mardi 30 novembre 2010

Entretien avec Laëtitia Sworzil (promo Aline Schulman), réalisé par Perrine Huet

1) Quel livre as-tu choisi pour ta traduction longue ?
J’ai choisi « Ojos de agua » de Domingo Villar. Il s’agit d’un roman policier, écrit à la fois en galicien et en castillan. C’est le premier livre de l’auteur. Publié aux éditions Siruela en 2006, il est à ce jour traduit en plusieurs langues : anglais, allemand, italien, russe et bulgare. Depuis, il y a eu une suite. Le second volet des aventures de l’inspecteur Caldas et de l’agent Estévez (le tandem de héros) est paru en 2009. Il s’intitule : « La playa de los ahogados ».

2) Pourquoi ce choix ?
J’ai trouvé ce livre par hasard, au détour de mes flâneries dans quelques librairies en Espagne. Au départ, j’ai beaucoup interrogé les libraires et les vendeurs. Tel avis, tel coup de cœur peuvent se révéler toujours précieux ! Mais tous me conseillaient des livres d’auteurs connus dont je savais qu’ils étaient déjà traduits en français ou fort susceptibles de l’être. On m’en a même proposé un qui avait été traduit par notre tuteur Jean-Marie Saint-Lu ! J’ai donc décidé de m’en remettre à mon flair…

3) Lorsque tu t’es sérieusement mise à cette traduction, as-tu regretté ce choix ?
Eh bien, oui… De là, le risque de miser sur son flair et sur les stocks des libraires… ! Certes, le roman m’avait tenue en haleine jusqu’à la dernière minute, ce qui est après tout la principale attente d’un lecteur de polar. Certains personnages étaient un peu légers voire caricaturaux, mais dans l’ensemble attachants. Quelques passages étaient assez drôles. Et le cadre de l’intrigue, la ville de Vigo et les Rías Bajas galiciennes, à la fois inhabituelles (mais dépaysantes et séduisantes) et parfaitement adaptées à l’atmosphère criminelle. D’où une première lecture plutôt positive. Le problème s’est posé – environ à partir du troisième jet – lorsque j’ai délaissé le fond de l’histoire pour la forme. Suspense ou pas, humour ou pas, il y a un moment où on se heurte vraiment à la langue. J’ai alors découvert que la qualité littéraire du texte n’était pas vraiment au rendez-vous…

4) Comment t’es-tu organisée pour effectuer ce travail ? As-tu réussi à gérer ton temps ?
J’ai eu du mal à m’astreindre à une organisation stricte. Avec le recul, je me rends compte que les premiers jets ont été un peu désordonnés, ce qui m’a fait perdre beaucoup de temps par la suite. Ensuite, j’ai continué à travailler par couches successives, mais pas d’un seul trait (de la première à la dernière page), plutôt par grandes parties. Enfin, dans les dernières semaines, il aurait fallu que je laisse reposer la traduction. Quand je l’ai rendue, j’étais encore trop à chaud…

5) Quels ont été les problèmes majeurs que tu as rencontrés au cours de la traduction ?
Les principaux problèmes ont concerné la traduction des dialogues, très nombreux et truffés d’expressions familières et d’un vocabulaire grossier. Rendre l’oralité avec naturel est un exercice bien plus difficile qu’il n’y paraît ! De plus, il a fallu gérer les inlassables répétitions de verbes « pauvres » ou banals tout au long du texte. J’ai d’ailleurs tenu des comptes d’apothicaire ! J’ai listé, page par page, tous ces verbes afin d’y voir clair puis je les ai tous retravaillés.

6) Et quelles ont été tes satisfactions ?
Il me semble que je ne me suis pas trop mal débrouillée pour les passages de récit. En outre, mes incessantes relectures (autant de la V.O. pour traquer la moindre coquille que de la VF pour veiller à l’orthographe, la grammaire…) m’ont permis de rendre un texte « propre ». Un petit conseil au passage : ne pas sous-estimer la phase technique des opérations. En effet, les étapes préliminaires (scanner le texte original, le passer à l’OCR, en corriger toutes les erreurs et le mettre en page) demandent beaucoup de temps. Sans compter la phase de découpage afin de placer les deux textes en pendant (VO en page de gauche et VF correspondante en page de droite). Attention aussi aux surprises de calibrage (les fameux 150 000 signes) : tant que le texte n’est pas sous Word (ou équivalent…), on ne peut pas être sûr d’avoir arrêté le nombre de pages suffisant. Dans mon cas, il manquait 30 pages par rapport au calcul initial.

7) En ce qui concerne les ateliers de tutorat, avec qui les as-tu réalisés ? Que t’ont-ils apporté ?
J’ai suivi les ateliers de tutorat avec Jean-Marie Saint-Lu. Nous avons particulièrement insisté sur le respect scrupuleux de la lettre, une analyse fine du texte afin de faire émerger des solutions de traduction, un travail attentif sur la correction de la langue, l’acquisition et la mobilisation au fil des textes de réflexes de traduction. Pour plus de précisions, je me permets de citer mon article « Mes ateliers de traduction avec Jean-Marie Saint-Lu : les dix commandements du traducteur littéraire » où j’expose de façon synthétique la pensée de notre tuteur en la matière. (Il est paru sur le blog Tradabordo le 13 mars 2010.)

8) Où as-tu effectué ton stage ? En quoi consistaient tes tâches ?
J’ai effectué mon stage aux Éditions Monsieur Toussaint Louverture. J’ai travaillé pendant un mois au côté de l’assistante d’édition de la maison. Voici dans l’ensemble les tâches qui m’ont été confiées : préparation des commandes, traduction d’articles journalistiques ou littéraires, rédaction de fiches de lecture, relecture de traductions et recherches documentaires diverses.

9) Pendant ton stage, avais-tu suffisamment de temps pour t’occuper de ta traduction longue ?
Non, le stage m’a demandé plus de temps que prévu, notamment parce que je ramenais souvent du travail à la maison le soir ou le week-end. Il a fallu jongler avec les deux. Et puis, lorsque la période de stage est courte, on se dit qu’il faut mettre les bouchées doubles pour découvrir un maximum de choses.

10) Pour finir, comment définirais-tu ton année d’apprentie traductrice ?
Une année aussi intensive qu’instructive à la fin de laquelle on est fier de mesurer le chemin parcouru, même si on se dit que fichtre, la route est encore longue !

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