vendredi 25 septembre 2009

Votre version de la semaine, Unamuno

En photo : Vers de Miguel de Unamuno, par papagenosi

Era a Rosa y no a su hermana Gertrudis,que siempre salía de casa con ella,a quien ceñían aquellas ansiosas miradas que les enderezaba Ramiro. O por lo menos, así lo creían ambos, Ramiro y Rosa, al atraerse el uno al otro.
Formaban las dos hermanas, siempre juntas, aunque no por eso unidas siempre, una pareja al parecer indisoluble, y como un solo valor. Era la hermosura espléndida y algún tanto provocativa de Rosa, flor de carne que se abría a flor del cielo a toda luz y todo viento, la que llevaba de primera vez las miradas a la pareja ; pero eran luego los ojos tenaces de Gertrudis los que sujetaban a los ojos que se habían fijado en ellos y los que a la par les ponían raya. Hubo quien al verlas pasar preparó algún chicoleo un poco más subido de tono;mas tuvo que contenerse al tropezar con el reproche de aquellos ojos de Gertrudis, que hablaban mudamente de seriedad. « Con esta pareja no se juega»,parecía decir con sus miradas silenciosas.
Y bien miradas y de cerca aún despertaba más Gertrudis el ansia de goce. Mientras su hermana Rosa abría espléndidamente a todo viento y toda luz la flor de su encarnadura, ella era como un cofre cerrado y sellado en que se adivina un tesoro de ternuras y delicias secretas.
Pero Ramiro,que llevaba el alma toda a flor de los ojos,no creyó ver más que a Rosa,y a Rosa se dirigió desde luego.
-¿Sabes que me ha escrito? -le dijo ésta a su hermana.
-Sí,vi la carta.
-¿Cómo? ¿Que la viste? ¿Es que me espías?
-¿Podía dejar de haberla visto? No,yo no espío nunca,ya lo sabes,y has dicho eso no más que por decirlo...
-Tienes razón,Tula,perdónamelo.
-Sí,una vez más,porque tú eres así.Yo no espío,pero tampoco oculto nunca nada.Vi la carta.
-Ya lo sé ; ya lo sé...
-He visto la carta y la esperaba.
-Y bien,¿qué te parece de Ramiro?
-No le conozco.
-Pero no hace falta conocer a un hombre para decir lo que le parece a una de él.
-A mí,sí.
-Pero lo que se ve,lo que está a la vista...
-Ni de eso puedo juzgar sin conocerle.
-¿Es que no tienes ojos en la cara?
-Acaso no los tenga así... ; ya sabes que soy corta de vista.
-¡Pretextos! Pues mira,chica,es un guapo mozo.
-Así parece.
-Y simpático.
-Con que te lo sea a ti,basta.
-¿Pero es que crees que le he dicho ya que sí?
-Sé que se lo dirás al cabo,y basta.
-No importa;hay que hacerle esperar y hasta rabiar un poco...
-¿Para qué?
-Hay que hacerse valer.
-Así no te haces valer,Rosa;y ese coqueteo es cosa muy fea.
-De modo que tú...
-A mí no se me ha dirigido.
-¿Y si se hubiera dirigido a ti?
-No sirve preguntar cosas sin sustancia.
-Pero tú,si a ti se te dirige,¿qué le habrías contestado?
-Yo no he dicho que me parece un guapo mozo y que es simpático,y por eso me habría puesto a estudiarle...
-Y entretanto se iba a otra...
-Es lo más probable.
-Pues así,hija,ya puedes prepararte...
-Sí,a ser tía.
-¿Cómo tía?
-Tía de tus hijos,Rosa.
-¡Eh,quécosas tienes! -y se le quebró la voz.
-Vamos, Rosita,no te pongas así,y perdóname -le dijo dándole un beso.
-Pero si vuelves...
-¡No,no volveré!
-Y bien,¿qué le digo?
-¡Dile que sí!
-Pero pensará que soy demasiado fácil...
-¡Entonces dile que no!
-Pero es que...
-Sí, que te parece un guapo mozo y simpático. Dile, pues, que sí y no andes con más coqueterías, que eso es
feo.Dile que sí.Después de todo,no es fácil que se te presente mejor partido.Ramiro está muy bien,es hijo solo.
-Yo no he hablado de eso.
-Pero yo hablo de ello,Rosa,y es igual.
-¿Y no dirán,Tula,que tengo ganas de novio? -Y dirán bien.
-¿Otra vez,Tula?
Y ciento. Tienes ganas de novio y es natural que las tengas.¿Para qué si no te hizo Dios tan guapa?
-¡Guasitas no!
Ya sabes que yo nome guaseo. Parézcanos bien o mal, nuestra carrera es el matrimonio o el convento ; tú no tienes vocación de monja; Dios te hizo para el mundo y el hogar, vamos, para madre de familia... No vas a quedarte a vestir santos.Dile,pues,que si.
-¿Y tú?
-¿Cómo yo?
-Que tú,luego...
-A mí déjame.
Al día siguiente de estas palabras estaban ya en lo que se llaman relaciones amorosas Rosa y Ramiro.
Lo que empezó a cuajar la soledad de Gertrudis.

Miguel de Unamuno, La tía Tula.

***

Sonita nous propose sa traduction :

C’était Rosa, et non pas sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours de la maison avec elle, à qui étaient destinés ces regards langoureux que Ramiro leur jetait. Ou du moins, le croyaient-ils, Ramiro et Rosa, en se faisant les yeux doux.
Les deux sœurs, faisaient, toujours ensemble, mais pas pour autant toujours unies, un couple qu’on aurait dit inséparable, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait à la fleur du ciel dans toute sa splendeur et à tout va à qui étaient destinés au prime abord tous les regards que le couple recevait ; mais ensuite, c’étaient les yeux tenaces de Gertrudis qui soutenaient les regards qui s’étaient arrêtés sur eux et par là même elle les tenait à carreaux. Il y en eût, qu’en les voyant passer, préparât un quelconque compliment plus osé ; mais il dut se contenir en se heurtant au reproche dans les yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de sérieux. « Avec nous, on ne joue pas », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
En y regardant bien et de près c’est Gertrudis qui éveillait le plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur ouvrait aux quatre vents et à tout va dans toute sa splendeur la fleur de sa jeunesse, Gertrudis, elle, était comme un coffre-fort fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et délices secrètes.
Mais, Ramiro, qui avait tout son âme à fleur des yeux, ne crût pas en voir une autre que Rosa, alors c’est à Rosa qu’il s’est adressé.
Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit celle-ci à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment ça, tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
Est-ce que je pouvais ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit cela juste comme ça…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas et je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
Je le sais bien, je le sais bien…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et bien, qu’en dis-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais on n’a pas besoin de connaître un homme pour dire comment on le trouve.
Moi oui.
Mais, je parle de ce qu’on voit, de ce qui est là, aux yeux de tous.
Je ne peux pas non plus juger de cela sans le connaître.
Tu n’as pas des yeux sur la figure ?
Peut-être que je ne les ai pas de cette manière là… tu sais bien que je suis myope.
Prétextes ! Et bien écoute ma vieille, c’est un beau garçon.
On dirait, oui
Et sympathique.
Qu’il le soit pour toi c’est tout ce qui importe.
Mais, crois-tu que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le lui diras au bout du compte et ça me suffit.
Passons, il faut le faire attendre et même l’embêter un peu…
Pourquoi faire ?
Il faut se faire valoir.
Tu ne te fais pas valoir comme ça Rosa et flirter de la sorte c’est une chose très moche.
Donc tu…
Il ne s’est pas adressé à moi.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de me demander des choses sans queue ni tête.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, qu’es-ce que tu lui aurais répondu ?
Moi je n’ai pas dit qu’il était beau garçon ni qu’il était sympathique, et que pour cette raison je m’étais mise à le jauger.
Et, pendant ce temps-là il s’en va avec une autre…
C’est très probable, oui.
Bon alors, ma fille, tu peux d’ores et déjà commencer à te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça tante ?
La tante de tes enfants Rosa.
Oh ! Tu as de ces choses ! – et sa voix se cassa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, et pardonne-moi – lui dit-elle en l’embrassant.
Mais si tu redis…
Non, je ne le redirai pas.
Et bien, qu’est-ce que je lui dis alors ?
Dis-lui oui !
Mais, il pensera que je suis trop facile…
Alors, dis-lui non.
Mais…
Oui, tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui donc oui et laisse tomber les minauderies car ce n’est pas bien ça. Dis-lui oui. Après tout ce n’est pas facile qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi oui, je parle de ça Rosa, et c’est la même chose.
Et, Tula, les gens ne diront pas que j’ai envie d’un petit-ami ?
Et ils auront bien raison.
Encore Tula ?
Et cent fois. Tu as envie d’avoir un petit-ami et c’est normal que tu en aies envie. Pourquoi alors Dieu t’a faite si belle ?
Arrête de rigoler, non !
Tu sais bien que je ne rigole pas. Que cela nous semble bien ou pas notre carrière c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, allons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas aller vêtir des saints. Eh bien, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment ça, moi ?
Et bien toi, après…
Ne t’en fais pas pour moi.
Au lendemain de ces mots Rosa et Ramiro se fréquentaient déjà dans ce qu’on appelle une relation amoureuse.
Ce qui commença à creuser la solitude de Gertrudis.

***

Chloé nous propose sa traduction :

C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours avec elle, qu’étaient dirigés les regards plein de désir que Ramiro leur adressait. Ou du moins, c’est ce qu’ils croyaient tout les deux, Ramiro et Rosa, car ils étaient attirés l’un par l’autre. Les deux sœurs, toujours ensembles, bien que pas forcement toujours unies, formaient un couple qui semblait indissociable, comme une seule personne. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait au ciel, à toute lumière et à tout vent, qui attirait en premier les regards sur le couple; mais ensuite, c’était les yeux tenaces de Gertrudis qui dominaient les yeux qui fixaient les siens et qui les maintenaient à distance du couple. Quelque uns, en les voyant passer, avaient préparé quelques compliments un peu plus osés ; mais ils avaient dû les retenir, se heurtant aux reproches des yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de choses sérieuses. « On ne joue pas avec nous », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
Et à y regarder de plus près, Gertrudis éveillait encore plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement à tout vent et à toute lumière la fleur de sa chair, elle, elle était comme un coffre fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et de délices secrets.
Mais Ramiro, qui avait toute son âme dans les yeux, ne vit rien d’autre que Rosa, et c’est à Rosa qu’il s’adressa de suite.
Sais-tu qu’il m’a écrit ?- dit cette dernière à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment, tu l’a vue ? Tu m’espionnais ?
Est-ce que je pouvais la manquer ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça juste pour le dire…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, encore une fois, parce que tu es comme ça. Moi, je n’espionne pas, mais je ne cache rien non plus. J’ai vu la lettre.
Oui je sais, je sais…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et donc, que penses-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour dire ce que l’on pense de lui.
Pour moi, si.
Mais ce qui se voit, à première vue…
Même ça je ne peux le juger sans le connaître.
Mais, tu n’as donc pas les yeux en face des trous ?
Peut-être… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
Des prétextes ! Et bien, vois-tu, ma chère c’est un beau garçon.
C’est ce qu’il paraît être.
Et sympathique.
Du moment qu’il l’est pour toi, ça suffit.
Mais, c’est que tu penses que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le diras au bout du compte, et ça suffit.
Peu importe ; faut le faire attendre, et même un peu rager…
Pourquoi ?
Il faut se donner de la valeur.
C’est pas comme ça que tu vas te donner de la valeur, Rosa ; et ce flirt c’est quelque chose de très vilain.
Alors toi, tu…
Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de demander des choses sans fondement.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu ?
Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon et sympathique, et donc, je me serais mise à l’étudier…
Et entre-temps il serait allé vers une autre…
C’est fort probable.
Donc, ma chère, tu peux déjà te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça, tante ?
La tante de tes enfants, Rosa.
Mais, t’en as de ces idées !- sa voix se brisa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, pardonne-moi – lui répondit-elle en l’embrassant.
Mais si tu recommences…
Non, je ne recommencerai pas !
Bon alors, qu’est-ce que je lui dit ?
Dis-lui oui !
Mais il va penser que je suis une fille trop facile…
Alors, dis-lui non !
Mais c’est que…
Oui, tu le trouve beau garçon et sympathique. Dis-lui oui alors, et arrête avec des minauderies, parce que c’est vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas facile de trouver un meilleur parti. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi j’en parle, Rosa, c’est pareil.
Mais, Tula, ne dira-t-on pas que je cherche un fiancé ?
Et ils auront raison.
Encore, Tula ?
Et même cent fois. Tu as envie de trouver un fiancé et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’aurait-il faite aussi belle ?
Te moque pas de moi !
Tu sais bien que je me moque pas de toi. Que ça nous semble bon ou mauvais, notre avenir c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne Dieu t’as faite pour le monde et le foyer, pour être mère de famille…Tu ne vas pas finir vieille fille. Alors, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment, moi ?
Et toi, après…
Moi, laisse-moi.
Le jour suivant cette conversation, Rosa et Ramiro étaient, comme on dit, en relations amoureuses.
Ce qui commença à figer la solitude de Gertrudis.

***

Amélie nous propose sa traduction :

C’était Rosa, et non sa sœur Gertrudis – qui sortait toujours de la maison en sa compagnie – que les regards avides de Ramiro embrassaient. Ou, du moins, voilà ce qu’ils croyaient tous les deux, puisqu’ils étaient attirés l’un par l’autre.
Les deux sœurs, toujours ensembles, mais pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissoluble, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocatrice de Rosa, fleur de chair qui s’épanouissait en fleur du ciel, en plein jour et en plein air, qui attirait la première les regards sur le couple ; mais, par la suite, c’était le regard obstiné de Gertrudis qui assujettissait les yeux qui l’avaient croisé, et qui, par là même, leur fixait des limites. Certains, les voyant passer, avaient préparé quelque compliment un peu plus osé ; mais ils durent se retenir en se heurtant aux fameux yeux réprobateurs de Gertrudis, qui, sans un mot, évoquaient le sérieux. « Avec nous, on rigole pas » semblait-elle dire de ses regards silencieux.
Et en y regardant bien, et de plus près, Gertrudis éveillait encore plus la soif de plaisir. Tandis que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement la fleur de ses formes charnues, en plein jour et en plein air, elle était comme un coffre fermé et scellé où l’on devine un trésor de tendresse et de délicieux secrets.
Mais Ramiro, dont l’âme tout entière se trouvait dans les yeux, ne crut voir que Rosa, Rosa à qui il s’adressa, bien entendu.
« Tu sais qu’il m’a écrit ? demanda celle-ci à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Quoi ? Comment ça tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
- Je pouvais feindre de ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça rien que pour dire quelque chose…
- Tu as raison Tula, excuse-moi.
- D’accord, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Je sais bien ; je sais bien…
- J’ai vu la lettre et je m’y attendais.
- Et, alors, t’en penses quoi de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour qu’une fille dise ce qu’elle en pense.
- Pour moi, si.
- Mais ce qui se voit, ce qui est visible aux yeux de tous…
- Même ça je ne peux en juger sans le connaître.
- Tu n’as pas les yeux en face des trous ou quoi ?
- Peut-être que non… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Prétextes ! Eh bien, figure-toi, ma chère, qu’il est beau garçon.
- Il paraît, oui.
- Et sympathique.
- Tant qu’il l’est pour toi, ça me va.
- Mais c’est que tu crois que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu le lui diras au bout du compte, c’est tout.
- Aucune importance ; il faut le faire attendre, voire le faire enrager un peu…
- Pourquoi ?
- Il faut se faire valoir.
- Ce n’est pas comme ça que tu te fais valoir, Rosa ; et ce flirt est une chose très vilaine.
- De sorte que tu…
- Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
- Et si c’était à toi qu’il s’était adressé ?
- Ça ne sert à rien de poser des questions qui n’ont pas lieu d’être.
- Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu?
- Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon ni qu’il était sympathique, je me serais donc mise à l’étudier…
- Et, entre temps, il serait parti avec une autre…
- C’est fort probable.
- Eh bien, ma chère, tu peux donc déjà te préparer…
- Oui, à devenir tante.
- Comment ça, tante ?
- La tante de tes enfants, Rosa.
- Eh, tu en as de ces idées ! Sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état, et excuse-moi, lui dit-elle en l’embrassant.
- Mais si tu recommences…
- Non, non, je ne recommencerai pas !
- Et alors, je lui dis quoi ?
- Tu lui dis oui !
- Mais il pensera que je suis une fille facile…
- Alors tu lui dis non !
- Oui mais c’est que…
- Oui, c’est que tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui oui, dans ce cas, et arrête donc de minauder, c’est moche. Dis-lui oui. Après tout, ce n’est pas sûr qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Mais moi j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et les gens ne diront pas que j’ai envie d’avoir un petit ami ?
- Et ils auront raison.
- Encore Tula ?
- Cent fois raison. Tu as envie d’avoir un petit ami et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’a‑t‑il fait si jolie ?
- Plaisante pas !
- Tu sais bien que je ne plaisante pas. Que ça nous plaise ou pas, notre destin est le mariage ou le couvent ; toi, tu n’as pas une vocation de bonne sœur ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, disons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas rester vieille fille. Alors, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Quoi, moi ?
- Eh bien toi, après…
- Moi, oublie-moi. »
Le lendemain de cette conversation, Rosa et Ramiro entretenaient déjà ce que l’on appelle relations amoureuses.
Ce qui posa les bases de la solitude de Gertrudis.

***

Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, toujours à ses côtés au sortir de la maison, qu’étaient destinés les regards avides que leur adressait Ramiro. Ou, du moins, c’était ce que, dans leur attirance réciproque, Ramiro et Rosa croyaient tous les deux.
Les deux sœurs qui étaient toujours ensemble, même si elles n’en étaient pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissociable, et cela étant, représentaient une valeur unique. C’était la splendide beauté un tantinet provocatrice de Rosa, fleur de chair s’épanouissant vers le ciel à tous vents, qui attirait au premier abord les regards sur ce couple ; c’étaient ensuite les yeux tenaces de Gertrudis qui retenaient ceux qui s’étaient fixés sur eux tout en leur opposant une ferme résistance. Il y en eut certains pour préparer, sur leur passage, un compliment un peu plus osé ; mais ils durent le réprimer en trébuchant sur le reproche formulé par les incroyables yeux de Gertrudis, qui exprimaient muettement tout le sérieux possible. « On ne joue pas avec ce couple », semblait-elle dire par ses regards silencieux.
À y regarder de près, Gertrudis aiguisait davantage l’appétit des sens. Alors que sa sœur Rosa offrait à tous vents la splendide fleur de sa chair, Gertrudis, elle, était comme un écrin fermé et scellé dans lequel on devine un trésor de tendresses et de délices secrètes.
Mais Ramiro, qui avait l’âme entière au bord des yeux, ne crut voir que Rosa, et c’est vers Rosa qu’il se dirigea bien évidemment.
- Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit-elle à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Comment ? Tu l’as vu ? Tu m’espionnes en douce ?
- Comment aurais-je pu ne pas la voir ? Non, je n’espionne jamais personne, tu le sais bien, et tu dis ça juste pour dire quelque chose...
- Tu as raison, Tula, pardon.
- Oui, une fois de plus ; tu ne changes pas. Je n’espionne personne, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Oui, je sais, je sais...
- J’ai vu la lettre et je l’attendais.
- Et alors, que penses-tu de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il ne faut pas connaître un homme pour dire ce qu’on en pense.
- Moi, si.
- Mais, d’après ce qu’on en voit, ce qui saute aux yeux...
- Je ne peux pas juger de ça non plus sans le connaître.
- Tu n’as pas d’yeux sur le visage ou quoi ?
- Peut-être que je n’en ai pas pour ce genre de choses... ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Des excuses ! Eh bien, ma foi, sœurette, c’est un beau garçon.
- On dirait bien.
- Et sympathique avec ça.
- Pourvu qu’il te le soit, à toi, c’est suffisant.
- Mais ne serais-tu pas en train de croire que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu finiras par le lui dire, voilà tout.
- Peu importe ; il faut le faire attendre et même enrager un peu...
- Pour quoi faire ?
- Pour se faire désirer.
- Ce n’est pas une manière de faire, Rosa ; et cette coquetterie est bien vilaine.
- Alors comme ça, toi...
- Ce n’est pas à moi que la lettre a été adressée.
- Et si c’était à toi ?
- Il ne sert à rien de se poser des questions sans importance.
- Mais si c’était à toi qu’elle était adressée, que lui aurais-tu répondu ?
- Moi, je n’ai pas dit qu’il me faisait l’effet d’un beau garçon, sympathique de surcroît, c’est pourquoi j’aurais pris le temps d’étudier la question...
- Et pendant ce temps-là, il se serait intéressé à une autre...
- C’est fort probable.
- Eh bien, tu vois, ma petite, tu peux déjà te préparer...
- Oui, à devenir tata.
- Comment ça, tata ?
- La tata de tes enfants, Rosa.
- Eh, comment tu y vas ! – et sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans un état pareil, pardon – lui dit-elle en lui donnant un baiser.
- Mais, si tu recommences...
- Non, je ne recommencerai pas !
- Bon, qu’est-ce que je lui dis ?
- Dis-lui oui !
- Mais il pensera que je cède trop facilement...
- Alors, dis-lui non !
- Mais, c’est que...
- Quoi ? Tu le trouves beau, sympathique... Alors, dis-lui oui, et ne fais pas la coquette, c’est très vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas sûr qu’un meilleur parti se présente à toi. Ramiro est vraiment très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Eh bien, moi, j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et on ne va pas dire, Tula, que j’ai envie d’avoir un fiancé ?
- Ce serait bien parlé.
- Tu ne vas pas recommencer, Tula ?
- Si, j’y compte bien. Tu as envie d’avoir un fiancé et c’est naturel. Pourquoi Dieu t’a faite si jolie, alors ?
- Arrête ton char !
- Tu sais bien que je ne me moque pas de toi. Écoute, que cela nous semble bien ou mal, nous nous destinons au mariage ou au couvent ; or, tu n’as pas vocation à être nonne ; Dieu t’a faite pour fréquenter le monde et fonder un foyer, vois-tu, pour être mère de famille... Tu ne vas pas rester vieille fille. Par conséquent, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Eh bien, quoi, moi ?
- Toi, après...
- Moi, laisse-moi tranquille.
Le jour suivant cette discussion, Rosa et Ramiro étaient déjà engagés dans ce que l’on appelle des relations amoureuses.
Ce qui commença à sceller la solitude de Gertrudis.

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