vendredi 26 novembre 2010

Exercice d'écriture : « Il n'a pas deux sous d'idée », par Alexis Poraszka

En photo : Are You A Loser?
par splorp









De : Fulbert-Urbain PETROWSKI
Destinataire : Pierre DUPONT

Sujet : COMPTE RENDU DE TUTORAT

Cher Pierre,

J’étais enchanté et honoré que vous me confiiez un de vos étudiants en tutorat. Je trouve cette expérience très enrichissante, pour ledit étudiant comme pour moi-même. En revanche, je fus vite pris de spasmes quand je me rendis compte des capacités plutôt limitées de cet énergumène. Je ne vous jette pas la pierre, Pierre, mais j’étais à deux doigts de jeter l’éponge ! Ce petit garnement n’est décidément pas très futé, et pourtant, crois-moi, j’y ai mis tout mon cœur et mon énergie ! Rien n’y faisait, il était tellement pressé de voler en solo qu’il s’empressait de commettre des bourdes sans prendre la peine d’écouter mes conseils ! Je me réjouis à l’avance de ne pas l’avoir en stage mais je m’inquiète de voir mon nom associé à un tel abruti ! Cela va me porter préjudice, c’est certain, et peut me coûter ma réputation.
J’ai vraiment fait de mon mieux pour lui inculquer le B.A.BA du criminel. Tu le sais comme moi, un bon criminel, ça ne s’improvise pas. Cela demande du travail et de la concentration, de même qu’il faut savoir prendre du plaisir : tuer, c’est tout un art et ce n’est pas inné ! Comme dirait feu Pépé La Fourche, « tuer, c’est comme l’amour, si tu prends pas ton pied, mieux vaut prendre ta main ». Et il avait raison, le saint homme. Figurez-vous, mon cher Pierre, que le triste étudiant s’est mis dans la tête d’attaquer une petite vieille ! Je ne sais pas ce qu’il lui a fait (car, bien sûr, la malheureuse action avait déjà été commise), je n’ai pas voulu entrer dans les détails mais j’ai bien compris que sa pauvre proie sortait toute guillerette de la guinguette du village. Comme c’est triste. Bref, j’ai dû tout lui apprendre, à commencer par les principes de bases. Restons sur la petite vieille, c’est le premier chapitre du manuel « le crime pour les nuls » : bien choisir sa victime. Sa dame à la carte vermeil, c’est pas sérieux tout ça ! Je n’ai rien à vous apprendre, mais vous savez que la victime, dans un meurtre, ça fait tout, ça fait la différence entre un petit homicide par ces clowns qui peuplent les prisons et les meurtres effroyables à la Jack (l’Eventreur, ndlr). D’ailleurs, je lui ai glissé, en passant, quelques mots de ma sage Mémé Couic-Couic : « quand la victime est bonne, perds pas ton temps avec la patronne ». Deuxième point crucial du bon crime : le choix de l’arme et de la manière de tuer. Ce petit crétin, une fois la victime trouvée, commençait déjà à s’élancer dans la rue, le sang dans les yeux ! J’ai dû lui courir après pour l’en arrêter. Comme aurait dit Tonton La Pioche, « on fait pas l’amour sans baisser son slip ! ». Chaque étape est importante, il faut respecter l’ordre des choses. J’ignore comment vous organisez vos cours, mais il faut impérativement le leur faire comprendre. Donc, pour l’arme, là encore, il voulait céder à la facilité et utiliser un révolver. J’ai dû fortement m’y opposer et lui faire comprendre que le plaisir de tuer vient également avec le changement régulier de l’arme, du contexte, du genre de victime. Il faut savoir prendre des risques, que diable ! C’est qu’il s’agit de ne pas oublier les réflexes : une perte de réflexes et c’est une victime gaspillée. On n’a pas le droit à l’erreur, une fois morte c’est fichu, faut réussir du premier coup. Je l’ai bien observé. Je lui avais dégoté une trentenaire, plutôt sportive, il en a bavé et il m’a sapé le travail le gredin. Il nous a tâché de sang jusqu’au cou (vous savez à quel point je déteste être recouvert de ce satané liquide), a laissé une centaine d’empreintes sur les murs de la rue, et a laissé échapper la victime désormais unijambiste l’espace d’un instant. Cela dit, il avait l'air content de lui car, une fois la pauvre femme égorgée pour la 8ème fois, il se tourna vers moi tout sourire, du sang sur tout le côté gauche se son visage et me lança de manière prétentieuse « pas mal ? hein, doc! ». J’en avais mal au cœur à tel point que je n’étais pas d’humeur à poursuivre la leçon sur la strangulation, les mutilations post-mortem, la chirurgie faciale, le transport du corps et les indices à laisser… Sa dernière ânerie a bien failli nous coûter la peau : en pleine rue, il me prend par le bras et me dit qu’il a perdu l’ouvre-boîte (que nous avions choisi comme arme, ndlr). On a rebroussé chemin pour finalement le trouver entre les mains d’un mioche qui s’imaginait goûter à du jus de tomate !
Je lui ai également dit que nous nous reverrions lors de la soutenance. Il parut soudain étonné de savoir qu’il aurait à justifier de ses choix de crimes. Avez-vous pensé à bien insister sur la nécessité d’un crime qui présente un intérêt à être commis ou des difficultés spécifiques ? Il ne semblait pas au courant de l’importance de trouver le système de son meurtre.
Je ne cherche pas à vous accuser directement de la stupidité de vos étudiants, mais un tel idiot peut mettre en péril la formation de criminologie proposée par l’UFR et vous rend également ridicule aux yeux de celle proposée par Paris 7. Tant que vous n’aurez que d’aussi piètres apprentis tueurs, je me refuse à poursuivre mes activités de tuteur. En espérant que vous comprendrez ma position, je vous laisse prendre les mesures qui s’imposent.

Bien à vous

Fulbert-Urbain PETROWSKI

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