, les deux portaient un béret, l'un vert et l'autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Le problème survint lorsqu'ils rencontrèrent les sœurs Brunet. Claudia et Mariana, elles aussi vraies jumelles et d'une ressemblance troublante. Comme c'était prévisible, les Acuña s'entichèrent des Brunet, et viceversa. Deux à deux, évidemment, mais la question est qui avec qui.
Claudia crut s'éprendre de Léandro, mais son premier baiser passionné fut pour Vicente. C'est de là aussi que naquit le conflit interne entre les Acuña, et, même s'ils le prirent avec humour, cette erreur ne fut pas totalement réglée.
Une autre fois, Vicente alla au cinéma avec Mariana.
Une fois le film terminé et la lumière revenue, elle contempla le bras nu du jumeau de service, et, avec une dose de stupéfaction et une autre de sarcasme, elle dit : « hier tu n'avais pas ce grain de beauté. »
Le dénouement de ces ressemblances entrelacées, fut plutôt inattendu.
Une après-midi où Claudia voyageait en taxi avec son père, le chauffeur eut soudain un malaise et la voiture se fracassa contre un mur. Le chauffeur et le père furent grièvement blessés, mais survécurent. Claudia, en revanche, mourut sur le coup.
Lors de la veillée funèbre, largement fréquentée, Léandro et Vicente embrassèrent une Mariana affolée et en pleurs. Celle-ci repoussa brusquement la double étreinte et se dirigea, d'un pas incertain, vers la chambre où reposait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux restèrent simplement là, dans un silence respectueux, deux personnes de plus parmi le groupe des affligés.
Après quelques minutes, Mariana réapparut. Avec une serviette de table en guise de mouchoir, elle sécha son dernier flot de larmes. Les jumeaux lui jetèrent un regard inquisiteur, comme pour lui demander : « Et maintenant, lequel d'entre nous ? »
Celle-ci réunit alors les deux par une déclaration qui était comme une sentence irrévocable : « J'espère que vous comprenez que désormais je ne suis que la moitié de moi-même. Merci d'être venus. Maintenant allez-vous en. Je ne veux plus jamais vous voir. »
Ils s'en allèrent, bien sûr, l'air morose et la tête basse... Quelques heures plus tard, une fois chez eux, Léandro prit la parole : « Frérot, je crois que c'en est fini de notre doublage. À partir de maintenant, il faut qu'on se différencie. Disons que je me teins en blond, et toi, tu te laisses pousser la barbe. Qu'est-ce que tu en penses ? »
Vicente acquiesça d'un geste grave, et eut seulement le courage de commenter : « C'est bien. C'est bien. Mais je te suggère que demain nous allions chez le photographe pour qu'il prenne notre dernière photo en tant que jumeaux. »

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Olivier nous propose sa traduction :

Leandro et Vicente Acuña étaient jumeaux, tellement mais tellement identiques que même leurs parents n'étaient pas capables de les différencier. Il n'était pas rare que l'un deux commette une bêtise et que l'autre reçoive la correction. Durant leurs années universitaires, ils tournaient cette ressemblance à leur avantage. Ils se répartissaient méticuleusement les matières. S'il y en avait huit, chacun d'eux en étudiait quatre et se présentait deux fois à l'examen, une fois en tant que Leandro et l'autre en tant que Vicente. Cette similitude organique constituait pour ce duo de profiteurs une diversion tout à fait normale et, lorsqu'ils étaient seuls, ils se remémoraient dans de grands éclats de rire les duperies de la journée.
Leandro faisait un centimètre de plus que Vicente, mais personne ne se promenait avec un mètre pour les mesurer. De surcroît, ils mettaient tous deux un béret, l'un vert et l'autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Le problème survint lorsqu'ils firent la connaissance des sœurs Brunet : Claudia et Mariana, jumelles elles aussi et parfaitement identiques. Comme cela était à prévoir, les frères Acuña tombèrent amoureux des sœurs Brunet et vice versa. Deux par deux, oui, mais qui avec qui ?
Claudia crut s'éprendre de Leandro, mais ce fut Vicente qui reçut son premier baiser passionné. Ce malentendu fut à l'origine d'un conflit entre les frères Acuña, que même l'humour ne sut guérir complètement.
Une autre fois, ce fut Vicente qui alla au cinéma avec Mariana. Lorsque les lumières s'allumèrent à la fin de la séance, elle regarda le bras dénudé du jumeau de service et dit d'une voix où se mêlaient surprise et goguenardise : «Tu ne l'avais pas ce grain de beauté hier».
Le dénouement de cet enchaînement de ressemblances fut plus que surprenant. Une après-midi pendant laquelle Claudia voyageait en taxi aux côtés de son père, le conducteur s'évanouit soudainement et la voiture s'écrasa contre un mur. Le conducteur et le père furent blessés, mais survécurent. Claudia, en revanche, mourut sur le coup.
Lors de la veillée funèbre, Leandro et Vicente enlacèrent une Mariana larmoyante et angoissée. Elle mit subitement un terme à cette double étreinte, et se dirigea, d'un pas chancelant, vers la chambre où était étendu le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux restèrent là, dans un silence respectueux, comme deux simples individus de plus au cœur de ce groupe malheureux.
Quelques minutes plus tard, Mariana réapparut. Elle essuya avec une serviette, substitut de mouchoir, son dernier flot de larmes. Les jumeaux la regardèrent avec expectation, comme lui demandant : «Et maintenant? Qui?».
C'est alors qu'elle leur annonça la décision qu'elle avait prise, et qui retentissait comme une sentence irrévocable : «J'espère que vous comprenez que maintenant, je ne suis plus que la moitié de moi-même. Merci d'être venus. Maintenant, partez. Je ne veux plus jamais vous revoir».
Ils partirent, évidemment, amers, la tête basse. Quelques heures après, une fois à la maison, Leandro prit la parole et dit : « Petit frère, je crois que notre dédoublement a pris fin. À partir de maintenant, nous devons nous différencier. Je n'ai qu'à me teindre en blond et toi te laisser pousser la barbe. Qu'est ce que tu en dis ?».
Vicente, d'un geste grave, consentit. Il n'eut que la force d'ajouter : «C'est ce qu'il y a de mieux à faire. C'est vrai. Je te propose juste que nous allions demain chez le photographe pour prendre notre dernière photo en tant que jumeaux. »

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Alexis nous propose sa traduction :

JUMEAUX

Léandre et Vincent Acuña étaient jumeaux, tellement mais tellement semblables que même leurs parents étaient capables de les différencier. Il n’était pas rare qu’un des deux ne commette une sottise et l’autre ne reçoive la gifle correctrice. Pendant l’étape étudiante il n’y avait que des avantages. Ils se répartissaient soigneusement les matières. S’il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, un au nom de Léandre et l’autre au nom de Vincent. Pour ces deux profiteurs la synonymie organique constituait normalement une diversion, et quand ils se trouvaient seuls ils révisaient, avec un net éclat de rire, les erreurs de la journée. Léandre était un centimètre plus grand que Vincent, mais personne ne s’armait d’un mètre pour le vérifier. En outre, les deux utilisaient des bérets, un vert et l’autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule. Le problème survint quand ils connurent les sœurs Brunet : Claudia et Marianne, également jumelles et identiques en tout point. Comme cela était prévisible, les Acuña tombèrent amoureux des Brunet et vice versa. Deux à deux, bien sûr, mais qui de qui.
Claudia crut s’éprendre de Léandre, mais son premier baiser passionné fut donné à Vincent. Cette erreur fut également à l’origine du conflit interne entre les Acuña, et le recours à l’humeur n’aboutit pas à sa résolution totale. Un jour, Vincent alla au ciné avec Marianne. Quand le film arriva à sa fin et qu’on alluma les lumières, elle contempla le bras nu du jumeau de service, et dit, avec un peu d’étonnement et un peu de moquerie : « Hier, tu n’avais pas ce grain de beauté ». Le dénouement de ces ressemblances enchaînées a été plutôt inattendu.
Un soir où Claudia voyageaient en taxi avec son père, le chauffeur eut un soudain malaise et la voiture s’écrasa contre un mur. Le chauffeur et le père furent blessés mais survécurent. Claudia, par contre, mourut sur le coup. Lors de la veillée funèbre, Léandre et Vincent prirent dans leurs bras une Marianne en larme et angoissée. Elle prit rapidement distance avec la double embrassade, et se dirigea, d’un pas incertain, vers la chambre ou gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux s’ajoutèrent, dans un silence respectueux, aux personnes tristes.
Passées quelques minutes, Marianne réapparut. Avec une serviette en guise de mouchoir, sécha sa dernière édition de larmes. Les jumeaux la regardèrent de manière inquisitrice, comme s’ils lui demandaient : « Et maintenant, avec lequel ? ». Elle les engloba alors les deux dans une déclaration qui était une sentence irrévocable : « j’espère que vous comprenez que maintenant je ne suis que la moitié de moi-même. Merci d’être venus. Maintenant, allez vous-en. Je ne veux plus jamais vous voir »
Ils s’en allèrent, la tête basse et taciturnes. Une heure plus tard, alors dans leur maison, Léandre prit la parole : « Petit frère, je crois que notre doublage est terminé. Désormais, nous devons nous différencier. Disons que moi je me teints en blond et toi tu te laisses pousser la barbe. Qu’en penses-tu ? »
Vincent acquiesça, d’un air grave, et n’eut de courage que pour commenter : « d’accord. D’accord. Mais je te suggère que demain nous allions chez le photographe pour qu’il prenne notre dernière photo en tant que jumeaux ».

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