lundi 9 mars 2009

Version d'entraînement, 40 (Carmen Laforet)

En photo : Nada_Carmen Laforet par Beatrice Azzurro

Por dificultades en el último momento para adquirir billetes, llegué a Barcelona a medianoche, en un tren distinto del que había anunciado y no me esperaba nadie.
Era la primera vez que viajaba sola, pero no estaba asustada; por el contrario, me parecía una aventura agradable y excitante aquella profunda libertad en la noche. La sangre, después del viaje largo y cansado, me empezaba a circular en las piernas entumecidas y con una sonrisa de asombro miraba la gran estación de Francia y los grupos que se formaban entre las personas que estaban aguardando el expreso y los que llegábamos con tres horas de retraso.
El olor especial, el gran rumor de la gente, las luces siempre tristes, tenían para mí un gran encanto, ya que envolvía todas mis impresiones en la maravilla de haber llegado por fin a una ciudad grande, adorada en mis ensueños por desconocida.
Empecé a seguir —una gota entre la corriente— el rumbo de la masa humana que, cargada de maletas, se volcaba en la salida. Mi equipaje era un maletón muy pesado —porque estaba casi lleno de libros— y lo llevaba yo misma con toda la fuerza de mi juventud y de mi ansiosa expectación.
Un aire marino, pesado y fresco, entró en mis pulmones con la primera sensación confusa de la ciudad: una masa de casas dormidas; de establecimientos cerrados; de faroles como centinelas borrachos de soledad. Una respiración grande, dificultosa, venía con el cuchicheo de la madrugada. Muy cerca, a mi espalda, enfrente de las callejuelas misteriosas que conducen al Borne, sobre mi corazón excitado, estaba el mar.
Debía parecer una figura extraña con mi aspecto risueño y mi viejo abrigo que, a impulsos de la brisa, me azotaba las piernas, defendiendo mi maleta, desconfiada de los obsequiosos camalics.
Recuerdo que, en pocos minutos, me quedé sola en la gran acera, porque la gente corría a coger los escasos taxis o luchaba por arracimarse en el tranvía.
Uno de esos viejos coches de caballos que han vuelto a surgir después de la guerra se detuvo delante de mí y lo tomé sin titubear, causando la envidia de un señor que se lanzaba detrás de él desesperado, agitando el sombrero.
Corrí aquella noche en el desvencijado vehículo, por anchas calles vacías y atravesé el corazón de la ciudad lleno de luz a toda hora, como yo quería que estuviese, en un viaje que me pareció corto y que para mí se cargaba de belleza.
El coche dio la vuelta a la plaza de la Universidad y recuerdo que el bello edificio me conmovió como un grave saludo de bienvenida.
Enfilamos la calle de Aribau, donde vivían mis parientes, con sus plátanos llenos aquel octubre de espeso verdor y su silencio vivido de la respiración de mil almas detrás de los balcones apagados. Las ruedas del coche levantaban una estela de ruido, que repercutía en mi cerebro. De improviso sentí crujir y balancearse todo el armatoste. Luego quedó inmóvil.
—Aquí es —dijo el cochero.
Levanté la cabeza hacia la casa frente a la cual estábamos. Filas de balcones se sucedían iguales con su hierro oscuro, guardando el secreto de las viviendas. Los miré y no pude adivinar cuáles serían aquellos a los que en adelante yo me asomaría. Con la mano un poco temblorosa di unas monedas al vigilante y cuando él cerró el portal detrás de mí, con gran temblor de hierro y cristales, comencé a subir muy despacio la escalera, cargada con mi maleta.
Todo empezaba a ser extraño a mi imaginación; los estrechos y desgastados escalones de mosaico, iluminados por la luz eléctrica, no tenían cabida en mi recuerdo.
Ante la puerta del piso me acometió un súbito temor de despertar a aquellas personas desconocidas que eran para mí, al fin y al cabo, mis parientes y estuve un rato titubeando antes de iniciar una tímida llamada a la que nadie contestó. Se empezaron a apretar los latidos de mi corazón y oprimí de nuevo el timbre. Oí una voz temblona: «¡Ya va! ¡Ya va!».
Unos pies arrastrándose y unas manos torpes descorriendo cerrojos.
Luego me pareció todo una pesadilla.

Carmen Laforet, Nada

***

Traduction officielle de Carmen Laforet, Nada, réalisée par Marie-Madeleine Peignot et Mathilde Pomès, révisée par Maria Guzmán (Bartillat, 2004, pp.15-17) :

Ayant eu, au dernier moment, des difficultés avec mon billet, je n’arrivai à Barcelone qu’à minuit par un autre train que celui que je devais prendre. Personne ne m’attendait.
C’était la première fois que je voyageais seule, mais je n’en étais pas impressionnée, au contraire. Cette profonde liberté dans la nuit avait un goût piquant d’aventure. Après un voyage long et fatigant, le sang recommençait à circuler dans mes jambes engourdies ; je regardais avec un sourire étonné la vaste gare de France, les gens venus attendre l’express et nous, qui arrivions avec trois heures de retard.
L’odeur particulière des gares, leur brouhaha, leurs lumières tristes, avaient pour moi un grand charme. J’étais plongée dans cette merveille : être enfin dans la grande ville adorée en rêve, parce que inconnue.
Je me mis à suivre – goutte dans le courant – le flot humain, chargé de bagages, qui s’écoulait vers la sortie. Le mien consistait en une valise, très grande et très lourde, presque entièrement pleine de livres, que je portais moi-même, avec toute la force de la jeunesse et de mon anxieuse attente.
Un air marin, dense et frais, entra dans mes poumons, avec la première sensation confuse de la ville : une masse de maisons somnolentes, de boutiques fermées, de réverbères pareils à des sentinelles ivres de solitude. Une respiration vaste, laborieuse, venait avec le chuchotement du petit matin. Tout près, dans mon dos, face aux ruelles mystérieuses qui mènent au quartier du Borne, sur mon cœur battant, la mer. Avec mon air rieur et mon vieux manteau qui me battait les jambes, je devais avoir l’allure d’un étrange personnage, en train de défendre sa valise contre les porteurs obséquieux. En quelques minutes, je me trouvai seule sur le vaste trottoir ; les gens se jetaient sur les rares taxis ou se battaient pour s’accrocher aux tramways. Un de ces vieux fiacres qui ont reparu depuis la guerre s’arrêta devant moi ; je montai sans hésiter, au nez d’un brave type qui se mit à courir après désespérément en agitant son chapeau. Le vieux fiacre démantibulé suivait de larges rues vides, traversait le cœur de la ville, débordant à toute heure de lumière – comme j’avais voulu qu’il le fût – le long d’une expédition qui me parut courte et chargée de beauté. Il fit le tour de la place de l’Université (dont le bel édifice m’émut comme un grave salut de bienvenue). Puis nous enfilâmes la rue Aribau, où habitait ma famille. Dans son silence épaissi par les platanes verts, la respiration de mille êtres palpitait derrière les fenêtres sans lumière. Les roues du fiacre laissaient derrière elles un sillage de bruit dont l’écho résonnait dans ma tête. Tout à coup, je sentis grincer et vaciller toute la guimbarde ; puis elle s’immobilisa.
« C’est ici », dit le cocher.
Je levai les yeux sur la maison. Des rangées de fenêtres toutes pareilles, avec leurs rampes en fer sombres, gardaient le secret des logis. Quelles étaient celles où, désormais j’allais me pencher ? D’une main un peu tremblante, je tendis quelques sous au veilleur de nuit. Dans un grand fracas de fer et de vitres, il referma la porte sur moi. Je me mis à monter très lentement, chargée de ma valise. Tout commençait à me devenir étranger. Avec ses marches étroites, usées, recouvertes de carreaux de faïence, brillant sous la lumière électrique, cet escalier n’avait point sa place dans mon souvenir.
Devant la porte de l’appartement, je fus saisie par la crainte soudaine d’éveiller ces inconnus qui étaient malgré tout mes parents. J’hésitai un moment. Je sonnai timidement. Personne ne répondit. Mon cœur se mit à battre plus vite. Je sonnai de nouveau. Une voix chevrotante répondit :
« J’arrive, j’arrive ».
Des pas traînants, des mains maladroites qui tirent le verrou : une vision de cauchemar.


***

A cause de difficultés pour obtenir des billets, j’arrivai à Barcelone à minuit, par un train différent de celui que j’avais annoncé et personne ne m’attendait.
C’était la première fois que je voyageais seule, mais je n’avais pas peur ; bien au contraire, cette totale liberté au beau milieu de la nuit était pour moi une aventure agréable et exaltante. Après ce voyage long et fatigant, le sang circulait à nouveau dans mes jambes engourdies et je regardais avec un sourire ébahi la grande gare de France et les groupes qui se formaient parmi les gens attendant l’express et ceux qui, comme nous, arrivaient avec trois heures de retard.
L’odeur particulière, le brouhaha de la foule, les lumières toujours tristes, exerçaient sur moi une profonde fascination car il y avait là toutes les sensations que représentait pour moi le fait d’être enfin arrivée dans une grande ville, une ville que je vénérais dans mes rêves parce qu’elle m’était inconnue.
Je commençai à suivre – goutte d’eau dans l’océan – le flot de la marée humaine qui, chargée de valises, se ruait vers la sortie. Mes bagages se réduisaient à une grande valise très lourde – car elle était remplie presqu’uniquement de livres – et je la portais moi-même avec toute la force de mon jeune âge et de mes espoirs impatients.
Un air marin, moite et frais, s’engouffra dans mes poumons avec cette première impression confuse de la ville : une masse de maisons endormies, d’établissements fermés, de réverbères tels des sentinelles ivres de solitude. Une respiration profonde, difficile, arrivait avec le chuchotement de l’aube. Tout près, derrière moi, face aux ruelles mystérieuses qui mènent au quartier du Borne, dans mon cœur palpitant, il y avait la mer.
Je devais paraître bizarre avec mon air souriant et mon vieux manteau qui, sous l’effet de la brise, me fouettait les mollets, défendant jalousement ma valise, méfiante des porteurs obséquieux.
Je me souviens qu’en quelques minutes, je me suis retrouvée toute seule sur le trottoir, car les gens couraient pour prendre les rares taxis qu’il y avait, ou bataillaient pour s’entasser dans le tramway.
L’une de ces vieilles voitures à cheval qui avaient réapparu après-guerre s’arrêta devant moi et je la pris sans hésiter, provoquant la jalousie d’un homme qui se mit à courir derrière, désespéré, en agitant son chapeau.
Cette nuit-là, j’ai circulé à bord du véhicule brinquebalant, à travers les larges rues vides et j’ai traversé le cœur de la ville rempli de lumière à toute heure, comme j’avais souhaité qu’il soit, au cours d’un trajet qui me parut bref mais qui pour moi était emprunt d’une grande beauté.
La voiture fit le tour de la Plaza de la Universidad et je me souviens que le bel édifice m’a émue comme un grand signe de bienvenue. Nous avons pris la Calle Aribau où vivaient mes parents : une rue bordée de platanes encore garnis d’une épaisse verdeur en ce mois d’octobre et dont le silence était peuplé du souffle de mille âmes derrière ses balcons sans lumière. Les roues de la voiture soulevaient derrière elles un sillage bruyant qui résonnait dans ma tête. Soudain, je sentis grincer et brinquebaler toute la carriole. Puis elle s’immobilisa.
- C’est là – dit le cocher.
Je levai la tête vers la maison devant laquelle nous nous trouvions. Des rangées de balcons se succédaient, tous identiques, au fer forgé sombre, gardant le secret de leurs appartements. Je les regardai sans pouvoir deviner auxquels de ces balcons je me pencherais dorénavant. La main un peu tremblante, je donnai quelques pièces au gardien et quand celui-ci referma le portail derrière moi, dans un grand fracas de fer et de verre, je commençai à monter très lentement l’escalier, chargée de ma valise.
Tout commençait à devenir étranger à ce que j’avais imaginé ; les marches de faïence, usées et étroites, éclairées par la lumière électrique, ne correspondaient en rien au souvenir que je m’en étais fait.
Devant la porte de l’appartement, une crainte soudaine s’empara de moi : la crainte de réveiller ces inconnus qui étaient pour moi, tout compte fait, ma famille, et j’hésitai un instant avant d’oser un premier et timide coup de sonnette auquel personne ne répondit. Les battements de mon cœur commencèrent à s’accélérer ; j‘appuyai à nouveau sur la sonnette et j’entendis une voix chevrotante : « Voilà ! Voilà ! »
Des pieds traînassant et des mains maladroites ouvrant des verrous.
Après, tout me parut un véritable cauchemar.

***

Odile nous propose sa traduction :

En raison de difficultés, au dernier moment, pour acquérir mes billets, je n'arrivai à Barcelone qu'à minuit, par un train différent de celui que je devais prendre. Personne ne m'attendait.
C'était la première fois que je voyageais seule, mais je n'avais pas peur; bien au contraire, cette profonde liberté dans la nuit me paraissait une aventure agréable et excitante. Après un long et fatiguant voyage, le sang recommençait à circuler dans mes jambes engourdies et je regardais avec un sourire étonné la grande gare de France, les groupes qui se formaient parmi les personnes attendant l'express et nous, qui arrivions avec trois heures de retard.
L'odeur particulière des gares, leur brouhaha, leurs lumières toujours tristes, avaient pour moi un grand charme, car toutes mes impressions baignaient dans le bonheur d'être enfin arrivée dans une grande ville, adorée dans mes rêves parce qu'elle m'était inconnue.
Je me mis à suivre – goutte dans le courant – le flot humain chargé de bagages qui se dirigeait vers la sortie. Le mien consistait en une grande valise, très lourde – remplie presque entièrement de livres- et je la portais moi-même avec toute la force de ma jeunesse et de mon anxieuse attente. Un air marin dense et frais, entra dans mes poumons avec la première impression confuse de la ville : une masse de maisons assoupies, de magasins fermés, de réverbères pareils à des sentinelles ivres de solitude. Une respiration vaste, laborieuse, venait avec le chuchotement de l'aube. Tout près, dans mon dos, face aux ruelles mystérieuses qui mènent au quartier du Borne, sur mon coeur battant, la mer.
Avec mon air souriant, mon vieux manteau qui fouettait mes jambes sous l'effet de la brise, en train de défendre ma valise contre les porteurs obséquieux, je devais paraître étrange. Je me souviens qu'en quelques minutes, je me retrouvais seule sur le large trottoir car les gens couraient prendre les rares taxis ou se battaient pour s'accrocher au tramway.
Une de ces vieilles voitures à chevaux qui ont fait leur réapppartion après la guerre s'arrrêta devant moi et j'y montai sans hésiter, juste au nez d'un homme qui se mit à courir derrière, désespérément et en agitant son chapeau.
Cette nuit-là, dans le vieux véhicule brinquebalant, je passais par de larges rues désertes et traversais le coeur de la ville illuminé à tout heure, comme j'avais souhaité qu'il le fût, au cours d'un trajet qui me parut court et qui, pour moi était plein de beauté.
La voiture fit le tour de la Plaza de la Universidad et je me souviens que le bel édifice m' émut comme un grave salut de bienvenue.
Puis, nous enfilâmes la calle de Aribau, où habitait ma famille, une rue bordée de platanes à l'épais feuillage vert ce mois d'octobre-là, au silence peuplé de la respiration de mille êtres qui vivaient derrière les fenêtres fermées des balcons. Les roues de la voiture laissaient derrière elle un sillage de bruit qui se répercutait dans ma tête. Soudain, je sentis grincer et vaciller tout l'antique véhicule. . Puis il s'immobilisa.
- C'est ici – dit le cocher.
Je levai les yeux vers la maison face à laquelle nous nous trouvions. Des rangées de balcons,
tous identiques avec leurs sombres ferronneries, gardaient le secret des demeures. Je les regardai et ne pus deviner quels seraient ceux où désormais je me pencherais. D'une main un peu tremblante, je tendis quelques pièces au gardien et tandis qu'il refermait la porte derrière moi dans un grand fracas de fer et de vitres, je me mis à monter lentement les escaliers, chargée de ma lourde valise.
Tout commençait à me devenir étranger; les marches recouvertes de carreaux de faiënce, étroites et usées, éclairées par la lumière électrique, n'avaient pas leur place dans mon souvenir. Devant la porte de l'appartement, je fus saisie par la crainte subite de réveiller ces inconnus, qui pourtant étaient mes parents, et pendant un instant j'hésitai avant d'oser un timide coup de sonnette auquel personne ne répondit. Les battements de mon coeur s'accélérèrent et je sonnai de nouveau. J'entendis une voix chevrotante: « J'arrive! J'arrive! »
Des pas traînants, des mains maladroites qui tiraient les verrous. Puis, tout me parut un cauchemar.

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