dimanche 31 mai 2009

Votre thème du week-end, Vallès

En photo : Marché Jules Vallès par Denis G. 68

MA MÈRE

Ai-je été nourri par ma mère? Est-ce une paysanne qui m'a donné son lait? Je n'en sais rien. Quel que soit le sein que j'ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j'étais tout petit; je n'ai pas été dorloté, tapoté, baisoté; j'ai été beaucoup fouetté. Ma mère dit qu'il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins; quand elle n'a pas le temps le matin, c'est pour midi, rarement plus tard que quatre heures.
Mlle Balandreau m'y met du suif.
C'est une bonne vieille fille de cinquante ans. Elle demeure au-dessous de nous. D'abord elle était contente: comme elle n'a pas d'horloge, ça lui donnait l'heure. « Vlin! Vlan! Zon! Zon! - voilà le petit Chose qu'on fouette; il est temps de faire mon café au lait. » Mais un jour que j'avais levé mon pan, parce que ça me cuisait trop, et que je prenais l'air entre deux portes, elle m'a vu; mon derrière lui a fait pitié.
Elle voulait d'abord le montrer à tout le monde, ameuter les voisins autour; mais elle a pensé que ce n'était pas le moyen de le sauver, et elle a inventé autre chose.
Lorsqu'elle entend ma mère me dire : « Jacques, je vais te fouetter!
- Madame Vingtras, ne vous donnez pas la peine, je vais faire ça pour vous.
- Oh! chère demoiselle, vous êtes trop bonne! » Mlle Balandreau m'emmène; mais, au lieu de me fouetter, elle frappe dans ses mains; moi, je crie. Ma mère remercie, le soir, sa remplaçante.
« A votre service », répond la brave fille, en me glissant un bonbon en cachette.
Mon premier souvenir date donc d'une fessée. Mon second est plein d'étonnement et de larmes.
C'est au coin d'un feu de fagots, sous le manteau d'une vieille cheminée; ma mère tricote dans un coin; une cousine à moi, qui sert de bonne dans la maison pauvre, range, sur des planches rongées, quelques assiettes de grosse faïence avec des coqs à crête rouge, et à queue bleue.
Mon père a un couteau à la main et taille un morceau de sapin; les copeaux tombent jaunes et soyeux comme des brins de rubans. Il me fait un chariot avec des languettes de bois frais. Les roues sont déjà taillées; ce sont des ronds de pommes de terre avec leur cercle de peau brune qui imite le fer... Le chariot va être fini; j'attends tout ému et les yeux grands ouverts, quand mon père pousse un cri et lève sa main pleine de sang.
Il s'est enfoncé le couteau dans le doigt. Je deviens tout pâle et je m'avance vers lui; un coup violent m'arrête; c'est ma mère qui me l'a donné, l'écume aux lèvres, les poings crispés.
« C'est ta faute si ton père s'est fait mal! » Et elle me chasse sur l'escalier noir, en me cognant encore le front contre la porte.
Je crie, je demande grâce, et j'appelle mon père : je vois, avec ma terreur d'enfant, sa main qui pend toute hachée; c'est moi qui en suis cause!
Pourquoi ne me laisse-t-on pas entrer pour savoir? On me battra après si l'on veut. Je crie, on ne me répond pas. J'entends qu'on remue des carafes, qu'on ouvre un tiroir; on met des compresses.
« Ce n'est rien », vient me dire ma cousine, en pliant une bande de linge tachée de rouge. Je sanglote, j'étouffe : ma mère reparaît et me pousse dans le cabinet où je couche, où j'ai peur tous les soirs.
Je puis avoir cinq ans et me crois un parricide.
Ce n'est pas ma faute, pourtant! Est-ce que j'ai forcé mon père à faire ce chariot?
Est-ce que je n'aurais pas mieux aimé saigner, moi, et qu'il n'eût point mal?
Oui - et je m'égratigne les mains pour avoir mal aussi.

Jules Vallès, L'Enfant, 1879.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

THEME MA MERE JULES VALLES

MI MADRE

¿ Fui criado por mi madre ? ¿ Fue una campesina la que me amamantó ? No lo sé. Cualquiera que sea el seno que mordisqueé, no recuerdo una sola caricia del tiempo en que yo era muy niño ; no fui mimado, ni felicitado, ni bisuqueado ; pero me azotaron mucho. Mi madre suele decir que no hay que mimar a los niños y me pega todas las mañanas ; cuando no le da tiempo por la mañana, lo hace a mediodía, raras veces después de las cuatro de la tarde.
La señorita Balandreau me unta la piel con sebo.
Es una bonachona solterona de cincuenta años. Vive en el piso abajo del nuestro.
Al principio estaba contenta : como no tiene reloj, así podía saber la hora.
« ¡ Zas, pim, pam, pum ! – Ya están azotando al chiquillo Chose ; ya es hora de prepararme el café con leche »
Pero un día en que me había levantado los faldones, porque me escocía demasiado, y que estaba tomando el aire entre dos puertas, ella me vio ; mi trasero le dio lástima.
Primero quería enseñárselo a todos, avisar a los vecinos alrededor ; pero pensó que no era la manera adecuada de salvarlo e inventó otra cosa.
Cuando oye a mi madre decir :
- Jacques, te voy a azotar !
- Señora Vingtras, no se moleste, yo lo haré en su lugar
- Oh, querida señorita ¡ Qué amable es usted !
La señorita Balandreau me lleva consigo ; pero, en vez de golpearme, golpea en sus manos ; yo grito. Mi madre da las gracias, por la noche, a su sustituta.
- A su servicio, contesta la buena chica, regalándome un caramelo a hurtadillas.
Mi primer recuerdo se remonta pues a una paliza. El segundo está lleno de asombro y de lágrimas.
Fue junto al fuego de leña, debajo del manto de una vieja chimenea ; mi madre está haciendo punto en un rincón ; una prima mía, que hace de criada en la casa pobre, está colocando sobre unas tablas carcomidas unos platos de loza decorados con gallos de cresta roja y cola azul.
Mi padre tiene una navaja en la mano y está tallando un trozo de abeto ; las virutas van cayendo, amarillas y sedosas como pedacitos de cinta. Me está fabricando un carro con lengüetas de madera verde. Ya están talladas las ruedas ; son rodajas de patatas con su círculo de piel morena que imita el hierro… El carro casi está terminado ; estoy esperando muy emocionado con los ojos abiertos de par en par, cuando mi padre suelta un grito y levanta su mano ensangrentada.
Se clavó la navaja en el dedo. Me pongo muy pálido y me acerco a él ; un golpe violento me detiene ; me lo dio mi madre, con espuma en los labios y los puños crispados.
- Tienes la culpa si se echó daño tu padre ! - y me saca a la escalera oscura, y golpeándome una vez más la frente contra la puerta.
Me pongo a gritar, pido perdón y llamo a mi padre : veo, con mi terror infantil, su mano que cuelga destrozada. ¡ He sido yo el responsable !
¿ Por qué no me dejarán entrar para que sepa lo que pasa ? Que me peguen después si les apetece. Grito, no me contestan. Puedo oír que mueven unos frascos, que abren un cajón ; ponen vendajes.
- No es nada -, acude a decirme mi prima, doblando unos lienzos/paños manchados de rojo. Yo estoy sollozando, me estoy ahogando : vuelve a aparecer mi madre y me empuja al cuarto donde duermo, donde tengo miedo todas las noches.
Con apenas cinco años me imagino un parricida.
¡ Sin embargo, no ha sido culpa mía ! ¿ Acaso habré obligado a mi padre a hacer este carro ?
¿ No hubiera preferido sangrar yo y que no se hiciera daño él ?
Y me araño las manos para sentir dolor yo también.

2 commentaires:

Tradabordo a dit…

Chère Brigitte,
Désolée de te mettre le thème aussi tard… J'étais en promenade au milieu des pins des Landes.

Brigitte a dit…

Tu as eu bien raison de profiter des Landes et du soleil !