lundi 29 novembre 2010

Entretien avec Jacqueline Daubriac (promo Anne Dacier), réalisé par Vanessa Canavesi

J'ai rencontré Jacqueline, ancienne apprentie de la promo Anne Dacier, pour discuter avec elle autour du thème de la traduction longue et du stage. Elle a gentiment proposé de répondre à mes nombreuses questions par écrit. Voici donc son texte, publié comme une lettre ouverte, récit de son expérience enrichissante. Je la remercie encore vivement.

« […] L’échange amical que nous avons eu il y a quelques heures m’a beaucoup intéressée, car si je doute que le récit de mon expérience puisse t’être d’un quelconque secours – cela peut s’écouter comme une histoire plus ou moins enjolivée d’ailleurs, comme toute histoire, mais de mon point de vue cela ne peut s’entendre comme un modèle à suivre ou à ne pas suivre –, en revanche, je réalise la chance que grâce à toi j’ai de refaire un bout de chemin en arrière : ma philosophie et le temps qui me presse ne me conduisent pas volontiers à retourner sur mes pas et c’est une question intéressante, en tout cas qui m’intéresse, de voir si mon regard a changé sur ce temps de vie que j’ai consacré à Tradabordo, pour le dire ainsi.
Tu me poses deux séries de questions, sur mon stage d’une part, et sur la traduction longue d’autre part, qui sont évidemment les deux pierres d’achoppement de tout apprenti traducteur.
Le stage, donc. Je l’ai terminé en juin 2009, j’ai à présent assez de recul pour avoir un regard dénué de passion et ce que je peux dire de plus vrai aujourd’hui, est que si c’était à refaire, je le referais. Je crois en effet que ce n’était pas un mauvais choix ; pour répondre à ta question, il me semble qu’il vaut mieux, quand cela est réalisable, faire son stage dans une maison d’édition qui bouge, où des choses se passent, et de ce point de vue-là, j’ai été comblée ! Cette expérience m’a appris qu’un travail dans le privé, à ce niveau, dans ce secteur, n’ouvre pas droit à l’erreur mais que si on accepte de l’aborder en se disant qu’on ne sait rien et qu’on a tout à apprendre, si on retrousse ses manches et qu’on laisse de côté toute susceptibilité, alors oui, on peut faire de belles rencontres et se tailler une toute petite place au soleil, même à Paris ! J’ai gardé pour ma part en mémoire quelques-unes d’entre elles, avec deux auteurs dont un directeur de collection dont j’avais relu les tapuscrits, avec rédaction d’une note de lecture à la clé, avec un autre auteur dont j’avais corrigé le manuscrit, avec mes responsables directs que j’ai sollicités sans arrêt pour glaner le plus d’informations possible, avec des collègues que j’ai revus déjà plusieurs fois depuis la fin de mon stage : c’est un moment de ma vie que j’ai plaisir à me rappeler. Bien sûr rédige ton rapport de stage le plus tôt possible quand tout est frais à ta mémoire – tape Jacqueline dans Tradabordo et tu auras la réponse à ta question pour les problèmes techniques – et cultive des relations, c’est essentiel dans ce milieu.
Pour ce qui est de la traduction, je ne saurais te conseiller assez de t’y mettre dès maintenant, c’est beaucoup plus long qu’on ne pense, et c’est très frustrant au bout du compte de s’apercevoir qu’on aurait pu faire mieux avec un peu plus de temps. La gestion du temps a donc été une de mes difficultés. Ce que j’en ai retiré ? L’exigence, celle d’un travail soigné et sans cesse questionné.
Depuis, qu’ai-je fait ? Une première année de licence de portugais, qui m’a beaucoup intéressée ; cette année, je suis en deuxième année, consacrée au brésilien, encore une découverte, et puis nous allons aborder l’Afrique lusophone et j’attends ces cours avec gourmandise. J’ai fait aussi beaucoup de corrections de manuscrits et la traduction d’un mémoire de recherches. Bien sûr ce sont des tâches « alimentaires » mais pas seulement, rien n’est inutile, on apprend toujours. Impossible pour l’instant d’envisager une traduction longue à éditer ; même si j’ai en projet celle d’un ouvrage portugais, en collaboration avec une de mes enseignantes, je ne maîtrise pas assez mon emploi du temps pour m’engager plus avant. Mais dans le secret de mon cabinet, je traduis – de l’espagnol – chaque fois que je peux grappiller un peu de temps. C’est mon jardin secret et je le cultive avec bonheur.
Tu me demandes si cela a été plus ou moins difficile par rapport à ce que j’avais imaginé ? D’abord, j’aime la difficulté, elle me stimule et, non bien sûr, l’année de master n’a pas été un long fleuve tranquille ; mais au bout du compte elle a changé mon regard qui n’était pourtant pas celui d’une jouvencelle. J’ai gardé le réflexe post, un traducteur, une traductrice est pour moi avant tout quelqu’un de curieux et qui fait son miel de tout. Eh bien je ne jette rien, je fais mon miel de tout. Tu veux un exemple ? J’ai participé il y a quelques jours à un colloque intitulé La signature, organisé par mon directeur de recherches de master recherche ; a priori, rien à voir avec la traduction, sauf qu’un des intervenants qui, soit dit en passant, a monté une maison d’éditions spécialisée en province, a fait une communication fort intéressante sur « La marque, une signature typographique », mais je l’ignorais avant de venir ; eh bien, j’ai appris plein de choses sur la typographie et je me suis surprise à penser à Tradabordo et à me dire que cela aurait pu faire un post intéressant ; puis à la pause-café, je me suis présentée à cet enseignant, nous avons parlé de sa maison d’éditions, de ses difficultés, voilà, tu vois, ces réactions sont typiquement des réactions Tradabordo.
Tu auras donc compris, chère Vanessa, que l’année Tradabordo, débarrassée des scories inhérentes à tous les contacts humains, a été pour moi une année positive. Je te souhaite la même chance. Enfin, me demandes-tu : « question subsidiaire : deux ans après, continues-tu à visiter Tradabordo ? » Très peu en vérité. Ce n’est pas une forme de désintérêt, c’est de la sagesse, une page s’est tournée, place aux autres, mais tu le vois, je n’hésite pas à répondre présente quand c’est possible. [...]
Amicalement,
Jacqueline »

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