dimanche 16 août 2009

Votre thème du week-end, Denon

En photo : Vivant Denon - Père Lachaise, par Gaëlle CLOAREC

J’aimais éperdument la Comtesse de *** ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elle était amie de madame de T..., qui semblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra, madame de T... avait des principes de décence auxquels elle était scrupuleusement attachée.
Un jour que j’allais attendre la Comtesse dans sa loge, je m’entends appeler de la loge voisine. N’était-ce pas encore la décente madame de T... ? « Quoi ! déjà ! me dit-on. Quel désoeuvrement ! Venez donc près de moi. » J’étais loin de m’attendre à tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et d’extraordinaire. On va vite avec l’imagination des femmes, et dans ce moment, celle de madame de T... fut singulièrement inspirée. « Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d’une pareille solitude ; puisque vous voilà, il faut... L’idée est excellente. Il semble qu’une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir ? Ils seraient vains, je vous en avertis ; point de questions, point de résistance... appelez mes gens. Vous êtes charmant. » Je me prosterne... on me presse de descendre, j’obéis. « Allez chez Monsieur, dit-on à un domestique ; avertissez qu’il ne rentrera pas ce soir... » Puis on lui parle à l’oreille, et on le congédie. Je veux hasarder quelques mots, l’opéra commence, on me fait taire : on écoute, ou l’on fait semblant d’écouter. À peine le premier acte est-il fini, que le même domestique rapporte un billet à madame de T..., en lui disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant d’avoir pu m’informer de ce qu’on voulait faire de moi.
Chaque fois que je hasardais une question, on répondait par un éclat de rire. Si je n’avais bien su qu’elle était femme à grandes passions, et que dans l’instant même elle avait une inclination, inclination dont elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit, j’aurais été tenté de me croire en bonne fortune. Elle connaissait également la situation de mon coeur, car la Comtesse de *** était, comme je l’ai déjà dit, l’amie intime de madame de T... Je me défendis donc toute idée présomptueuse, et j’attendis les événements. Nous relayâmes, et repartîmes comme l’éclair. Cela commençait à me paraître plus sérieux.

Vivant Denon, Point de lendemain, 1777.

***

Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Yo quería sumamente a la Condesa de *** ; yo tenía veinte años, y era ingenuo ; me engañó ; me enfadé ; me abandonó. Era ingenuo, la eché de menos ; yo tenía veinte años, me pardonó ; y como yo tenía veinte años, que era cándido, aún engañado, pero ya no abandonado, yo me creía el amante mejor querido, de ahí el hombre más feliz. Ella era amiga de la señora de T..., que parecía tener algunos proyectos acerca de mi persona, pero sin que su dignidad fuera comprometida. Como lo veremos, la señora de T... tenía principios de decencia a los que estaba escrupulosamente atada.
Un día en que yo iba a esperar a la Condesa en su palco, oí que se me estaba llamando del palco vecino. ¿ No era de nuevo la decente señora de T... ? « ¡ Ya está ! se me dice. ¡ Qué ociosidad ! Venga cerca de mí. » Yo estaba lejos de expectar todo lo novelesco y extraordonario de aquel encuentro. La imaginación de una mujer le lleva de prisa a uno, y en aquel momento, la de la señora de T... fue singularmente inspirada. « Hace falta, me dijo, que le salve lo ridículo de tal soledad ; ya que aquí está, hace falta... La idea es excelente. Parece que una mano divina le ha conducido aquí. ¿ Tendría por casualidad algunos proyectos para esta tarde ? Serán vanos, le advierto ; ni preguntas, ni resistencia... llame a mis criados. Usted es un encanto. » Me prosterno... se me apresura para que yo baje, obedezco. « Vaya a la casa del señor, se le dice a un criado ; advierta que él no regresará a casa esta tarde... » Luego se le habla al oído, y se le despide. Quiero aventurar algunas palabras, la ópera empieza, se me hace callar : se escucha, o se finge escuchar. Apenas acabado el primer acto el mismo criado trae un billete a la señora de T..., diciéndole que todo está listo. Ella sonríe, me pide la mano, baja, me hace entrar en su coche, y ya estoy fuera de la ciudad antes de haber podido informarme acerca de lo que se quería hacer conmigo.
Cada vez que yo aventuraba una pregunta, se me contestaba por una carcajada. Si no hubiera sido convencido de que era mujer de grandes pasiones, y de que en el mismo instante ella tuviera una inclinación de la que no podía ignorar que fuera instruido, yo habría sido tentado de creerme afortunado. Ella conocía también el estado de mi corazón, ya que la Condesa de *** era, como ya lo he dicho, la amiga íntima de la señora de T... Por lo tanto, me prohibí cualquier idea presuntuosa, y esperé los acontecimientos. Arrancamos, y seguimos como un relámpago. Eso empezaba a parecerme más serio.


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