jeudi 10 septembre 2009

Entretien avec une traductrice, Marianne Millon, par Amélie Rioual

En photo : Marianne Millon

1. Comment êtes-vous venu à la traduction ?
J’ai toujours lu de la littérature étrangère, traduite ou dans sa langue originale (anglais, espagnol), et c’est un métier que j’ai envisagé de faire très tôt, vers 15 ou 16 ans. J’ai donc suivi les classes prépa (HK et KH), passé le CAPES d’espagnol, et longtemps mené de front l’enseignement et la traduction, ce qui m’a permis de prendre des contacts avant d’arrêter l’enseignement et de me consacrer à la traduction.

2. Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
La même chose que de mes dernières traductions : quand on relit un texte, on voit beaucoup de choses que l’on changerait avec le recul, si l’on en avait la possibilité. C’est également ce que me disent les auteurs, mais c’est rarement le cas, même s’il y a réimpression de l’ouvrage. Je pense mieux traduire qu’à mes débuts, car j’ai acquis une certaine expérience, mais il faut se dire qu’à chaque traduction on se remet en question, c’est un métier où l’on n’arrête pas de s’interroger, rien de pire que les certitudes et les « trucs » que l’on appliquerait de façon systématique.

3. Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
Je pense que s’il a évolué sur le plan technique, car on dispose d’instruments qui n’existaient pas il y a une quinzaine d’années, comme internet, les forums de discussion et le mail pour poser des questions aux auteurs, il est toujours basé sur un rapport de confiance réciproque avec les éditeurs et, dans mon cas, sur la prospection constante d’auteurs que je propose régulièrement.

4. Voyez-vous d’importantes différences entre la traduction de théâtre et de roman ?
Je n’ai pas encore traduit de théâtre, mais je sais par des collègues et amis qui travaillent dans ce domaine que le texte, s’il est joué, peut être retravaillé avec le metteur en scène et les comédiens, dans la mesure où il sera dit et entendu, et non simplement lu comme pour les romans.

5. Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Généralement bons car je travaille régulièrement pour les mêmes (Corti, Actes Sud), et puis on apprend à ne pas/plus travailler avec ceux qui ne respectent pas une rémunération correcte et dans les délais où qui s’avèrent trop intrusifs au moment de la relecture, c’est-à-dire qui ne respectent ni le texte original ni votre traduction.

6. Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ?
Dans la mesure où je traduis des auteurs vivants, je prends généralement contact avec eux en cours de traduction, par mail, pour leur poser quelques questions sur les intentions d’un personnage, la tonalité d’une scène ou des points précis de vocabulaire que je n’ai pas réussi à préciser, et je les rencontre généralement à un moment donné de mon travail. Certains sont devenus des amis, en général des auteurs que je traduis régulièrement (Alicia Giménez-Bartlett, José Carlos Somoza, José Ovejero).

7. Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
La découverte de l’œuvre de José Carlos Somoza, que je traduis depuis une dizaine d’années, que je rencontre régulièrement, et qui se renouvelle complètement à chaque roman, dans la thématique, le traitement du sujet et même l’écriture.

8. Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que vous auriez aimé traduire ?
Oui, beaucoup, dans les deux cas, des textes que j’ai proposés et qui n’ont pas été retenus par les éditeurs, ou que j’ai découverts trop tard pour les traduire moi-même. Dans les deux cas, c’est une frustration, largement compensée par les auteurs que j’ai pu découvrir et traduire par la suite.

9. Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Je n’aime pas particulièrement le terme de passeur, auquel je préfère celui d’interprète. Je considère que le traducteur est un auteur dans sa langue, il est d’ailleurs rémunéré en droits d’auteur. Même s’il s’agit d’une « création au deuxième degré », car l’auteur étranger reste bien sûr le créateur original, il s’agit bien d’une création, d’une recréation, de même que, dans le domaine musical, je considère le musicien qui interprète la partition originale comme un véritable créateur, qui ne se contente pas d’aligner des notes, à tel point que deux traducteurs ou deux musiciens ne feront pas entendre la même musique.

10. Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Et si oui, quel lecteur ?
Le temps de traduction étant beaucoup plus important que le temps de lecture moyen, ma lecture s’attache non seulement à l’histoire, mais aussi à la construction, au traitement des personnages, aux modes de narrations, aux termes employés, aux imprécisions et incohérences éventuelles. Quand on « décortique » un texte pendant des mois, voire des années, on n’a forcément plus la même lecture, qui se nourrit de la réflexion que l’on a pu avoir en cours de travail, et l’enrichit. Mais au cours de ma première lecture du texte, j’essaie de rester spontanée, de ne pas trop réfléchir, pour me laisser porter et emporter.

11. Question « subsidiaire » : Quel conseil pourriez-vous donner à un apprenti traducteur ou une apprentie traductrice ?
Je crois que chaque expérience est personnelle, mais mon conseil pourrait être de bien cibler le genre de texte qu’ils vont vouloir traduire : contemporains ou non, d’un pays précis, d’un genre précis, pour quel éditeur et dans quelles conditions (bien vérifier les termes des contrats, en particulier en terme de rémunération, de délais de remise etc). Proposer eux-mêmes des textes qui les ont touchés, assortis d’une note de lecture voire de quelques pages de traduction, ou de faire des lectures pour un éditeur qui pourra ensuite leur confier une traduction.

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