dimanche 10 avril 2011

Entretien avec Marie Christine Vila (traductrice du catalan et de l'espagnol), réalisé par Julie Sanchez

1) Je me demandais d'abord comment vous en étiez venue à la traduction ?
Française et catalane (donc de nationalité française et espagnole), j’ai toujours évolué dans les deux langues, trois en réalité avec le castillan, et je traduisais depuis longtemps occasionnellement. J’ai décidé, il y a quelques années, de me lancer professionnellement dans la traduction par goût de la littérature, un peu déçue peut-être de ne pas voir davantage de littérature catalane traduite en français. Étonnée également de constater que, dans certains cas, les romans catalans étaient en réalité traduits en français à partir de leur traduction en espagnol.

2) Quelle était votre première traduction et quelle image en avez-vous gardée aujourd'hui ?
Ma première traduction littéraire publiée était Un regard innocent [Amb ulls de nena] d’Encarnació Martorell, publié aux éditions Anne-Marie Métailié. J’ai aimé traduire ce journal de la guerre civile en Espagne, rédigé par une petite fille âgée de 12 ans en 1936, un texte difficile à traduire à de multiples égards, mais principalement parce qu’il fallait réussir à conserver une écriture d’enfant (remarquablement correcte et inspirée) et suivre son évolution dont le rythme était imposé à la fois par les circonstances historiques violentes et douloureuses (l’obligation de « grandir » à une vitesse effrayante) et par l’entrée dans l’adolescence.

3) Comment choisissez-vous les textes que vous traduisez? (si vous les choisissez)
L’honnêteté m’oblige à dire que je ne croule pas sous les propositions de traduction du catalan ! Et que je n’ai pas non plus de longues années d’expérience en ce domaine. Par ailleurs, c’est un luxe qui n’est pas si souvent offert, je crois, à la majorité des traducteurs. La situation la plus fréquente consiste à accepter ou non une traduction (sachant qu’il faut gagner sa vie, et que l’on accepte parfois pour cette raison). Pour en revenir aux critères de choix, et dans le cas où je propose à des éditeurs des livres dont je pense qu’ils devraient être traduits en français, le critère principal est tout simplement la qualité intrinsèque de l’ouvrage. Quel bonheur de passer ses journées en compagnie d’un bon roman, d’être dans l’intimité d’une écriture, de personnages, de situations qui vous émeuvent, vous bouleversent, vous surprennent, vous embarquent… !

4) Quels rapports vous entreteniez avec les auteurs? Prenez vous parfois contact avec eux ?
Jusqu’à présent, j’ai toujours été en contact avec les auteurs des ouvrages que j’ai traduits. Je les rencontre, nous restons en contact, et nous entretenons des relations cordiales. Ensuite, chaque relation est singulière. Jusqu’à présent, j’ai toujours eu envie de m’entretenir directement avec les auteurs et j’ai eu la chance qu’ils manifestent également le souhait de me connaître.

5) Vous êtes également écrivain, quel type de texte écrivez-vous ? (j'ai fait quelques recherches, est-ce bien vous qui êtes musicologue ?)
J’écris des livres sur la musique, qu’il s’agisse de thèmes suggérés par un éditeur (si le projet m’intéresse, j’accepte) ou de sujets auxquels je décide de m’atteler et que je propose alors à un éditeur. J’ai donc publié à ce jour des livres dans des genres aussi différents que la biographie [Cathy Berberian Cant’actrice], l’histoire [Paris Musique, une histoire de la vie musicale parisienne], l’essai [Sotto voce, Mozart à Paris], le guide [Quatre siècles d’opéra], le livre de photo [Piaf, la môme de Paris], etc.

6) En tant qu'écrivain mais aussi en tant que traductrice, quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
De très bons rapports en général. Je n’envisage pas de travailler avec un éditeur autrement que dans le cadre d’une collaboration fructueuse, cordiale si possible et dénuée de relation de subordination.
Si ce rapport n’est pas satisfaisant, je cesse ma collaboration.

7) Pensez-vous qu'un bon traducteur doit être un bon écrivain ?
Il est bien difficile de répondre à cette question. Il faudrait commencer par définir ce que l’on entend par écrivain et bon écrivain, et l’on risque vite se s’embourber ! On peut toutefois avancer que traducteur est un métier à part entière, différent de celui d’écrivain (d’auteur, disons), que traduire n’est pas transcrire et mettre les mots de la langue originale en français, que ce n’est pas non réinventer le texte. Cela étant, le traducteur n’a pas à « inventer » le texte, ce qui revient entièrement à l’auteur du texte. Alors non, le traducteur n’est pas un écrivain au sens où il n’est l’auteur de l’ouvrage ; il est tout au plus l’auteur de la traduction. Si le traducteur, comme l’écrivain, s’adresse à un lecteur, avec le souci que ce dernier prenne plaisir à lire l’ouvrage qu’il traduit, il n’est pas le maître du texte, il n’en est que le passeur (et c’est déjà beaucoup). Une chose à ce propos mérite réflexion, et demeure pour moi fascinante quant à ce qu’elle dit de la littérature et de la traduction : un texte littéraire peut traverser les siècles sans prendre une ride (Pantagruel, La divine comédie, Don Quichotte, Hamlet, Les Mille et une nuits…), mais sa traduction dans une autre langue ne survit en général pas plus d’une cinquantaine d’années… Sauf lorsque Baudelaire traduit Poe (mais s’agit-il alors de ce que nous entendons généralement par ‘traduction’ ?).

8) Traduire a t-il fait de vous une lectrice différente ? Et écrire ?
Je ne m’étais jamais posé la question concernant le fait de traduire, mais peut-être, oui. Lorsqu’on traduit, on travaille une matière, la langue, comme un artisan travaille un matériau, et l’on acquiert une intimité, une familiarité avec la langue qui est celle-là même qu’on lit, comme lecteur. On devient peut-être également plus exigeant, car à entrer non seulement dans la langue mais également dans un texte (sa structure, par exemple), on aiguise sa perception du texte écrit, et l’on en voit plus rapidement, le cas échéant, les ficelles, les manquements, les facilités, indépendamment de l’histoire qu’il nous raconte. Mon activité de lectrice (de catalan et de castillan) pour des maisons d’édition a également modifié mon attitude vis-à-vis de la lecture : plus je dois lire, plus je lis, plus j’aime lire ; plus je lis et plus je mesure la difficulté d’écrire, et plus j’admire l’art d’écrire lorsque j’ai entre les mains un très beau roman (la perle rare !).

9) Ecrire a-t-il changé votre conception de la traduction ?
Je ne peux pas répondre à cette question car je suis venue tard à la traduction littéraire, je traduis des romans et n’en n’écris pas et je n’ai pas vraiment de conception établie de la traduction. Je n’ai pas fait d’études de traduction, je n’ai pas de diplôme de traduction, ni même de langues pour les deux que je traduis en français, et je n’ai jamais été en situation d’élaborer une/ma conception de la traduction. J’ai toutefois quelques grandes lignes de conduite auxquelles j’essaie de me tenir, comme le plus grand respect du texte original (lire à ce sujet ce qu’écrit Milan Kundera à propos de la traduction française de La Plaisanterie), le respect du lecteur auquel je m’adresse et la plus grande lisibilité en français (faire en sorte que l’on oublie qu’il s’agit d’une traduction…).

10) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
À ce jour, c’est la rencontre avec Encarnació Martorell, l’auteur d’Amb ulls de nena, ma première traduction publiée. Aujourd’hui âgée de 87 ans, Encarnació m’a reçue chez elle, à Barcelone, si heureuse de savoir que son journal (écrit alors qu’elle avait 12 ans !) allait être traduit et publié en France. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, j’avais pratiquement terminé la traduction, et je me trouvais soudainement en compagnie de la petite fille que j’avais appris à connaître au fils des semaines, dont je connaissais la famille, les rêves, les pensées, les premiers émois… C’était très troublant. Finalement, elle a sorti d’un carton rangé en haut d’une grosse armoire les cahiers d’écolière sur lesquels elle avait écrit ce journal. C’était émouvant. Et j’ai pu constater par moi-même que l’éditeur du texte et le découvreur de ces cahiers, Salvador Domènech, avait respecté à la lettre l’original, sans chercher à « améliorer » ou « corriger » le texte d’une petite fille de 12 ans. Un élément très instructif pour moi. Depuis, je rends visite régulièrement à Encarnació, une dame d’une remarquable intégrité, courageuse, simple, intelligente et attentive aux autres.

11) Enfin, quel conseil donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
Un conseil ? Utile, je l’espère : lire et relire sa traduction après l’avoir laissée décanter une semaine, un mois, deux ou plus (un luxe !), en l’ayant oubliée en quelque sorte. Lire comme une lectrice qui ignore l’original, pour voir si ça « coule »… Si vous n’accrochez pas comme lectrice, c’est que la traduction n’est pas satisfaisante ! La lecture à haute voix met souvent en évidence des barbarismes, des maladresses, des lourdeurs, des incohérences…
(ah, un autre petit conseil : ne jamais se dire « c’est pas clair, ça ne veut pas dire grand-chose, mais l’original est comme cela »… À vous de vous débrouiller pour que le texte soit entièrement lisible !)

Je vous souhaite une très bonne journée!
À bientôt,

Julie Sanchez.

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