mardi 9 novembre 2010

Entretien avec Pierre-Olivier Sánchez, éditeur (Passage du Nord-Ouest), réalisé par Stéphanie Maze

1)Comment sont nées les éditions Passage du Nord-Ouest ?
Je dirais que c'était logique. Comme toute histoire, elle est issue d'une rencontre. J'étais officier marinier et j'ai décidé de me reconvertir grâce à la formation aux métiers du livres du Cecofop à Nantes. J'y ai fait la rencontre d'Ingrid Pelletier, qui deviendra ma femme, une ancienne libraire qui avait vécu au Portugal, et celle de Georges Bourgueil, libraire à l'Écume des pages. Ce dernier préparait la réédition d'un classique, Le Parnasse des poètes satiriques. Ingrid, elle, avait entrepris pour le plaisir la traduction de Ce que dit Molero de Dinis Machado. C'étaient deux projets qui étaient dans les tiroirs, déjà aboutis. Il n'y avait plus qu'à. Comme j'avais travaillé chez José Corti et Ingrid chez Hachette, nous avons uni nos forces. Moi, je leur ai donné un coup de main pour mettre en place la structure, juridiquement, pour la mise en page, la commercialisation. Ces deux livres ont été les deux premiers opus de cette aventure qui se poursuit aujourd'hui.
Je dois souligner aussi la rencontre avec Enrique Vila-Matas qui a été déterminante. Tout comme Machado, il nous a gracieusement cédé les droits de ses œuvres et nous a présenté plusieurs auteurs non-traduits, agissant comme conseiller éditorial.

2)J'ai vu que vous avez vous-même traduit les œuvres de Vila-Matas, était-ce votre première expérience en tant que traducteur ? L'avez-vous réitérée ?
Effectivement, c'était ma première expérience. J'ai recommencé avec ses autres livres publiés par la maison. Mais, en plus du travail au Passage, je suis documentaliste. Je n'ai donc pas beaucoup de temps. Nous publions 4 à 6 livres par an, ce qui représente un travail énorme.

3)On sait que la diffusion est la bête noire des éditeurs. Connaissez-vous des problèmes à ce niveau ?
Pas vraiment. Nous avons d'abord commencé avec Les Belles Lettres. Ensuite, une place s'est libérée chez Harmonia Mundi, nous en avons profité pour les rejoindre.
Un des atouts qui fait notre force, c'est notre rapport aux institutions, avec le CNL ainsi qu'avec le Centre régional des lettres Midi-Pyrénées. Les subventions qu'ils nous apportent sont indispensables. C'est ce qui nous permet de ne pas lâcher.

4)Votre catalogue est le reflet d'une exigence particulière, les romans que vous éditez échappent au schéma du roman traditionnel, cela doit limiter le nombre de lecteurs et donc de ventes ?
Au départ, il est vrai que nos publications se limitaient au milieu littéraire mais avec le temps, le type de lecteurs s'élargit. Il y a des livres moins complexes que d'autres, ce qui permet d'ouvrir le lectorat. Les œuvres, nous les publions pour des questions de goût, pas en fonction de possibles bénéfices.
Depuis 10 ans, il y a une multiplication de petites maisons d'édition qui luttent pour garder leur identité, le paysage éditorial s'est pluralisé. Lorsqu'on parle de grosses structures, en effet les enjeux ne sont plus les mêmes, le choix des publications est souvent commercial.
Nous vendons en moyenne entre 800 et 1000 exemplaires de chaque livre. Il y a 4 ans, nous en vendions entre 500 et 600.

5)Où êtes-vous commercialisés ?
Un peu partout, dans toutes les librairies, à la FNAC aussi. Nous sommes juste absents des grandes surfaces comme Leclerc, enfin si, chez Leclerc, on a placé Warlock, un western. Les grandes surfaces sont adaptées à certains types de littérature.

6)Jouissez-vous de bonnes mises en place ?
D'après le retour des représentants, nous sommes systématiquement présents sur les tables, même dans des librairies qui ne prennent qu'un exemplaire. Le rôle du libraire, c'est de vendre ce type de littérature. Même s'il ne va pas en vendre des wagons, il en vendra deux ou trois. S'il place le livre en rayon, c'est une vente perdue, il faut que ce livre soit sur la table. L'achat de nos livres est rarement basé sur l'envie du moment, le lecteur aura entendu parler de l'auteur par la presse, ou aura été conseillé par un ami ou un libraire.

7)En matière de chiffres, ça représente combien ?
Pour la littérature contemporaine, on place autour de 1000 exemplaires.
La littérature germanique : 800 et littérature anglo-saxonne : 1200.
On en tire le double du placement : 2000-2500. Il faut compter 200-250 exemplaires pour les services de presse.

8)Vous avez débuté la maison d'édition avec le statut d'association, l'avez-vous conservé ?
Oui, oui. La maison d'édition se suffit à elle-même mais c'est tout. Nous ne pouvons pas vivre grâce à elle. Moi, je suis documentaliste, Ingrid est correctrice et Georges, patron de librairie. On maintient tous le rapport avec le livre !
La maison nous prend beaucoup de temps mais la règle d'or, c'est : « on ne travaille pas le dimanche », alors avec l'expérience, on trouve des astuces pour que certaines tâches se fassent plus vite.
Nous accordons une place importante aux argumentaires de vente. Ils font en général 8 pages, nos livres sont complexes et nous avons tous un niveau de lecture différent, on fait donc un gros travail en amont pour le représentant. Ça donne du grain à moudre, mais à force de pratiquer, on sait gagner du temps.

9)Comment effectuez-vous vos choix de publication ?
Ça dépend. En général, ce sont des traducteurs ou des écrivains qui nous parlent d'autres auteurs. Les deux-tiers des projets que l'on reçoit proviennent de traducteurs. Nous publions entre 4 et 6 livres par an et recevons environ 50 projets. Le reste du temps, c'est nous qui découvrons un titre. C'est un travail que l'on fait ensemble, un travail associatif. Nous n'avons jamais acheté un livre lors d'un salon par exemple.

10) En parlant de salon, y participez-vous ? Ressentez-vous un impact sur les ventes ?
Nous allons à Paris tous les ans. On sort de notre province et on va retrouver les copains. Mais oui, les ventes sont boostées, c'est sûr. Sergio González Rodríguez était invité aux Belles Latinas, ça s'est ressenti.

11)Comment choisissez-vous vos traducteurs ? Ce sont des traducteurs-maison ?
Non, pas de traducteurs-maison à proprement parler, mais dès que l'on trouve quelqu'un de qualité, c'est vrai qu'on a tout de suite envie de retravailler avec. C'est l'excellence du travail qui détermine les choix, la confiance qu'on porte au traducteur. Par exemple, Isabelle Gugnon a traduit trois auteurs chez nous. Pour les anglo-saxons, on travaille surtout avec Claro et Bernard Hoepffner. À la fin du mois nous publierons un texte autrichien, un texte traduit de l'allemand par Barbara Fontaine, vu l'excellence du travail, ça donne envie de renouveler l'expérience avec elle. Il y a Claude Murcia aussi.

12)Le nombre de ventes influence-t-il vos choix de publication ?
Non. Comme je vous disais, ce sont les subventions qui nous permettent de poursuivre l'aventure, de ne pas penser en terme de chiffres ou de ventes. Sur les dossiers déposés au CNL : 80 % sont acceptés. Cette aide représente 60 % du coût de la traduction. Ensuite, l'aide régionale nous apporte 40 % des frais de fabrication. Grâce à ces aides, c'est comme si nous avions déjà effectué cinq à six cents ventes. C'est notre moyen de survie.
Ça nous permet de publier des livres imposants, si l'œuvre fait 500 pages, on s'en moque, on y va quand même. La traduction de Mantra nous a coûté 16 000 euros, on n’a pourtant pas hésité. C'est d'ailleurs notre meilleure vente : 6 000 exemplaires, alors que le livre coûte 24 euros, ce n'est pas rien, d'autant que le panier moyen en librairie chute depuis plusieurs années.

13)Comment procédez-vous pour les relectures de traduction ?
Les relectures sont toujours faites avec l'original entre les mains. Pour l'espagnol et le portugais, c'est Ingrid qui s'en occupe.

14)On sait que la littérature latino-américaine est friande de recueils de nouvelles, genre très peu reconnu en France ? Le ressentez-vous au niveau des ventes ? Cela influe-t-il sur vos décision de publications ?
Les nouvelles en France, c'est la cata. Le choix, on le fait par rapport au livre, peu importe la forme donc non, pas de répercussion. Au niveau des ventes, c'est moitié moins. En Amérique Latine, les nouvelles représentent un passage obligé dans la carrière d'un écrivain, il y a donc plus de recueils. C'est une habitude culturelle.

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